Iconographie de saint Christophe dans les vitraux de la cathédrale de Quimper. IV.
La baie n°126 ou Verrière de Kerguelenen. Nef, deuxième travée, mur sud.
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L'intention de cette série de mon blog est de replacer chaque œuvre dans un ensemble iconographique étudiant les variations et les reprises du thème de saint Christophe traversant le gué en portant le Christ enfant sur ses épaules. Et de faire apparaître l'importance de ce culte au XVe et XVIe siècle.
A Quimper, le but est de souligner combien ce culte avait une place prépondérante, et d'inciter à réfléchir à sa signification, qui dépasse de loin l'image de saint-pour-porte-clef-et-garagiste qu'on pourrait avoir.
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Saint Christophe sur les vitraux de la cathédrale de Quimper :
Iconographie de saint Christophe dans les vitraux de la cathédrale de Quimper. I. La baie n°113.
Iconographie de saint Christophe dans les vitraux de la cathédrale de Quimper. II. La baie n°114.
Iconographie de saint Christophe dans les vitraux de la cathédrale de Quimper. III. La baie n°115.
Autres exemples iconographiques :
Petite iconographie de Saint Christophe à Séville. I : le retable du couvent San Benito de Calatrava. (vers 1480)
Petite iconographie de Saint Christophe à Séville. II : La cathédrale. (1584)
Petite iconographie de Saint Christophe à Séville. IV: à l'Alcazar
Iconographie de Saint Christophe : les vitraux de la cathédrale d'Angers, II. La baie 117 (1451)
Panneau de Jeanne du Pont présentée par Saint Christophe à Tonquédec (1470)
Iconographie de saint Christophe : Semur-en-Auxois (c.1372).
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La nef est éclairée en partie haute par dix baies dont huit datent des années 1494 à 1500. Du coté sud, deux baies voisines renferment un saint Christophe : elles portent les numéros 126 et 128.
La baie n° 126 comporte cinq lancettes désignées par les lettres A à E, et un tympan à 9 ajours, recrée vers 1872. Hauteur 7,50 m, largeur 4,00 m.
J'utilise dans ma description les publications de R-F. Le Men (1877), Françoise Gatouillat, (2005 et 2013), et Yves-Pascal Castel (Daniel, 2005).
Les vitraux anciens occupent les fenêtres hautes. Très très hautes pour le touriste photographe.
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Historique :
Les verrières de la nef ont été restaurées par l'atelier manceau d'Antoine Lusson fils (le restaurateur de la Sainte-Chapelle) de 1869 à 1874. Les verrières hautes de la cathédrale ont été déposées en 1942, et reposées entre 1950 et 1964 par l'atelier Gruber sans modification notable. Les baies ont été restaurées en 1992-93 par l'atelier Jean-Pierre Le Bihan.
Seule la lancette centrale C (celle qui m'intéresse !) est encore partiellement de la fin du XVe.
Description de R-F. Le Men 1877 page 139 :
— 1er Panneau. — Notre-Dame.
— 2e Panneau. — Un chanoine en chape à genoux, devant un prie-dieu, dont les draperies portent un écusson armorié d’azur au lion d’argent chargé d’une macle d’or. Il est présenté par saint Julien, en ermite. Ce chanoine est N. de Kerguelenen, chanoine de Quimper, de 1489 à 1497. Les mêmes armes sont dans la voûte vis-à-vis de cette vitre (Voir p.125, n° 56 : Écu triangulaire : d’azur au lion rampant d’argent chargé d’une macle d’or, armé et lampassé de gueules. — Jean de Kerguelenen, chanoine de la cathédrale en 1489 et 1498, et recteur de la paroisse de Grandchamp. Il avait fondé dans la cathédrale, une chapellenie dont le patronage appartenait en 1540 à Alain de Kerguelenen, chevalier. La seigneurie de Kerguelenen était dans la paroisse de Pouldergat près Douarnenez. ).
— 3e Panneau. — Un chevalier à genoux, présenté par saint Christophe, et portant sur sa cotte d’armes bleue, un lion d’argent armé et lampassé de gueules, chargé d’une macle d’or.
— 4e Panneau. — Une dame à genoux présentée par sainte Barbe. Elle porte sur sa robe bleue un lion d’argent chargé d’une macle d’or, et un léopard d’or.
— 5e Panneau. — On avait recommandé d’y placer saint Yves, M. Lusson en a fait un évêque (panneau neuf)."
En 1892, l'abbé A. Thomas donne une description semblable, sous le titre de Vitrail de Kerguelenen.
