LA VUE DE SÉVILLE DE 1573.
Voir :
Vue de Séville par Hoefnagel dans le volume I du Civitates orbis terrarum (1572)
Vue de Séville par Hoefnagel dans le volume IV du Civitates orbis terrarum (1588)
Vue de Séville par Hoefnagel dans le volume V du Civitates orbis terrarum (1598).
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Introduction : le contexte biographique et historique.
— Contexte général.
(d'après Le monde de Brueghel, Wikipédia )
Hoefnagel est né à une époque de profonds changements en Europe occidentale. Les idéaux humanistes du siècle précédent avaient influencé artistes et chercheurs en Europe, comme Érasme (1467-1537) à Rotterdam. L' Italie était à la fin de Renaissance des arts et de la culture ; Hoefnagel avait 22 ans à la mort de Michel-Ange (1475-1564). En 1517, Martin Luther a publié ses Quatre-vingt-quinze thèses et la Réforme protestante a débuté dans l'Allemagne voisine. En réaction, le Concile de Trente , qui a pris fin en 1563, a déterminé ce qui était approprié dans le domaine artistique dans les Etats catholiques.
A cette époque, les Pays-Bas a été divisée en dix-sept provinces, dont certains voulaient la séparation de l'Église catholique, qui contrôlait les provinces de leur bastion en Espagne. Les Pays-Bas a été influencé par la nouvelle Allemagne luthérienne à l'est et par l'Angleterre anglicane à l'ouest, comme en témoigne la montée du protestantisme. Les Habsbourg, monarques de l'Espagne ont été les responsables de l'application de la Contre-Réforme en Europe occidentale, et le protestantisme aux Pays-Bas fut lourdement réprimé.
Le monarque espagnol, Charles Quint , publia l'édit de sang en 1550, punissant de la peine de mort le crime d' hérésie envers l'Église catholique; cependant, Charles n'a pas fait respecter cet édit. Par contre, son fils, Philippe II d'Espagne , dont les agissements radicaux sont devenus une source de grande inquiétude aux Pays-Bas au cours des années 1560, a fait appliquer cet l'édit de sang. Le calvinisme est devenu de plus en plus populaire aux Pays-Bas, malgré la menace de mort. La révolte iconoclaste de 1566 a conduit a envoyé l'année suivante aux Pays-Bas le haï Fernando Álvarez de Toledo, 3e duc d'Albe. Ce dernier institua un Conseil des Troubles (Raad von Beroerten) chargé de punir cruellement tous les factueux. L'exécution capitale à Bruxelles des comtes d'Egmont et de Horne qui avaient pris la tête de l'opposition de la noblesse et du peuple, intensifie l'insurrection et amenant à la guerre de Quatre-Vingts Ans (1568-1648) entre les Pays-Bas (dirigé par Guillaume d'Orange) et l' Espagne. Sept provinces ont fait sécession (Acte de La Haye, 1581) et sont devenues protestantes (les Provinces-Unies), tandis que les dix autres sont restées sous le contrôle catholique à la fin de la guerre. En 1588, Philippe II envoya sa Grande Armada pour tenter d'envahir l'Angleterre, mais l'expédition fut un échec pitoyable.
— Anvers .
Sur le plan commercial, la découverte de l'Amérique en 1492 et l'arrivée aux Indes de Vasco de Gama en 1498 entraîna un gigantesque afflux de richesses vers l'Espagne et le Portugual. La Feitoria (le Comptoir) de Flandres, fondée en 1508 à Anvers, était alors la principale tête de pont de l'empire commercial portugais, la Casa da India, à l'intersection des colonies du Brésil de l'Afrique et des Indes. Animée par des négociants qui relient l'Inde à l'Amérique, la première bourse des valeurs a été fondée à Anvers en 1531.
Au milieu du XVIe siècle, les Pays-Bas du sud profitèrent du rôle dominant de la ville, qui était alors une des plus grandes villes d'Europe et qui resta pendant longtemps un très grand centre culturel et artistique, jusqu'au début de la guerre de Quatre-Vingts Ans .
Entre le 4 novembre et le 7 novembre 1576, une partie des soldats espagnols mutinés ont mis à sac la ville. Au cours de cet épisode, sont morts plusieurs milliers d'habitants et ce drame a été l'élément déclenchant du soulèvement des provinces du sud des Pays-Bas espagnols qui restaient encore loyales à la couronne espagnole. La république d'Anvers exista entre 1577 et 1585, lorsque la ville d'Anvers fut gouvernée par les révoltés calvinistes, de sorte qu'elle participa à la révolte des gueux . En 1585, la ville tombe aux mains de Philippe II à l'issue d'un siège de treize mois, la ville étant défendue par Philippe de Marnix de Sainte Aldegonde. En conséquence, les Provinces-Unies du nord ferment l’accès à l’Escaut dans le but de priver les Espagnols des avantages de leur victoire, ce qui a naturellement des conséquences catastrophiques sur l’économie de la ville. Abandonnée par les protestants, que Philippe II visait plus particulièrement et qui constituaient une très large part de l’élite commerciale et intellectuelle, Anvers voit sa population se réduire de moitié en moins de 20 ans.
— Joris Hoefnagel.
Après avoir voyagé pour sa formation humaniste de jeune et riche marchand lapidaire en France à Tours, Poitiers, Bourges et Orléans en 1561-1562 et être revenu précipitamment à Anvers en août 1562 en raison des guerres de religion, Joris Hoefnagel, né en 1542, séjourna en Espagne de 1563 à 1567 et notamment en Andalousie. Dans ces deux pays, son intérêt pour le dessin et la peinture l'amena à accumuler sur ses carnets des croquis de scènes de vie, d'habitants dans leurs costumes traditionnels, et, la cartographie étant alors une science naissante, des vues et plans de villes et de paysages. La fin de son séjour correspond au début de la révolte des Pays-Bas contre la domination espagnole (Guerre de Quatre-Vingt ans), à la révolte iconoclaste soulevée par les pasteurs calvinistes (1566), et, en réponse, l'entrée à Bruxelles du Gouverneur des Pays-Bas Fernando Alvaro de Tolède, le Duc d'Albe, avec 10 000 hommes. A Anvers, ce dernier fit construire la Citadelle, de 1567 à 1572, point de départ de la mise à sac de la ville, la "Furie Espagnole", en octobre 1576. Selon Carel van Mander II,76, le père de Joris fut alors ruiné, les milliers de florins cachés dans un puits ayant été découvert.
De 1568 à 1569, Hoefnagel se rendit en Angleterre et y fréquenta la communauté de marchand et de savants néerlandais, se liant d'amitié avec le protestant Jean Rachermacher, et dessinant pour lui le recueil emblématique Patientia, qui illustrait la nécessité pour les flamands en butte aux persécutions de l'occupant espagnol, dune capacité stoïque d'endurer les épreuves. On peut donc penser que ses sympathies n'allaient ni vers l'Espagne, ni vers les Catholiques radicaux. De cette période, on connaît aussi de lui une peinture à l'huile plus anecdotique, la Fête à Bermondsey.
