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20 octobre 2013 7 20 /10 /octobre /2013 10:39

 

L'asynclitisme, ou comment ôter un bouchon de champagne.

— Philaminte : Comment t'y prends-tu pour faire si bien sauter, à chacun de nos anniversaires,  le bouchon de nos bouteilles de champagne ?

— Argan : Eh, c'est un coup de main ! Après avoir délié le muselet, mis dans ma poche la capsule de fer blanc (je serais volontiers placomusophile, et j'ai longtemps récolté les capsules congés de mes bouteilles de Bordeaux), je place mes pouces de chaque coté de la tête du champignon de liège et j'applique un mouvement d'inclinaison, alternativement d'un coté, puis de l'autre, jusqu'à la délivrance joyeuse que célèbre aussitôt le pop du coup de canon tiré en cette occasion. Et je collectionnerais plus volontiers le cri primal de ces "pop", "boum", "bang" suivi du doux ruissellement des pschitt pschitt pschitt des bulles, si les sons étaient des objets plutôt que ces djinns voués depuis leur création à l'éphémère. Mais  ce caractère éphémère (du grec  ε ̓ φ η ́ μ ε ρ ο ς , qui ne dure qu'un seul jour" ) n'est-il pas le propre de la fête, et de surcroît de l'anniversaire ?

 —  Bélise : A défaut de collectionner les bouchons de champagne, comme les buttappooenophiles, je me pique de réunir les noms techniques. Comment désigne-tu le geste que tu viens de nous miner, Argan ?

— ....

— Clitandre : Le nom n'existe pas encore, ou pas dans cet usage. Il me faut aujourd'hui l'emprunter au Dictionnaire de l'Académie de Médecine, et à l'Obstétrique, et vous proposer le nom d'asynclitisme.

— Trissotin, ânonnant : du grec * a : du préfixe « a » (an- devant une voyelle ou h muet) : privatif, signifie « sans » ou « arrêt » ou « absence de » ; * syn : du grec sun [syn-, sym-, syl-], avec, semblable ; * clitisme, clitique : du grec klinê, lit, ou de klinein [-cline, clino-], incliner. : "incliner dans des sens opposés." 

— Argan : "Incliner dans des sens opposés", mais c'est exactement cela ! Et l'extraction de la tête du bouchon hors du col de la bouteille est réellement une délivrance, qui relève de la maïeutique ! Excellent, baptisons illico ce nouvel emploi du nom ! Champagne, Philaminte, champagne ! 

http://www.essentielle.be/food/champagnedu-raffinement-dans-un-monde-de-bruts-5594.html

 

 

— Clitandre. Quelques précisions en guise d'Ego te baptizo in nomine :

 1. voici d'abord la définition  de l'Académie de Médecine 2013. 

 Asynclitisme, n.m. "Inclinaison latérale, en avant ou en arrière, de l’axe sagittal du pôle céphalique fœtal par rapport à l’axe du détroit supérieur qu’elle emprunte.

Il permet l’engagement dans un bassin aplati ou rétréci ou en cas de présentation du sommet en variété postérieure mal fléchie. Il s’agit d’un asynclitisme antérieur ou postérieur selon que la bosse pariétale antérieure ou postérieure se présente en premier."

2. La dystocie.

Le même mot peut désigner, soit un mouvement, soit un blocage de progression ou dystocie : N. m.  Défaut de coïncidence entre l'axe du bassin et l'axe de la tête du fœtus pendant l'accouchement. Adj. Asynclitique.

 Il peut aussi décrire seulement un mode d'engagement : soit en synclitisme (engagement simultané des deux bosses pariètales), soit en asynclitisme (engagement d'une bosse avant l'autre). Grande encyclopédie Larousse 1971.

3. Le Mécanisme de Bonnaire

 Le mouvement , l'asynclitisme des bosses pariétales pour aider au dégagement de la tête jusqu'au menton, porte le nom de mécanisme de Bonnaire, donné par  E. Bonnaire, gynécologue français (1858-1918) : "Mécanisme permettant le passage de la tête fœtale dans le détroit inférieur du bassin cyphotique: la tête se dégage obliquement en deux temps par un mouvement d’asynclitisme des bosses pariétales".http://dictionnaire.academie-medecine.fr/?q=de)&page=16 

Érasme Bonnaire :Collection Académie nationale de médecine 

http://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/image?anmpx42x0006c

 Il ne faut pas confondre ce "Mécanisme de Bonnaire" avec la "Manœuvre de Bonnaire", dilatation du col entre l'index et le médius des deux mains.