Couffon ajoute la précision suivante : "-signé Lusson 1870 dans un prie-Dieu de Kerguelenen"
Je trouve les renseignements suivants sur la famille de Kerguelenen :
a) La famille :
Jehan de Kerguélénen, décédé en 1483, avait eu de Béatrice du Hirgars (d'or à 3 pommes d'azur) deux fils dont de cadet fut chanoine de Quimper (1489-1509). L'aîné, Jehan de Kerguélénen, marié en 1474 à Marie Tuonmelin, fille d'Alain Tuonmelin, sgr de Botpodern (d’azur au lévrier passant d’argent) mourut en 1497, laissant plusieurs enfants. Alain de Kerguélénen qui lui succéda, vécut jusqu'en 1547. L'ancien manoir de Kerguelenen se situait à Pouldergat, paroisse dont l'église Saint-Ergat porte encore le blason familial sculpté dans la pierre.
Entre 1489 et 1498,
Potier de Courcy indique (Nobiliaire et Armorial Tome II, p. 93) : Kerguelenen, seigneur du Penquer, de Pennanneac'h, de Kerollain et de Kerstrat en la paroisse de Pouldergat.
b) Le chanoine Jean :
– Jean de Kerguélénen, chanoine de la cathédrale de Quimper entre 1489 et 1498, est également prieur de l'île Tristan à Douarnenez, ses armes figurant sur l'une des vitres de l'ancienne chapelle Sainte-Hélène, devenue chapelle prieurale.
–Documents : VILLE DE QUIMPER (Département du Finistère) REPERTOIRE NUMERIQUE DETAILLE DES ARCHIVES COMMUNALES ANTERIEURES A 1790 Série CC. FINANCES, IMPOTS ET COMPTABILITE. page 18 : CC 59 1 cahier, parchemin, 14 fol. Couverture velin ancien manuscrit en réemploi
1481* Apurement des comptes des miseurs : - compte de Jehan Le Baud naguère receveur des deniers de devoirs de billot en l’évêché de Cornouaille et miseur des murs, achèvements, réparations des édifices de la ville de Quimper Corentin conclus au mois de juin 1481. Dont apurement donné en la maison d’Olivier Le Baud en la Terre au Duc, clos et signé le 14 août 1500 par noble homme Hervé du Juch seigneur de Pratanroux capitaine dudit Quimper Corentin, maître Hervé de Lezongar, Jehan de Kerguelenen chanoine de l’église cathédrale de Monsieur Saint Corentin, maître Yves Dongoallen, Vincent de Kerguenozal, François Marion, Alain Rolland, Alain Le Garz, Henry Le Baud, Julien Morel, Prigent de Coetenezre, Jehan Le Douzic, Yvon Madec et plusieurs autres nobles et bourgeois de cette ville et tenu par Morice de Kerloaguen, Auditeur et François Le Saux, gens des comptes dudit duc de Bretagne.
–On trouve dans le Cartulaire de Quimper deux pages signées de Jean de Kerguelenen: in Bulletin diocèsain d'Histoire et d'Archéologie du Diocèse de Quimper Edité en 1906, page 151
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Lancette A. La Vierge à l'Enfant.
Oeuvre de l'atelier Lusson;
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Lancette B. Saint Julien l'Hospitalier présentant le chanoine Jehan de Kerguelenen.
Création de Lusson (1869 à 1874). Le saint, vêtu en ermite, est identifié comme saint Julien par René-François Le Men (1824-1880), archiviste du Finistère qui écrit en 1877, juste après la création du vitrail : non seulement il a du obtenir les renseignement du maître-verrier, mais il semble qu'il ait participé aux consignes qui lui furent données.
Le chanoine, revêtu d'une chape damassée à large orfroi, est agenouillé devant un prie-dieu drapé des armoiries d'azur au lion d'argent chargé d'une macle d'or (Kerguelenen).
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Lancette C. Saint Christophe présentant un seigneur de Kerguelenen.
Parmi les éléments traditionnels de l'iconographie, on note :
–L'Enfant à califourchon sur les épaules du saint, tenant l'orbe crucigère et bénissant .
– la couleur verte de la tunique du saint
– son bandeau frontal blanc.
– sa barbe et ses cheveux longs témoignant d'une ancienne nature d'homme des bois.
– son bâton, ici horizontal et particulièrement noueux et donc rustique. Ce bâton ne reverdit pas, et, comme les autres bâtons du saint sur les vitraux de Quimper, il ne témoigne donc pas de la reverdie miraculeuse qui attestera de la validité de la promesse faite par l'enfant au saint.
