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27 novembre 2015 5 27 /11 /novembre /2015 23:44

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Le Papillon de R. Belleau in Tabourot 1565. Gallica.

Le Papillon de R. Belleau in Tabourot 1565. Gallica.

Le Papillon de Remy Belleau à P. de Ronsard, in Ronsard, Bocage, 1554. Gallica

Le Papillon de Remy Belleau à P. de Ronsard, in Ronsard, Bocage, 1554. Gallica

 

 

 


 

...

I. Le Papillon de Remy Belleau à P. de Ronsard.

Le texte numérisé ici est celui de 1565 publié avec la traduction latine d'Étienne Tabourot  (1549-1590) : Le fourmy de P. de Ronsard à R. Belleau . Le Papillon de R. Belleau à P. de Ronsard, mis en latin par P. Est. Tabourot, avec quelques épigrammes latins...  Éditeur :   T. Bessault (Paris) 1565. Je l'ai recopié d'après l'exemplaire mis en ligne sur Gallica.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k72772p/f21.item.zoom

Après avoir terminé ce long et incertain recopiage, j'ai découvert la copie numérisée de la version de 1578 sur Piccola Bibliotheca digitale romanza : http://piccolabdr.humnet.unipi.it/engine.php?action=paragraph&id=c.0:2.belleau

Sans-doute plus fiable que la mienne, que ma nature brouillone a du décorer de quelque faute ! Mais la forme "aelle" plutôt que "aile" incite à une prononciation que je juge, à elle seule, intéressante. Outre les fautes, je prends aussi à ma charge le découpage en sortes de strophes, qui m'a permis d'aérer le pavé poétique, et de m'y retrouver. De même encore, le numérotage tous les 20 vers.

J'aurais pu aussi prendre comme modèle la première version publié, qui est celle que Ronsard lui-même avait placée dans son Bocage de 1554 , également disponible sur Gallica :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86095929/f73.image

 

Que j'estime ta naissance,

Pour de rien n'avoir connoissance

Gentil papillon tremblotant,

Papillon tousjours voletant,

Grivolé de cent mille sortes,  [grivolé = de multiples couleurs in Godefroy p.362]

En cent mille habits que tu portes 

Au petit meufle éléphantin,

Jouet d'enfans tout enfantin :

Lors que de fleurs en fleurs sautelles, [sauteler = bondir, sautiller Godefroy p.330 ]

Couplant et recouplant tes aelles,

Pour tirer des plus belles fleurs, 

L'émail et les bonnes odeurs.

.

   Est-il paintre que la nature ?

Tu contrefais une painture,

Sur tes aelles, si proprement

Qu'à voir ton beau bigarrement,

On dirait que le pinceau mesme,

Aurait, d'un artifice extrème,

Peint de mille et mille fleurons

20. Le crespe de tes aellerons.

Ce n'est qu'or fin dont tu te dores

Qu'argent, qu'azur dont tu colores,

Au vif, un millier de beaux yeux,

Dont tu vois : & méritois mieux,

De garder la fille d'Inache, [Inache = Io, fille d'Inachus, premier roi d'Argos]

Qu' Argus quand elle devint vache.

.

Tu ne vis qu'un gaillard printemps,

Jamais la carrière des ans

N'offence ta crespe jeunesse [crespe : frisé, et par ext; "serré de prés", d'où ici : "actuelle"]

D'une chagrineuse vieillesse :

Au point du jour quant le Soleil

Colore d'un pourpre vermeil

Ses rayons, tu sors de ta couche,

Et puis au soir quant il se couche

Plongeant ses limoniers fumeux

Au sein de Thetis écumeux :

Dessus le tapis de la prée

En cent pareure diaprée,

Tu te couches sans avoir peur

40. De la nuict ny de son horreur.

Et quant l'Aurore rayonnante

A mouillé l'herbe rousoyante,

Tu te pais de manne et de miel

Qui lors se distille du ciel.

.

O vie heureuse, & plus céleste

Que celle des hommes moleste ; [moleste adj. Godefroy p. 373: ennuyeuse, désagréable]

A suivre les affections

D'impatientes passions :

Tantost le ciel de son audace

D'un regard triste nous menace,

Tantost un orage cruel,

D'un bouillonnement continuel :

L'hyver, l'Este ne nous contente,

Mais plutôst une sotte attente

Nous repaist d'esperer en myeux

Bref, rien n'est ferme sous les cieux,

Pour la poure race des hommes

Sous les cieux courbés où nous sommes.