Son retour à Anvers de 1570 à 1576 fut marqué par son mariage avec Suzanne van Oncken (1571) et par la naissance de son fils Jacob (1573), mais aussi par la publication en 1572 à Cologne du premier volume du Civitates orbis terrarum de Braun et Hogenberg. Ce recueil de gravures colorées reprenait de nombreux dessins de villes de France et d'Espagne par Hoefnagel, dont sa première Vue de Séville. Pendant cette période, Hoefnagel se serait aussi formé auprès du miniaturiste Hans Bol (1534-1593). Ce dernier, originaire de Mâlines, quitta cette ville lorsqu'elle fut occupée par les troupes espagnoles et vint en 1572 à Anvers, où il fut membre de la guilde de Saint-Luc en 1574, et citoyen en 1575. "Ce fut pendant son séjour à Anvers que, voyant que l'on achetait ses œuvres pour les copier et vendre les copies sous son nom, renonça pour jamais à la peinture sur toile. Il s'adonna dès lors, d'une manière exclusive, à la peinture de paysages et de petites compositions en miniatures". (Van Mandel, II p.54). En 1582, il enlumina le Livre de prières de François de France, duc d'Anjou [BNF Ms Latin 10564]. Mais rattrapé en 1584 par la guerre, il entreprit une série de voyages qui le conduisirent successivement à Berg-op-Zoom, Dordrecht et Delft. Il ne se fixera définitivement à Amsterdam qu’en 1586.
Hoefnagel avait pu découvrir l'art de la miniature en Angleterre auprès des portraitistes comme Hans Holbein le Jeune, ou les flamands Hans Ewout, Levina Teerlink,et Marcus Gheeraerts.
En tout cas, pendant cette période anversoise que Joris Hoefnagel réalisa la première miniature sur vélin de sa carrière, une Vue de Séville. Elle fait actuellement partie des collections du Cabinet des Estampes de la Bibliothèque Royale Albert 1er de Bruxelles, sous le numéro d' inventaire SI 23.045, et a été exposée en 2041 dans l'exposition " Entre les lignes. Dessins de maîtres anciens du Cabinet des Estampes de la Bibliothèque royale de Belgique ". Selon Edouard Fétis, ancien conservateur en chef de la Bibliothèque royale, celle-ci est entrée en possession de cette feuille exceptionnelle « par hasard ». Un Anglais résidant à Bruxelles au début des années 1830 ne pouvant payer sa note d’hôtel, dut se résoudre à la régler en nature.
C'est une œuvre à la gouache et l'aquarelle sur vélin mesurant 21.6 x 32.3 cm, signée et datée 1570 et 1573. On réalise mal, face à la reproduction photographique de ce tableau, qu'il est à peine plus grand qu'une page 21 x 27 cm !
Selon la note de Hymans dans sa traduction du Schilder-Boeck de Carel van Mander (1604), les deux dates correspondent l'une à la vue de Séville elle-même (1570), et l'autre au "merveilleux encadrement d'attributs", de 1573.
Lorsque Hoefnagel quitta Anvers pour se rendre en Italie avec Abraham Ortelius, il passa à Munich où le duc de Bavière lui demanda de lui montrer sa peinture. Il ne disposait que d'un autoportrait et d'un portrait de sa première femme (Van Mandel), mais aussi "d'une miniature sur vélin avec des animaux et des arbres" que le duc lui acheta cent couronnes d'or. Selon Hendrix et Vignau-Wilberg 1992 p. 19 et note 19, cette miniature n'est autre que la Vue de Séville.
Hoefnagel à Séville.
— Lorsque Hoefnagel était en Espagne, un autre peintre flamand probablement né à Anvers s'y trouvait aussi : Antoine van den Wyngaerde, grand artiste topographique, avait en effet été chargé par Philippe II de procéder au relevé des principales villes du royaume. Installé avec sa famille à Madrid en 1562, il réalisa pas moins de soixante-deux vues de villes et villages, dont Barcelone, Valence, Saragosse, Grenade, Coroba, Séville (1567), Tolède, Burgos et Madrid. Leur précision quasi photographique fait qu'elles ne sont pas seulement de magnifiques œuvres d'art, mais qu'elles constituent des documents graphiques d'une importance considérable pour la compréhension de divers aspects (urbain, économique, sociale) des villes représentées. Mais son travail, à la différence de celui d'Hoefnagel, n'a pas été publié et les planches ont été dispersées. Il est possible que Hoefnagel ait voyagé de conserve avec van den Wyngaerde ; certaines de leurs vues sont complémentaires, quoique celles de Hoefnagel soient jugées moins méticuleuses mais plus spectaculaires et pittoresques. Richard Kagan propose qu'elles ont été influencées par ceux de Wyngaerde.
— Pendant son séjour en Espagne, Hoefnagel a rencontré (a été reçu par) les marchands d'Anvers installés à Séville, comme Louis et Nicolas de Malapert : il dédicacera sa vue de Séville de 1598 à ce dernier.
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ÉTUDE DE LA VUE DE SÉVILLE DE 1573.
La miniature comporte deux parties distinctes : au centre, la vue de la ville proprement dite, dans un cartouche horizontal, et tout autour, une large bordure à grotesques dont la surface est supérieure à celle du paysage, et qui comporte de nombreuses inscriptions.
I. LA VUE DE SÉVILLE proprement dite.
Elle est observée du même point que la Vue de Séville du volume I du Civitates de 1572, et elle partage avec celle-ci de nombreux points communs : nul doute que les deux vues sont liées aux mêmes croquis. Le point d'observation se trouve à l'ouest-nord-ouest de la ville, sur la rive droite, près du Monastère de la Cartuja, face à la Casa de Colon. Dans un format tout en longueur (plus de trois fois plus long que large), la ville elle-même est réduite à une bande où s'alignent les maisons, les murailles et la rive, entre le ciel où les nuages l'emportent sur le bleu, et, en bas, la rive droite du Guadalquivir. A l'extrême droite, le quartier de Triana et le Castillo San Jorge, siège de l'Inquisition, relié à Séville par le pont de barques de Triana. Derrière le pont, sur les deux rives, la flotte de commerce est amarrée, déchargeant les richesses venant du Nouveau-Monde. De la ligne des toits émergent successivement de droite à gauche les deux tours de l'Or et de l'Argent Torre del Oro et Torre dela Plata, le massif de la cathédrale accolé à la haute Giralda, le clocher de San Paulo, et celui de San Laurente.
Mais l'identification des édifices urbains n'est sans-doute pas le souci de l'artiste, qui s'intéresse plus à ce qui se passe sur le fleuve, et sur la route qui en longe la rive. Si on y retrouve, sur le fleuve, la même scène de baignade ou de noyade qu'en 1572, les mêmes barques pêchant à l'épervier, les mêmes groupes de danseurs, le même îlot ou bras de sable, le premier plan est bien différent et au lieu d'un pêcheur ramenant sa pêche sur son mulet, et une bougresse gesticulant sur un âne aux allures de chèvre, nous voyons de nobles personnages se saluant : un couple s'éloigne à l'extrême droite, deux femmes se dissimulent sous des voiles noirs, un piéton en tunique rouge les regarde, un couple richement vêtu et monté sur un cheval les salue. Devant eux, un homme au visage noir ne peut être un esclave, car il porte l'épée et porte chapeau, fraise, tunique blanche et chausses blanches. Devant eux, un cavalier frappe de sa cravache son cheval blanc.
