"Celui qui dit les choses sans rien dire" : Aragon et Chagall à Landerneau.
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Voir aussi :
- Le vitrail de l'Arbre de vie à la chapelle des Cordeliers de Sarrebourg. (1976)
- Le vitrail de l'Arbre de Jessé et le vitrail de Chagall de la cathédrale de Reims : le travail de Charles Marq. (1974)
- Marc Chagall au Musée de Grenoble. "Le Marchand de bestiaux", et le "Songe d'une nuit d'été".
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Affichage devant l'exposition Chagall à Landerneau, Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
Louis Aragon, in "Celui qui dit les choses sans rien dire", Maeght éditeur, 1976. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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"Quand j'ai rencontré la peinture de Marc Chagall, je me suis mis à l'aimer comme les femmes, pour le maquillage, pour le désordre et la déraison" Louis Aragon
« Peindre. Un homme a passé sa vie à peindre. Et quand je dis sa vie entendez bien. Le reste est gesticulation. Peindre est sa vie. Que peint-il ? Des fruits, des fleurs, l’entrée d’un roi dans une ville ? Tout ce qui s’explique est autre chose que la vie. Que sa vie. Sa vie est peindre. Inexplicablement." Aragon.
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L'exposition "Chagall de la poésie à la peinture" proposée par la fondation Leclerc aux Capucins de Landerneau du 26 juin au 1er novembre 2016 offre, dans l'une de ses dernières vitrines, quelques pages d'un superbe ouvrage de 48 cm x 38 cm, sur vélin de Rives édité par Aimé Maeght en 1976, et qui réunit un long poème-hommage de Louis Aragon, " Celui qui dit les choses sans rien dire" avec une suite de 25 eaux-fortes et aquatintes originales colorisées de Marc Chagall (124 p. XV pl. sous emboîtage, 25 exemplaires + 180 exemplaires) . Les gravures ont été tirées par Lacourière et Frélaut. Le texte est composé par Fequet et Baudier en Caslon, corps 24, selon une police typographique crée par William Caslon vers 1734 et qui fut utilisée en 1776 à imprimer la Déclaration d'Indépendance des Etats-Unis.
C'est en fait la réunion de 25 poèmes ( ou 30 en réalité) écrits entre 1966 et 1975 et dont la parution aurait selon Robert Belleret provoqué paradoxalement la brouille entre les deux artistes, Aragon n'ayant pas supporté (et on le comprendrait) que Chagall retouche certains passages des épreuves qu'il lui avait donné à lire. C'est pourtant un vibrant homage d'Aragon à son ami peintre : s'identifiant à lui (J'aurai traversé sur les mains ce siècle de nuées / Je suis l'acrobate au trapèze tragique de l'Histoire / Je suis l'homme-violoncelle ô musique jamais écrite des sanglots / Qui m'attend sur le toit quel cheval somnambule.. ), il célèbre la Russie, l'amour de la muse, l'amour de l'amour, et Chagall-Bella (la première épouse), ou Chagall-Vava (la seconde épouse) se fondent avec le couple Aragon-Elsa, Elsa Triolet étant née à Moscou.
De nombreux visiteurs demeurent émerveillés par le texte d'Aragon, asssez méconnu malgré les chansons de Jean Ferrat, et malgré la parution des poèmes en 1982 chez Temps Actuel dans le recueil "Les Adieux et autres poèmes" avec les titres Chagall I à Chagall IX, La Préférence ou Chagall X, Chagall XI, Chagall XII ou Poème raconté, Final ou Chagall XIII, Chagall n° tant et plus ou Chagall XIV, Dis-moi Chagall ou Chagall XV, La Toile perdue ou Chagall XVI, Chagall à la quatre-vingtième neige ou Chagall XVII, L'Histoire ou Chagall XVIII, Une ouverture et cinq légendes (Chagall XIX, XX, XXI, XXI, XXIII, XXIV), L'Apocalypse selon Marc ou Chagall XXV.
