Les vitraux de la chapelle Notre-Dame-du-Crann à Spézet: la verrière de saint Éloi (1550).
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Voir aussi :
Les vitraux de Notre-Dame-du-Crann à Spézet : l'Adoration des Mages et des Bergers ou Baie 3 (1546).
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Avec ses 2,50 m de haut et ses 1,10 m de large, la baie n° 6 en arc brisé éclaire le bas-coté sud de la nef. Elle comporte deux lancettes cintrées de trois panneaux et un tympan à 3 ajours (2 mouchettes et 1 soufflet). La verrière qui la ferme est consacrée au miracle de Saint Éloi ferrant et replaçant le pied coupé d'un cheval. Elle n'a été que peu restaurée, en 1918, par l'atelier parisien d'Alfred Bonnot : le soubassement a été complété à droite. On y note l'emploi de sanguine et de jaune d'argent.
On sait sans-doute qu'en Bretagne, saint Éloi est invoquè pour la protection des chevaux, patrimoine essentiel des agriculteurs. La chapelle conservait autrefois une statue de saint Éloi. Un pardon lui fut consacré à partir de 1912 , près de la fontaine, pour concurrencer celui de la chapelle de Saint-Hervé à Gourin où les éleveurs et paysans avaient coutûme de se rendre en septembre pour baigner les chevaux.
Lancette A, panneau médian : saint Éloi ferrant la patte coupée.
"Ce vitrail se trouve dans le bas-côté Sud. Avant d'être élevé, en 640, au siège· épiscopal de· Noyon, saint Eloi avait été orfèvre à la cour de Clotaire II. Patron des orfèvres, il est devenu le patron des forgerons, des maréchaux-ferrants, et aussi des chevaux. Au diocèse de Quimper, plusieurs Pardons de chevaux se célèbrent en son honneur : à Saint-Eloi, Ploudalmézeau, Ploudaniel, Saint-Vougay, Plougourvest, Plouyé, Plouzévédé, Clohars- Fouesnant, Baye, etc... · Dans notre vitrail, saint Eloi est occupé à ferrer un cheval. Coiffé d'une toque violette, il est vêtu d'un justaucorps bleu, ·d'une casaque rouge, porte des hauts-de-chausses violets. et des bas-de-chausses jaunes. A ses pieds, on voit un marteau et un fer à cheval. Son compagnon, coiffé d'une toque rouge, est habillé d'un justaucorps rouge, d'une casaque bleue, d'un tablier blanc, et porte des hauts et des bas-de-chausses de couleur jaune. Pendant qu'il tient la jambe du cheval, dont saint Eloi a détaché le pied, celui-ci s'emploie à ferrer le membre détaché. C'est ici un trait Iégendaire. Selon les données de la tradition populaire, saint Eloi ferrait un cheval, quand un étranger, se présentant, lui dit : «Je vois que vous ne savez pas bien votre métier. Pour bien ferrer un cheval, il faut lui détacher le pied, y mettre le fer, puis le rattacher à la jambe dont il était séparé.» Et l'étranger, joignant l'exemple au conseil, ferra lui-même le cheval de la façon susdite. Au premier coursier qu'on lui amena, saint Eloi voulut, pour le ferrer, user du même procédé. Quand il tenta de rattacher le pied à la jambe, il échoua piteusement. C'est qu'il ne jouissait pas de la Toute Puissance de celui qui lui avait donné la leçon, et qui était le Seigneur Jésus lui-même." (H. Pérènnes)
Voir la légende racontée par Luzel : https://fr.wikisource.org/wiki/L%C3%A9gendes_chr%C3%A9tiennes/Saint_%C3%89loi_et_J%C3%A9sus-Christ
La Légende Dorée de Jacques de Voragine ignore saint Éloi, et les versions complétées et tardives, qui incluent ce saint, ne mentionne que ses talents d'orfèvre, et sa nomination comme évêque de Noyon. Voir la Légende Dorée traduite par Les enluminures des Livres d'Heures et des traductions de la Légende Dorée du XVe siècle le représentent en saint évêque. (il est alors fêtée le 25 juin). Voir les 16 enluminures de Mandragore.
L'article de Wikipédia donne une version plus précise du miracle de saint Éloi et cite notamment le rôle de l'enseigne prétentieuse d'Éloi avant sa conversion : Éloi, maître sur maître, maître sur tous, avant que Jésus ne lui donne la leçon d'humilité par laquelle il devra reconnaître que seul le Christ est "maître sur tous".
Cet article signale que cette légende est d'origine allemande : à Fribourg, le vitrail homologue de celui de Spézet date de 1320.
Lancette centrale de la verrière des Forgerons (Schmiedefenster) de la cathédrale de Fribourg, photographie lavieb-aile
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A Fribourg, à Spézet, la compréhension du miracle est ambiguë, car tout donne à penser que c'est saint Éloi (nimbé) qui procède brillamment à la pose du fer sur la patte coupée, sous le regard ébahi des assistants.
A Beaune sur la tapisserie du 3e quart du XVe siècle des Hospices, l'ambiguïté persiste, car un chevalier présente le cheval, dont la patte est coupée, à la Vierge portant l'Enfant.