Deux remarques :
-- Le cavalier au cheval blanc ne serait-il pas un messager au service du roi ? Son chapeau porte un panache blanc. Sur la vue de Grenade, Hoefnagel a peint un cavalier très semblable.
-- Carmen Fracchia (2012) suggère que l'élégant personnage noir est un ladino, africain assimilé, appartenant peut-être au couple derrière lui. Les ladinos étaient des esclaves noirs importés en Espagne par la traite arabe, qui se sont ensuite christianisés et ont appris l'espagnol. Il y avait 50 000 ladinos Noir en Espagne au 15ème siècle.
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Incluons dans cette vue urbaine le cartouche peint à la poudre de lapis-lazuli et portant le titre HISPALIS et la date 1570. Hispalis, le nom latin de Séville, est une romanisation du toponyme berbère I-Spal, devenu Isbaliya / Isbiliya / Ishbalyia / Isbilyia au VIIIe siècle.
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Joris Hoefnagel, "Vue de Séville", 1573, (Détail) Bibliothèque Royale Albert Ier, Cabinet des Estampes, Bruxelles
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II. LA BORDURE.
La complexité de cette décoration de bordure nécessite d'en ordonner la description. Je propose d'abord d'y reconnaître un procédé que Hoefnagel utilisera dans ses Allégories des années 1590 de façon systématique : le cadre de l'image centrale, que nous pourrions comparer à un hublot, ou, de façon moins anachronique, à un "regard" ou à la fenêtre d'une armoire de curiosité dans laquelle l'artiste nous invite à regarder, est fixée, comme si elle était réelle, au cadre rectangulaire (la "porte" de l'armoire) par deux patères latérales (en or, laiton ou bois doré) et suspendu en haut par un volumineux appareil doré, guirlandé et enrubanné qui se révèle être le blason de la ville. Ces trois points de fixation de la fenêtre centrale servent d'armature à la composition, en ses points cardinaux ; ils sont complétés en bas par une sorte de lustre qui forme le cartouche de la signature. Dans cette armoire, il fonctionne comme une véritable clef, et je l'adopte, malgré mon embarras, comme point d'entrée.
J'examinerai donc successivement :
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La signature de l'artiste, et l'autel de Minerve.
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Le quart inférieur gauche : Les Indes.
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Le quart inférieur droit : l'Espagne
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Le blason de Séville (partie supérieure, au centre)
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le coin supérieur gauche
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Le coin supérieur droit
N.B : pour une meilleure lisibilité, j'ai modifié l'image donnée en Source, en accentuant la netteté, la vivacité et la saturation des couleurs, le contraste et l'éclairage. Pour une fidélité à l'œuvre :
http://www.presscenter.org/fr/pressrelease/20141126/des-dessins-de-maitres-anciens-montres-pour-la-premiere-fois-a-l-expo-entre--0
Joris Hoefnagel, "Vue de Séville", 1573, Bibliothèque Royale Albert Ier, Cabinet des Estampes, Bruxelles ; voir source des images supra.
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L'Autel de Minerve, et la signature.
a) L'inscription de signature :
GEORGIVS HOEFNAGLE ANTVERPIANVS INVENTOR FACIERAT ANNO MDLXXIII. NATURA SOLA MAGISTRA.
Plusieurs remarques :
— La forme "Georgius Hoefnagle" est attestée dans une vue de Grenade (Granada) datée de 1563 dans le Civitates orbis terrarum, (depingebat Georgius Hoefnagle antverpianus), comme dans les autres vues de villes d'Espagne (Loja, Malaga, Burgos et San Sebastian, Antequera). Plus tard, il utilisera la forme Georgius Houfnaglius.
— Dès sa première miniature, Hoefnagel se donne le titre d'Inventor, que l'on retrouve plus tard dans son ornementation-signature pour la Messe des défunts du Missale Romanum complétée par la mention inventor hieroglyphicus et allegoricus. Avant de se présenter comme peintre, il se définit comme inventeur d'emblèmes, mettant en avant son acte intellectuel de déchiffreur du monde et de concepteur d'images à lire.
— Immédiatement après, il donne sa devise, Natura sola magistra, "La Nature comme seul maître", qui a été interprétée comme une affirmation de son statut d'autodidacte : "En effet, à l'entendre, il ne connaît d'autre maître que la nature ou son propre génie : Natura sola magistra, s'écrie-t-il fièrement ! " — Ann. Academ. Arch. Belg. 1899— ou bien "car c'était sa grande prétention , de s'être formé sans maître, et d'avoir un talent en quelque sorte de révélation" — Hennebert 1855 et E. Fétis, 1857—, ou encore "L'auteur se glorifiait avec raison de n'avoir été instruit par personne, car son nom ne figure pas sur les registres de Saint-Luc." — A. Michiels, 1868— . Mais l'ambition de cette devise est certainement plus vaste, et relève aussi de la fascination de l'auteur (et de ses contemporains) pour l'histoire naturelle et de sa détermination à pratiquer un naturalisme scientifique débarrassé des fabulations médiévales. Surtout, Hoefnagel s'attribue l'aphorisme d' Aristote dans sa Physique : ars imitatur naturae "l'art imite la nature", ou plutôt son interprétation par Thomas d'Aquin (Physique 14, n°168). Pour celui-ci, La nature n'est rien d'autre que l'expression d'un certain art, nommé art divin, instillé à l'intime des choses, qui les porte vers leur fin déterminée, comme le charpentier de marine, construisant un bateau, peut, par son travail du bois, lui donner la capacité de naviguer par lui-même. (nihil aliud quam ratio cuiusdam artis, scilicet divinae, indita rebus, qua ipsae res moventur ad finem determinatum - sicut si artifex factor navis posset lignis tribuere, quod ex se ipsios moverentur ad navis formam inducendam). Prendre la nature comme maître, c'est apprendre à y admirer l'œuvre du Créateur, à y lire au niveau du microcosme l'ordonnancement du macrocosme, mais c'est aussi, comme elle, participer activement à la Création en suivant son propre moteur interne, que, à plusieurs reprises, Hoefnagel désignera comme son "génie". Pour relier les deux termes de sa signature, sa devise et son titre d'inventor, Hoefnagel considère la nature comme un livre où s'écrit une pièce de théâtre : il doit à la fois la lire, y tenir son rôle, et y ajouter, sous forme d'images cryptées, les didascalies et notes commentant sa propre lecture.
— on remarquera la manière dont la date est inscrite : au lieu de l'inscription MDLXXIII (1573), Hoefnagel écrit le M et le D avec des demi-cercles (lettre C) et des traits verticaux , dans un souci de raffinement.
Natura sola Magistra : Hoefnagel, le chorographe.
