Les papillons dans la Délie de Maurice Scève (1544), et dans les livres d'emblèmes du XVIe siècle.
.
.
Voir dans ce blog :
Résumé.
Depuis l'Antiquité, et jusqu'au XVIIe siècle, voire au delà, le papillon évoquait, non le gracieux et gai farfadet batifolant dans les prés et, gourmand licencieux, butinant de fleurs en fleurs, lutinant ses compagnes et s'envoyant élégamment en l'air, mais le sombre présage de la Mort. Soit parce que, chez les Antiques, il était l'image de psyché, la partie aérienne de l'être, qui se libérait du corps après le trépas. Ou soit parce que nos ancêtres l'associait immédiatement à une vignette qui lui collait à la peau, qui hantait la littérature d'histoire naturelle ou la poésie et derrière laquelle il disparaissait complètement : celle du "papillon à la lanterne". L'insecte ailé y était caricaturé comme un inconscient si fasciné par le danger (la flamme) qu'il s'y brûlait : son désir lui coûtait la vie. Cette leçon de morale, cette mise en garde janséniste contre le désir, ce tableau de la punition qui frappait le pêcheur concupiscent a été déclinée sur divers modes dans les livres d'emblème du XVIe et du XVIIe siècle. Pendant tout ce temps, les vrais papillons volaient librement dans la nature, parfaitement invisibles aux yeux aveugles des humains, qui ne songeaient guère à les chasser (un jeu d'enfant), à les épingler, à les décrire et à les nommer. La diversité des lépidoptères disparaissait derrière le monotype du funeste idiot et de sa bougie.
.
Rappel inspiré de Wikipédia.
Les livres d’emblèmes sont des livres illustrés de gravures qui sont publiés en Europe aux XVIe et XVIIe siècles, et où chaque gravure sur bois ou sur métal est associée à un titre et un texte. André Alciat est l’auteur des épigrammes du premier livre d’emblèmes son Emblemata, publié en 1531 à Augsbourg, et édité en français en 1587. Le mot « emblème » prend le sens d’une synthèse entre une image à clef inspirée des hiéroglyphes égyptiens, et un adage moral emprunté aux philosophes ou aux sages de l’Antiquité.
Chaque « emblème » se compose généralement de trois éléments (emblema triplex).
-
Un titre (inscriptio, títulus, motto, lemma) assez bref, souvent difficile à déchiffrer, presque toujours en latin, qui constitue l'« âme » de l’emblème. Il est généralement placé au-dessus de l’image, ou dans le cadre de celle-ci.
-
Une image (pictura, icon, imago, symbolon), en général une gravure sur bois ou sur métal, qui forme le « corps » de l’emblème et joue un rôle mnémotechnique.
-
Un texte explicatif qui élucide le sens caché de l’image et de la devise
Outre le Crabe et le Papillon de la devise Festina Lente, un cas particulier que je traiterai plus tard, l'emblème associé au papillon est celui du "Papillon à la chandelle". L'image est stéréotypée, faisant apparaître un ou plusieurs papillons s'approchant de la flamme d'une bougie. L'interprétation tourne autour du thème du désir puni, mais elle est déclinée de diverses manières. Je débuterai par un ouvrage qui appartient à la poésie hermétique plutôt qu'aux recueils d'emblèmes, la Délie de Maurice Scève, quoique le livre d'emblème de Corrozet, lui soit antérieure.
J'ai eu largement recours au site French Emblems at Glasgow, spécialisé dans les livres d'emblèmes français du XVIe siècle, et qui détaille 28 ouvrages de 13 auteurs.
.
I. Maurice Scève, Délie (1544)
DELIE OBIECT DE PLVS HAVLTE VERTV. ADVERSIS DVRO [Délie, object de plus haulte vertu] ,A Lyon, chez Sulpice Sabon pour Antoine Constantin 1544 , avec privilège pour six ans. XX-204 p. : fig., portrait ; in-8 .Texte en caractères romains, 40mm pour 10 lignes.
Exemplaires en ligne :
- Bnf, Rés. Ye 1746 Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70272t/f128.item.zoom
- Bodleian Library Douce S.35 : : http://fr.scribd.com/doc/100845795/Maurice-Sceve-Delie-object-de-la-plus-haulte-vertu-1544
Maurice Scève (c.1500-c.1560) était un poète lyonnais qui publia la Délie sans nom d'auteur (portrait et initiales de l'auteur seulement) en 1544. C'est un long recueil de 449 dizains en décasyllabes, précédés d'un huitain et séparés par 50 emblèmes , qui s'adresse à une femme idéalisée mais inaccessible, ou cruelle, ou dédaigneuse . Chaque emblème est composé d'une gravure, et de sa devise ou motto. Il donne son thème au dizain qui le suit.
L'emblème qui nous intéresse se trouve à la page 127 et est suivi du dizain 286 (CCXXXVI).
Dans un cuir écarté par deux diablotins et un ange, un ovale (qui pourrait être un miroir) aux bords perlés contient le motif signifiant, réduit à sa plus simple expression : en gros plan, une chandelle dans son bougeoir, et un papillon aux ailes ocellées s'approchant, par la gauche (c'est une constance de ces emblèmes) de la flamme . La gravure sur bois est assez grossière.
Notons que la présence de l'emblème est facultative pour la compréhension du poème, puisque le privilège royal précise : "IL est permis par Privilege du Roy, à Antoine Constantin, marchant Libraire demourant à Lyon, de im- primer, ou faire imprimer par telz Imprimeurs des Vil-les de Paris, Lyon, & aultres que bon luy semblera, ce present Livre traictant d’Amours, intitulé DELIE, soit avec Emblesmes, ou sans Emblesmes, durant le temps& terme de six ans prochainnement venans.". Comme l'avait expliqué Johannes Sambucus, l'emblème est un attribut accessoire, qu'il définit comme un parergon, terme qui peut se traduire par « supplément », commentaire accessoire, ce qui est à côté ou en plus du travail principal, l’ergon. Le mot emblème lui-même vient du latin emblema "ornement en placage sur des vases" (Gaffiot). le mot grec correspondant (pluriel emblemata) désignait, dans l'art antique de l'époque hellénistique,, et particulièrement en mosaïque, un tableau amovible rapporté au centre d'une composition. Ou "un
ornement ou figure en saillie qui n'est ni fondue avec le solide ni taillée de ce solide même, mais attachée à quelque autre substance comme un relief qui la décore". Voir Emblema (ἔμβλημα). C'est un complément attaché, et donc détachable.