– la ceinture. On en profite pour remarquer le verre rouge gravé et doublé (la gravure est responsable des motifs blancs). Le même type de gravure est visible dans la bande qui passe derrière la tête de l'Enfant.
Par contrel la posture tête basse de Christophe est aypique : est-elle due à un restaurateur, ou bien s'explique-t-elle par l'attitude du saint présentant son protégé ?
De même, la moitiè inférieure permet de voir une jambe gauche nue, mais ne montre pas —ou de façon très simplifié— le cours d'eau traversé.
Le donateur.
Tête nue (cheveux coiffés selon la mode du temps), agenouillé devant le livre d'heures posé sur le prie-dieu, il porte l'armure de chevalier, sur laquelle il a endossé le tabard à ses armes. Le lion d'argent est parfaitement dessiné, rampant, et sa langue rouge montre qu'il est " lampassé de gueules".
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Lancette D. Sainte Barbe présentant la donatrice.
Sainte Barbe n'a pas un visage très féminin, et on la confondrait facilement avec saint Jean (avec son manteau rouge), si elle ne tenait pas son attribut, la tour percée des trois fenêtres attestant de sa foi dans le dogme de la Trinité.
La donatrice porte sur sa robe les armes de Kerguelenen (le lion rampant et la macle d'or), mais cette macle contient un lion léopardé d'or.
Lancette E. Un saint évêque.
Renè-François Le Men laisse transparaître son mécontentement, car "on" (il ?) avait demandé au verrier de "faire" un saint Yves, et c'est un saint évêque parfaitement lambda qui a été réalisé, avec l'attirail des poncifs qui s'y attachent : mitre, crosse, chape et nimbe. C'est bien pieux, mais cela ne mène à rien, et cela n'a rien de breton. C'est pas grave, c'est bien peint quand même.
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SOURCES ET LIENS.
—ANDRÉ (Augustin), 1878, De la verrerie et des vitraux peints de l'ancienne province de Bretagne, Rennes, Plihon, in-8°, 281 p. (Extr. des Mémoires de la Société archéologique du département d'Ille-et-Vilaine, t. XII.) page 299-304.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2077642/f326.image
— AYMAR DE BLOIS (1760-1852), vers 1820. On doit à ce neveu du chanoine de Boisbilly une description des vitraux vers 1820. Registre de Boisbilly, Arch. Dioc. Quimper, 8 L1 . Le folio 25 concerne la baie 114.
A. de Blois, héritant de ce registre de Boisbilly, en fait don à l'évêque André, le 5 janvier 1804, mais le ré-annote en 1820 et 1821 et donne alors la description des vitraux et leur état. Il le remit de nouveau à l'évêque de Quimper, Mgr Graveran, le 5 septembre 1842 "pour l'usage de la cathédrale ". Il rajoute "malade d'une fluxion, charge son fils Louis de le remettre à l'évêque". (J-P. Le Bihan)
— BOISBILLY (Jean-Jacques-Archibald le Provost de la Boexière ,Chanoine de), vers 1770, Registre de Boisbilly, Arch. Dioc. Quimper, 8 L1 ,
Jean-Jacques Archambault Provost de Boisbilly (1735-1786). Docteur en théologie de la Sorbonne, vicaire général du diocèse de Rennes, il était abbé commandataire du Tronchet et chanoine de Quimper. Il possédait une des plus érudites bibliothèques de Quimper et on lui doit par ailleurs un plan de la cathédrale dressé en 1770 qui est une des sources les plus importantes sur la cathédrale avant la Révolution. Il avait dessiné l'architecture des fenêtres de la cathédrale en pleine page de 1770 à 1772. Ce travail devait être complété par la suite avec les dessins des vitraux, mais il fut malheureusement appelé à d'autres fonctions.