Jean Ferrat a chanté Chagall III [IX] "Comme tes couleurs sont jolies" avec le refrain Mon peintre amer odeur d'amandes, sous le titre "Chagall", et Chagall VI sous le titre "Les oiseaux déguisés".
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L'exposition montre 5 pages de texte et une dizaine de gravures issues de la collection Sylvie Mazo, Paris :
- la page 14 J'ai souvenir d'une fenêtre,
- la page 42 Chagall IX Comme tes couleurs sont jolies,
- page 66 Quel désordre il y a,
- mais aussi Comme la fleur cachée au cœur des blés
- et Et la journée entre ses doigts
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la gravure de Chagall V L'âme est assise de travers,
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Mon projet est d'illustrer les textes que j'ai découvert avec des photos des œuvres de Chagall sur deux thèmes : les horloges ; des visages des amants les visages réunis. Car, comme l'écrit Aragon dans Chagall à l'Opéra : Il y a deux thèmes dans les toiles de Chagall qui reviennent Comme si rien de rien ne pouvait s'entendre sans eux En premier lieu dans un coin ce sont les amoureux [...] Et le second thème est celui du temps qu'on ne voit pas comment On pourrait figurer sinon par un balancier battant l'heure.
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Marc Chagall, deux têtes, une main, 1964, marbre, collection privée. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Préambule.
Commençons en préambule par ce texte autographe d'Aragon, Chagall l'admirable, passé en vente chez Drouot :
http://catalogue.drouot.com/ref-drouot/lot-ventes-aux-encheres-drouot.jsp?id=2252219
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La page 14, J'ai souvenir d'une fenêtre.
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J'ai souvenir d'une fenêtre
D'un oiseau blanc et sur le lit
Où mourir est l'envers de naître
Dans les draps couleur de l'oubli
Toutes les fleurs de ma folie
Tu mets les mots les uns après les autres
Par quel besoin d'absurdes chapelets
Les nuits cheminent lentement Troupeau de vaches
Tu les écoutes s'éloigner entre les ronces
Tu les écoutes patauger vers le matin
La petite chanson d'horloge
Reprend si je ferme les yeux
Est-ce mon cœur qui s'interroge
Est-ce mon cœur qui se fait vieux
Comme l'étoile dans les cieux
Il faudrait peindre ou dire ces choses
Entre le rêve et la tristesse à mi-hauteur d'homme
Il faudrait peindre à peine aux murs songés
Cette scène intérieure et le bruit passager d'une robe
Et les vêtements sur la chaise avec leur air de reproche
La présence profonde et chaude du pain sur la table qui me poursuit
Il faudrait peindre peindre peindre
Le fait que la porte est fermée
L'instant d'avant la lampe éteindre
Aragon, J'ai souvenir d'une fenêtre, in "Celui qui dit les choses sans rien dire", Maeght éditeur, 1976. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Aragon, J'ai souvenir d'une fenêtre, in "Celui qui dit les choses sans rien dire", Maeght éditeur, 1976. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Marc Chagall, L'Horloge (1950-1952), céramique en 12 carreaux, peinture aux englobes et aux oxydes sur émail blanc collection privée. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Comme tes couleurs sont jolies. Chagall IX page 42.
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Comme tes couleurs sont jolies
Mon peintre amer odeur d'amandes
Toi qui peins les amants dormants
Dans la mémoire et dans l'oubli
Toi qui peins toujours tes enfances
Et les premiers moments d'aimer
Avec ce goût du mois de mai
Qui laisse le cœur sans défenses
Toi sur les toits pour voir de près
Le monde et l'étoile naissante
Qui peins la nuit et les passantes
Et tes secrets et tes regrets
Le temps s'en va léger et lourd
Et la peinture de tes mains
revêt sur son visage humain
La tristesse d'après l'amour.