EN MA IOIE DOVLEVR.
CCLXXXVI. [=CCLXXVI] .
Voyez combien l’espoir pour trop promettre
Nous fait en l’air, comme Corbeaulx, muser:
Voyez comment en prison nous vient mettre,
Cuydantz noz ans en liberté user:
Et d’un desir si glueux abuser,
Que ne povons de luy nous dessaisir,
Car pour le bien, que j’en peu choisir,
Sinistrement esleu a mon malheur,
Ou je pensois trouver joye, & plaisir
J’ay rencontré & tristesse, & douleur.
.
Avant de commenter ce dizain, prenons connaissance du huitain qui est placé au début de l'œuvre :
A SA DELIE.
Non de Venus les ardentz estincelles,
Et moins les traictz, desquelz Cupido tire:
Mais bien les mortz, qu’en moy tu renovelles
Je t’ay voulu en cest Oeuvre descrire.
Je sçay asses, que tu y pourras lire
Mainte erreur, mesme en si durs Epygrammes:
Amour (pourtant) les me voyant escrire
En ta faveur, les passa par ses flammes.
Souffrir non souffrir.
Commentaire.
Le thème du feu (ardentz ; estincelles ; flammes) est d'ors et déjà présent, associé à celui de l'amour (Venus ; Cupido ; Amour) , de la blessure (les traictz tirés) et de la mort. "Souffrir non souffrir", oxymore indéchiffrable, vient sceller ce message énigmatique mais dont tout indique que l'amour de Délie sera une souffrance.
Placé sous cette enseigne, la devise "En ma joie douleur" ne nous surprends pas, C'est une forme synonyme de "souffrir non souffrir" où la source de joie que se donne l'amant, l'objet de sa quête, fera son malheur: Il le sait, il l'accepte ; il en jouit. Souffrir par elle m'est joie.
Le dizain 286 se complaît à accumuler les couples antonymiques : espoir / prison / liberté ; desir / /si glueux : user / abuser ; le bien / Sinistrement ; malheur, / joye, & plaisir / & tristesse, & douleur, dans une écriture elliptique sinon absconse.
Malgré cette obscure clarté qui tombe de ces vers — ou grâce à ce clair-obscur —, l'emblème du papillon se trouve merveilleusement illustré.
L'image de l'insecte face à la flamme fait penser à cette sculpture de Giacometti (1931) intitulée La Pointe à l'œil (relations désagrégeantes).
Image emprunté à Jimena Zermeño https://www.flickr.com/photos/menalangsam/6815626565
.
Le Papillon à la lanterne, tel qu'il est représenté par la gravure en gros plan, est un instantané muet de la fraction de seconde qui précède la brûlure des ailes, métonymique de la mort de l'insecte. Fraction de seconde figée pour l'éternité, figée dans l'éternité. Le papillon brûle encore DE désir, il est tout feu tout flamme. A cette image peut s'appliquer les commentaires qui accompagnent la Pointe à l'œil de Giacometti : « Objet mobile et muet » au contenu violemment agressif, mortifère, arrêt sur image de la pulsion scopique qui, dans le fantasme du sculpteur, sous-tend, pour la « désagréger », la pulsion érotique.
Dans les deux cas, le dispositif graphique met à jour l’ambivalence attraction / répulsion, vie / mort du désir sexuel, d'un corps tendu vers l'autre dans un rapport de désir.
Je souhaiterais pouvoir donner aux deux derniers vers du dizain Ou je pensois trouver joye, & plaisir / J’ay rencontré & tristesse, & douleur la densité concrète et plastique d'une sculpture de bois et d'acier, comme une sentence gravée en lettres d'or autour de l'emblématique papillon.
.
II. Gilles Corrozet, (1540) Hecatomgraphie.
Hecatomgraphie. C’est-à-dire les descriptio[n]s de ce[n]t figures & hystoires, contenans plusieurs appopthegmes, Sentences & dictz, tant des Anciens que les modernes. Paris, Denis Janot 1540. Réed. 1543. Les gravures ont été attribuées à Jean Cousin.
Exemplaires :
-Edition Paris, Denis Janot 1543 : Bnf département Réserve des livres rares, Rés. Z-2599 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70938k/f157.item
- BM Lyon 358097, édition de 1540 chez Denis de Harsy, Lyon. Sans emblème. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k791167
Gilles Corrozet (1510-1568) est un libraire parisien, écrivain et imprimeur. Son Hecatomgraphie est le deuxième livre emblème français, paru peu après le Théâtre des bons engins (1536) de Guillaume de La Perrière, également publié par Denis Janot, et moins de 10 ans après la première édition publiée des Emblemata d' Alciat.
http://www.emblems.arts.gla.ac.uk/french/emblem.php?id=FCGa075
GUÉROULT (Guillaume), 1550, Second livre de la description des animaux , contenant le blason des oyseaux, composé par Guillaume Guéroult, ed. B. Arnoullet (Lyon) 1550 62 p. : fig. sur bois ; in-8 page 20
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70827n/f29.image… +++++++++++++++++++
Guillaume Guéroult, né vers 1507 à Rouen et mort le 7 octobre 1569 à Lyon, est un éditeur, traducteur et poète français, précurseur, avec ses Emblesmes, de La Fontaine et ses fables.
Le 10 février 1549, Balthazar Arnoullet recevait du roi le privilège d’imprimer une Histoire et description de tous les animaux, ouvrage qui devait comprendre le Blason des Oyseaux, composé par Guéroult. Arnoullet avait justement à faire d’importants travaux de traduction et, n’ayant de la langue latine qu’une connaissance insuffisante, il cherchait un correcteur expert en cette langue. Il accepta les services de Guéroult pour qui les années qu’il passa à Lyon furent une période de grande activité. Il y fut, tout à la fois correcteur, traducteur, écrivain et poète.