  Des manœuvres d'asynclitisme semblent avoir été décrites également par Champetier de Ribes complétées par Budin : traction en avant et en bas pour engager le parietal postérieur, et franchir le promontoire, puis traction en arrière et en bas pour engager le pariétal  antérieur. (illustrations ici


4. Plongée dans le passé des écoles d'obstétriques de la fin du XIXe siècle.

   L'engagement par le pariétal postérieur avait été décrit correctement par Smellie dès 1752, mais avait été contesté par Naegélé en 1819, qui affirmait l'engagement par le pariétal antérieur, ce qui fut enseigné en France jusqu'en 1850 malgré les protestations de Baudeloque ou de Mme Lachapelle.

    Refusant cette asymétrie de la présentation, la théorie du synclétisme s'impose ensuite : les deux pariétaux s'engagent désormais ensemble dans les enseignements de West (1857), Cazeaux (1858), Duncan (1861) Leischman (1864) et Tarnier (1865).

  La nouvelle théorie synclitique est attaquée par Duncan et Playfair (William Smouth Playfair, Traité d'accouchement, 2ème édition, 1878 traduction Henri Marc Vermeil) qui défendent la notion d'"asynclitism". Comme l'admet alors Tarnier, si la tête descend de manière que le diamètre bi-pariétal soit parallèle au plan du détroit supérieur, et aux différents plans de l'excavation qu'il traverse successivement, (synclitisme), ce parallélisme ne se vérifie que pour la moitié supérieure de l'excavation. Parvenue dans la moitié inférieure et particulièrement au détroit périnéal, , ce synclitisme se rompt, la tête s'incline, la bosse pariétale devient plus basse, par rapport aux plans du bassin qu'elle traverse, que la bosse pariétale postérieure. Il y a asynclitisme, physiologique. 

 En France, S. Tarnier et G. Chantreuil  se convertissent à cette nouvelle conception, et renoncent à la "théorie du synclitisme" (encore tardivement défendue par Küneke) dans leur Traité des accouchements, Paris : Lauwereyns, 1882 page 640. On peut donc dater de 1882 l'apparition de ce nom dans la langue française. Le mot est repris par A. Auvard en 1890 (Traité pratique d'accouchements, Paris : Doin). En 1886, Barnes et Barnes parlent, pour désigner la dystocie, d' asynclitisme exagéré (Traité théorique et clinique d'obstétrique, Paris : Masson 1886). 

Tout semblerait simple, mais Schultze, Schatz, Robert Barnes contestent la représentation adoptée. En 1886 et 1891, H. Farabeuf en France démontre que, dans les bassins normaux comme les bassins rétrécis, la tête foetale s'engage par le pariétal postérieur. Puis Pinard et Varnier, par des travaux anatomiques faisant appel à des coupes de femmes congelées, démontrent que l'asynclitisme, loin d'être réservé à la partie inférieure, survient précocement, mais s'inverse lors de la progression, passant de l'inclinaison sur le pariétal postérieur à celui sur le pariétal antérieur; (Ribemont-Dessaignes 1896, p.365).

 Ce débat sur l'asynclitisme occupe donc la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Sans en pénétrer les subtilités, je retiens que c'est alors que le nom est apparu dans notre langue.


5. Usage médical extra-obstétrical.

 S'il n'avait pas encore été adopté par les invités aux noces de Dom Pérignon avec la Veuve Cliquot, le terme a déjà été détourné de son usage obstétrical par les chirurgiens : 

a. Dans le Nouveau Traité de technique chirurgicale, Paris : Masson, 1967, Lucien Léger, ‎Jean Patel  écrivent :

Cette manœuvre est aisée lorsque la taille de la rate est réduite ou moyenne; lorsque la rate est volumineuse, c'est un véritable accouchement, avec ses manœuvres d'asynclitisme et de bascule, qu'il faut faire, avec une certaine fermeté.

b. Dans un cours de chirurgie du cancer de l'œsophage en ligne :

http://www.medix.free.fr/sim/chirurgie-cancers-oesophage-suite.php "L’agrafeuse est serrée après déblocage de la sécurité. Dès lors, il faut éviter toute traction sur l’anastomose. L’extraction de la pince est grandement facilitée par l’utilisation de modèles récents dont l’enclume pivote après agrafage et desserrage incomplet. Sur des modèles anciens, il faut retirer l’agrafeuse par des mouvements d’asynclitisme et de rotation, tout en maintenant un contre-appui manuel sur l’anastomose.".

6. Proposition de nouveaux usages.

   On pourrait, avec le Dr M. Saïdani, responsable au SAMU  du CESU 35, appliquer ce nom à la manœuvre de retrait du casque intégral chez le motard accidenté : les mouvements coordonnés et prudents de flexion-déflexion du casque, alors que le menton et le rachis cervical est soigneusement immobilisé par un assistant, (voir Fiche technique du CESU 50 page 6 ici) s'apparentent en effet tant au dégagement de la tête du nouveau-né qu' à l'ouverture de la bouteille d'un vin de Champagne ; seul le contexte, dramatique ici, change.


 

 

 

 

 


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Published by jean-yves cordier

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  • : Le blog de jean-yves cordier
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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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