Jean Marc Besse (2005) a souligné la différence entre vue géographique, destinée a montrer la surface du globe terrestre dans sa globalité et dans sa continuité, et la vue de ville, chorographique (ou topographique) qui donne à voir de manière séparée, le lieux en les considèrant de près, en détail, le plus près du vif qu’elle peut. Le géographe mesure, et le chorographe peint le panorama, comme si on y était. Il cite alors Antoine Du Pinet :
"[Il] faut noter, écrit-il, que la fin de [la] Geographie est de consyderer, & mesmes representer, par certaines mesures & proportions, toute la Terre habitable, selon son naturel, & assiette : & [de] parler en general, des parties d’icelle, & des Climatz, graduations, & assiettes, tant en longitude, qu’en latitude, des Provinces, & Regions, & des choses plus notables en icelles, comme sont Isles, Golfes, Montaignes, Rivieres, Havres, & autres villes de renom […]. Mais, sur tout, elle s’employe à faire entendre aux hommes les assiettes des lieux : & combien un lieu est eloïgné de l’autre[…]. Mais la Chorographie sert à representer au vif les lieux particuliers, sans s’amuser à mesures, proportions, longitudes, latitudes, ny autres distances Cosmographiques : se contentant de montrer seulement à l’œil, le plus près du vif qu’elle peut, la forme, l’assiette, & les dependances du lieu qu’elle depeint : comme seroyent les Fortz, Cittadelles, Temples, Rues, Colysees, Arenes, Places, Canaux, Viviers, Havres, Moles, & autres bastimens de marque qui pourroyent estre en une ville, avec le païsage d’alentour, & les traffiques d’icelle. De sorte qu’on pourra prendre la Geographie pour celle qui represente un corps en general : & la Chorographie pour celle qui espluche toutes les parties du corps, iusques au moindre poil de barbe. Antoine du Pinet, Plantz, pourtraitz et descriptions de plusieurs villes et forteresses (Lyon, 1564), pp. 13-14.
On comprend immédiatement que cette peinture iusques au moindre poil de barbe va convenir à un miniaturiste, et combien l'allégeance de l'artiste à l'égard de la nature, du réel, peut être pour lui une règle si absolue de fidélité qu'il l'adopte comme devise. Cette exigence du chorographe est aussi celle du peintre en histoire naturelle, comme Dürer l'avait montré en peignant un lièvre poil par poil. C'est l'exemple que suivra désormais Hoefnagel.
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b) Minerve.
Au dessus de la signature d'Hoefnagel, la frise d'encadrement s'interrompt pour faire place à un ouvrage doré de formes très contournées voire serpentines qui associe :
- deux cartouches portant en lettres d'or sur fond noir les mots *ARTIS LARGITORI et DEO OPT. MAX.*
- deux luminaires portant chacun deux bougies encadrant un brûle-parfum.
- une arche faite de deux cornes d'abondance entourant un paysage (une baie montagneuse) et dont les piliers courbes portent l'inscription E CEREBRO IOVIS DIVA MINERVA. Le sommet de l'arche est effacé par des nuées. Selon J.A Bucher, qui a sans-doute examiné la peinture elle-même, le tétragramme hébreu de Dieu est inscrit dans le paysage irradié par la lumière du soleil.
- Minerve, toute armée (casque attique à cimier et aigrette et lance), tenant l'égide frappé de la tête de Gorgone,
- à sa gauche, un hibou, animal qui est son attribut et qui symbolise son intelligence vigilante. (Un hibou se distingue d'une chouette par la présence d'oreilles, mais la valeur des deux animaux est identique sur le plan symbolique)
- peut-être, en homologue de l'autre coté, un autre animal
- un ruban blanc dont les orbes flottent pour réunir la déesse aux extrémités du luminaire.
La déesse romaine Minerva est assimilée à la déesse grecque Pallas Athéna et reprend les fonctions, épithètes et attributs de celle-ci : elle est née toute armée de la tête de Zeus (Jupiter Jovis pour les Romains), ce qui explique l'inscription [nata] E cerebro Iovis diva Minerva, "Déesse Minerve, née du cerveau de Jupiter". Son nom viendrait de mens, mentis, "pensée" et elle est une déesse très cérébrale, présidant à la Sagesse que symbolise la Chouette. Par son équipement guerrier, mais aussi par son intelligence, elle préside aussi à la stratégie guerrière. De fait, elle est protectrice de Rome, et est custos urbis, "gardienne de la cité.
Mais elle est aussi la déesse des artistes et des artisans : ce qui justifie l'inscription Artis largitori, celle qui fait des largesses, bienfaitrice des arts". C'est le plus souvent son père Jupiter qui est désigné par la formule de dédicace romaine DEO OPTIMO MAXIMO (le plus grand et le meilleur des dieux), souvent abrégé en D.O.M. Il correspondait à un autre sigle I.O.M. (Iovi Optimo Maximo) de même signification. Par la suite il a été repris sans changement dans l'épigraphie chrétienne, souvent funéraire, qui lui a donné un sens différent. A noter son usage en 1584 sur une pièce de deux florins à Bruxelles sous la forme, Deo optimo maximo , Bruxella confirmata ( Grâce à Dieu le plus grand et le meilleur, Bruxelles a été affermie).
Enfin les bougies et les lampes d'encens délimitent un espace sacré autour de Minerve, mais participent aussi de la symbolique de la clarté de l'esprit et de l'élévation des pensées.
Il est difficile de dire si Hoefnagel place Minerve comme la déesse qu'il invoque pour son propre compte, en tant qu'artiste et en tant que lettré humaniste, ou s'il en fait la déesse tutélaire de Séville comme nouvelle Rome. La réponse est certainement double, mais, si Minerve sert de clef d'interprétation à cette Vue urbaine, c'est bien pour conférer à Séville les épithètes qui en font une capitale de l'intelligence, de la puissance guerrière et des arts.
Minerve et sa "chouette" : Joris Hoefnagel, "Vue de Séville", 1573, Bibliothèque Royale Albert Ier, Cabinet des Estampes, Bruxelles ; voir source des images supra.
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LA MOITIÉ INFÉRIEURE (suite).
Dans la large moitié inférieure de la miniature, Hoefnagel a peint autour de Minerve une somptueuse allégorie dans laquelle le vaisseau du Nouveau Monde, à gauche, arrive dans toute sa luxuriance à la rencontre du vaisseau du Commerce Espagnol, à droite. La scène est si colorée, si vivante qu'on croit entendre les Sauvages des Indes Galantes de Rameau, ou assister à l'une de ces folles fêtes costumées dont les artistes (cf. Arcimboldo) étaient chargés d'inventer les décors.
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Le quart inférieur gauche : Les vaisseau des "Indes".
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Dans le coin, le mot INDIA en lettres bifides blanches sur fond bleu indique le titre : venant de l'Ouest, les Indes découvertes par Christophe Colomb traversent l'Atlantique et amènent en occident leurs richesses. Ce nom prend place dans un cadre exubérant, où les formes serpentines d'un colimaçon se poursuivent avec celles d'un griffon, alors que du brûle-parfum sort la spirale d'un être fantastique.
Les formes du vaisseau des Indes relève de l'onirisme exotique, associant divers animaux comme des langoustes, des pieuvres, avec des éléments végétaux. Son équipage est fait de singes, d'hommes-boucs, d'un sauvage péruvien en coiffure de cérémonie. A bord, India, une femme au large chapeau de plumes, vide son tablier de pièces d'or et d'argent dans un sac marqué OPULENCIA. Des écussons d'or portent les inscriptions HISPANIA NOVA, AMERICA et DOMINICA. A la proue, un iguane, et un perroquet.