Des presses d’Arnoullet sortirent, successivement : le Second Livre de la description des Animaux, contenant le Blason des Oyseaux, le Premier livre des Emblemes, la traduction desSentences de Marc Tulle Ciceron, celle de l’Histoire des Plantes de Léonard Fuschs, en 1550 ; puis, la traduction du Premier tome des Chroniques & gestes admirables des Empereurs, lePremier livre des figvres et pourtraitz des villes plvs illvstres et renommees d’Evrope en 1552 et, l’année suivante, l’Epitome De la Corographie d’Europe, sans compter une fort belle édition de la Bible, chef-d’œuvre des presses Arnoullet, dont il fut le correcteur. C’est également au cours de cette période que Guéroult devient le beau-frère de Balthazar Arnoullet en épousant, à Vienne, la sœur cadette de sa femme. À Lyon, il se lie avec Étienne Jodelle.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70827n/f29.image
.
L'image représente une pièce ouverte sur un paysage de campagne. Au centre, une chandelle à la flamme fumeuse est placée au sommet d'un dispositif qui pourrait être un piège à insectes. Six papillons volent alentour. La devise inscrite au dessus dit : La guerre doulce aux inexpérimentez.
En dessous, mais dans le cadre de l'emblème, est inscrit le quatrain suivant :
Les Papillons se vont brusler
A la chandelle qui reluyct.
Tel veult à la bataille aller
Qui ne scaict combien guerre nuyct
La page suivante (qui lui fait face) comporte un texte de 28 lignes :
CEulx qui n’ont eu de guerre les travaulx,
Et qui n’ont veu les bannieres en l’aer
Donner dedans, abbatre les chevaulx
Faulser harnoys, meurtrir & affoller,
Qui n’ont aussy veu les esclatz voler,
Trompes sonner, & semondre à l’assault,
Tant que tout homme en fremit & tressault
Voyant son sang sur terre respandu,
Ceulx la je dy qui n’ont bien entendu
Les maulx divers de la guerre cruelle,
L’estimant doulce, amoureuse & tant belle
En desirant estre en telz bastillons,
Ilz sont ainsi que petis papillons,
Lesquelz s’en vont brusler à la chandelle.
On faict, on dict de guerre les chansons,
S’esjouyssant des assaulx & vacarmes,
Ce sont pour vray fascheux & meschantz sons
Dont les deux yeulx debvroient espandre larmes,
Ceulx qui les font n’ont gueres veu les armes
Et ne sont pas bien experimentez.
O pauvres sotz de guerre vous chantez
Et ne scavez les maulx qui sont en guerre
Vueillez premier l’effect d’icelle enquerre
Et ne louez ce qui est à blasmer,
N’appellez doulx ce qui est bien amer,
Et gardez bien qu’on ne vous y entasme,
Non que les fortz & les puissantz je blasme,
Car au besoing on les doibt bien aymer.
.
Commentaire.
Cette première apparition de notre thème dans un livre d'emblème français est intéressant, parce qu'il en applique la leçon morale, non au désir amoureux comme cela deviendra la règle, mais à la fascination qu'exerce la guerre. A Mars, et non à Vénus. L'auteur met en garde les jeunes esprits contre une image illusoire du combat guerrier, dont la cruauté, l'horreur, la terreur et le danger mortel disparaît derrière les séductions de la gloire et des apparats.
Les couples de contraire servent à dégriser les esprits : la guerre "douce amoureuse et belle" est confrontée à "cruelle", "armes" est rapproché de "larmes", "aimer" d' "amer".
Mais, dans ce cas comme dans les autres, les "petits papillons [qui] s'en vont brusler à la chandelle" restent le stéréotype de la sottise des "inesperimentez" qui se précipitent vers le désastre. La Vie, légère, désirante et insouciante est face à la Mort. Les auteurs pleins de bonnes intentions tentent de lui mettre du plomb dans la cervelle.
.
III. Guillaume Guéroult, 1550, Second livre des animaux.
GUÉROULT (Guillaume), 1550, Second livre de la description des animaux , contenant le blason des oyseaux, composé par Guillaume Guéroult, ed. B. Arnoullet (Lyon) 1550 62 p. : fig. sur bois ; in-8 page 20.
Exemplaire : Bnf Res. Ye-3468 (2).
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70827n/f29.image
Guillaume Guéroult, né vers 1507 à Rouen et mort le 7 octobre 1569 à Lyon, est un éditeur, traducteur, correcteur et poète français, précurseur, avec ses Emblesmes, de La Fontaine et ses fables.
Le Papillon.
Voyant le feu de l'ardante chandelle
Le Papillon grandement s'esjouyt
Lors il se prend à voler droict vers elle,
L'embrasse, estrainct, mais bien peu en jouyt,
Car le feu chaut qui tout ard & consume,
Brusle son corps aussi bien que sa plume.
Voila comment pour aymer folement :
Le pouvre oyseau meurt miserablement.
Ainsi, Amants que vifve amour (*) enflamme
A trop aymer la beauté d'une dame,
Dont ne pouvez avoir contentement :
En la voyant joie vous savourez,
Et la perdant en vivant vous mourez :
Malle est l'amour qui na fin que tourment.
(*) Vifve amour : la forme "vifve" pour "vive" est attestée par 18 citations dans Littré. Amour est donc ici au féminin.
Le papillon est ici clairement l'Amant, la flamme est le désir amoureux, et la chandelle est la femme inaccessible. La encore, les antonymes sont confrontés à plaisir, car la valeur oxymorique de l'emblème est essentielle; et là encore, le vocabulaire du feu ( feu ; ardante ; chandelle ; feu chaut qui tout ard & consume, Brusle ; enflamme ) est déployé dans sa polysémie renvoyant à la chaleur des sentiments et à la force de la passion comme à la destruction et à la mort.
Je note que les auteurs ne parlent que de chandelle (du latin candella) , et jamais de lampe, de flambeau, de bougie, voire de cierge, ou d'autre source de feu. Est-ce un hasard ? Le mot "bougie", qui est plus récent et trouve son origine dans le nom arabe de la ville de Bougie, était-il moins courant ? Ou bien la chandelle est-elle associée à un champ de locution déjà riche à l'époque ( xves. se brusler à la chandelle « se laisser attirer par le charme de quelque chose ou quelqu'un » (Coquillart, Enquête de la simple et de la rusée ds Littré); 1571 brusler la chandelle par les deux bouts « épuiser son revenu » (Carloix, X, 1, ibid.); av. 1592 le jeu ne vaut pas la chandelle « la chose ne vaut pas la peine » (Montaigne, III, 47, ibid.); 1648 devoir une chandelle à qqn (Scarron, Virgile Travesti, II, ), et qui s'est encore enrichi depuis ( Économies de bouts de chandelle ; Moucher la chandelle ; Tenir la chandelle; Voir trente-six chandelles ; partir en chandelle) . (CNRTL)
.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k70827n/f29.image
.
