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31 janvier 2015 6 31 /01 /janvier /2015 15:07

Les vitraux du XIIe siècle de la cathédrale Saint-Julien du Mans (IV). Baie XVIII

Baie XVIII : Nef, coté sud, première baie à l'ouest. Vers 1150.

Cette lancette de plein cintre de 2,30m de haut et 1 m de large reçoit une verrière composite dans laquelle les trois scènes sont attribuées au Maître de l'Ascension (Baie XVI) : de haut en bas "Vision d'un roi endormi" , "Pilate se lavant les mains" (sic) et "Saint Pierre conduit hors de prison par un ange". L'encadrement et la bordure datent de la restauration de Steinheil vers 1900.

Le Mans, Baie XVIII vers 1150.

Le Mans, Baie XVIII vers 1150.

Registre supérieur : "Vision d'un roi endormi".

  C'est un drôle de roi, car il dort pieds contre un arbre où sont perchès deux oiseaux, alors que cinq chèvres cherchent à en atteindre les feuilles. Au dessus de sa tête, un personnage nimbé (ange ?) émerge de murailles. Un homme endormi avec une lampe allumée au dessus, et un arbre, c'est un modèle habituel de Jessé, mais il est clair que ce n'est pas lui qui est représenté ici. Anne Granboulan a proposé judicieusement d'y voir le Deuxième Songe de Nabuchodonosor.

Parmi les songes du roi Nabuchodonosor  que le prophète Daniel réussit à interpréter, il en est un qui met en scène un arbre d’une hauteur immense : les oiseaux perchent sur ses branches et les animaux terrestres s’abritent sous son ombre ; mais un ange ordonne d’abattre l’arbre, symbole de l’orgueil du roi (Livre de Daniel, chapitre 4).

 Songe de Nabuchodonosor, arbre f. 28v, Speculum humanae salvationis, France, XVe siècle  

Livre de Daniel, 4 :

7 Voici quelles étaient les visions de mon esprit pendant que j'étais couché sur mon lit: je regardais et voici ce que j'ai vu: Au milieu de la terre se dressait un grand arbre, dont la hauteur était immense.

8 L'arbre grandit et devint vigoureux. Son sommet atteignait le ciel; et l'on pouvait le voir depuis les confins de la terre.

9 Son feuillage était magnifique et ses fruits abondants. Il portait de la nourriture pour tout être vivant. Les animaux sauvages venaient s'abriter à son ombre et les oiseaux se nichaient dans ses branches. Tous les êtres vivants se nourrissaient de ses produits.

10 Pendant que je contemplais sur mon lit les visions de mon esprit, je vis apparaître un de ceux qui veillent, un saint qui descendait du ciel.

11 Il cria d'une voix forte cet ordre: «Abattez l'arbre! Coupez ses branches! Arrachez son feuillage et dispersez ses fruits, et que les animaux s'enfuient de dessous lui, que les oiseaux quittent ses branches!    ...

14 Cette sentence est un décret de ceux qui veillent; cette résolution est un ordre des saints, afin que tous les vivants sachent que le Très-Haut domine sur toute royauté humaine, qu'il accorde la royauté à qui il veut, et qu'il établit roi le plus insignifiant des hommes.»

15 Tel est le rêve que j'ai eu, moi le roi Nabuchodonosor. Quant à toi, Beltchatsar, donne-m'en l'interprétation puisque tous les sages de mon royaume s'en sont montrés incapables, mais toi, tu le peux, car l'esprit des dieux saints réside en toi.

16 Alors Daniel, nommé aussi Beltchatsar, demeura un moment interloqué: ses pensées l'effrayaient. Le roi reprit et dit: ---Beltchatsar, que le songe et son explication ne te troublent pas!
---Mon Seigneur, répondit Beltchatsar, je souhaiterais que ce songe s'applique à tes ennemis, et sa signification à tes adversaires!

17 Tu as vu grandir et se développer un arbre dont la cime touchait le ciel et que l'on voyait de toute la terre.

18 Cet arbre au feuillage touffu et aux fruits abondants fournissait de la nourriture pour tous les êtres vivants. Les animaux sauvages venaient s'abriter sous lui et les oiseaux nichaient dans ses branches.

19 Cet arbre, ô roi, c'est toi! Car tu es devenu grand et puissant. Ta grandeur s'est accrue, elle atteint jusqu'au ciel et ta domination s'étend jusqu'aux confins de la terre.