Un cartouche inclus dans la frise d'encadrement porte en lettres d'or sur fond noir les deux mots DIVES OPVM. Il s'intègre dans un ensemble de huit cartouches semblables, dont les deux premiers autour de Minerve ont déjà été déchiffrés (Artis Largitori et Deo Opt. Max.) comme des qualificatifs de Minerve et de Jupiter détournés pour s'appliquer à Séville. Pour interpréter Dives Opum, il est nécessaire de lire l'Incipit de l'Énéide de Virgile, dans lequel le poète latin dérit Carthage, où règne Didon :
Enéide I,
12-18
Urbs antiqua fuit, Tyrii tenuere coloni,
Karthago, Italiam contra Tiberinaque longe
ostia, dives opum studiisque asperrima belli;
quam Iuno fertur terris magis omnibus unam
posthabita coluisse Samo ; hic illius arma,
hic currus fuit; hoc regnum dea gentibus esse,
si qua fata sinant, iam tum tenditque fovetque.
"Jadis il y avait une ville (ancienne colonie tyrienne),/ Carthage : elle faisait face à l'Italie et aux lointaines bouches du Tibre;/ elle était riche et passionnément âpre à la guerre./ Junon, dit-on, la chérissait plus que toute autre cité,/ plus même que Samos. Là étaient ses armes, et là son char./ Cette ville régnerait sur les nations, si les destins y consentaient "
Litteralement, Dives opum se trauit par "riche en ressources".
Après avoir cité deux binômes renvoyant aux dieux romains et, indirectement, à Rome, Hoefnagel prélève dans l'œuvre de Virgile un autre binôme d'un passage que chaque lettré contemporain connaît par cœur et peut comprendre comme une comparaison entre Séville et Carthage ; mais chacun peut aussi penser aux guerres Puniques et à la façon dont Carthage fut détruite par Rome, ou aux mots de Caton selon lesquels Carthago delenda, "il faut détruire Carthage". L'art masqué de Hoefnagel déjoue toute certitude de lecture.
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Le quart inférieur droit : le vaisseau du Commerce espagnol.
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La frise d'encadrement enchasse un cartouche à fond noir portant les mots MERCATVRA CELEBRIS. Ce binôme n'est pas emprunté à la poésie latine, mais est utilisé fréquemment pour qualifier une ville au commerce florissant : urbs mercatura celebris, ville renommée par son négoce.
Dans le coin inférieur droit, le mot HISPANIA (ESPAGNE) en lettres blanches sur fond bleu indique que le navire imaginaire qui va à la rencontre du navire des Indes est une allégorie de l'Espagne, où plus précisément de son commerce, car le maître à bord n'est plus une reine d'Amérique mais Mercure (Hermès pour les Grecs), dieu du commerce et des voyages, que l'on reconnaît à son caducée et à son chapeau rond, le pétase ailé.
Ce coin est appareillé par un ouvrage jumeau de celui de gauche, et qui est digne d'un orfèvre ; mais l'examen de l'escargot étalant l'ondulation de son corps et dressant d'excessives cornes devenues des antennes, l'examen de la feuille d'acanthe animalisée par une série d'épines, celui du griffon à la queue exagérément longue et tortillée, conduisent à découvrir comment l'artiste a ridiculisé ce dernier en nouant autour de sa tête le ruban blanc gaufré comme un cuisinier le ferait par des papillottes d'une volaille. Un tel excès indique que l'artiste ne se contente pas d'orner richement son allégorie, et qu'il le fait avec une belle pétulance, mais qu'il adopte le ton de la moquerie. L'humaniste inventeur de messages cryptés se révèle ici proche du ton et de la stratégie de Rabelais.
– Quoi, par ce simple nœud transformant un griffon en une cocotte de Pâques ? N'y voyez qu'une de ces marginalia dont les enlumineurs ont l'art, une drôlerie qui ne remet nullement en cause le respect de l'artiste pour son sujet principal !
– J'y vois plutôt le clin d'œil que le comédien adresse à son public pour l'éveiller à la duplicité de son discours. Ce public, lorsqu'il reçoit ce signe, se met à écouter et à voir autrement ; or, dans cette miniature, nous constatons dés lors que cette mise en scène emplumée, cette naumachie dans une cuvette accumule trop de clinquants, de dorures, d'invraisemblances et d'anachronismes pour être présentée réellement par l'artiste comme une louange envers Séville. Trop d'encens tue l'encens, trop d'emphases dans l'éloge vous font verser dans le dithyrambe.
Noter aussi, sur le corps du griffon, l'étendard aux armes des Habsbourg.
Ce vaisseau de Mercure comporte un château arrière où flotte un pavillon vert et or . Il est poussé sous l'effet d'une voile portant les armoiries de Philippe II, avec la couronne royale et le collier de la Toison d'Or. Ce sont ses armoiries comme Roi d'Espagne, qui sont aussi —avant 1580 où il ajouta les armes du Portugual— celles de son père Charles Quint. Seul détail, Hoefnagel a inversé la place des armes du Léon (le lion du gueules) et de Castille (le château d'or).
Mais cet emblème est contaminé par l'épidémie serpentine qui affecte toute la scène, puisque elle est cernée par un pampre dionysiaque.
La marque de Philippe II est aussi frappée sur toute la coque, sous forme d'une succession de lettres P.
Sur le château avant est juché un enfant nu mais coiffé de palmes exotiques ; il tient une banderole portant le mot BETICA, nom latin du fleuve Guadalquivir, que le navire descend vers l'Océan s'il sort de Séville. Devant lui, assis sur une coquille de Saint-Jacques, se tient un Verseau nu (pourtant, Philippe II, né le 21 mai 1527, est du signe des Gémeaux). Devant encore, un homme barbu couronné d'une tour tient un globe de verre. Puis vient un Neptune, nu, armé d'un trident. Puis des chevaux de mer (griffons) chevauchés par deux sauvages, soufflant dans une conque et armés d'une massue ou d'une masse d'arme.
En avant encore, se trouve le pavillon portant la devise de Charles Quint PLUS ULTRA entre les deux colonnes d'Hercule qui y sont associées. Sur le vaisseau, on lit aussi les inscriptions CASTELLA et LEGIO, formes latines de la Castille et du Léon.
Il me semble possible de proposer que Hoefnagel assimile ce départ des Espagnols avec celui d'Enée dans le Livre V de l'Énéide de Virgile. Le héros part alors de Sicile pour atteindre Hesperia (le royaume de l'Ouest), c'est à dire le Latium où il va fonder son nouveau royaume après la chute de Troie. Vénus, qui le guide, a obtenu la protection de Neptune.
his ubi laeta deae permulsit pectora dictis,
iungit equos auro genitor, spumantiaque additf
rena feris manibusque omnis effundit habenas.
caeruleo per summa leuis uolat aequora curru;
subsidunt undae tumidumque sub axe tonanti
sternitur aequor aquis, fugiunt uasto aethere nimbi.