IV. JONGHE (Adriaen de. ou Hadrianus Junius) , 1567 – Les Emblesmes du S. Hadrian le Jeune Médecin et historien des estats de Hollande, Christophe Plantin, Anvers.
Il s'agit de la traduction par le médecin, poète et érudit Jacques Grévin (qui avait aussi traduit les Emblemata de Johannes Sambucus) de l'ouvrage initial en latin paru en 1565 chez le même éditeur : Aenigmata et Emblemata. Emblemata Hadriani Iunii medici Emblemata - "Excudebat Christophorus Plantinus Antuerpiae, anno MDLXV idibus Maii .
Junius (Adriaan de Jonghe) était un humaniste et médecin hollandais, né à Hoorn. Il a étudié à Louvain et à Bologne, a ensuite travaillé comme précepteur et médecin de l'aristocratie à Bologne, Paris et Londres. Junius est retourné aux Pays-Bas en 1550, où il a passé le reste de sa vie, sauf pour une brève tentative infructueuse pour obtenir le patronage de la cour danoise. Ses publications comprennent des manuels linguistiques, comme les Adagia (1558) et son dictionnaire polyglotte Nomenclator (1 567), et un travail historique important de la province de Hollande, Batavia (publié à titre posthume 1588).
La traduction française comprend 57 emblèmes, soit un de moins que dans l'édition latine, par erreur typographique ; un emblème N ° 19 n'a pas l'illustration. Les dessins ont été conçus par Geoffroy Ballain et Pieter Huys, tandis que les planches de bois ont été gravées par Gerard van Kampen Janssen et Arnold Nicolai. Chaque emblème se compose d'une devise, une illustration de gravure sur bois (sans les bordures en arabesque de la première édition latine), et une épigramme. par contre, les commentaires des emblèmes ont été omis, ainsi que les énigmes.
.
Tourment de franc amour.
Voyez comment à la chandelle
Le Mouscheron brusle son aesle,
Et en la fin se faict mourir:
Ainsi par une flamme ardante
L’Amant se brusle & se tourmante,
Pensant apres son feu courir.
Certes, ici ce ne sont pas des papillons, mais des "mouscherons" (qui traduit le terme latin culex de la publication originale) qui sont attirés par la chandelle. Néanmoins, si on va rechercher le commentaire accompagnant l'emblème dans le texte latin, on y lit la référence faite à "Pyraustae". Comme l'indique en note le commentateur sur le site de Glasgow, Pyrausta, ou en grec Greek πυραύστης, était un insecte mythique dont on pensait qu'il vivait dans le feu (pyros en grec) . Voir ‘pyralis’; Pline, Histoire Naturelle, 11.36.42.119; 10.74.95.204). Junius semble employer ce terme simplement pour désigner un phalène qui meurt brûler par la flamme.
Pline l'Ancien Histoire Naturelle, Livre XI, XLII. 36.
Ignium animal : pyralis, sive pyraustes. (L'nimal qui se trouve dans les flammes : pyralis ou pyrauste). "L'élément destructeur de la nature produit aussi quelques animaux. Dans les fourneaux pour le bronze, en Chypre, on voit voler au milieu des flammes un quadrupède ailé qui a la taille d'une grosse mouche : on l'appelle pyralis ; d'autres le nomme pyrauste. Il vit tant qu'il est dans le feu ; s'il s'envole à quelques distances, il meurt."
https://archive.org/stream/histoirenaturell08plin#page/88/mode/2up
.
Voici le texte de l'édition latine :
EMBLEMA XLIX.
Amoris ingenui tormentum.
En ut igneum facis coruscae lumen
Insilit culex protervus, ac necat se.
Haud secus suos Amans misellus igneis
Persequens, crucem invenit, suumque funus.
Trochaicum Sotadicum trimetrum acatalecticum monocolon, quale illud apud Marium Servium: Arva sicca nimbus intrat, ite laeti. CULEX insectum flammae splendore mirè gaudet: itaque lucernis advolitat, moxque exustis alis concidit, atque interit. unde & Pyraustae gaudium & interitus, in proverbium abiit. Non absimilis est condicio amantis, qui inescatus amoribus, temeritatis suae fructus metit, & quem deperit, igne perit: quò spectat Aeschyli Tragici poëtae senarius: Pyraustae inertem pertimeo necem nimis.
Potuit & pudicus amor huiusce calamitatis sensum incurrere, quando Evadnen legimus praerae ardenti iniecisse: Portiam legitimi amoris singulare ornamentum, marito Bruto exstincto, ardentibus carbonibus ore haustis, vitam abrupisse, testante Valerio Maximo.[5] Nam Dido se ipsa ferro consumens dubium in utramvis partem exemplum attulit: ita ut picturae per se alioqui manifestae adscribi queat versiculus Italicus: “COSI DI BEN’ AMAR, PORTO TORMENTO” [Plutarch, Canzoniere, 207.79.]
Traduction aléatoire : Un monocolon de trimètre trochaïque de Sotades [un poète grec aux vers obscène], comme celui de Marius Servius: "Le nuage vient sur le terrain sec; . aller sur votre chemin se réjouir" Le Culex est un insecte qui est étonnamment fasciné par l'éclat d'une flamme: c'est ainsi qu' il vole jusqu'à la lanterne et qu'il tombe rapidement, ses ailes brûlées, et qu'il meurt. Pour cette raison, la mort extatique du Pyrausta est devenue proverbiale.Cela n'est pas sans rappeler la condition de l'amant, qui, éconduit dans son amour, récolte les fruits de sa témérité, et périt dans le feu de l'amour auquel il succombe: ce à quoi se réfère l'hexamètre du poète tragique Eschyle : «Je redoute trop la mort sans vie du pyrausta" Un amour modeste peut courir aussi à cette catastrophe , puisque nous lisons que Evadne, portant un trop grand amour à son mari Capanée [L'un des Sept contre Thèbes], se jeta volontairement sur son bûcher; et que Portia, cet ornement unique de l'amour , à la mort de son mari Brutus, après avoir vu son bûcher, y a brûlé sa propre vie (ce dont Valère Maxime est notre source). Quant à Didon, prenant sa propre vie avec une épée, elle nous a certes légué un exemple ambiguë dans les deux égards: de sorte que la petite ligne suivante de Pétrarque en italien pourrait être inscrit dans l'image, qui est à d'autres égards auto-explicatif: «COSI DI BEN AMAR, PORTO TORMENTO" (Si j'aime bien, j'endure le tourment ).