"La cathédrale de Quimper, qui figure au nombre des Monuments historiques du département du Finistère, n’a été jusqu’ici l’objet d’aucune publication de quelque importance. Vers l’année 1770, l’abbé de Boisbilly, syndic du chapitre de Quimper, avait, en vue d’une histoire de ce monument, réuni de nombreuses notes, et fait dresser un plan de l’église avec ses chapelles et ses autels. Dans sa réunion générale du 14 mai 1772, le chapitre le « pria de continuer l’ouvrage qu’il avait commencé sur la description détaillée de l’église cathédrale, » et décida « qu’il en serait fait un registre particulier. » (1)1 Sur ces entrefaites, l’abbé de Boisbilly fut appelé à Rennes pour prendre part aux travaux de la Commission intermédiaire des États de Bretagne dont il faisait partie. Les affaires importantes et multipliées de la Province ne lui permirent pas de mener à bonne fin son entreprise. Ses notes furent perdues, et il n’est resté comme souvenir du projet qu’il avait formé, qu’un registre grand in-folio, qui contient avec le plan de la cathédrale, les dessins au trait de ses fenêtres, dessins qui devaient être complétés par la peinture des vitraux. M. de Blois (de Morlaix), neveu de l’abbé de Boisbilly, a fait hommage de ce registre à Mgr l’évêque de Quimper, le 5 septembre 1849. Avant de s’en dessaisir, il avait pris le soin d’écrire au-dessous des dessins des fenêtres, une description sommaire des vitraux qu’elles contenaient encore en 1820 et 1821, mais à cette époque beaucoup étaient entièrement détruits. " (R-F. Le Men)
— BONNET (Philippe) 2003, Quimper, la cathédrale, Zodiaque, Paris
— COUFFON . Bulletin SAF, t.LXXXIX. 1963, p.xcvii et suivantes.
— COUFFON http://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf-Couffon/Quimper.pdf
— DANIEL (Tanguy), (dir.), Anne Brignandy, Yves-Pascal Castel, Jean Kerhervé et Jean-Pierre Le Bihan, 2005, sous la direction de, Les vitraux de la cathédrale Saint-Corentin de Quimper, Presses Universitaires de Rennes / Société Archéologique du Finistère, 287 p. (ISBN 978-2-7535-0037-2).
— GALLET (Yves), Les ducs, l’argent, les hommes ? Observations sur la date présumée du chevet rayonnant de la cathédrale Saint-Corentin de Quimper (1239) p. 103-116 http://books.openedition.org/pur/5315
— GATOUILLAT (Françoise), 2013, "Les vitraux de la cathédrale" , in Quimper, la grâce d'une cathédrale, sous la direction de Philippe Bonnet et al.,La Nuée Bleue, Strasbourg, page 185-203,
— GATOUILLAT (Françoise), HÉROLD (Michel), 2005, Les vitraux de Bretagne, Corpus Vitrearum, France VII, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, p. 172.
— GUILHERMY (Ferdinand de), 1848-1862, Notes sur les diverses localités de France, Bnf, Nouv. acquis. française 6106 folio 335v et suivantes.
Le baron de Guihermy, membre de la Commission des Arts, visita Quimper le 2 octobre 1848 et rédigea un mémoire d'après ses notes. Nommé membre de la Commission des Monuments Historiques en 1860, il entreprit un voyage en France et séjourna à Quimper du jeudi soir 28 octobre 1862 au samedi 30 à midi et compléta alors ses premières notes. Les baies n'y sont pas numérotées et distribuées en cinq lieux : Vitraux de la chapelle des fonts, vitraux de la Nef, vitraux du transept, vitraux du chœur, vitraux de la chapelle terminale.
— LA VALLÉE, 1847, "Essai sur les vitraux existant dans les églises du canton de Quimper", Bulletin archéologique de l'Association bretonne, t.I, p. 263-277.
— LE BIHAN (J.-P.), J.-F. Villard (dir.), 2005, Archéologie de Quimper. Matériaux pour servir l’histoire, t. 1 : De la chute de l’Empire romain à la fin du Moyen Âge, Quimper, 2005.
— LE BIHAN (J.-P.) 1993,, -"Gravures de repère sur les vitraux bretons des XVe et XVIe." Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, T.CXXII
— LE BIHAN (Jean-Pierre), 2007, Blog
http://jeanpierrelebihan.over-blog.com/article-5674011.html
— LE MEN (René-François), 1877, Monographie de la cathédrale de Quimper [XII-XVe siècle], Quimper. p.243-244,
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/1e08593c46eb46336af146045b16d0f4.pdf
— THOMAS (Abbé Alexandre), 1892, Visite de la cathédrale de Quimper. Arsène de Kerangal, 170 pages, p.123,
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/c9d5dca31c276caf2782d0a4b99a85ce.pdf
— THOMAS (Abbé Alexandre) 1904, La cathédrale de Quimper, 1904, J. Salaun, 97 pages, p.51
— LA VALLÉE, 1847, "Essai sur les vitraux existant dans les églises du canton de Quimper", Bulletin archéologique de l'Association bretonne, t.I, p. 263-277.