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4 avril 2016 1 04 /04 /avril /2016 01:36

Les vitraux anciens de l'église Saint-Étienne de Beauvais. Baie n°18, Vie de saint Eustache.

 

 

 

 

Voir :

L'église Saint-Étienne :

 

 

La cathédrale :

Beauvais :

 

Saint Eustache : 

 

 

 

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Présentation.

La baie n°18 comporte 4 lancettes ogivales et un tympan de 12 ajours. Elle mesure 6,40 m de haut sur 3,30 m de large. Intitulée vitrail des «Scènes de la vie de saint Eustache» ou "de Malinguehen", elle se distribue en deux parties verticales, celle de gauche ( lancettes A et B) étant divisée en deux registres légendés, et celle de droite (lancette C et D) en trois registres légendés. Malgré une distribution compliquée, car échelonnée dans le temps (comportant des panneaux de 1553, 1554 et 1572), globalement, la partie haute et le tympan illustrent la vie de saint Eustache, alors que les parties basse et moyenne présentent trois familles de donateurs, celle des marchands de draps Jehan de Malinguehen en 1553, Eustache de la Croix en 1554, et Mahiot Brocard en 1572, agenouillés devant le Christ de douleur de l'extrême gauche.

Cette baie éclaire la chapelle de Saint-Eustache, dont les murs sont couverts par des plaques indiquant qu'à diverses époques plusieurs membres de la famille de Malinguehen, dont on remarque les armoiries dans les inscriptions, y ont été inhumés : Nicolaus de Malinguehen, décédé en 1630, Petrus, décédé en décembre 1680, et Pierre, décédé le 4 octobre 1704. Cette chapelle était le siège de la Confrérie de saint-Eustache, qui aurait été fondée par Jean de Malinguehen. Voir https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Mobilier_de_l%27%C3%A9glise_Saint-%C3%89tienne_de_Beauvais

Histoire de l'exécution :

Trois verrières sont ici associées, correspondant à deux sujets, trois donateurs et trois dates différentes. Les trois verrières rentrent peut-être dans un projet commun élaboré dès le début par les membres de la confrérie de Saint-Eustache.

En 1553, le marguillier et marchand-drapier Jean de Malinguehen a offert quatre panneaux de vitrail dans lesquels il s'est fait représenter avec sa famille. Ces panneaux étaient destinés à la chapelle Saint- Eustache, siège de la confrérie Saint-Eustache, dont Jean aurait été le fondateur. Pourtant, il s'est fait représenter devant le Christ présentant les espèces de l'Eucharistie. En 1554, un autre marguillier de l'église, Eustache de la Croix, également marchand-drapier, donna le sujet principal de la verrière, la vision de saint Eustache. Le 13 mai 1572, Romain Buron, maître verrier demeurant à Gisors passa un marché avec le marchand Nicolas Brocard demeurant à Beauvais pour fournir deux verrières historiées, une partie avant la Toussaint 1572 et l'autre partie avant Noël 1572. Ces verrières représentent des scènes de la vie de saint Eustache et des donateurs, notamment Mahiot Brocard, père de Nicolas Brocard et Huguette de Bray, sa femme.

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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LES DEUX LANCETTES A ET B DE GAUCHE.

Ces lancettes associent en registre supérieur la Vision de saint Eustache, devant laquelle sont agenouillés Eustache de la Croix et sa famille, et en registre inférieur le Christ présentant l'Eucharistie, devant lequel prient Jean de Malinguehen et les siens.

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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REGISTRE INFÉRIEUR DES LANCETTES A ET B.

Ce registre montre le donateur Jean de Malinguehen présenté par saint Jean-Baptiste et agenouillé avec sa famille devant le Christ.

1. Le Christ et l'Eucharistie.

 

Ce n'est pas, comme on peut le lire,  un Christ de douleur stricto sensu (il ne sort pas du tombeau, sa tête n'est pas baissée, ses traits n'expriment pas la douleur) ; la posture avec une jambe en avant est celle du Christ réssuscité tenant l'oriflamme de la victoire sur la mort et vêtu du manteau rouge. Le Christ porte la couronne d'épine, le pagne ou perizonium, et expose la plaie du flanc et clle de la main droite. Il est placé sur une base de verdure devant une niche cintrée.  IL désigne de la main  le calice et le pain de l'Eucharistie. 

L'inscription de la bande légendée fait directement allusion à ces Saintes Espèces : QUI MENGE ---, et renvoie à l'évangile de Jean : Jn 6:56 "Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui ".

Elle a été lue ainsi : : « qui mange ma chair (et boit mon) sang dignement » .

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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2. Le donateur Jean de Malinguehen.

Face à ce Christ eucharistique, et dans une niche symétrique à la précédente,  la présence de Jean-Baptiste est fort logique puisque celui-ci, vêtu de sa tunique jaune et d'une ample robe rouge, présente l'Agneau et l'étendard de la Croix : la phrase Voici l'Agneau de Dieu est donc tacitement citée. La présence de saint Jean-Baptiste s'explique aussi, bien entendu, comme saint patron du donateur. 

  Le marchand d'étoffe Jehan de Malinguehen est figuré ici vêtu du costume de maire de Beauvais, fonction qu'il occupa en 1550 : il porte la robe rouge et violette des maires et pairs de Beauvais. Barbu (le visage et la barbe sont rehaussés de jaune d'argent), il est agenouillé, mains jointes, devant son Livre d'Heures posé sur le prie-dieu. Celui-ci adopte la forme d'un meuble rectangulaire dont le flanc porte un blason aux armes familiales,  d'argent, à un fer à moulin de sableUn fer de moulin ou "anisse" est, en héraldique, un meuble comportant deux crochets en forme de C dos à dos.

La bande de verre blanc inférieure porte la légende suivante : 

« Jehan de Malinguehen naguères maire a donné ce(s)te partie de voirrière et se recommande à vos bon(n)es prières". 