Aragon, Chagall IX, in "Celui qui dit les choses sans rien dire", Maeght éditeur, 1976. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Marc Chagall, Songe de Lamon et Dryas (détail), Daphnis et Chloé, 1952, Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Toi sur les toits pour voir de près
Le monde et l'étoile naissante
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L'Homme barbu sur le toit avec un violon sur les bras, 1922-1923, Gouache, lavis , crayon de couleur et crayon sur fond lithographique sur papier japon, collection privée. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Dis-moi Chagall, ou Chagall XV. "Comme la fleur cachée au cœur des blés".
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[Dis moi Chagall pourquoi cette musique
Tout ce que l'on voit à voix basse le nie
Dis moi Chagall tout n'est-il que peinture
Que trompe-l'œil
Dis-moi Chagall quel étrange langage
Le tableau parle à la fois sans parler
Et de quoi donc l'image est-elle image ]
Comme la fleur cachée au cœur des blés
Dis-moi Chagall
Mais tous les gens derrière les fenêtres
Est-ce l'horloge ou le cœur qui leur bat
Nul comme toi n'a créé ce silence
Qu'à s'éloigner font entendre les pas
Nul comme toi ne sait Chagall éteindre
Au bord du ciel un frisson commencé
et c'est midi même avant de le peindre
Ou le penser
Celui qui dit les choses sans les peindre
Celui qui n'a que les yeux pour y voir
Et son épaule où le soleil se pose
Et la lumière éclatante du soir.
Louis Aragon, Dis-moi Chagall, ou Chagall XV in "Celui qui dit les choses sans rien dire", Maeght éditeur, 1976. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Le cœur des amants et le balancier de l'horloge battent le même temps qui passe et qui pourtant demeure. Détail du Gant noir, 1923-1948. Huile sur toile, 111 x 81,5 cm. Collection privée. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Marc Chagall, Tête à tête, vase, 1953, collection privée. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Et la journée entre ses doigts. Chagall XVI.
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[II y eut un temps si beau qu'on eût dit
Chose peinte
Tout ressemblait au jour même la nuit
Cela se passait avant la mémoire
Les mains nues
Avant qu'on eût
Divisé les paroles
Si bien qu'à la chanson répondait la chanson
Il y eut un temps si beau que toute ombre
Était bleue
Toute lumière comme un bras portant
La cruche ]
Et la journée entre tes doigts
Partageait le pain lent des heures
Donnez-moi le soleil de vivre avant le cri
Donnez-moi la toile pure offerte aux couleurs
Je partagerai pour vous le jaune et le rouge comme un fruit
Que nous allions encore le soir autour du puits nous asseoir
Ensemble
Je ferai danser mon ami le cheval parmi les étoiles
Et quand viendra l'heure des toits le
Monde entier sera le jardin des somnambules
Dieu Dieu les mots dans la ténèbre ont toujours un air de sanglot
Contenu
Du fond de la cour je croyais entendre simplement des ivrognes
Très tard qui revenaient chez eux
Et je sentais la profondeur des près dans leur murmure
J'attendais le matin et que soit blanc le mur
Comme une robe ou l'eau de boire
Il n'y avait plus rien tracé sur la toile
Ô douleur Or du chant du coq
Le Coq, 1947, Centre Pompidou, Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Louis Aragon, "Et la journée entre ses doigts", in "Celui qui dit les choses sans rien dire", Maeght éditeur, 1976. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Je ferai danser mon ami le cheval parmi les étoiles
Et quand viendra l'heure des toits le
Monde entier sera le jardin des somnambules
Marc Chagall, mouting the ebony horse, illustration des Contes des Mille et Une Nuits, 1948, collection privée. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Marc Chagall, La pendule à l'aile bleue (détail), 1949, huile sur toile. Collection privée. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Marc Chagall, Les deux visages, 1951 (détail), collection privée. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Louis Aragon, L'âme est assise de travers. Chagall V.