Tum uariae comitum facies, immania cete,
et senior Glauci chorus Inousque Palaemon
Tritonesque citi Phorcique exercitus omnis
laeua tenet Thetis et Melite Panopeaque uirgo,
Nisaee Spioque Thaliaque Cymodoceque.
"Dès qu'il eut par ces paroles apaisé et réjoui le cœur de la déesse,
le père des flots attelle ses chevaux avec un joug d'or, impose à leur fougue
des mors écumants tandis que ses mains relâchent complètement les rênes.
Sur son char bleu sombre il vole légèrement sur la crête des vagues ;
les ondes retombent, la mer gonflée au passage tonitruant du char
se fait étale et les nuages fuient dans l'immensité de l'éther.
Alors apparaissent diverses figures de sa suite : baleines immenses,
vieillards du choeur de Glaucus, Palémon, le fils d'Ino,
Tritons rapides et toute l'armée de Phorcus ;"
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La partie supérieure : le quart supérieur gauche.
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Dans la frise d'encadrement se lisent cette fois les binômes FRVCTIB[VS]. ABVNDANS. et .PACE FLORENS. Je ne rencontre le premier couple que sous la plume de Pomponius Mela, Géographie Livre III, à propos de Talgé, en mer Caspienne, qui "abonde en fruits de toutes sortes". Sous ce cartouche, toute sortes de fruits sont effectivement représentés, poires, pommes, amandes, tomates et groseilles, ainsi que des fleurs (lis), autour d'un masque typiquement grotesque qui semble sorti de la Pourtraicture ingenieuse de plusieurs façon de Masques. Fort utile aulx painctres, orseures, Taillieurs de pierres, voirriers et Taillieurs d'images de Cornelis Floris (Anvers, 1555).
En dessous de Pace Florens "paix florissante", ou Florissant par la paix" se trouvent rassemblés des objets symbolisant les plaisirs, les richesses et les agréments. Au centre, un luth. Cet instrument d'origine arabe possédait quatre cordes, puis dès le XIIe siècle cinq cordes, ou plus exactement quatre chœurs de deux cordes à l'unisson, et une neuvième corde plus haute. Hoefnagel était connaisseur de musique, comme toute sa famille, ainsi qu'en témoigne le tableau de Pourbus Les noces du peintre Hoefnagel. On y voit, outre un virginal, deux luths.
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http://www.fine-arts-museum.be/uploads/vubisartworks/images/fransipourbus-4435-l.jpg
Sur ce luth ou à coté de lui se voient les accessoires de mode et de beauté comme un collier de perles, un collier en chaînons d'or et un collier de perles en gouttes, un miroir, un éventail, un peigne sur une chevelure, un masque, des roses, des œillets, peut-être du jasmin, et enfin les chalumeaux d'un instrument à vent. En bref, tout ce qui composera plus tard les Vanités des Natures mortes.
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Le blason de Séville.
Au centre de la bordure supérieure, malgré l'accumulation de petits personnages, de tentures rouges, de ferronnerie dorée, d'anneaux, de corbeille de fruits, de pavillons (dont celui de Charles Quint), de putti, de voiles, de rubans, fioritures et falbalas, entre deux créatures ailées, on reconnaît le blason de Séville, qui représente le roi Ferdinand III de Castille, conquérant de la ville en 1248, entouré de saint Isidore et de son frère saint Léandre qui furent tous deux archevêques de Séville aux VI et VIIe siècles.
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Le quart supérieur droit.
Alors que le coté gauche était consacré aux arts et aux plaisirs des sens, le coté droit est voué aux Armes : un trophée rassemble bouclier, carquois, lances, masses d'armes, plumet rouge et blanc de chef d'armée, bannière romaine frappée du sigle S.P.Q.R du Sénat, de la République puis de l'Empire (Senatus Populusque Romanus), faisceau de licteur romain, éperons à molettes et leur courroie , flammes rouges et blanches d'un tir d'artillerie, etc...
Dans la frise, l'inscription correspondante .INCLYTA BELLO. signifie "Illustre par la guerre". Une nouvelle fois, c'est une citation de l'Énéide de Virgile : Enéide II, 240-241
O patria , o Divùm domus Ilium , et inclyta bello
Mœnia Dardanidùm ! quater ipso in limine portæ
Substitit , atque utero sonitum quater arma dedere.
"Ô patrie, ô Ilion, demeure des dieux ! Et vous,remparts des Dardaniens illustrés par la guerre ! Quatre fois, au seuil même de la porte, la machine est stoppée et quatre fois les armes résonnent en son ventre ";
C'est ici non plus Rome, non plus Carthage, mais Troie qui est (Ilion) qui est invoquée pour comparer Séville aux villes les plus illustres de l'Antiquité.
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La scène voisine est plus champêtre et présente, dans une armature de cerceaux concentriques, des fleurs et des épis de blés. C'est dire qu'elle illustre un nouveau binôme qualificatif, .FERTILIS AGRIS. (aux champs fertiles). Il faut maintenant ouvrir les Métamorphoses d'Ovide livre VI vers 317 pour le trouver, décrivant la Lycie :
... 'Lyciae quoque fertilis agris
non inpune deam ueteres spreuere coloni.
"[Par cet exemple, tous les mortels apprirent à redouter le courroux de Latone. Tous rendirent un culte plus religieux à la mère de Diane et d'Apollon. Et comme il arrive qu'un événement récent en rappelle de plus anciens, un vieillard raconta celui-ci :] "Les habitants de la fertile Lycie ne méprisèrent pas impunément cette grande déesse. "
Il s'agit de l'épisode fameux (Bassin de Latone à Versailles) où la déesse Latone, ayant accouché de ses jumeaux Diane et Apollon, fuit à travers la Lycie et, s'approchant d'une mare pour s'y désaltérer, maudit les paysans qui l'en empèchent en troublant l'eau.
Joris Hoefnagel joailler tailleur-sertisseur ou roi du copier coller.
Pour sa Vue de Séville, qu'il a peut-être conçue comme son chef-d'œuvre Hoefnagel a déployé une vaste panoplie de motifs et s'est créé ainsi une palette dans laquelle ill puisera toute sa vie. Ainsi, c'est dès cette œuvre inaugurale qu'il introduit le hibou de Minerve et le caducée de Mercure qu'il réunira bientôt dans un duo emblématique de l'intelligence conjuguée à l'éloquence artistique.
Voir : Le Hibou et le Caducée chez Hoefnagel.
C'est aussi là que se trouvent pour la première fois les lampes de parfum qui sont un leitmotiv de sa peinture ; c'est là qu'apparaît le motif de la lumière (les bougies) qui sera déclinée plus tard en opposition binaire avec le cierge éteint, associé à l'opposition tête d'ange / tête de mort.
C'est là qu'il débute son bestiaire, fait de singes et de perroquets, d'escargots, de serpents, et d'oiseaux, avant de le compléter par les insectes, et, parmi ceux-ci les papillons et les scarabées.