Selon l' Armorial spécial de France d'Aimé d' Agnières, traitant des Malinguehen, 

" Cette famille, originaire du comté de Nivelle, était représentée en 1284 par Robert de Malin guehen ; ses armes étaient de gueules, a trois fers à moulin d'or; mais, en 1334, elle dut porter d'argent, à trois fers à moulin de sable, en signe de deuil perpétuel. En 1416 Robert fut obligé de s'expatrier et de venir en France, pour s'être révolté contre Jean de Bourgogne, son prince. C'est de lui que descend la branche actuellement en France; quant aux autres branches établies en Belgique, en Autriche et en Prusse, leur filiation ne peut être suivie que jusqu'en 1684, sur la généalogie dressée par le baron de Launay, signée et approuvée par les quatre héraults d'armes du Brabant, du Luxembourg, de la Flandre, du Hainaut et indiquant en filiation directe tous les membres de la famille, leurs titres et leurs charges depuis 1284 jusqu'en 1684.

Depuis 1284, la filiation de la branche française, ses titres et ses charges sont prouvés par les contrats de mariage. Avant cette époque, l'on trouve à la cinquième croisade un de Malinguehen (Flandre, charte de Damiette 1218) et deux au siège d'Oisy, en 1254.

Dans son histoire du Cambrésis, Carpentier inscrit cette famille comme une des patrices.

D'Hozier lui donne d'azur, qui est France, à un fer à moulin d'argent, armoiries qui furent données, par une ordonnance de 1698 à Pierre, en récompense de ses services; mais la famille préféra reprendre d'argent, à trois fers à moulin de sable.

La devise étant complètement illisible sur les titres, Pierre prit en 1686 celle qui figure sous les armes.

Les titres de la famille sont en France [...] seigneurs, en France, d'Ipre, Troussure, Fouquerolle, Evasseau, Viel-Rouen, Bretizel, Hodenquen-Bosc, Ranival, la Vallée, Sertival, Douy;

Elle a donné plusieurs abbés, des officiers distingués dont un maître de camp, un grand fauconnier de Jean I er de Brabant, des gouverneurs du château de Gemappe, des conseillers aux États de Flandre, un chambellan du Brabant, des maïeurs de Nivelle, deux secrétaires de Charles-Quint, un contrôleur de la maison du roi, un envoyé extraordinaire d'Isabelle d'Autriche dans différentes Cours, un président du conseil de l'amirauté de Flandre, un député de la noblesse belge vers Philippe III, un chancelier de la reine de France, Anne d'Autriche, plusieurs maires de Beauvais, un gouverneur du Catelet, des conseillers du roi à Beauvais et un au Châtelet, des présidents, lieutenants généraux civils et militaires au bailliage et siège présidial de Beauvais."

Devise : Faict ce que vouldrait avoir faict quand mourra.

Jean de Malinguehen est suivi de ses quatre fils. J'ai quelques difficultés à trouver une cohérence dans les diverses données biographiques et généalogiques. Voici des bribes éparses. Selon A. de Saint-Germain, il demeurait à l'hôtel de l'Étamine. Le 15 décembre 1553, il fit donation à Hierosme de Malinguehen son fils écolier étudiant en l'Université de Paris, de plusieurs pièces de terre à Thibivillers, en faveur de l'étude du dit écolier. Ses parents étaient Jean Minet de Malinguehen  †1553 et Jeanne le Messier Le Vasseur.  Il fut maire de Beauvais en 1550.  Un autre  Jean de Malinguehen fut le premier juge-consul après la création de la jurisdiction consulaire vers l'année 1565. De son premier mariage avec Marguerite de Caen, fille de Jean de Caen, riche marchand, bourgeois de Beauvais, seigneur du fief des Marmousets, et de Jeanne Godin, il eut huit enfants, six filles dont une nommée Marguerite, et deux fils. De son second mariage avec Jeanne de Monténescourt, originaire d'Amiens, il eut trois autres enfants, deux fils et une fille. Jehan de Malinguehen mourut de la peste en 1578 ; il fut inhumé sous le porche de l'église Saint-Étienne dont il était l'un des marguilliers. Une épitaphe de cuivre fut placée sur sa tombe. Par testament du 8 août 1578, fait devant Eustache Pastour, son curé, il laissait au couvent des Sœurs-Grises un pré au terroir de Grandcamp, à charge d'un obit à l'issue duquel, après la mort de sa fille, les sœurs devaient chanter le Libéra, six psaumes du Miserere, et le De profundis sur la tombe de Marguerite de Malinguehen.

On signale aussi  Jehan de Malinguehen, Seigneur d'Ypres marié avec  Françoise de Bonnières eut une fille (Marie) et deux fils (Jean, †1630 Jean, seigneur d'Ypres, la Petite-Foret, qui fut chancelier, et Pierre  †1635 Décédé en 1635 Seigneur de Douy, Conseiller du Roi).

 

Les plaques dans l'église font mention de:

Nicolas de Malinguehen eques Dum vixit Dominus de Troussures dcd i.XI.1630

Pierre de Malinguehen décédé le 4 10 1704 épousa Marie Bailet décédé le 26 03 1728

Petrus de Malinguehen décédé en  decembre 1680

 

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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REGISTRE SUPÉRIEUR DES LANCETTES A ET B.

Ces panneaux présentent la Vision de saint Eustache, et un couple de donateur représenté à une échelle moindre.

1. La Vision de saint Eustache.

 Eustathe, qui portait initialement le nom de Placidas, était un excellent général romain , païen de religion mais très humain et charitable, qui vivait à l'époque de l'empereur Trajan. Sa Vision entraîna sa conversion au christianisme. Cet épisode appartient déjà à la plus ancienne recension de la légende, à savoir la Vie et Passion grecque de saint Eustathe (BHG 641), composée entre le Ve et le VIIe siècle. Un jour que le général Placidas, encore païen, chassait avec sa suite dans la montagne, il rencontra une harde de cerfs, dont un lui parut plus grand et plus beau que les autres. Distançant ses compagnons, il le poursuivit pour le tuer mais vit, quand il l'eut rattrapé, un crucifix qui brillait entre ses cors. Alors le cerf, recevant du Seigneur le pouvoir de parler en son nom, lui dit : « Placidas, pourquoi me poursuis-tu ? Je suis le Christ, que tu honores sans le savoir, et je suis venu sous cette forme pour te sauver et, à travers toi, sauver aussi tous les idolâtres ». Devant ce miracle, ayant reconnu le vrai Dieu, Placidas se convertit avec sa femme et ses deux fils. La nuit même, il se fit baptiser avec les siens par le « prêtre des Chrétiens «  et reçut le nouveau nom d'Eustathe. 