.
.
V. Jean-Jacques Boissard, Emblemes latins... (1588)
Exemplaires :
- Iani Iacobi Boissardi Vesuntini Emblematum liber = Emblemes latins de I.I. Boissard Metis [Metz] : Excvdebat Abrahamus Faber, 1588, 112 pages , pages 58-59.
https://archive.org/stream/vesuntiniemblema00bois#page/58/mode/2up
- site de Glasgow, Glasgow University Library: SMAdd415: Iani IACOBI BOISSAR- di Vesuntini Emblematum liber. EMBLEMES LAtins de J.J. BOISsard, avec l’interpretation françoise du J. Pierre Joly Messin. Iani Aubrii typis.METIS, EXCUDEBAT ABRAhamus Faber. 1588.
http://www.emblems.arts.gla.ac.uk/french/facsimile.php?id=sm415-h1v
Présentation (d'après Alison Adams).
Il s'agit de la deuxième édition du premier des deux livres d'emblèmes de Boissard ( première édition : Emblemata cum tetrastichis Latinis ,Metz: Jean Aubry, 1584). Boissard est une figure exceptionnelle parmi les auteurs de livres d'emblème en ce que, étant à la fois artiste et poète, il est en grande partie responsable à la fois du texte et des gravures de ses livres. Il existe un manuscrit à Paris, Bibliothèque de l'Institut 623 (c 1,583.), qui contient des premières versions de tous les emblèmes de ce livre, et aussi ceux dans le deuxième livre d'emblème de Boissard, l'Emblematum liber (Francfort: Théodore de Bry, 1593 avec une édition allemande dans la même année et une édition française en 1595). Dans les deux éditions, les livres d'emblèmes de 1584/88 comprennent non seulement le texte latin de Boissard, mais une version française par l'ami de Boissard, Pierre Joly. Dans l'ultra-catholique Lorraine, Metz était alors un refuge pour les protestants français, et les emblèmes de Boissard reflètent parfois sa foi réformée.
Jean-Jacques Boissard, né à Besançon en 1528 et mort à Metz le 30 octobre 1602, est un antiquaire et poète néo-latin français. Boissard a fait connaître de nombreux monuments et inscriptions antiques et sa réputation a été grande jusqu'au XIXe siècle.
Il a étudié en Allemagne et les Pays-Bas, et a ensuite visité l'Italie et même la Grèce. Il a passé beaucoup de temps dans l'entourage du cardinal Caraffa à Rome où il a poursuivi son intérêt pour l'archéologie. Après 1560, il était basé à Metz mais il continua à voyager beaucoup, après avoir été chargé successivement avec l'éducation de deux des fils d'un chef calviniste, le baron de Clervant. Cela impliqua une période dans la ville universitaire de Padoue, où il séjourna à l'époque de la peste en 1576. Beaucoup de gens de sa connaissance sont mort, et cela, sans surprise, semble l'avoir profondément affecté. En 1583, il a résidé plus longtemps à Metz, et en 1587, il épousa Marie Aubry, la fille de l'imprimeur avec qui il avait travaillé, Jean Aubry. Plus tard, cependant, ses entreprises d'édition lui ont apporté de plus en plus en contact avec les éditeurs en Allemagne.
La première édition de 1584/88 des emblèmes de Boissard a été entièrement gravée, mais dans l'édition de 1588, le quatrain latin et le sonnet français par Pierre Joly sont en typographie. Cela signifie que les blocs gravés pour l'image ont été coupés en deux. Cette édition comprendra plus tard, un nombre important de révisions à la fois en latin et avec les textes français, et c'est ce qui est sans doute la justification de ce processus . Entre les deux éditions, Boissard avait sorti un volume intitulé Tetrasticha in emblemata (Metz: Abraham Faber, 1587), qui contient en fait les quatrains pour les deux livres d'emblèmes 1584/88 et pour celui publié en 1593, ainsi que d'autres tirés du manuscrit (maintenant à la Bibliothèque de l'Institut 623) dont il n'a jamais publié. Il ya des changements dans l'ordre de présentation.
Boissard a également collaboré avec Denis Lebey de Batilly, en produisant les gravures pour son Emblemata (Francfort: Théodore de Bry, 1596).
Les 42 gravures, calquées sur les versions antérieures de manuscrits, sont parmi les plus complexes et difficiles à interpréter d'un livre d'emblème. Dans le manuscrit de la Bibliothèque de l'Institut 623, Boissard donne un commentaire de la prose française sur chaque emblème. Sur la base de cela, il est possible de soutenir que la version française par Pierre Joly, considérablement plus étendue que le latin, peut dans de nombreux cas représentent la propre lecture de Boissard de l'emblème. Dans ses remarques liminaires, Pierre Joly invite le lecteur à se confronter d'abord avec l'image, et par voie de conséquence le quatrain latin placé en dessous, pour ne passer qu' ensuite à la version française.
Le français encourage souvent une compréhension plus explicitement chrétienne et même calviniste de l'emblème, et cela est pour l'essentiel pris en charge par le manuscrit. Chaque emblème dans l'édition 1588 a un dédicataire individuelle, et il est intéressant que plusieurs d'entre eux sont des amis de Boissard de morts dans la peste à Padoue. Beaucoup des emblèmes contiennent des citations du grec, la plupart d'entre eux à partir des Sentences de Ménandre.
Pierre Joly (Petrus Lépide), qui a fourni les sonnets français, est originaire de Metz. C' était un avocat protestant, et il sera plus tard envoyé vers Henri IVpour plaider la cause de la foi réformée .
..