.

Or vis doncques bien fortuné

60. Mon mignon, sans estre étonné

Des traverses de la fortune,

Et pendant que l'heure oportune

Te semont a voler, il fault   [Semondre Godefroy p. 374 : "inviter"]

Par la bouillante ardeur du chault,

Que le teint du lis & des roses,

Et de mille autres fleurs écloses

Tu pilles, pour rendre mieux teint

De ma maistresse le beau teint.

 

Puis m'apportant dessus tes aelles

Tout le fard de ces fleurs nouvelles,

J'appandray sur ce Ruisselet

(Qui doucement Argentelet

Coule de la roche pierreuse

Au long de cette rive herbeuse)

Et mon bonnet, et mon chapeau

En ton honneur, a ce rameau :

Et chantant au frais de lombrage,

J'empescheray que nul outrage

Ne te soit fait sur le mi-iour

80. Par les enfants, quant de retour

Ils sont des champs, & que leur chasse

A coups de chapeaus te pourchasse,

Et tous échaufés à grand pas

Courent pour t'arreter en bas,

Hastant et rehastant leur suitte

Après ton inconstante fuitte

Pour ton voler trop incertain

Qui trompe leurs yeux et leurs mains.

.

Et si tu fais que la nuit sombre

Te puisse tirer de l'encombre

Des enfants, encor qu'il fust tard

Va-t-en mignon, à mon Ronsard

Que j'aime mieux que la lumière

De mes yeux, & dont se tient fiere

Ma muse, car il daigne bien

Lire mes vers qui ne sont rien.

.

Tu le treuveras dessus Nicandre,

Sur Gallimach ou sur la cendre

D'Anacréon qui reste encor

100. Plus précieuse que n'est l'or,

Tout recourbé, moulant la grace

De ses traits à l'antique trace

Sur le patron des plus secrés

Poëtes Romains, & Poëtes Grecs

Pour nous reclarcir leur vieil aege :

Puis tasseant sus son ouvrage,

Tu luy diras que son Remy

A qu'il a donné son Fourmy,

Son Fourmi, & depuis encore

Un double present qu'il honore

D'une Grenouille, & d'un Frellon,

Pour recompense, un Papillon,

Un gai Papillon luy renvoye,

Afin qu'en pareille monnoye,

reçoive le payement entier

D'un artisant de son mestier.

.

S'il te reçoit en sa demeure,

Papillon mon mignard, je meure

Qu'autant heureux ou plus qu'un Roy

120. Vivras sans peine & sans émoy

En ta franchise coutusmiere,

Car soigneux qu'el'te reste entiere,

Asseure toy qu'il gardera

Que l'huille ne t'offensera,

Ny qu'au feu des tardes chandelles

Tu grilles le bort de tes aelles.

.

Poème de 126 octosyllabes à rimes plates.

 

 

 

La poésie de Belleau, qu'on a pu surnommer "le peintre de la nature", est réputée pour sa clarté vivace. C'est bien le cas ici, où les ailes du papillon peuvent clairement être identifiées comme celles d'un Azuré, par leur couleur ... azur, leurs "milliers" d'ocelles (yeux), leurs motifs d'or et d'argent. Le poète n'oublie ni la trompe caractéristique des lépidoptères ("ton petit mufle éléphantin"), ni le vol tremblotant du papillon, ni son sautillement de fleurs en fleurs ("Lors que de fleurs en fleurs sautelles,"), ou le battement de ses ailes ("Couplant et recouplant tes aelles,"), ni la palette de ses couleurs ("grivolé" ) ; dans cette véritable hypotypose, il ajoute au talent d'un enlumineur celui d'un cinéaste naturaliste, en décrivant le comportement de quête du nectar, des mœurs diurnes de cet Azuré, et de son repos dans les près.

Remy Belleau (Nogent-le-Rotrou, (1527- 1577) offre ce poème à Pierre de Ronsard (1524-1585), qui n'est que de trois ans seulement son aîné mais qui néanmoins  le domine par la gloire de ses Odes et par son titre de Prince des Poètes. Ronsard, auquel il est lié par une amitié intime, lui a offert auparavant le Freslon et la Grenouille ; le Fourmy les suivit un peu plus tard. Belleau répondit par un Papillon, puis par l'Heure, la Cerise et l'Escargot.. Toutes ces pièces, les premières poésies de Belleau, parurent même la première fois dans les recueils de Ronsard où le maître les inséra à la suite de ses propres productions : le Papillon dans Le Bocage,(1554) les trois autres pièces dans La Continuation des Amours. (1555).