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L'âme est assise de travers
A l'abri des bleus et des verts
L'heure bat et l'homme la suit
Une île au ciel comme un nid rouge
Le temps s'y tait le cœur y bouge
Même cercueil pour elle et lui
Naguère devient aujourd'hui
Sous le grand chapiteau de bruit
Où tous les instruments s'accordent
Pour la mort du danseur de corde
Au-dehors qu'importe la pluie
Allez-vous en où vous conduit
Tant pis si sa chanson vous damne
L'équilibriste à la tête d'âne
N'écoutez pas ce qu'on vous dit
L'enfer vaut bien le paradis
Un peu de fard la douleur change
Les baladins valent les anges
Vivre est toujours argent volé
Debout sur son cheval ailé
Visage double ombre et lumière
La couleur est une écuyère
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Marc Chagall, eau-forte, in "Celui qui dit les choses sans rien dire" , Maeght éditeur, 1976. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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L'heure bat et l'homme la suit
Une île au ciel comme un nid rouge
Le temps s'y tait le cœur y bouge
Même cercueil pour elle et lui
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Marc Chagall, Esquisse pour la Chute de l'ange, lavis d'encre de Chine, 1934, collection privée. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Marc Chagall, Entre chien et loup, 1938-1943, huile sur papier marouflé sur toile, collection privé, Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Marc Chagall, Vase noir, 1955, collection privé, Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Quel désordre il y a, page 66 : Chagall à l'Opéra III.
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Quel désordre il y a dans tout ce que l'on voit
Il pousse dans les champs des fleurs qui n'ont rien à y faire
Et Chagall dit sur tous les tons qu'il n'est pas mais là pas
Du tout réaliste et sans doute
On peut facilement lui concéder
Mais pourtant Marc si tu permets cette familiarité poétique
Laisse-moi te dire que c'est la réalité que je trouve admirable chez toi
Breughel du vingtième siècle
Et ce n'est point un hasard qu'Ambroise Vollard qui était
Un homme bizarre et malin t'a demandé
D'illustrer les Fables de la Fontaine
Ton œuvre est une grande fable et l'on sait bienheureux
Que sans la réalité jamais les renards
Ne parleraient aux corbeaux dans les arbres
Quel désordre il y a dans tout ce que l'on voit
Rivalise si tu peux avec ce désordre des choses
Avec les morceaux de verre brillant dans la poubelle univers
La paille dans les cheveux de qui dormit contre une meule
L'homme déjà sait imiter les étoiles filantes
Mais le plus difficile est une histoire de tous les jours
Comme ce paysage à la fenêtre ou ce grand bouquet de muguets
Tu racontes toujours la fable de toi-même
Et tu peux bien prendre une tête de cheval ou de bœuf
Tu seras toujours la fable de toi-même ah
Quel désordre il y a dans tout ce que l'on voit
C'est un ordre déjà de montrer le désordre
La fable a beau feindre de tout inventer
S'il n'y avait pas de palissade à côté de la maison grise
L'aurait-elle ou la lampe sur la table
Qui éclaire le Smolenskïï Viestnik imaginée
Bien sûr l'homme toujours s'efforce de corriger la nature
Et c'est le propre de cet art que nous appelons la peinture
Le peintre a son désordre à lui comme son ordre un jardinier
C'est quand il invente qu'il copie
Nous sommes arrivés à l'époque où l'on ne fait plus rien sans excuses
Même un petit cheval ou de jolis bouquets
Quel désordre il y a dans tout ce que l'on dit
N'empêche qu'on aperçoit toujours dans le fond les oignons d'or
Et les toits verts de Vitebsk
Même quand le tableau représente Paris
Ô fable ô grande femme au-dessus de la ville
Rivalise si tu peux avec la nature et toi-même
Et même le cheval et le bœuf te ressemblent car au fond
Ce sont des portraits que tu peins
Des portraits ressemblants de toi-même
Tu es là comme autrefois c'était la coutume
Devant une adoration des bergers le martyre d'une
Sainte Ou la crucifixion
D'agenouiller les donateurs
Chagall ô Donateur qui n'as point épargné
Le lait de la vache et le vin de la vigne
Et quand nous sommes arrivés chez toi les servantes
Nous ont doucement lavé les pieds de leurs cheveux épars
Ayant d'avance mis le linge frais au grand lit à courtines
Où nous allons rêver la nuit comme en plein jour
Chagall ô Donateur qui ne comptes point la monnaie
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Marc Chagall, Grands personnages, vase, 1962, collection privé, Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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ANNEXE : GLANÉ SUR LA TOILE.