L'emblème qui nous occupe est la 25ème, page 58-59 ; elle est dédiée à Guido Callochronus, d'Arbois (Franche-Comté), un ami non identifié de Boissard (latinisation de "Beautemps"?).
TEMERÈ AC PERICULOSÈ. TEMERITE DANGEREUSE.
DU rayon lumineux l’indiscret papillon
Se mutine offencé l’escarmouchant de l’aile;
Mais ou il pense nuire au clair de la chandelle:
Avec sa vie y perd l’inique poinctillon.
L’impudent qui poussé d’un jaloux esguillon
S’attaque à la grandeur a sa fin toute telle.
La Royale splendeur qui flambante estincelle,
Luy consomme sa vie, & son despit felon.
Les Princes sont de Dieu les vivantes images:
Nous leur sommes tenus, & de foys, & d’hommages.
Et qui leur fait honneur il obeit à Dieu.
Mais qui mutin assaut leur licite puissance,
Celuy contre le cile coulpablement offence,
Et se joue impudent à son oeil, & au feu.
.
Non temerê est cuiquam tentanda potentia regis:
Cui metuenda solet viribus esse manus.
Laeditur: impendente tamen quandoque periclo.
Flamina quod in fatuo papilione docet.
("Personne ne devrait témérairement tester la puissance d'un roi dont la main est généralement à craindre en raison de sa force. Il est blessé : mais avec le danger toujours imminent, comme la flamme nous montre avec le papillon stupide.")
La partie de gauche de la gravure est consacrée au thème stéréotypé des (cinq) papillons attirés par la chandelle, posée sur une table dans une pièce fermée. Mais la partie de droite, un roi tend une baguette (on y verra un sceptre) devant lui ; un papillon s'est posé à l'extrémité.
Le quatrain, de la même manière, décrit dans sa première strophe le papillon et la chandelle, et dans la suivante, développe l'analogie avec un importun osant s'en prendre à la puissance royale. La morale est simple. Celui qui contesterait le pouvoir du roi, "flambante estincelle", image de Dieu sur terre, serait détruit par les foudres royales et irait à sa perte.
Les vers mériteraient une lecture attentive. Tous les torts et les dépréciations sont attribués au papillon, "indiscret", "mutin", "escarmouchant", "inique", "impudent", "jaloux", "despit felon". Ces termes sont repris contre l'éventuel contestataire du roi : mutin assaut", coulpablement offence", "impudent".
Le thème habituel est détourné. Le papillon, jusque là mis en garde contre son inconscience, sa jeunesse inexpérimenté, ou sa fougue amoureuse, est devenu le séditieux coupable de lèse-majesté et d'atteinte à la puissance divine. La flamme qui le menace est celle de l'Enfer. Une double lecture religieuse et politique, dont les clefs peuvent être trouvé dans le contexte historique des guerres de religion et du souci des protestants de soutenir l'investiture d'Henri de Navarre sur le trône de France, ou des habitants de l'évêché de Metz de chercher protection Voir Alison Adams, Webs of Allusion. French Protestant Emblem Books of the Sixteenth Century (Geneva: Droz, 2003), esp. pp. 155-291.
Témérité dangereuse, Emblemes latins de I.I. Boissard Metis [Metz] : Excvdebat Abrahamus Faber, 1588, 112 pages , pages 58-59.
VI. Jean-Jacques Boissard, Emblemes ... nouvellement mis de latin en françois par Pierre Joly, Metz A. Faber, 1595
Exemplaires :
- Bibliothèque Mazarine, 4° 11214 bis [Res]
- Edition en latin1593 :
https://archive.org/stream/ianiiacobiboissa01bois#page/44/mode/2up
Présentation (d'après Alison Adams).
Il s'agit de l'édition française du second des deux livres d'emblèmes de Boissard, Emblematum liber (Francfort, Théodore de Bry, 1593). L'original est entièrement en latin. Dans le livres d'emblèmes de En 1584/88 , la foi réformée de Boissard est évidente, témoignant sans doute de la situation vulnérable dans laquelle se sont retrouvés les protestants. Ce livre plus tardif, cependant, semble refléter la nouvelle situation politique dans laquelle, avec Henri IV sur le trône, les calvinistes ont pu se sentir plus optimiste. Dans le même temps, nous trouvons la preuve de l'intérêt croissant pour le néo-stoïcisme à cette époque (cf Juste Lipse).
Les deux éditions de premier livre d'emblème de Boissard (1584-1588) avaient été publiées à Metz, sous les auspices de Jean Aubry. Pour ce deuxième livre d'emblème, cependant, Boissard se tourne vers le célèbre éditeur et graveur allemand Théodore de Bry, bien qu'il reste toujours en association avec Abraham Faber. Les éditions latine (Emblematum liber) et allemande (Emblemata) toutes les deux de 1593, ont été publiées à Francfort, mais la version française de 1595 paraît à Metz. Toutes les trois utilisent les mêmes gravures. La qualité des nouvelles gravures est nettement supérieure à celle des emblèmes 1584/88. Les quatrains latin avaient été mis en évidence plus tôt dans un volume intitulé Tetrasticha dans emblemata (Metz: A. Faber, 1587), qui contient en fait les quatrains pour les deux emblèmes 1584/88 et ceux publiés en 1593, ainsi que d'autres tirés du manuscrit Bibliothèque de l'Institut 623 qui n'a jamais publié.
Les 51 gravures sont parmi les plus complexes et difficiles à interpréter d'un livre d'emblème. Alors que dans le précédent livre, un quatrain latin avait été combiné avec un sonnet français, nous trouvons ici à la fois un verset français, en fait deux strophes de quatre lignes, sous la figure, et un commentaire en prose française lui faisant face au verso.
Pierre Joly reste relativement proche du latin de Boissard dans l'édition de 1593 en termes d'interprétation, bien que stylistiquement, il cherche à placer sa marque personnelle. Ainsi, le ton moins explicitement chrétien du deuxième livre d'emblème de Boissard est largement maintenu dans la version française. Les commentaires contribuent souvent de manière significative au sens global. Chaque emblème de la collection 1593-1595 a un dédicataire individuelle, et il est intéressant que plusieurs d'entre eux soient de nouveau amis de Boissard morts pendant l'épidémie de peste à Padoue. Beaucoup des emblèmes contiennent des citations en grec, la plupart d'entre eux à partir des Sentences de Ménandre.