  C'est un éloge paradoxal, c'est-à-dire un défi littéraire choisissant à dessein le sujet de l'éloge parmi les êtres ou les choses les plus vils et méprisables, même pas, parmi les plus insignifiants : ceux sur lesquels il n'y a rien à dire. Belleau va y répondre d'abord par son Papillon ici présent, puis par son Huistre ("D'une argentine coquille Qui fais endurcir la peau D'une perlette d'eslite, Et la franche marguerite, Prendre couleur de son eau". ), l'Heure ( "Car en mourant tu retournes, Et sans retour je m'en vois." ), le Coral de sa Maîtresse ("Donques ô branche Coraline, Puis que tu portes medecine De quelque rafraichissement, Appaise l'amoureuse flamme Qui me va bruslant jusqu'à l'ame  Par ne sçay quel enchantement." ), l'Escargot ( "C'est donc toy, cornu Limasson,  Qui veux entonner ma chanson "), l'Ombre ("Je suis contraint en eschange De te chanter la louange De cest Ombre tremblotant."  ), la Tortue [marine] ("Gentil ouvrage de Nature En si bigearre creature, Au mufle et au pied serpentin Tapi sous le cave argentin D'une ovalle, en voûte escaillee,"  ), ou le Ver luisant de nuict ( "D'un Ver petit, d'un Ver luisant, D'un Ver sous la noire carriere Du ciel qui rend une lumiere,  De son feu le ciel mesprisant.  ").

Ces exemples montrent bien que le papillon n'est pas, pour les poètes de ce temps, ce qu'il est à nos yeux : un objet poétique idéal et libre, un symbole de l'éternel Azur, ou l' emblème féerique de la Grâce. C'est encore  un vulgaire  insecte sur lequel pèse encore les a priori négatifs du Moyen-Âge et de l'Antiquité.  le papillon médiéval et  de la Renaissance est surtout le phalène, qui se brûle les ailes par attirance aveugle de la flamme ; c'est le thème final du Papillon : Asseure toy qu'il gardera Que l'huille ne t'offensera, Ny qu'au feu des tardes chandelles Tu grilles le bort de tes aelles.

La poétisation des papillons, initiée par Belleau, ne se développera qu'au XIXe siècle, dans les arts décoratifs et plastiques, et au XXe siècle avec Francis Ponge, en poésie. En 1894, Jules Renard est encore dans le registre de l'éloge paradoxal avec sa définition du papillon :"Ce billet doux plié en deux cherche une adresse de fleur".

La formule "gai papillon" qui nous semble qualifier justement l'insecte, ne se trouve que chez Belleau. Dans les deux siècles suivants, elle n'est rencontrée que chez Saint-Amant (1654).

En 1759, dans Les Epithetes Françoises Louis François Daire donne pour le mot Papillon : "Diapré, folâtre , gai , inconstant , léger , sot , vif , volage" . La connotation morale de l'insecte est celle de l'inconstance.

 

Le Blason.

"Un nouveau genre se forma : le blason, dont le nom signifie originairement description héraldique des armoiries, ensuite au figuré : éloge, et plus tard seulement : médisance, moquerie. Le blason de la Pléiade garde tous les caractères du vieux blason franco-italien. On y trouve les mêmes apostrophes à l'adresse de l'objet vanté, les mêmes répétitions, le même salut final, enfin la même forme préférée : l'octosyllabe." (Eckhardt, 1969) 

KINGMA-EIJGENDAAL (Tineke), SMITH ( Paul J. Smith), 2004, – Francis Ponge: lectures et méthodes, Rodopi B.V, Amsterdam, New-York,  pages 15-18.

https://books.google.fr/books?id=-VfhH16667sC&pg=PA17&lpg=PA17&dq=belleau+papillon&source=bl&ots=cPkOG6SKrx&sig=ccYaBtvBxRG02E4g1jlH1wAOBqo&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiBruKeuLHJAhUL2hoKHWa-CYwQ6AEIQjAJ#v=onepage&q=belleau%20papillon&f=false