Pourtant, on peut penser que le maître-ferrant nimbé n'est autre que le Christ, que le chevalier derrière lui est saint Georges, et que le prétentieux Éloi est peint sur la lancette B, tenant la deuxième patte et observant la leçon qui lui est donnée.
Notez le cheval de gauche, audacieusement dessiné en fuite.
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Le Christ ferrant, Verrière de saint Éloi, chapelle Notre-Dame -du-Crann, Spézet. Photographie lavieb-aile.
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Inscription de la date : 1550.
Notez aussi le sol avec pavés tracés à la sanguine.
" Au-dessous des pieds du saint, on lit la date de 1550 « à laquelle correspond admirablement le costume des deux opérateurs et des deux propriétaires de chevaux qui sont à l'arrière-plan. On y trouve, en effet, toutes les particularités du règne de Henri II : petit toquet élégant, pour la coiffure, justaucorps, casaquin, hauts et bas-de-chausse collants. Les poses et les physionomies des personnages sont également en conformité avec les peintures et sculptures de cette époque, de même que les petits ornements d'architecture qui forment les bases et les couronnements des deux baies et qui rappellent les motifs décoratifs de quelques-uns de nos porches » (Abgrall, p. 13 ). " (H. Pérènnes)
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Selon mon hypothèse, voici donc le bon Éloi, pas encore converti — ou plutôt sur le point de l'être — à l'humilité évangélique et au renoncement à l'hubris. (J'entends Nietsche qui fulmine).
Ce serait alors amusant de constater que le nimbe christique prend la place le plumet dont le panache orgueilleux fait la roue sur la tête des autres personnages et même de leur monture.
C'est un peu comme dans la légende de saint Christophe, où le moment de la Conversion est celui où le géant trouve son maître, et où ce moment est fixé par une iconographie stéréotypée. dans les deux cas, (mais je ne le comprends, dans le cas d'Éloi, qu'aujourd'hui) cette conversio, ce renversement des valeurs et de l'âme passe par un jeu de regard : celui, éloquent, d'Éloi.
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Notez le mors du cheval, dont les longues branches sont très dures à la bouche de l'animal.
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Le monogramme V.D qui se lit sur l'enclume est considérée comme la signature de Vincent Desportes. Des maîtres-verriers de ce nom sont mentionnés à Châteauneuf-du-Faou . (Congrés archeol. de France 1956 p. 217). Un Vincent Desportes répara en 1588 les verrières de Moncontour (Infobretagne).
Néanmoins, un I est inscrit à l'intérieur du V et du D (comme dans l'abréviation de D[omin]i) : s'il s'agit d'une signature, le prénom et le nom devraient se terminer par un -i-.
Les outils du maréchal-ferrant sont, pour déferrer, la mailloche, le dégorgeoir, et la tricoise (la tenaille), et, pour ferrer, d'une forge et de son enclume, du brochoir, de la rape demi ronde, la rénette, et de la rape plate. Le brochoir sert ...à brocher, c'est à dire à enfoncer les clous : c'est lui que tient le Christ. Une extrémité est bifide pour extraire les clous : on le voit sous l'enclume.
Voir aussi saint Éloi et ses outils à la chapelle de Tréguron (Gouezec)
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Au sommet des lancettes : deux anges accroupis jouant de la flûte traversière.
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TYMPAN
Dans les soufflets du tympan figurent trois jolis anges , dont deux (peu restaurés) ont les mains jointes sur la poitrine.
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SOURCES ET LIENS.
— ABGRALL (Chanoine Jean-Marie) 1909 : La chapelle de Notre-Dame du Crann en Spézet (Bulletin de la Société archéologique du Finistère).
— ABGRALL (Chanoine Jean-Marie), 1891, Bulletin de la Société archéologique du Finistère page XXVI
https://archive.org/stream/bulletin78frangoog#page/n42/mode/2up
— ABGRALL (Chanoine Jean-Marie), Inscriptions...
http://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf_divers/abgrall_inscriptions-gravees.pdf
— Bulletin monumental 1912 page 359 :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k31102s/f468.item.zoom
— ARLAUX (Claire), 2006, La chapelle de Notre-Dame-du-Krann à Spézet, ed. Keltia Graphic.
— COUFFON (René) LE BARS (Alfred), 1988, Nouveau répertoire des églises et chapelles du diocèse de Quimper et de Léon, Quimper, Association diocésaine, 551 p.
http://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf-Couffon/SPEZET.pdf
— GATOUILLAT (Françoise), HEROLD (Michel), 2005, Les Vitraux de Bretagne, Corpus Vitrearum VII, Presses Universitaires de Rennes, page 197.
— OTTIN (Louis), s.d. (1896), Le vitrail; son histoire, ses manifestations à travers les âges et les peuples, pages 244-246 (plan).
https://archive.org/stream/levitrailsonhist00otti#page/246/mode/2up
— PÉRENNÈS (chanoine Henri), 1931, La chapelle Notre-Dame-du-Crann en Spézet, Quimper, imprimerie cornouaillesse. Reprise des articles du BDHA de 1930-1931
http://www.saintgoazec.com/public/upload/file/bd129a3e102efe309069ffc860992d51.pdf
— Site infobretagne :
http://www.infobretagne.com/spezet-chapelle-notredameducrann.htm
— Bulletin de la Société archéologique du Finistère 1903 page 290:
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k109982z/f297.image