Gravure n°XXII page 61 [H2r]
XXII. SAT CITO SI SAT BENÉ
Qui pour un grand desseing courageus s’esvertue,
Et le veut commencer, il doit sur tout veiller
A le bien diriger, & non le gaspiller,
Pour le precipiter à sa forme abbatue.
Non au tost, mais au bien, l’artisan constitue
La gloire de son oeuvre; & pour le couronner
Il suit du papillon le soudain demener,
Et la tardiveté de la lente tortue.
Le texte latin initial est :
Aggreditur quisquis per agendum opus, esse vivendum
Noverit, ut bene rem, non cito ut expediat
Discat is a tarda lentum testudine gressum
Et simul a celeri papilione levem.
La devise Sat cito si sat bene est tirée des Adages d'Erasme Adagia, 2.1.1, s. ‘Festina lente’,, mais ce dernier reprend en réalité un proverbe ancien : voir Caton cité dans les Lettres de saint Jérôme 66.9.1-2. Cette phrase est aussi donné par Suétone comme étant la devise de César Auguste :‘Non quàm diu, sed quàm bene ,"Peu importe le temps mis, pourvu que cela soit bien fait".
Nous changeons ici totalement du thème du Papillon à la lanterne, et notre insecte devient ici une figure animale de la rapidité, opposée à la nonchalance de la tortue : pour réussir une œuvre, l'artisan conjugue cette célérité ailée avec la lenteur testitudinaire.
.
page 60 [H2v]
C’est assez tost, si tu acheves bien.
"D’Autant que nostre ame ne peut estre mieus conduite & moderée que par l’addresse d’un bon conseil, nous ne sçaurions luy donner bride plus propre que celle de prudence, à laquelle est directement opposée la temerité. Consulte ton dessein, mesmement avant l’entreprendre: Et quand par bon advis tu l’auras resolu, mets le promptement en execution: car c’est en la deliberation que la precipitation esbloüyt la veüe de nostre jugement.
C’est un appennage de prudence, non pas de voir seulement ce qui est à nos pieds: mais de prevoir ce qui en est eslongné, & qui peut s’en approcher. Voila pourquoy nous jugeons que ce qui, par une trop grande soudaineté, s’embarasse dans la confusion, ne prend jamais bonne fin. . Combien doncques que la promptitude au faire & au dire produise souvent quelque utilité, si est-il plus proffitable & plus seur de deliberer, parler & agir avec poids & jugement, d’autant qu’en ce qui est d’importance on ne considere le temps qui s’employe à le faire: mais s’il est bien achevé. Celuy ne peut bien discerner la verité du mensonge qui precipite son ouvrage: Et d’autant plus est dangereuse la trop grande hastiveté en fait de consequence, que l’issue en est perilleuse, sur toutes affaires d’estat, qui ne reçoivent aucune excuse. Conclusion qui peut plus exactement considerer la verité des affaires, & qui avec plus prompt advis en cognoist & desduit la raison, il emporte à bon droit la reputation de personne tres-prudente."
Le Commentaire précise le conseil qui a été donné : la Tortue (la Prudence) sera imitée lors de la préparation du travail, et le Papillon (la Témérité) lors de son exécution. Je peine à comprendre clairement la suite, sauf lorsque survient la sentence "Il faut veritablement se haster, mais lentement.", traduction du fameux Festina lente qui est, ailleurs illustré par un Crabe tenant dans ses pinces un Papillon.
En conclusion, c'est le premier exemple dans lequel le papillon fait bonne figure et où la vivacité de son comportement n'est pas taxé d'inconscience écervelée, mais de promptitude dans l'efficacité.
.
La gravure montre un homme assis sous un arbre et qui semble tracer dans l'air les plans d'un projet qu'il conçoit. Deux tortues sont à ses pieds. A gauche, une femme à genoux élève les bras, et semble s'extasier devant les clochers et les murailles d'une ville figurée en arrière-plan. Deux papillons volent au dessus d'elle, et au dessus de rapides voiliers. sur un bloc de marbre, où est gravée la phrase grecque ΚΡΑΤΙΚΤΟΚ ΨΥΗΚ ΧΑΛΙΝΟΚ ΑΝ ΘPΩΠΟΙΚ ΦΡΟΝΗΚΙΚ. Les rênes et les mors d'un harnachement (ou quelque chose de semblable) sont posés sur ce bloc.
.
VII. VEEN (Otto van), 1608, Amorum emblemata, figuris aeneis incisa studio othonis vaeni Batavo Lugdenensis Antuerpiae : Venalia apud auctorem, prostant apud Hieronymum Verdussen Typis Henrici Swingenij 280 pages , page 102-103. Veen, Otto van, 1556-1629. Gravures de Bol, Cornelius Bol
Exemplaires :
- Bnf Estampes et photographies 4-TE-56 :
- http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52503247x
- Archive.org :
- https://archive.org/stream/amorumfigurisaen00veen#page/102/mode/2up
- Emblem Project Utrecht :
- http://emblems.let.uu.nl/v1608052.html
- http://emblems.let.uu.nl/v1608_introduction.html
Otto Vaenius et les Emblèmes de l'Amour.
(D'après Emblem Project Utrecht)
Otto Vaenius (ou Otto van Veen), né à Leyde en 1556, a reçu une formation de peintre maniériste et d'humaniste. En 1572, en raison de la situation politique, il a fui vers le sud des Pays-Bas avec sa famille. A Liège, il a étudié pendant quelques années avec Dominique Lampson, puis est parti pour un séjour de cinq ans en Italie, séjournant trois ans chez son mécène, le cardinal Cristoforo Madruzzo. Avant de revenir dans les Flandres, Otto van Veen s'arrêta à Munich, à la cour du duc Guillaume de Bavière. Pendant cette période, Otto van Veen se lia d'amitié avec Juste Lipse et collabora avec son frère Gisbert, qui était graveur. Ils allèrent d'ailleurs tous les deux à la cour deRodolphe II à Prague, pour présenter leurs œuvres. Après 1581, il vint s'installer à Liège, où il entra au service du prince Ernest de Bavière. Lorsque celui-ci fut nommé archevêque de Cologne, Van Veen devint peintre officiel du duc de Parme, Alexandre Farnèse (1545-1592), alors gouverneur des Pays-Bas du sud. Jusqu'à la mort de Farnèse, Otto van Veen habita à Bruxelles. Puis il s'est installé alors à Anvers où il devint franc-maître de la guilde de Saint-Luc. Il exécuta de nombreuses commandes pour le successeur d'Alexandre Farnèse, Ernest d'Autriche.