Le saint est représenté chassant dans des forêts aux pentes abruptes, accompagné d'autres cavaliers. Il vient d'être saisi de stupeur devant l'apparition du cerf blanc portant le crucifix (crucifère) et est tombé de cheval, un genoux à terre parmi ses chiens. Il porte l'épée, une lance et sa trompe de chasse. La légende indique :  " Comment sainct Eustace fut co[n]verti à la foy de Jesuscrist. 1554."

Jean Lafond a écrit en 1929 (p. 109) : 

"C'est l'imitation libre d'une estampe fameuse d'Albert Dürer, qui inspira à Engrand Le Prince le beau saint Hubert du vitrail de Louis de Roncherolles, à la cathédrale de Beauvais (1522) et à un de ses disciples une splendide verrière de Saint-Patrice de Rouen (1543). Ici, la technique est un peu laborieuse, mais très sûre et l'effet décoratif fort heureux. On peut attribuer cette belle page, non pas comme on l'a fait autrefois à Engrand Le Prince, dont les derniers travaux connus sont de 1538 et dont on perd la trace en 1547, mais à Nicolas Le Prince, à qui Eustache de la Croix commanda en 1558 un bas-relief du Trespassement de la Vierge qu'on voit encore, afrfreusement mutilé, dans le mur extérieur de l'église.

Il y a de curieuses ressemblances entre la Vision de saint Eustache et la Vocation de saint Pierre, ne seraient-ce que ces vols d'oiseaux qui ponctuent le ciel au dessus des arbres dépouillés. Mais c'est dans le tympan qu'apparaît surtout la parenté des deux vitraux voisins."

Pour Alain Boureau (1982) :

"La conversion de Placide reprend et cite celle de Saul de Tarse, le futur Paul, telle que la rapportent les Actes des Apôtres (IX, 3) : Saul, persécuteur des chrétiens, voit une lumière surnaturelle sur la route de Damas ; la terreur le jette à terre, comme Placide. Le Seigneur demande à Saiil, comme à Placide : « Pourquoi me persécutes-tu ? », puis l'instruit rapidement du processus qui doit le conduire à la vérité. Un autre passage des Actes (X), le récit de la conversion de Corneille, est cité explicitement dans la Passion grecque et repris dans toutes les versions postérieures : Corneille, lui aussi, a su mériter sa conversion par une pratique païenne de la vertu chrétienne de miséricorde.

La force symbolique de l'image du cerf joue en deux sens dans la sensibilité médiévale ; l'animal figure à la fois le Sauveur et le sauvé, le pasteur et le catéchumène, Jésus et Placide. Dans le psaume XLI, le cerf dans l'eau représente l'âme à la recherche de Dieu. Les mentalités médiévales voient en cette eau celle du baptême, comme le manifestent les sculptures des bases de piliers en l'église ď Ainay à Lyon. La fin du cerf pourchassé renvoie à la mort initiatique du baptême. Mais cet aspect sacrificiel de la mort du cerf, sensible dans les images de cerfs broutant la grappe eucharistique, telles qu'elles apparaissent en l'église Saint- Jouin de Marnes, orientent aussi le processus symbolique vers la figuration du Christ. La course du cerf évoque, enfin, l'activité apostolique, selon l'interprétation que Tertullien donne du psaume LIX (« Mes ennemis m'ont entouré comme une bande de chiens ») et de Habaquq 3,19 : « Yahvé est ma force ; il donne à mes pieds l'agilité des cerfs et des biches. » Cette riche symbolique se trouve donc associée en même temps à Jésus, à Placide le catéchumène et à Eustache le confesseur ; à la fin du Moyen Age, quand le récit perdra de sa force, elle sous-tendra les légendes d'Hubert et de Julien. "

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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"L'écusson blanc qu'on voit à gauche porte un monogramme où on a vu jadis la signature d'Engrand Le Prince et plus récemment celle du peintre verrier Pierre Pia. Nous ne croyons pas qu'il se rapporte à l'auteur de cette verrière" (Jean Lafond 1929 p. 109)

 

 

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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2. Le cerf crucifère. Eustache de La Croix et son épouse Françoise de Nully.

Sous le grand cerf blanc et le crucifix de ses bois, le marchand-drapier Eustache de La Croix est présenté agenouillé à son prie-dieu au pied duquel figurent ses armoiries de gueules au chevron d'or chargé de trois étoiles d'argent, accompagné en chef de deux trèfles d'or et en pointe d'une croisette d'argent soutenue d'un croissant de même. Il est accompagné de son épouse Françoise de Nully. L'inscription indique : 

"Eustace marchant et bourgois de Beauvais a donné ceste verrière peschés / 1554 ".

Eustache de La Croix a épousé Françoise de Nully (Parents : Pierre de Nully 1488-1549 &  Marguerite Poquelin †1563). On lui connaît un fils, Eustache de La Croix. 

En juillet 1558, un contrat a été établi par les marchands Pierre de la Croix "l'aîné" et Eustache son fils, pour faire réaliser une sculpture de la Dormition par Jehan Pol (ou Pot) et Nicolas Le Prince. Le contrat est passé en présence d'Antoine de La Croix, chanoine de Saint-Étienne de Beauvais. : 

 