20 Le roi a vu ensuite l'un de ceux qui veillent, un saint, descendre du ciel et crier: «Abattez l'arbre et détruisez-le! Laissez toutefois en terre la souche avec les racines, mais liez-les avec des chaînes de fer et de bronze dans l'herbe des champs, qu'il soit trempé de la rosée du ciel, et qu'il partage le sort des animaux sauvages jusqu'à ce que sept temps aient passé.»

21 Voici ce que cela signifie, ô roi! Il s'agit là d'un décret du Très-Haut prononcé contre mon seigneur le roi.

22 On te chassera du milieu des humains et tu vivras parmi les bêtes sauvages. Tu te nourriras d'herbe comme les bœufs et tu seras trempé de la rosée du ciel. Tu seras dans cet état durant sept temps, jusqu'à ce que tu reconnaisses que le Très-Haut est le maître de toute royauté humaine et qu'il accorde la royauté à qui il lui plaît.

23 Mais si l'on a ordonné de préserver la souche avec les racines de l'arbre, c'est que la royauté te sera rendue dès que tu auras reconnu que le Dieu des cieux est souverain.

24 C'est pourquoi, ô roi, voici mon conseil: puisses-tu juger bon de le suivre! Détourne-toi de tes péchés et fais ce qui est juste! Mets un terme à tes injustices en ayant pitié des pauvres! Peut-être ta tranquillité se prolongera-t-elle.

 

Inscriptions.

Deux mots apparaissent dans deux bandeaux noirs différents, en lettres capitales blanches. Le Corpus en propose la leçon SUCCIT ---- et en dessous ----TALIS.

La recherche de ces mots dans le Livre de Daniel en latin (Vulgata) trouve facilement SUCCIDITE, et l'examen de la photographie montre que l'on peut lire SUCCID--. Ce mot est mentionné aux versets 11  et 20 lorsque l'ange dans le ciel s'écrit succidite arborem "abattez l'arbre". C'est réellement le mot fort de ce texte, et il est parfaitement logique qu'il soit situé dans un phylactère sortant de la bouche de l'ange.

Pour le deuxième mot, la barlotière en cache une grande partie sur la photographie ; -talis n'est pas présent dans le texte biblique. Peut-être est-ce un fragment venant du vitrail de saint Vitalis ? (Baie XX)

C'est déjà pas mal, le Corpus n'ayant trouvé aucune signification ni au premier, ni au second mot.

Au dessous de la scène, dans un bandeau noir, le Corpus a lu ---]IGNAT VISIO[--- soit "représente la vision", ce qui est confirme l'hypothèse de A. Granboulan

Iconographie :

Un vitrail de la Sainte Chapelle représente ce Songe dans la baie G :

Le Mans, Baie XVIII, Vision d'un roi endormi. (vers 1150).

Le Mans, Baie XVIII, Vision d'un roi endormi. (vers 1150).

Registre intermédiaire : "Pilate se lavant les mains" (sic).

Il suffit d'observer ce panneau pour voir qu'il ne représente pas Pilate se lavant les mains, mais un saint répandant de l'eau que lui verse un acolyte sur un homme à genoux qui applique le liquide sur ses yeux. Connaissant le culte rendu au Mans à saint Julien, il n'est pas difficile d'identifier la scène comme "Saint Julien guérissant l'aveugle de Rissé." Mais Anne Granboulan mentionne que  "Grodecki qui intitule ce panneau « Pilate se lavant les mains » a refusé cette interprétation parce que le personnage est pas nimbé et qu'il y a dans la grande baie occidentale un vitrail dédié saint Julien dont le Style est proche de celui des verrières occidentales de Chartres qui datent des années 1150 ". Tant Catherine Brisac que les auteurs du Corpus (dont Grodecki) s'en tiennent à Pilate. Mais le Corpus des inscriptions, qui date de 2010, reprend le même titre.

"Parmi les autres panneaux tradi­tionnellement attribués à l'atelier de l' Ascension, le Miracle de saint Julien guérissant l'aveugle de Rillé, inspiré de l'Ascension dans quelques uns de ses détails, mais d'une conception d'en­semble moins équilibrée et d'un gra­phisme plus mou, pourrait être une dérivation de cet atelier et avoir été, après les incendies, le seul rescapé d'une verrière dédiée au patron du diocèse ; ainsi s'expliquerait la pré­sence d'une reprise de la vie de saint Julien à la façade occidentale après 1150." Granboulan,1994. 