C'est surtout là qu'il exprime pour la première fois ce qui est l'une de ses marques de fabrique, et qui le définit comme "inventeur", je veux parler de sa façon de puiser dans le corpus scripturaire poétique classique (et, plus tard, néolatin) pour y extraire des bribes qu'il insère dans sa peinture : les lieux de ces sertissages, la calligraphie choisie, le sens de ces fragments de texte, le rapport de ce sens avec l'image, créant, au sein d'une œuvre ou dans la succession des planches ou folio d'un volume ou d'une série, finit par dessiner un "motif dans la tapisserie" qui n'est pas perceptible lorsque l'inscription est considérée isolément. Si ces préciosités littéraires latines (ailleurs, parfois en hébreu, en grec et même en français) prennent leur sens dans l'étude de l'ensemble de l'œuvre du peintre, elles s'intégrent aussi aux travaux réalisés par les contemporains, et par les prédécesseurs, notamment dans les livres d'emblèmes, et elles acquierent alors le statut de motto, de devises et d'épigrammes.
Meyer Schapiro, dans son analyse de la structure d'encadrement, compare le cadre continu à une "clôture homogène pareille à la muraille d'une cité". Mais ici, tel le rempart de fortifications arabes qui inscrivait Séville dans un cercle, cette muraille est dotée de six portes, six binômes laudatifs : en partant du mot INDIA inférieur gauche, nous trouvons DIVES OPVM, FRVCTIBVS ABVNDANS, PACE FLORENS, INCLYTA BELLO, FERTILIS AGRIS et MERCATVRA CELEBRIS, avant de parvenir au mot HISPANIA du coin inférieur droit, et de conclure par ARTIS LARGITORI et DEO OPT. MAX. Ces murailles deviennent ainsi une couronne florale empruntant aux villes les plus prestigieuses ou les plus mythiques comme Troie, Rome, Carthage, aux poètes les plus illustres comme Virgile et Ovide et aux divinités romaines les plus hautes comme Jupiter, Minerve et Mercure la litanie des épithètes de "Riche en ressources, Abondante en fruits, Florissante dans la Paix, Illustre dans la guerre, Aux champs fertiles, Célèbre par son négoce, Protectrice des arts, Divinité la meilleure et la plus grande". Séville devient l'archétype de l'Urbs, la Ville dans le superlatif de ses fonctions nourricières, militaires et politiques, la Civitas Primordiale des origines. Elle rejoint toute cité qui se pare et se théatralise lors de l'entrée triomphale de son Prince, se prenant pour son diamant parangon, et cette guirlande poétique relève toute entière de la rhétorique de l'éloge (Besse, 2005). Curieusement, cet excès encomiastique contraste avec la vue paysagère centrale, dont l'étroite et lontaine ligne de toits et de clochers est écrasée entre la bande du ciel, le fleuve dans son étalement marécageux, et la rive aux passants pressés. L'erga (la vue chorographique) fait pâle figure à coté de la parerga (l'ornementation ) qui la déborde.
Car la suprématie de Séville au XVIe siècle n'est pas due à sa fonction de ville, mais à son rôle portuaire. Ce n'est pas tant la ville circonscrite par des murs (urbs vient de urbare = enclore) qui brille de tant de feu que le Fleuve, porte de l'Occident ouverte vers le Nouveau Monde. C'est le sens de la partie principale de la peinture, qui tient dans la rencontre des deux vaisseaux du Commerce, à droite, et de l'or et de l'Argent, à gauche. Toute l'énergie, toute l'ivresse, tout le débordement onirique se trouve dans cette bacchanale exotique.
Après avoir découpé ses livres de latin, Hoefnagel va, telle une jeune fille cherchant des modèles à broder sur son canevas, découper des images. A priori, il fera son miel des livres imprimés à Anvers, et, puisqu'après tout ils sont fait pour cela, des livres de modèles (pour les sculpteurs sur bois, maître-maçons, orfèvres et ornemanistes) initiant au style des grotesques. Abraham Ortelius avait déjà utilisé pour les cartouches de son Theatrum orbis terrarum les "compertementen" de Jacob Floris et de Hans Vredeman de Vries. Pour le cartouche de sa carte de l'Asie (Asiae nova descriptio, 1570), Ortelius avait emprunté tout le cartouche trouvé dans le Veelderhande cierlycke compertementen (Anvers, 1564) de Jacob Floris (1524-1581) . Hoefnagel va être plus discret et n'y découper que les ailes à tête d'aigle et à oreilles de hibou. [Cette régle de n'effectuer que des petits fragments d'une œuvre sera constante chez lui, et dans ses citations de la poésie latine de Fabricius pour le Salus Generis Humani, il prendra à l'emporte-pièce deux vers ici, et un autre là.].
Mais on voit combien Hoefnagel a soin de se réapproprier, en vrai artiste, le dessin et de le compléter.
Abraham Ortelius, 1570, cartouche de la carte de l'Asie, https://archive.org/stream/theatrumorbister00orte#page/n29/mode/2up
Hoefnagel ne prend pas son modèle de la carte d'Ortelius, mais bien du cartouche initial proposé par Jacob Floris, car il y prélève aussi un casque grotesque, et un bouclier. J'ai cru qu'il avait modifié le bouclier en le dotant d'une tête d'oiseau et d'une étoile, mais il a simplement pris ce bouclier sur une autre gravure du même volume . Le fanion S.P.Q.R vient aussi de Floris, de même que le carquois, et les lampes brûle-parfum.
On voit bien qu'il faudrait passer en revue ces gravures pour retrouver la source des différents détails.
Jacob Floris, 1564 Veelderhande cierlycke compertementen, in J.A. Welu 1987, (Metropolitan Museum of Art)
Jacob Floris, 1564 Veelderhande cierlycke compertementen, https://www.rijksmuseum.nl/en/search/objecten?q=jacob+floris&p=4&ps=12&ii=6#/RP-P-1952-397P,42
Jacob Floris, 1564 Veelderhande cierlycke compertementen, https://www.rijksmuseum.nl/en/search/objecten?q=jacob+floris&p=7&ps=12&ii=1#/RP-P-1952-397M,63
Conclusion : un usage particulier.
Après avoir donné une vue de Séville à graver pour le CivitatesOrbis terrarum de G. Braun, donc un document destiné à être publié et diffusé dans un but d'information, Hoefnagel reprend cette même vue, en modifie le premier plan pour l'ennoblir, et lui donne un encadrement allégorique plus important en surface que la vue elle-même ; et, cette-fois, il la peint en miniature, dans une œuvre unique et non copiable. La question se pose alors de savoir à quelle fin il destine cette peinture, si elle répond à la demande d'un commanditaire ou si elle devance les propositions d'un acquéreur. Bref, de savoir quelle réception et quelle attenteHoefnagel anticipe ainsi. Un tel travail — c'est vrai de toute œuvre d'art— ne peut exister sans une complicité imaginée avec le regard et l'esprit d'un récipiendaire.
Surtout, il reste à comprendre comment Joris Hoefnagel, flamand d'Anvers, dont le père était considéré comme "calviniste" ou du moins partisan des thèses de la Réforme, put concevoir ce dithyrambe en l'honneur de la très catholique et très espagnole Séville. Double jeu ? Simple exercice de style ? Convictions qu'une entente pacifique était possible ? Ou, sans-doute, sincère admiration pour la grande ville qui a pu symboliser pour lui, à 23-28 ans, cette alliance de l'intelligence humaniste des lettrés (Minerve et sa chouette) et de l'éloquence artistique de sa famille de marchands de luxe (Mercure et son caducée) qui sera sa vraie ligne de conduite pendant toute sa vie.