Tineke Kingma-Eijgendaal et Paul Smith distingue chez  Belleau quatre aspects, que ce poète partage avec Francis Ponge :

— Poème encomiastique du type de "l'éloge paradoxal" dessinant le blason d'objets que nul ne songe à louer en raison de leur petitesse, de leur absence de rareté, et donc de leur insignifiance. Défendre un objet si trivial, indéfendable, devient ainsi une contrainte source de dépassement. . Le ton d'un tel éloge est nécessairement humble (humilis), fut-ce par le topos de la modestie feinte, ce que l'on retrouve dans le titre de Belleau, "Petites Inventions". Mais ce ton est dénié par l'évidence de la difficulté extrême d'une tel défi épidictique.

—Caractère mimologique, à haut degré d'iconicité, l'articulation du signifiant mimant de près celle du signifié. (C'est de toute façon le cas du mot "papillon", qui mime le battement des ailes par redoublement de la consonne).

—Métadiscursivité : la rivalité entre Nature et peinture implique, comme partout dans l'œuvre de Belleau, une troisième instance, la Poésie.

— sa nature de "poème-objet" : le papillon devient le poème même pour être offert au destinataire  Ronsard, en échange de trois autres poèmes-objets : une fourmi, une grenouille et un frelon.

Analyse du texte.

—Vers 1-44 : La première partie est une description édénique du papillon, être céleste vivant de la manne (pain des anges), dans la pleine innocence ("pour de rien n'avoir connaissance"), dans une enfance ("gentil" ; "jouet d'enfant" ; "enfantin" ;  ; "petit" ; autres diminutifs) ou une adolescence ("gaillard printemps", "crespe jeunesse") exclusive, dans un monde lumineux, azur, pourpre, vermeil. C'est le portrait d'un être solaire, apollinien, qui se lève avec le soleil et se couche avec lui. 

— vers 45-58 :

Opposition avec la race humaine, pauvre, liée à l'hiver et à l'est, courbée sous les cieux, soumise aux orages cruels, et aux passions. Tel Adam après la Chute, la race humaine est brouillée avec les Cieux.

— vers 59-68 :

Adresse, incitant le papillon, ("mon mignon", terme du langage galant désignant un jeune homme gracieux , et dérivé d'un radical min- exprimant la gentillesse et la grâce)  qui se confond ici avec le poème en cours de rédaction, à prendre son envol. 

— vers 69-88

Le poète s'installe lui-même dans un lieu (topos) idéalement naturel et veille à protéger son poème de l'atteinte des hommes qui tenteraient de l'abaisser, comme les enfants tentant de capturer avec leur chapeau les papillons.

— vers 89-116.

Belleau envoie son papillon-poème à Ronsard, qu'il dépeint penché sur les livres de Nicandre, de Callimaque et d'Anacréon, le chantre de Teios. En 1554, Henri Étienne II, après avoir découvert en Italie un manuscrit d'une soixantaine d'imitations d'Anacréon écrites entre le IIe siècle av. J.C et le IVe s. ap. J.C, qu'il avait prit pour les œuvres du poète lui-même, publia à Paris les Odes Anacréontiques : Anakréontos Téiou mélè. Anacreontis  Teii Odae : Anacreontis odae / ab Henrico Stephano luce et latinitate nunc primum donatae  apud H. Stephanum (Lutetiae)  1554 In-4°  Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, Rés.-Yb-220  http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30017641h

L'édition princeps est magnifiquement imprimée à l'aide des trois fontes des "grecs du roi" que j'ai présenté ici : Les grecs du roi de Claude Garamont . Le texte grec est suivi de sa traduction latine et des commentaires d'Estienne.  

 Comme les poètes latins Catulle et Horace avant eux, Ronsard et les poètes français de la Renaissance se sont, à leur tour, inspirés d'Anacréon et le prirent  pour modèle de l'ode légère, par opposition à l'ode pindarique (L'Amour piqué,L'Amour mouillé...).

Remy Belleau a traduit en 1556 en français les Odes d'Anacréon Téien traduites de grec en françois, par Remi Belleau,... ensemble quelques petites hymnes de son invention... . Wechel (Paris), 1556  1 vol. ; in-8  Comprend : A Christophle de Choiseul ; Traduction d'une ode de Sapho .Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, RES-X2536

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1228648

Et alors ?