"Comparurent personnellement Jehan Pol (sic) et Nicolas le Prince, maistres tailleurs d'ymages, demourans à Beauvais, lesquelz, l'un pour l'autre et chacun d'eulx seul et pour le tout, sans division, promettent à Pierre de la Croix l'aisné, marchand aud. Beauvais, ce acceptant par Eustache de la Croix, aussy marchand, son fils, de faire et tailler bien et suffisamment l'histoire du Trespassement de la Vierge Marie, de pierre avec les douze apostres, deux ymages, l'une de saint Pierre et l'autre de sainte Margueritte, qui présenteront deux priantz audedans et au bout ? de lad. histoire, avec deux armories en chappeau de triumphe, le tout armorisé à la discrétion dud. de la Croix et faire le tout selon la place et haulteur de la massonnerie de la cloizon tenant entre la chappelle Nostre Dame de Laurette et l'huis du cœur de l'église Saint Estienne dud. Beauvais, pour illecq asseoir et poser icelle histoire, bien et suffisamment faite et parfaite, comme dict est, au dict de gens en ce congnoissans, aux despens desd. respondans, en dedans le jour de Toussaintz prochain venant, çurséant jusques au jour de Noël ensuivant. Les d. respondans seront tenuz de faire et tailler icelle histoire en la massonnerie de lad. église estant dedans la cymetière ; en laquelle histoire seront tenuz faire deux aultres ymages à la discrétion dudit de la Croix, qui seront pozées sur deux entrepiedz de lad. massonnerie, aussi suyvant icelle massonnerie; et ce, moyennant la somme de quarante livres tz que led. Eustache de la Croix pour son père a promis payer ausd. respondans au jour de la livraison de lad. histoire pozée et assize aud. lieu. Fait et passé aud. Beauvais, le XXIII de juillet mil Vc cinquante huit, présens Mr Anthoine de la Croix, prebtre, chanoine et président de l'église Saint-Vaast, Esloy de la Vallée, maistre masson de lad. église et Martin Thilloy, aussy masson (Note de V Leblond : Cette sculpture existe encore, mais très mutilée, dans le mur extérieur de l'église, un peu au-dessous et à droite de la Roue de Fortune du transept septentrional. — Le chapitre s'appelait de Saint- Vaast; l'église et la paroisse portaient le nom de Saint-Etienne. )" (cité par V. Leblond p. 106

https://archive.org/stream/lartetlesartiste00lebl#page/106/mode/2up/search/eustache

Selon un manuscrit tardif cité par V. Leblond, un crucifix de la chapelle de Saint-Eustache aurait été offert par" Mr De La Croix, des Trois-Lanternes". La Cour des Trois Lanternes existe toujours à Beauvais à proximité de la cathédrale, mais la rue des Trois-Lanternes est devenue la rue du Lion-Rampant (les deux noms proviennent d'enseignes). Charles VI y avait établi un hôtel royal des monnaies en 1383.

Un Jehan de La Croix, bourgeois de Beauvais, est cité en 1566.

Pierre de La Croix, marchand à Beauvais, est mentionné en 1584.

 

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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LANCETTES C ET D.

1. Registre inférieur : deux familles de donateurs.

Ce registre poursuit dans le plan horizontal celui des lancettes A et B pour former un ensemble daté de 1553 et offert par la famille de Malinguehen.

Lancette C :  Marguerite de Caen, première épouse du maire de Beauvais, et ses six filles sont présentées par sainte Marguerite dont on voit le crucifix et la queue de son dragon. L'inscription se lit ainsi « Nul n'est travail de loing venir Venir aux biens pour succéder Vous voyez et si cognoissez Qu'il n'y a faute d'héritiers. »

Lancette D : Jeanne de Monténescourt est présentée par saint Jean l'Évangéliste.

Le saint est identifié par son visage imberbe, son manteau rouge, la coupe de poison d'où sortent des serpents, et par son aigle; mais la palme qu'il tient vient sans-doute d'une recomposition tardive.

La donatrice est vraisemblablement la seconde épouse de Jean de Malinguehen, Jeanne de Monténescourt,  originaire d'Amiens, dont il eut trois autres enfants, deux fils et une fille. Jeanne est représentée avec sa fille.

L'inscription mentionne la sage devise de Jean de Malinguehen, " Faict ce que tu voudras avoir feict quand tu mourras. " L'an 1553.

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  Dans la travée voisine, Marguerite de Caen, première femme du maire de Beauvais, et ses six filles sont escortées par sainte Marguerite. Grossièrement rimée, l'inscription est pleine d'une fierté justifiée : « Nul n'est travail de loing venir Venir aux biens pour succéder Vous voyez et si cognoissez Qu'il n'y a faute d'héritiers. »

Marchand d'étoffes Maire de Beauvais 1550-1552

https://books.google.fr/books?id=aB8RirybuWIC&pg=PA62&lpg=PA62&dq=Jean+de+Malinguehen+maire+de+Beauvais&source=bl&ots=rk8X5swKOv&sig=4sq7-t9Nkd7cs5PVwHQ4-Dm3Fe4&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjL5p24267MAhWGWBQKHXUeD_QQ6AEIMzAF#v=onepage&q=Jean%20de%20Malinguehen%20maire%20de%20Beauvais&f=false

'ogives, est fort int"ressante par la hardiesse et la l"g"ret" de sa construction; mais ce qu'il y a surtout de remarquable ce sont les vitraux; Les quatre panneaux inf"rieurs repr"sentent: i*J"sus Christportant sa croix et montrant le calice; 2* " c"t"" saint Jean-Baptiste pr"sente au Sauveur les donateurs parmi lesquels Jehan de Malinguehen; 3* sainte Marguerite foulant au pied le dragon, conune il est d'usage de la repr"senter; au-dessous, deux donateurs et saint Jean rEvangéliste avec deux donatrices et cette légende pleine de sagesse: " Faict ce que tu voudras avoir feict quand tu mourras. " L'an 1553.

Ce Jean de Malinguehen, du 2* panneau, fut maire de Beauvais en 1550 et en devint le premier juge-consul lors de la création, par Henri III, de la juridiction consulaire en 1 564. Sur son prie-dieu on voit les armes des Malinguehen qui sont d'argent " anille (fer de moulin), de sable. Le reste de la verri"re est consacr" " la vie de saint Eustache. Les $* et 6* panneaux, qui sont admirables de dessin, de couleur et d'"clat, montrent conunent saint Eustache fut " c"verti " la foy de J"sus-Christ ".Eustache "tait pa"en, chef de la cavalerie de l'empereur Trajan.Un jour, " la chasse, il rencontra des cerfs; le plus grand d'entre euxportait entre les cornes une croix resplendissante et une voix lui cria: " Pourquoi me poursuis-tu? " Eustache se prostern"t et se convert"t. 7* panneau: Le Pillage de la maison d'Eustache par les Païens; 8" et 9* panneaux :e. Sa Résignation et sa Fuite. Eustache, sa femme et ses.