 

 

Le Mans, Baie XVIII, Saint Julien guérissant un aveugle

Le Mans, Baie XVIII, Saint Julien guérissant un aveugle

Registre inférieur : saint Pierre tiré de prison.

Il s'agit d'une scène décrite dans les Actes des Apôtres XII:3-12.

"Chez le Saint-Pierre délivré de ses liens, le dessin, bien qu'encore li­néaire, est moins précis, la touche de peinture plus lâche, la composition presque touffue, la tension dans la forme transformée en torsion ; les personnages perdent leur élégance au profit d'une certaine agitation. Les deux visages ne suivent pas les mêmes conventions d'écriture : Pierre reste dans la tradition tandis que l'ange a un visage plus rond, un nez camus, une bouche plus large et la lèvre inférieure ourlée, et un lavis posé en ombre modèle l'aile du nez et le menton. La verrière de saint Pierre au Mans, dérivation plus lointaine et plus tardive de l'atelier de l'Ascension, aurait alors fait partie de la campagne de remise en état de la vitrerie après les incendies, peut-être sous l'épiscopat de Guillaume de Passavant (1145-1187), tout comme la Légende des saints Gervais et Protais et un demi-panneau représentant le Christ enfant au milieu des docteurs, complément éventuel d'une Enfance en partie détruite par le feu puis­qu'on remarque une similitude de motif entre son galon d'encadrement et celui du Sommeil des mages." Granboulan, 1994

Je suis personnellement sensible à la grâce du mouvement des deux personnages principaux : l'ange (qui a des traits christiques) effectue une torsion sur lui-même, les pieds se croisant, la rotation du tronc s'accentuant avec celle de la tête et avec le mouvement du regard, dans une distanciation  qui rappelle celle des Noli me tangere . A ses cotés, saint Pierre, un pied encore retenu par de lourds chaînons, franchit la marche de sortie, son regard exprimant une confiance complice envers le messager divin.

Inscription :

dans un bandeau noir, en lettres capitales blanches :

TRACTAT ANGELVS : EVM DE : CARCERE : M[---

soit : "Un ange le tire de la prison"

Le Mans, Baie XVIII : Saint Pierre tiré de prison par un ange (vers 1150).
Le Mans, Baie XVIII : Saint Pierre tiré de prison par un ange (vers 1150).

Le Mans, Baie XVIII : Saint Pierre tiré de prison par un ange (vers 1150).

SOURCES ET LIENS

 

 

 BRISAC (Catherine), 1981, "Les vitraux du XIIe siècle", in La cathédrale du Mans, sous la dir. de André Mussat, Berger-Levraut pp. 60-69.

 — BUSSON G. Actus pontificum Cenomannis in urbe degentium,  in Ledru, Archives historiques du Maine, 1901 p. 383   http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k736761/f538.image

— CALLIAS BEY (Martine), CHAUSSÉ (Véronique), PERROT (Françoise), GRODECKI (Louis) 1981, Les vitraux du Centre et des Pays de la Loire, Corpus Vitrearum Recensement II, CNRS éditions, Paris.

— DEBIAIS (Vincent),2010, Corpus des inscriptions de la France médiévale 24 Maine-et-Loire, Mayenne, Sarthe (Région Pays de la Loire) CNRS éditions, Paris. page 200. page 244.

— GRANBOULAN Anne. "De la paroisse à la cathédrale : une approche renouvelée du vitrail roman dans l'ouest." In: Revue de l'Art, 1994, n°103. pp. 42-52. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rvart_0035-1326_1994_num_103_1_348108

— GRANBOULAN (Anne) 1991 "Une identification nouvelle pour un vitrail du XIIe siècle à la cathédrale du Mans" in Revue historique et archéologique du Maine, 3e série, t. 11, 1991, p. 297-304 ou dans Vitrea Revue du Centre international du vitrail 1990 30-35

 

— GRANBOULAN PASCAUD (Anne) 1991 La tradition picturale des provinces de l'ouest de la France dans le vitrail du douzième siècle Thèse en Art et archéologie sous la direction de Anne Prache, Paris IV.

 — HUCHER (Eugène) et LAUNAY (Abbé), 1864, Calques des vitraux de la cathédrale du Mans Calques des vitraux peints de la cathédrale du Mans... par M. Eugène Hucher et l'abbé Launay. Introduction historique : école primitive de peinture sur verre au Mans, par l'abbé Lottin. Paris, Didron 

 

 

 

 

 

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Published by jean-yves cordier - dans Vitraux Le Mans

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