Il suffit de se renseigner un peu sur  l'"anacréontisme" pour lire "qu'il se présente comme un style poétique correspondant à une certaine philosophie de la vie: le parti-pris de ne considérer que les choses les plus agréables, les plus faciles, les voluptés légères, en assumant positivement leur caractère éphémère. Les poètes anacréontiques cultivent notamment, dans des formes brèves, un érotisme maniéré et une mythologie gracieuse; leur lyrisme amoureux est plus artiste que profondément vécu. L'anacréontisme est représenté chez les Latins notamment par Catulle."  (Wikipédia). Ce style est celui de l'ode légère, chantant d'abord l'amour et la joie de vivre par un ton  gracieux, moqueur et parfois aussi, avec un accent plus personnel, mélancolique du regret de vieillir. Beaucoup d'auteurs utilisent, comme Sainte-Beuve, le qualificatif de "mignard" pour  caractériser cette naïveté nouvelle. A. Eckhardt caractérise la poésie mignarde par " l'usage abondant et même copieux des diminutifs ... qui prête au vers une grâce légère, un rythme facile et des rimes aisées". Le premier à utiliser cet adjectif est Belleau, dans ses commentaires du second livre des Amours de Ronsard. "Mignard" est alors un éloge. Mais il l'emploie aussi dans le sens que nous lui donnons, de galanterie amoureuse fine mais affétée.

Il est alors évident que la miniature soigneusement peinte en introduction pour nous présenter l' insecte azuré est aussi le portrait de ce style doux et nouveau,de sa légèreté, de sa vigueur printanière, de son art de ne pas peser sur les thèmes qu'il aborde pour n'en prélever que l'essence. Bref le papillon est aussi mignon que la poésie de Belleau est mignarde, toute diaprée d'anacréontisme. L'assimilation de l'insecte avec le style est définitivement conclue par l'adresse "Papillon mon mignard" du vers 118.

On remarquera aussi, comme une liaison signifiante, que le Papillon de Belleau a été publié en pièce ajoutée ("quelques petites hymnes de son invention)  à la suite de sa traduction des Odes anacréontiques de 1556, page 67.

— Vers 117-126.

Belleau, en adressant son papillon anacréontique à Ronsard, souhaite qu'il en adopte le ton franc ("ta franchise coutumière"), et exprime ses craintes de voir la fragilité de ce petit joyau précieux ne pas résister "au feu de [s]es tardes chandelles", c'est-à-dire au style pindarique rude.

.

II. L'adieu de R. Belleau à son papillon

Recopié comme le précédent de Le fourmy de P. de Ronsard à R. Belleau . Le Papillon de R. Belleau à P. de Ronsard, mis en latin par P. Est. Tabourot, avec quelques épigrammes latins...  Éd. T. Bessault (Paris) 1565 . Je l'ai trouvé ensuite dans les Oeuvres complètes de Belleau, Ed. Marty-Laveaux, T.II page 459.

 

  Le temps est l'auteure et le maitre

De toute chose qui fait naitre,

Pour après les détruire, affin,

Que tout ce qui vivant soupire,

Se range dessous son empire

Et mourant trouve quelque fin.

 

Le porfire et son entaillure

Perd sa grace et sa polissure

Et du temps enfin est donté [donté = dompter, vaincre"]

L'eau qui distille goute à goute

Lui fait perdre sa grace toute,

Et lui dérobe sa beauté.

La rouille, rmange, altère & mine,

 L'acier, et le bois la vermine,

L'ormeau aux cheveux verdoyans,

Se ride en une vieille tronche,

Bref rien n'est ferme qui ne bronche,

Sous les coups de la faux du Temps.

 

Ce qui reste après notre vie,

20. Est l'odeur de la Poésie,

Qui nous parfume d'un renom

Que l'immortelle Renommée,

Respand sur la terre semée

Du baume de notre beau nom.

 

Je le voi par experience,

Car je pensois que sa puissance

Eut  ja ensevely ton los, [los Godefroy p.34  : louange, réputation, et ici, « renom »]

Et retranché les courcelettes [Courcelette, Godefroy p. 336 : "petite cour"]

du crespe de ces aellerettes

Que tu bransles dessus le dos.