Partie i"u Vitrail Costumes du XVI" si"cl" 39 " deux enfants sont dans le costume des gens de qualité du milieu du XVIe siècle. (La petite figure ci-dessus donne le croquis du deuxi"me de ces panneaux.) ib* panneau: Les Donateurs de cette partie de verri"re. Mahiot Brocard qui trespassa le cinqui"me jour d'avril 1552. Priez Dieu pour lui (1575).

Les huit lobes flamboyants du haut de la fenêtre se rapportent également à saint Eustache: son baptême, son martyre et celui de sa famille dans le taureau d*airain; sa sépulture, etc.

 

 

 

 

/ Soudain il en partit au plus hault des montaignes, / or il erroit aux boys loing des gens et bruyct, / ores dedans les prés et parmi les campaignes, / de sa femme et enfans seulement estant suyct. / Après ses biens brulez et toute sa finance, / Sainct Eustache rendit ses lieux les plus secrets / en suivant le bon Job l'honneur de patience / Graces en re à Dieu sans soupirs et regrets. / Mahiot Borcard a conné cette vitre lequel trespassa le 5e jour d'avril 1552. Prize Dieu pour Luy. / Jehan de Malinguehen naguère maire a donné cette partie de verrière et se recommande a vos bonnes prières ".

 
Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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LE REGISTRE MÉDIAN DES LANCETTES C ET D.

Il prolonge sur le plan horizontal le registre médian des lancettes A et B de la Vie de saint Eustache, mais cette partie est offerte par un troisième donateur, Mahiot Brocard en 1575.

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1.Groupe de gauche (lancette C). Saint Eustache en fuite avec sa famille.

 Saint Eustache fuyant les malheurs décrits dans le registre supérieur, s'est retiré dans un écart pour se consacrer, en compagnie de son épouse et de ses deux enfants, à la prière.

Inscription : Après ses biens brullez et toute sa finance, / Sainct Eustache rendit -s lieux les plus secrets / en suivant le bon Job l'honneur de patience / Graces a n[ot]re  Dieu sans soupirs et regretz.

"On [y] retrouve avec plaisir le Romain Buron des meilleurs jours. S'est-il servi d'un vieux carton en le mettant seulement à la mode ? En tout cas, il a emprunté à Dick Vellert l'arc de triomphe d'une de ses plus célèbres estampes, : le saint Bernard, qu'il avait déjà copié quarante ans plus tôt dans un vitrail du chœur de Conches.

En peignant saint Eustache en fuite avec sa famille, l'artiste a pris de grandes libertés avec le texte de la Légende Dorée, et du marché de 1572. Il a revêtu ses personnages des plus somptueux atours, et comme les visages sont peints avec une exquise finesse, à l'aide de trois tons de grisaille, ce tableau supporte la comparaison avec les plus beaux portraits du XVIe siècle français. Le décor de marbre a été réalisé en bariolant le verre blanc de noir, de jaune, d'ocre rouge , de bleu et, semble-t-il, de violet : toutes les dangereuses ressources dont les peintres disposaient à cette époque avancée." (Lafond 1929 p.112)

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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2. Lancette D. Mahiot Brocard et son épouse Huguette de Bray.

Dans un décor de colonnades de marbre évoquant l'intérieur d'un sanctuaire, un couple richement vêtu est agenouillé, mains jointes. Comme pour les autres donateurs, un blason est peint à la base du prie-dieu, bleu avec un élément central (un feu ?) jaune et trois trèfles blancs. Jean Lafond le lit" d'azur au poulet à la broche au naturel environné de flammes, accompagné de trois trèfles d'argent 2 et 1. On voit qu'il s'agit d'armes parlantes." En effet, le nom brocart, "Étoffe de soie, brochée d'or, d'argent (cf. brocatelle)" et dont on on rencontre souvent la graphie brocard est emprunté à l'ital. broccato attesté d'abord comme participe passé du verbe broccare , dérivé de brocco « pointe de fer », du lat. broccus, v. broche) .

 L'inscription indique : "Mahiot Brocard a donné ceste vitre lequel trespassa le XIXe jour d'avril 1572. Priez Dieu pour Luy. 1575."

 

 "Dans le panneau des donateurs, la figure de Mahiot Brocart n'est guère moins remarquable [que dans la scène précédente], si celle de Huguette a été refaite anciennement." (Lafond 1929) 

Victor  Leblond a publié en 1921 le contrat établi le 13 mai 1572 (moins d'un mois après le décès) entre le fils de ce donateur, Nicolas Brocard,  et le maître verrier Romain Buron :

https://archive.org/stream/lartetlesartiste00lebl#page/186/mode/2up/search/mahiot

 

 

13 mai 1572 : « Comparut personnellement Romain Buron, maistre vitrier demourant à Gisors, lequel recongnut avoir promis et par ces présentes promet à Nicolas Brocard, marchant demeurant à Beauvais, à ce présent et acceptant, de faire et fournir deux espaces de vittres estans en la chappelle Saint Eustache, en l'église Saint Estienne dud. Beauvais, et en icelles deux espaces historyer comme une pestilence mortelle assaillit les serviteurs et chambrières de monseigneur saint Eustache et les occyst tous, et peu de temps aprez tous ses chevaulx et toutes ses bestes moururent soudaynement, et comme aucuns des compaignons dud. monseigneur saint Eustache entrèrent par nuyct en sa maison et ravyrent et emportèrent or et argent et le despouillèrent de toutes autres choses, mesmes que luy, sa femme et enfanz s'en fuirent par nuict tous nudz de biens, et comme nonobstant toutes lesd. adversitez mon seigneur saint Eustache rendit grâces et louanges? à Dieu, et au dessoubz desd. hystoires pour mettre et hystorier deux priantz qui seront pourtraictz au mieulx que led. Buron pourra faire les personnes de feu Mahiot Brocard, père dud. Nicolas et Huguette de Bray, sa femme, et au dessoubz desd. Priantz et le tout rendre et livrer, faict et parfaict d'aussi bonnes estoffes et matières que les autres vittres estans en lad. chappelle, assavoir la moictyé desd. hystoires en dedans le jour de Toussaintz prochain venant, et l'autre moictyé le jour de Noël prochain venant; et moyennant ce led. Brocard sera tenu et promet aud. Buron, ce acceptant, de luy bailler et payer au feur et à mesure qu'il besongnera, assavoir dix huit sous pour chacun pied desd. vittres; lesquelles estoffes et matières dessusdites led. Buron sera tenu livrer à ses despens, hors mis le fer, lequel fer led. Brocard sera tenu livrer avecq le plattre qu'il conviendra. » 