SOURCES ET LIENS
— Bibliographie générale , voir : http://www.lavieb-aile.com/2015/03/ma-bibliographie-sur-joris-et-jacob-hoefnagel.html.
— ALBUS (Anita), 2002, Paradies und Paradox, Wunderwerke auf fünf Jahrhunderten - Francfort-sur-le-Main Eichborn Verlag,"Die Andere Bibliothek", pp.159-200.
— BESSE (Jean-Marc) 2005 . « Vues de ville et géographie au XVIe si`ecle : concepts, démarches cognitives, fonctions ». F. Pousin. Figures de la ville et construction des savoirs. Architecture, urbanisme, géographie, CNRS Editions, pp.19-30, 2005.
— BUCHER (Bernadette J. ),1992, America: Bride of the Sun : 500 Years Latin America and the Low Countries : Royal Museum of Fine Arts, Antwerp
— DUVOSQUEL (Jean-Marie) & VANDEVIVERE ( Ignace),1985, "Splendeurs d'Espagne et les villes belges 1500-1700: Aperçus historiques et artistiques sur l'Espagne et les Pays-Bas méridionaux aux XVIe et XVIIe siècles" Crédit communal, 1985 - 695 pages
— FÉTIS (Édouard), 1857, Les artistes belges à l'étranger: études biographiques ...,Bruxelles Volumes 1 à 2 page 118.
— FLORIS (Jacob) 1564, Veelderhande cierlijcke Compartementen profitelijck voor Schilders goutsmeden beeltsnijders ende ander constenaren. [Nombreux cartouches délicats..pour peintres, joaillers et sculpteurs.] par Jacob Floris l'Ancien (Flamand, 1524–1581). 17 ornementations gravées par Herman Müller, édité par Hans Liefrinck (Augsburg (?) 1518?–1573 Antwerp)
http://www.metmuseum.org/collection/the-collection-online/search/344112?rpp=30&pg=1&ft=floris&pos=20
http://www.metmuseum.org/collection/the-collection-online/search/344211
— FLORIS (Jacob) Floris l'Ancien (Flamand 1524–1581) 1567 Compertimenta pictoriis Flosculis Manubissq. Bellicis variegata gravé par Pieter van der Heyden (Néerlandais, ca. 1525–1569) édité par Hieronymus Cock (Anvers ca. 1510–1570 Anvers)
— FLORIS (Cornelis II ??), 1556 , Veelderleij veranderinghe van grotissen ende compertimenten ghemaeckt tot dienste van alle die de conste beminne ende ghebruiken. [Nombreuses variétés de grotesques et de cartouches] / Libro primo [Antwerpen] : Ghedruckt bij Hieronimus Cock,.
http://collections.vam.ac.uk/item/O119352/veelderleij-veranderinghe-van-grotissen-ende-print-floris-cornelis-ii/
— FRACCHIA (Carmen), 2012, "The Urban Slave in Spain and New Spain in The Slave in European Art", in From Renaissance Trophy to Abolitionist Emblem Edited by Elizabeth McGrath and Jean Michel Massing, The Warburg Institute – Nino Aragno Editore (London and Turin, 2012) : page 198 et 206
https://www.academia.edu/5108393/CFracchia_The_Urban_Slave_in_Spain_and_New_Spain
— GEEST (Joost De) 2006, 500 chefs-d'oeuvre de l'art belge ed. Racine, page 219
— HENDRIX (Lee), VIGNAU-WILBERG (Thea), 1992, "Joris Hoefnagel, the illuminator", in Mira calligraphiae monumenta: A Sixteenth-Century Calligraphic Manuscript Inscribed by Georg Bocskay and Illuminated by Joris Hoefnagel, Paul Getty Museum, 424 pages, pp.15-28, http://books.google.fr/books?id=drlDAgAAQBAJ&printsec=frontcover&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false
— MICHIELS (Alfred) 1868 Histoire de la peinture flamande dupuis ses débuts jusqu'en 1864, Volume 6 page 243 https://books.google.fr/books?id=w84MAQAAIAAJ&pg=PA242&dq=%22Natura+sola+magistra%22&hl=fr&sa=X&ei=iwEbVb_ONoL7UNfzgagE&ved=0CD8Q6AEwAg#v=onepage&q=%22Natura%20sola%20magistra%22&f=false
— ORTELIUS (Abraham), 1570, Theatrum orbis terrarum, Anvers
:https://archive.org/stream/theatrumorbister00orte#page/n3/mode/2up
— VREDEMAN DE VRIES Jan (1527-1609) Cartouche met rolwerk dat onderaan uitloopt in hermen, Nicolaes de Bruyn, Hans Vredeman de Vries, Assuerus van Londerseel, 1581 - 1635
— WELU (James A.), 1987, "The source and development of cartographic ornementation in the Netherlands", in Art and Cartography: Six Historical Essays publié par David Woodward pp.147-175:
https://books.google.fr/books?id=W34-yRa8ksUC&pg=PA149&lpg=PA149&dq=cartouche+floris&source=bl&ots=KVQRECFws4&sig=fU7hcnkmN-60HaqaNqC1kKKOxQI&hl=fr&sa=X&ei=JJweVb7lJovzUJ-gg_gD&ved=0CDoQ6AEwBA#v=onepage&q=cartouche%20floris&f=false
— Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque royale des ducs de Bourgogne, Bruxelles et Leipzig, 1842 ..., Volume 1 page CXIX : numérisé par Google.
— Splendeurs d'Espagne et des villes belges 1500-1100, exp. cat. (Palais des Beaux-Arts , Bruxelles, 1985), vol. 2, p. 373, no. A6.
http://d2aohiyo3d3idm.cloudfront.net/publications/virtuallibrary/089236212X.pdf
— Gravures de Séville dans la Cartoteca digital :
http://cartotecadigital.icc.cat/cdm/search/collection/vistes/searchterm/sevilla/order/nosort
— Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque royale de Belgique .. (1919) page 38 :
https://archive.org/stream/cataloguedesmanu10brusuoft#page/38/mode/2up
— Comparer avec Hans Bol, Paysage avec Vénus et Adonis, 1589 http://www.getty.edu/art/collection/objects/345/hans-bol-landscape-with-the-story-of-venus-and-adonis-flemish-1589/
Sources des images :
— http://cartotecadigital.icc.cat/cdm/ref/collection/vistes/id/591
— Séville 1573
http://www.presscenter.org/fr/pressrelease/20141126/des-dessins-de-maitres-anciens-montres-pour-la-premiere-fois-a-l-expo-entre--0
—Séville1572 Civitates I,2 :
http://historic-cities.huji.ac.il/spain/seville/maps/braun_hogenberg_I_2_1_b.jpg
— Séville 1588 IV,2
http://historic-cities.huji.ac.il/spain/seville/maps/braun_hogenberg_IV_2_b.jpg
— Séville 1598 Civitates V,7 :
http://historic-cities.huji.ac.il/spain/seville/maps/braun_hogenberg_V_7_b.jpg