 

Je pensois que tu bavolasses  [bavoler : voler bas, voltiger, en parlant de la perdrix]

desia dessus les rives basses

Du fleuve que jurent les Dieux

Errant sous la forêt myrthine,

Ou dessus la verte crespine,

Des lauriers aux chastes cheveux.

Certes je pensois que l'audace,

Du tems, t'eust fait changer de place,

Te chassant au palle requoi :

40. Bref que les ombres te logeassent

Et que les hommes ne parlassent

Mignon, ni de moi, ni de toi.

 

Mais la langueur de mon ouvrage

Ta presté un nouveau plumage

jusqu'à tant que sois revenu

Si tu ne viens je t'irai querre

pour mourir en la douce terre :

Qui t'a cherement tenu.

Va donq mignon, voi les ruines

D'Itale, en tes plumes latines,

Et vole aussi bien cette fois

revestu daelles estrangeres

Que tu as volé des premieres

Heureusement sous l'air François.

FIN

 

Analyse.

Poème de 54 octosyllabes à rimes AABCCB.

— vers 1-18 : le Temps.

Belleau reprend le topos poétique du pouvoir destructeur du Temps, qui soumet toute chose et tout être à son emprise. Le Temps, à qui le poète donne une faux, est assimilé à la Mort. Il reprend le thème de l'Heure. Face à ce constat, quelle attitude ? Profiter des bienfaits de chaque jour selon le Carpe diem quad minimum credula postero d'Horace ? Ou échapper au temps qui se perd par l'accès à l'éternité divine ? 

— vers 19-24 : la Poésie.

La poésie donnera accès à ce renom immortel qui inscrira durablement la trace du poète dans la mémoire humaine. Le Temps Retrouvé.

— vers 25-42 : l'Oubli ?

Belleau exprime sa conviction initiale que le temps avait amputé le Papillon de ses ailes et l'avait  précipité dans le fleuve du Léthé, aux Enfers. Puisque ce Papillon est la métaphore de l'œuvre poétique mignarde de Belleau, Belleau  voit déjà que les hommes ne parlent plus "Mignon, ni de moi, ni de toi". 

— vers 43-54 : adresse pour un nouvel envol italien.

L'auteur parle d'un nouveau plumage dont bénéficie désormais son poème. En effet, sitôt son premier livre paru (les Odes anacréontiques avec ce Papillon) en 1556, en novembre de la même année, Belleau suit  le duc de Guise dans une campagne militaire en Italie, sous le commandement du marquis René d'Elbeuf., où il a  l'occasion d'approfondir sa connaissance de la littérature.

 .

 

.

 

III.  Francis Ponge, le Parti pris des choses, in Oeuvres complètes, ed. Bernard Breugnot, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade,1999 p. 28.

Le saut que nous effectuons de 1566 à 1942, date de parution du Parti pris des choses de Franics Ponge n'est pas si considérable puisque les Papillons de Belleau et de Ponge volent de conserve dans les airs de l'éloge paradoxal, du discours modeste et des objets poétiques prosaïques. Certes, en quatre siècles, le regard porté sur les papillons a radicalement changé, sous diverses influences reliées entre elles :

  • L'entomologie, connaissance scientifique sur les insectes, est née, puis s'est dévelloppée si bien qu'il est à son apogée. Les premières illustrations fidèles aux spécimens naturels datent de 1580 (Hoefnagel), le premier traité sur les insectes date de 1602 (Aldrovandi), les premiers noms scientifiques de 1758 (Linné), les premiers noms vernaculaires français de 1762 (Etienne-Louis Geoffroy), le premier traité français consacré exclusivement aux papillons, et illustré en couleurs, date de 1779 (Engramelle) . Chacun peut reconnaître et nommer le Paon-du-Jour, le Vulcain, la Piéride du Chou, le Machaon, et parmi les petits papillons bleus des landes, les divers Azurés dont Papilio argus.
  • Le mot de papillon évoque désormais plutôt les papillons diurnes sous leur forme adulte, dans le déploiement chatoyant de leurs couleurs, et non les chenilles, ennemies des cultures, ou les ternes phalènes.
  • L'image emblématique du papillon depuis l'antiquité, reprise ensuite dans les Emblemata de la Renaissance, celle du "papillon à la chandelle" brûlant ses ailes à la flamme du désir , image de la punition mortelle engendré par la concupiscence, s'est estompé et n'a plus cours.
  • Les artistes du XIXe siècle ont représenté Psyché, héroïne des Métamorphoses d' Apulée, IIe siècle avec des ailes de papillon face à son amant Amour aux ailes d'oiseau. Les ailes ocellées s'en trouvent fortement valorisées.
  • Les caractères liés aux comportement et aux métamorphoses des lépidoptères (légèreté, changements, inconstance, multiplicité et hétérogénéité des couleurs) ont perdu leur valence négative de la pensée médiévale soucieuse d'unicité et de fixité pour recevoir des interprétations positives d'adaptation, de transformation évolutive, de liberté des mœurs et de la pensée, ou d'une superficialité aérienne et flottante de l'être-au-monde.
  • Sous l'influence possible de Belleau, le papillon est devenu dans l'imaginaire un être solaire, éthérique, édénique et onirique et a perdu le costume funèbre de la vermine malfaisante et infernale.