Après la mort d'Ernest d'Autriche, Otto van Veen travailla pour son successeur, l'archiduc Albert de Habsbourg . Jusqu'au retour d'Italie de son élève Rubens, Vaenius était le peintre le plus réputé d' Anvers. Dans ses dernières années il se tourna vers la production de livres d'emblèmes, notamment Horacii Flacci emblemata (1607), Amorum emblemata et Amoris divini emblemata. Il a déménagé à Bruxelles en 1615, où il mourut en 1629.
A propos de l' Amorum emblemata
Amorum emblemata a été publié en 1608 dans plusieurs éditions polyglottes: Latin-néerlandais-français (LDF), latin-italien-français (FRV) et latin-anglais-italien (LEI). La version avec épigrammes en anglais est dédié aux comtes de Pembroke, les autres versions à Guillaume de Bavière.
Vaenius n'a pas fait les emblèmes à lui tout seul. Les images ont été gravées par Cornelis Boel . Les épigrammes italiens ont été écrits par Pietro Benedetti. Vaenius lui a probablement écrit lui-même les épigrammes néerlandais.
Certaines études sur Amorum emblemata
Praz, Mario a trouvé des sources ou des parallèles dans les livres d'emblèmes antérieurs (Paradin, Alciato et La Perrière). Pour les autres emblèmes il a trouvé des sources ou des parallèles dans la poésie de Pétrarque.
Santiago Sebastián López a montré que la plupart des idées exprimées dans les emblèmes de Vaenius étaient là bien avant Pétrarque, et peuvent être trouvés dans les traités médiévaux sur l'amour (comme le De arte amandi honeste d' Andreas Capellanus ou André le Chapelain, v.1190) , et avant même dans la poésie d'amour arabe du sud de l'Espagne, comme El collar de la paloma ou Collier de la Colombe par Ibn Hazm (1023).
Karel Porteman a attiré l'attention sur le rôle d' son inspiration principalement d'Ovide et de la poésie et littérature amoureuse hellénistique. Si les Complaintes Pétrarque sont certainement présentes, c'est en général d'une manière légèrement ironique.
Vaenius, dans son discours (Cupidon) à tous les jeunes, souligne la toute-puissance de l'amour et tente de les gagner à l'amour et le mariage. Le livre a clairement un aspect éducatif, mais cela ne doit pas nous faire oublier que le livre a également été conçu pour divertir
M. Peter Daly note que Cupidon peut représenter soit l'amour comme une force puissante externe, soit l'expérience de l'amour , soit encore l'amant lui-même.
.
L'emblème Pour un plaisir mille douleurs.
page 102-103 : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52503247x
BREVIS ET DAMNOSA VOLVPTAS.
Lumina delectant culices, perimuntaque petita ;
Sic nobis spes est optima caussa mali.
Qui circumvolitat deceptus Amoris ad ignes,
Numquid naturam papilionis habet ?
.
Breve gioia.
Qual la farfalla al lume lieta muore
Spinta da lo splendor, tale l'amante
Dai raggi spinto di belta prestante,
A' gl' occhi muor d'adamantino cuore.
.
Pour un plaisir mille douleurs.
Comme le papillon aux rais d'une chandelle
S'égarant perd la vie : ainsi le fol amant
S'approchant de trop près, perd vie & sentiment,
Foudroyé par les yeux de sa Dame cruelle.
.
Commentaires personnels.
Au début du XVIIe siècle, Otto van Veen applique à nouveau la figure du Papillon à la lanterne à l'amant, au fol amant foudroyé par sa belle qu'il a approché de trop près. La froideur des Dame est aussi brûlante que le feu, tous les poètes de la Pléiade n'ont pas manqué de jouer sur la vérité de cette oxymore. Dans le quatrain italien, le cœur de la belle a la dureté glacée et infaillible du diamant : adamantino cuore, un cœur adamantin.
Et donc, une nouvelle fois, le papillon est la figure du fol amant, égaré, aveuglé, et puni pour sa pulsion scopique qui l'attire vers la Beauté torride et fatale.
Une nouvelle fois, il a le mauvais rôle. Mais vraiment ?
En réalité cette folie épinglée est si bien la notre que nous le chérissons, qu'il est notre Prométhée foudroyé par Zeus, héros de notre humanité qui ne renonce jamais à son vol ascendant vers le Beau.
.
La gravure ajoute aux illustrations précédentes un Cupidon qui, accoudé à la table, l'arc inutile sous le bras, nous regarde.
Ce Cupidon est présent sur toutes les planches de l'Amorum emblemata.
SOURCES ET LIENS.
— GUÉROULT (Guillaume), 1550, Second livre de la description des animaux , contenant le blason des oyseaux, composé par Guillaume Guéroult, ed. B. Arnoullet (Lyon) 1550 62 p. : fig. sur bois ; in-8 page 20.
—JONGHE (Adriaen de. ou Hadrianus Junius) , 1565 — Aenigmata et Emblemata. Emblemata Hadriani Iunii medici Emblemata - Junius, Hadrianus, 1511-1575 Colophon f.4v: "Excudebat Christophorus Plantinus Antuerpiae, anno MDLXV idibus Maii .
https://archive.org/stream/hadrianiiuniimed00juni#page/n3/mode/2up
— DEMONET (Marie-Luce), 2013, Demonet. Centre d’études supérieures de la Renaissance, Université de Tours et Institut universitaire de France, « Les « parasignes » dans Délie :Babel parergon amoris », Fabula / Les colloques, Délie, du canzoniere au temple d’érudition, URL : http://www.fabula.org/colloques/document1948.php,
Laurence Grove et University of Glasgow, « La Délie (numérisée), les emblèmes, et la Stirling Maxwell Collection », Fabula / Les colloques, Délie, du canzoniere au temple d’érudition, URL : http://www.fabula.org/colloques/document1952.php, page consultée le 01 décembre 2015.