Or, Romain Buron  est un peintre verrier français (Gisors, actif entre 1534 et 1575), principal disciple d'Engrand Leprince et auteur, entre autres, de nombreuses verrières à Sainte-Foy de Conches-en-Ouche ou encore à la Collégiale Notre-Dame des Andelys. Les frères Guillaume et Romain Buron furent vraisemblablement formés par leur père Jean, mais également par Engrand Le Prince, maître verrier de Beauvais dont nous avons encore une œuvre dans l’église de Gisors.

 En 1555, Romain Buron créa deux vitraux de saint Gervais et saint Protais (les saints patrons de la  ville) agrémentés des armes du roi et de la ville de Gisors et de trois fleurs de lys d’or sur fond d’azur. Le roi Henri II « fut estonné de voir que si promptement l’on avait fait cet ouvrage qui est la vitre sur notre maistre-autel et en fut bien content… ». 

"Sans-doute grâce à l 'équipement laissé par Tassin Burel et aux vitraux créés dans les chapelles Saint-Claude et Saint-Crépin en 1521 et 1560 respectivement par Engrand et Nicolas Le Prince, un atelier se créa à Gisors, dirigé par Jean Buron, documenté de 1521 à 1560. En 1543, il réalise une verrière peinte à Gisors, consacrée à la vie de Saint Luc. Les deux fils de Jean Buron, Guillaume et Romain, prirent sa succession et exécutèrent, dans les années 1560, au moins cinq verrières historiées pour les fenêtres hautes de la nef et pour les baies des chapelles, toutes perdues. Romain, encore actif l'année de sa mort en 1589, ne travailla comme peintre-verrier pour la fabrique de Gisors qu'à partir de 1558, alors qu'il était en âge de travailler dès 1531.C'est au second quart du XVIe siècle qu'appartiennent les verrières documentées ou signées de Saint-Etienne de Beauvais et des Andelys qui ont permis de reconnaître la main de Romain Buron dans les verrières de Gisors, du chœur de Conches et de Jumièges. Les attributions ds panneaux de Gisors et de Conches, confirmées par des initiales R.B. correspondraient à la phase précoce de sa carrière, consacrée à une commande privée." (d'après E. Hamon)

 Les quatre panneaux de la baie n°18 furent réalisée en trois ans, entre 1572 et 1575. Il semble bien que la Légende de saint Eustache soit demeurée incomplète jusque là.

Quelques détails.

1. Nicolas Brocard est peut-être aussi le donateur d'une verrière de l'église de Marissel, proche de Beauvais. Il est qualifié de prêtre et il est un très généreux donateur – 20 écus d'or, puis 200 écus d'or– et commanditaire de cette église. Mais ici, Nicolas Brocard est qualifié de marchand.

2. Victor Leblond cite à 37 reprises le nom de la famille Brocard ; Jean le Pot, le fils, tailleur d'images, marié avant 1565 à Agnès Brocard. Il y avait, en 1560, deux Jean Le Pot, le père et le fils, tailleurs d'images ; Jean le Pot le père est mort en 1563 (il a son épitaphe à Saint-Etienne) ; Nicolas le Prince, son gendre, travaillait avec lui, en 1558 ;  Thomas le Pot, peintre, était frère de Jean le Pot le fils ; ce Jean le Pot, tailleur d'images, marié à Agnès Brocard (de Beauvais), eut un fils, Nicolas, en 1565.

3. En juin 1558, Jean Le Pot père et son gendre Nicolas Le Prince ont affaire à un laboureur du nom de Guillaume Brocard : 

 6 Juin, a Comparurent Jehan Pol (sic), tailleur d'ymaiges et Nicolas le Prmce, son gendre, aussi de pareil estât, demourans à Beauvais. lesquelz, l'un pour l'autre et chacun d'eulx pour le tout, promettent à Guillaume Brocard, laboureur demourant hors et près la Poterne Saint-Andry dud. Beauvais, présent et ce acceptant, de faire et livrer en l'église de Marissel lès Beauvais, les ymaiges du sépulcre de Nostre Seigneur Jésus Crist, de pierre procédant de la carrière Saint Estienne,, etc.

4. Le contrat nous donne la description et le sens des deux panneaux qui sont placés au registre supérieur. Or, ces descriptions sont extraites textuellement de la Légende Dorée de Jacques de Voragine. Il s'agit d'un des rares cas de verrière pour lequel nous disposons, preuve à l'appui,  de la source scripturaire donnée en sujet par le commanditaire. Le texte de la Vie de saint Eustache dans la Légende Dorée est disponible ici (abbaye-saint-benoit.ch) dans sa traduction de l'abbé Roze en 1902, http://www.abbaye-saint-benoit.ch/voragine/tome03/162.htm 

Voici le passage correspondant à la commande : "Quelques jours s'étant écoulés, la mort, sous la forme d'une peste, se déchaînant sur tous ses serviteurs et ses servantes, les moissonna tous : peu de temps après, tous ses chevaux et tous ses troupeaux moururent subitement. Alors des scélérats, voyant ces ravages, se ruèrent pendant la nuit sur sa maison, emportèrent tout ce qu'ils trouvèrent, et pillèrent l’or, l’argent et tous ses autres biens : lui-même, avec sa femme et ses fils, rendit grâces à Dieu et s'enfuit tout nu.: pour échapper à la honte, ils allèrent en Egypte. Tout ce qu'il possédait fut anéanti par la rapine des méchants."