 

Le papillon.

"Lorsque le sucre élaboré dans les tiges surgit au fond des fleurs, comme des tasses mal lavées, — un grand effort se produit par terre d'où les papillons tout à coup prennent leur vol.

Mais comme chaque chenille eut la tête aveuglée et laissée noire, et le torse amaigri par la véritable explosion d'où les ailes symétriques flambèrent,

Dès lors le papillon erratique ne se pose plus qu'au hasard de sa course, ou tout comme.

Allumette volante, sa flamme n'est pas contagieuse. Et d'ailleurs, il arrive trop tard et ne peut que constater les fleurs écloses. N'importe : se conduisant en lampiste, il vérifie la provision d'huile de chacune. Il pose au sommet des fleurs la guenille atrophiée qu'il emporte et venge ainsi sa longue humiliation amorphe de chenille au pied des tiges.

Minuscule voilier des airs maltraité par le vent en pétale superfétatoire, il vagabonde au jardin.
"

Note : superfétatoire : "Qui s'ajoute inutilement à une autre chose." Le premier emploi, dérivé de "superfétation" par Colette en  1901 dans Claudine à Paris, amène à rechercher le sens de ce dernier mot :

A. − Physiologie. Fécondation successive de deux ovules au cours de deux cycles menstruels.

B. − Au fig. Production superfétatoire, addition sans utilité.  Redondance 

 Du latin superfetare « concevoir de nouveau » (de super « en outre » et fetare « pondre » d'où « concevoir », v.fœtus).

Ian Higgins conclut à une allusion à la double naissance du papillon, de l'œuf et de la chenille.

 

Francis Ponge a aussi noté sur un folio isolé daté de 1936 :

"Leur aile dans les doigts n'est qu'une pincée de cendres"

Analyse.

Ponge fait surgir une succession de métaphores, parmi lesquelles celles de l'allumette volante, du lampiste, du voilier des airs sont les plus connues. 

L'un des fil rouge est celui du feu, reprenant le thème ésotérique de la chandelle (Maurice Scève). Mais c'est ici un feu éteint, ou purement lumineux et inoffensif :

La tête aveuglée et laissée noire ;  véritable explosion ;  flambèrent ; Allumette volante, sa flamme n'est pas contagieuse. ; lampiste ;  provision d'huile ;  pincée de cendres"

Je ne saurais pousser plus loin cette analyse, tant est grande la rigueur qui construit ces poèmes en prose comme des illustrations verbales et sonores de leur objet.

.

 

 

 

II. L'adieu de R. Belleau à son papillon

  Le temps est l'auteure et le maitre

De toute chose qui fait naitre,

Pour après les détruire, affin,

Que tout ce qui vivant soupire,

Se range dessous son empire

Et mourant trouve quelque fin.

Le porfire et son entaillure

Perd sa grace et sa polissure

Et du temps enfin est donté

L'eau qui distille goute à goute

Lui fait perdre sa grace toute,

E lui dérobe sa beauté.

La rouille, rmange, altère & mine,

 L'acier, et le bois la vermine,

L'ormeau aux cheveux verdoyans,

Se ride en une vieille tronche,

Bref rien n'est ferme qui ne bronche,

Sous les coup de la faux du Temps.

Ce qui reste après notre vie,

Est l'odeur de la Poésie,

Qui nous parfume d'un renom

Que l'immortelle Renommée,

Respand sur la terre semée

Du baume de notre beau nom.