 Comme le signale Alain Boureau 1982, :

La légende d'Eustache, en chrétienté, apparaît tardivement et disparaît précocement, malgré un vif succès. On peut distinguer trois moments dans cette brève existence littéraire.

- La diffusion (VIIIe-XIe siècle) . les premières traces de la vie d'Eustache ne se repèrent qu'au vnie siècle, à un moment où le grand légendier occidental paraît déjà constitué. Le texte des Passions grecque et latine circule en Occident et en Orient entre le vine et le xe siècle. Au xe siècle, le succès du récit en Occident se mesure au nombre des manuscrits en latin -, une traduction en anglo-saxon se répand à cette époque.

-L 'apothéose (XIIe -XIIIe siècle) : la plupart des langues vernaculaires de l'Europe accueillent le récit. Les grands légendiers latins compilés par les prêcheurs au cours du XIIIе siècle lui font une place d'honneur (Jean de Mailly, Vincent de Beauvais, Jacques de Voragine) . La légende prospère particulièrement dans le domaine français : on connaît douze manuscrits en prose française renvoyant à quatre types différents, onze versions en vers, sans compter la vie écrite au début du xine siècle par Pierre de Beauvais . On apporte de Rome les reliques du saint au début du хпе siècle, en l'abbaye de Saint-Denis, avant de les transférer en 1223 dans une nouvelle châsse ; à cette occasion, on consacre au saint une paroisse de Paris, élevant à ce titre une ancienne chapelle de sainte Agnès, dépendant jusque-là de Saint-Germain-Г Auxerrois. Les représentations iconographiques de la vie du saint se développent au même rythme : selon le relevé effectué par Louis Réau , on trouve au xie siècle une figuration, cinq au xiie siècle, neuf au хше siècle, trois au xive siècle, trois au xve siècle.

- Une désaffection progressive (XIVe -XXe siècle) : la légende perd de sa popularité ; elle n'est plus racontée à l'époque moderne et contemporaine, comme en témoigne le catalogue d'Aarne et Thompson, qui ne signale de versions populaires nombreuses qu'en Lithuanie . La tradition se conserve sans éclat à l'intérieur de l'Église ; ainsi, le récit se lit dans le grand recueil des Gesta Romanorum, somme des anecdotes édifiantes du Moyen Age, compilée au xive siècle ; le compilateur en reproduit la trame inchangée, mais la double d'un commentaire exégétique serré, selon les tendances symbolistes du siècle . 

 

 

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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REGISTRE SUPÉRIEUR DES LANCETTES C ET D.

1. Lancette C. Vie de saint Eustache : la destruction des biens d'Eustache.

La scène correspond à la commande par Nicolas Brocard déjà citée :"comme [lire : "Comment"] une pestilence mortelle assaillit les serviteurs et chambrières de monseigneur saint Eustache et les occyst tous, et peu de temps aprez tous ses chevaulx et toutes ses bestes moururent soudaynement, et comme aucuns des compaignons dud. monseigneur saint Eustache entrèrent par nuyct en sa maison et ravyrent et emportèrent or et argent et le despouillèrent de toutes autres choses, mesmes que luy, sa femme et enfîanz s'en fuirent par nuict tous nudz de biens, et comme nonobstant toutes lesd. adversitez mon seigneur saint Eustache rendit grâces et louanges à Dieu"

A. de Saint-Germain cite la Légende Dorée selon une version ancienne qui permet de vérifier que Nicolas Brocard en a recopié le texte pour sa commande:

"Ce prodige changea soudain le cœur de  Placide ; et lors, poursuit la légende, Placide, sa  femme et ses deux fils allèrent à l'évesque de Romme qui les baptisa à grant ioye, et appela Placide Eustache; sa femme Théospite, et ses fils Agapet et Théospit. Et peu de tems après, une pestilence mortelle assaillit ses serviteurs et ses chambrières et les occit tous : ses chevaux et ses bêtes moururent soudainement : et puis aucuns qui avaient été ses compagnons entrèrent par nuit en sa maison, et ravirent et emportèrent or et argent et le dépouillèrent de toutes autres choses. » (Légende Dorée)

 

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6517959k/f83.item.r=mahiot.texteImage

Ce dernier trait est le seul dont le peintre se soit em- 
paré, mais pour rendre le tableau plus dramatique, il 
y ajouta la foudre qui, déchirant les nues, incendie la 
villa du légionnaire. 

 

 

Inscription : 

Comme les faulx amys desloyaulx,

D'un certain mal vould—se fortune,

Bruslerent les maisons, chasteaux

Que Sainct Eustache as … leztune

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Pour Jean Lafond, ces panneaux n'ajoutent rien à la renommée de Romain Buron, car ils sont d'aspect confus et terne car l'artiste a abusé des couleurs d'émail, qui s'appliquent sur le verre blanc, mais au dépens de sa transparence.

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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Lancette D. Vie de saint Eustache.

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Inscription :

Soudain il en partit au plus hault des montaignes,

or il erroit aux boys loing des gens et bruyct,

 ores dedans les prés et parmi les campaignes,

 de sa femme et enfans seulement estant suyct. / 

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Là où on s'attendrait à voir Eustache et les siens représentés dans une tenue dépouillée voire sauvage dans un décor sylvestre, et se livrant aux errances, à l'ascèse et aux pieuses méditations, l'artiste les a peints somptueusement vêtus, sous le décor d'un palais Renaissance.  Ce choix, qui s'applique aussi aux panneaux du registre médian, lancette C, crée une con,fusion facheuse avec les groupes de donateurs. Jean Lafond mentionne aussi que "le buste et la tête de saint Eustache ont été très mal refaits à une époque déjà ancienne". 

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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LE TYMPAN.

 

Les huit lobes flamboyants du haut de la fenêtre se rapportent également à saint Eustache: son baptême, son martyre et celui de sa famille dans le taureau d*airain; sa sépulture, etc.

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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Saint Eustache distribuant des aumônes aux pauvres

 

 

 

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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Saint Eustache part avec sa femme et ses enfants vers l'église où toute sa famille est baptisée par un évêque.

Légende dorée Bnf fr.245 f.152 :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8425999d/f311.item.zoom.

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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Saint Eustache refuse de sacrifier aux idoles (panneau moderne)

Sur l'ordre de l'empereur Adrien, des bourreaux l'attachent à une potence et lui enfoncent des lames brûlantes dans les flancs.

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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Saint Eustache est jeté avec sa femme et ses fils dans un taureau d'airain rougi au feu.

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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Saint Eustache armé de l'épieu, avec son chien, tentant sans succés de sauver son fils emporté par un lion.

Voir Bnf NAF 15941 f.18 Miroir historial de Vincent de Beauvais traduit par Jean de Vignay :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8449688c/f43.item.zoom

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Mise au tombeau.

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Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

Baie n°18, Vie de saint Eustache, église Saint-Étienne de Beauvais, photographie lavieb-aile.

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SOURCES ET LIENS.

 

— Les vitraux de l'église Saint-Etienne sur le site de l'Association Beauvais Cathédrale  ABC :

http://www.cathedrale-beauvais.fr/nouveausite/saintetienne/vitraux/vitrauxste.html

— Le site www.patrimoine-histoire :

http://www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Beauvais/Beauvais-Saint-Etienne.htm

— Wikipédia :

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89glise_Saint-%C3%89tienne_de_Beauvais

Site therosewindow

http://www.therosewindow.com/pilot/Beauvais-st-etienne/table.htm

 

— BARRAUD. - Descriptions des vitraux de l'église Saint-Etienne de Beauvais. Mémoires de la Société académique d'archéologie, sciences et arts du département de l'Oise, 1852-1855, II - 4, p. 537-598.

 — BOUREAU ( Alain), 1982, "Placido Tramite. La légende d'Eustache, empreinte fossile d'un mythe carolingien". In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 37ᵉ année, N. 4, 1982. pp. 682-699; doi : 10.3406/ahess.1982.282881 http://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1982_num_37_4_282881 

 

 — CALLIAS-BEY (Martine) , Véronique CHAUSSÉ , Françoise GATOUILLAT ,Michel HÉROLD, 2001, Les Vitraux de Haute-Normandie, Corpus vitrearum ; Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France. Commission régionale Haute-Normandie. Nombreuses pages sur l'atelier Leprince, 48-49 etc.

— DANJOU (1847), Note sur les vitraux de l'église Saint-Étienne de Beauvais,  Société académique de l'Oise. Mémoires de la Société académique d'archéologie, sciences et arts du département de l'Oise. 1847 (T1) page 62.

http://visualiseur.bnf.fr/ark:/12148/cb32813221g/date1847

— DÉNOIX (Fanny Descampeaux Dénoix des Vergnes ) Beauvais ...Description matérielle : In-18, III-194 p. Édition : Beauvais : tous les libraires , 1868. 2e éd., page 125 et suivante.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65168165/f138.image

— HÉROLD (Michel), 1995, L'atelier des Leprince et la Normandie, Vitraux retrouvés de Saint-Vincent de Rouen , Rouen, musee des beaux-arts , 190 pages, p. 44-5

— LAFOND (Jean), 1943, Pratique de la peinture sur verre à l'usage des curieux suivi d'un essai sur le jaune d'argent et d'une note sur les plus anciens verres gravés [s. n.] (Rouen) 

— LAFOND (Jean), 1942, cf. Van Moe Emile-A. Jean Lafond. "Romain Buron et les vitraux de Conches. L' énigme de l'inscription «Aldegrevers »."  Bayeux, impr. Colas (1942). (Extrait de l'Annuaire normand, 1940, 1941.). In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1942, tome 103. pp. 271-272; http://www.persee.fr/doc/bec_0373-6237_1942_num_103_1_460361_t1_0271_0000_2

 

— LEBLOND (Dr Victor),1921, L'art et les artistes en Île de France au XVIe siècle  d'après les minutes notariales  . Beauvais & Beauvaisis. Paris : E. Champion ; Beauvais : Imprimerie départementale de l'Oise, 1921. 352 p.-VII, VII pl. ; 25 cm.

https://archive.org/stream/lartetlesartiste00lebl#page/2/mode/2up

— LEBLOND (Dr Victor), LAFOND (Jean) 1929, L'Eglise Saint-Etienne de Beauvais. / [Dr.] V[ictor] Le Blond. étude sur les vitraux par Jean Lafond.  Paris. 1929 38 grav. et 1 plan  pages 65-118.

— LEBLOND , 1924, Nicolas le Prince, verrier et tailleur d'images  : un artiste Beauvaisin au XVIe siècle / Dr Victor Leblond.

LHUILLIER (Victor,)1896   Petit Guide Illustré du Visiteur de L'Église Saint-Etienne de Beauvais.

http://www.forgottenbooks.com/readbook_text/Petit_Guide_Illustre_du_Visiteur_de_LEglise_Saint-Etienne_de_Beauvais_1200144100/29

— PERROT (Françoise), GRODECKI (Louis), 1978, Les vitraux de Paris, de la région parisienne, de la Picardie et du Nord-Pas-de-Calais , Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France Centre national de la recherche scientifique, 1978 - 275 pages

— SAINT-GERMAIN (Stanislas de ), 1843, Notice historique et descriptive sur l'église Saint-Etienne de Beauvais page 61 et suivantes.

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6517959k.r=%22saint-etienne%22

— VASSELIN (Martine), 2000, « Les donateurs de vitraux au XVIe siècle en France : leurs marques et leurs représentations », Rives nord-méditerranéennes [En ligne], 6 | 2000, mis en ligne le 10 mars 2011, consulté le 06 avril 2016. URL : http://rives.revues.org/61

—WYZEVA (Teodor), 1910, La légende dorée / le bienheureux Jacques de Voragine ; traduite du latin d'après les plus anciens manuscrits avec une introduction, des notes, et un index alphabétique, par Teodor de Wyzewa Perrin (Paris) 1910  1 vol. (XXVIII-478 p.-[1] f. de front.) ; in-16. Chapitre CXXXVII pages 524 et suivantes.

 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k202210w/f559.image



 

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