Je le voi par experience,

Car je pensois que sa puissance

Eut ja ensevely ton los,

Et retranché les courcelettes

du crespe de ces aellerettes

Que tu bransles dessus le dos.

Je pensois que tu bavolasses [bavoler : voler bas, voltiger, en parlant de la perdrix]

desia dessus les riues basses

Du fleuve que jurent les Dieux

Errant sous la forêt myrthine,

Ou dessus la verte crespine,

Des lauriers aux chastes cheveux.

Certes je pensois que l'audace,

Du tems, t'eust fait changer de place,

Te chassant au palle requoi :

Bref que les ombres te logeassent

Et que les hommes ne parlassent

Mignon, ni de moi, ni de toi.

Mais la langueur de mon ouvrage

Ta presté un nouveau plumage

jusqu'à tant que sois revenu

Si tu ne viens je t'irai querre

pour mourir en la douce terre :

Qui t'a cherement tenu.

Va donq mignon, voi les ruines

D'Itale, en tes plumes latines,

Et vole aussi bien cette fois

revestu daelles estrangeres

Que tu as volé des premieres

Heureusement sous l'air François.

FIN

 

Maurice Scève, Délie, 1544

Maurice Scève, Délie, 1544

SOURCES ET LIENS.

BELLEAU (Remy)  Oeuvres poétiques, ed. CH. Marty-Laveaux, Genève, Slatkine Reprints, 1974,  2 volumes,  I, p.52

https://books.google.fr/books?id=Z9Q5AAAAcAAJ&pg=PR10&dq=%E2%80%94+BELLEAU+Marty-Laveaux&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwik_vbI6rXJAhVCPBoKHchNAeYQ6AEITzAH#v=onepage&q=papillon&f=false

BELLEAU, (Remy) [1585], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec, écrites en français par Remy Belleau; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie Tome Second A Paris Pour Gilles Gilles, Libraire rue S. Iehan de Latran, M.D.LXXXV

En ligne Google.

— BELLEAU, (Remy) [1578], Les Odes d'Anacreon Teien, poete grec; Avec quelques petites Hymnes de son invention, et autres diverses poesies: Ensemble une Comedie Paris), Ed. Barbara Sommovigo - 2008.

 http://piccolabdr.humnet.unipi.it/engine.php?action=paragraph&id=c.0:2.belleau

— BELLEAU (Remy) TABOUROT (Étienne), 1565 ,  Le fourmy de P. de Ronsard à R. Belleau . Le Papillon de R. Belleau à P. de Ronsard, mis en latin par P. Est. Tabourot, avec quelques épigrammes latins...  Éditeur :   T. Bessault Paris

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k72772p/f21.item.zoom

Après avoir terminé ce long et incertain recopiage, j'ai découvert la copie numérisée de la version de 1578 sur Piccola Bibliotheca digitale romanza : http://piccolabdr.humnet.unipi.it/engine.php?action=paragraph&id=c.0:2.belleau

 

— ECKHARDT (Alexandre), 1969 – Rémy Belleau: sa vie, sa Bergerie, Slatkine Reprints, Genève, pages  98 et 135.

https://books.google.fr/books?id=QGHGXbjzogMC&printsec=frontcover&hl=fr#v=onepage&q&f=false

KINGMA-EIJGENDAAL (Tineke), SMITH ( Paul J. Smith), 2004, – Francis Ponge: lectures et méthodes, Rodopi B.V, Amsterdam, New-York,  pages 15-18.

https://books.google.fr/books?id=-VfhH16667sC&pg=PA17&lpg=PA17&dq=belleau+papillon&source=bl&ots=cPkOG6SKrx&sig=ccYaBtvBxRG02E4g1jlH1wAOBqo&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiBruKeuLHJAhUL2hoKHWa-CYwQ6AEIQjAJ#v=onepage&q=belleau%20papillon&f=false

PONGE (Francis), le Parti pris des choses, in Oeuvres complètes, ed. Bernard Breugnot, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade,1999 p. 28.

— Piccola Bibliotheca digitale romanza :

http://piccolabdr.humnet.unipi.it/engine.php?action=index_corpora&corpus=belleau

— RONSARD (Pierre de) 1554,  Bocage :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b86095929/f73.image

 

 

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Published by jean-yves cordier - dans Zoonymie des Rhopalocères.

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  • : Le blog de jean-yves cordier
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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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