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C'est la fin du jour
Les hôtes partis
Des fruits sur la table
Ce qu'ils étaient beaux
Les bouquets d'alors
Comme des jardins
Des pas qui s'éteignent
Le village au loin
Eux restés ensemble
Voilà que pour eux
Dans le crépuscule
Le ciel tourne au feu
Comme si l'amour
Était las d'attendre
À la fin du jour
Restés seuls et tendres
Comme si l'amour
N'était que pour eux
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Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Jean Ferrat, Mon peintre amer odeur d'amandes extrait de Chagall IX « Comme tes couleurs sont jolies »
Tous les animaux et les candélabres
Le violon-coq et le bouc-bouquet
Sont du mariage
L'ange à la fenêtre où sèche le linge
Derrière la vitre installe un pays
Dans le paysage
Les danseurs ont bu le grand soleil rouge
Qui se fera lune avant bien longtemps
Sur les marécages
Et le cheval-chèvre assis dans la neige
Aimerait parler avec les poissons
Qui sont trop sauvages
Mon peintre amer odeur d'amandes
Le peintre est assis quelque part dans l'ombre
A quoi rêve-t-il sinon des amants
Sur leur beau nuage
Au-dessus des toits à l'horizontale
Dans leurs habits neufs avant d'être nus
Comme leurs visages
Mon peintre amer odeur d'amandes
Marchez sur les mains perdez votre tête
Le ciel est un cirque où tout est jonglé
Et le vent voyage
Tous les animaux et les candélabres
Le violon-coq et le bouc-bouquet
Sont du mariage
Mon peintre amer odeur d'amandes
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Chagall XI
Le ciel est un pays de chèvres
C'est dommage pour les poissons
Les amoureux est-ce qu'ils sont
À ça près
Pourquoi les pieds touchent-ils terre
Quand ils peuvent faire autrement
Et ma tête à l'envers Maman
Ma tête
L'homme danse et non les oiseaux
Il est l'inventeur du trapèze
Les chevaux ont appris de lui l'art
Des bouquets
La vie est longue comme un air
De violon
Qui peint la nuit a deux visages
L'autre d'aimer l'un pour dormir
Tout est joli comme une lampe
C'est la guimpe de la lumière
Les objets s'y font acrobates
Les gens légers
Chagall la couleur est ton peuple
Donne-lui des jeux et du pain
Dieu qu'il fait beau quand l'ombre est rouge
Et bleu l'amour
Aragon ( 1897 - 1982 )
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Note personnelle : aucune couleur ne témoigne autant du temps qui passe que le bleu : bleu azur, bleu ciel, bleu nuit. Chaque heure de l'horloge est l'Heure Bleue, mais plus encore celle du songe, lorsque passent en silence de grands poissons glauques.
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Marc Chagall, esquisse pour le rideau de Daphnis et Chloé, 1958, Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Le Cirque bleu, huile sur toile de lin, 1950-1952, Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Marc Chagall, Couple dans le paysage bleu, 1969-1971, Collection privée. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition de la Fondation Hélène et Édouard Leclerc à Landerneau.
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Les oiseaux déguisés. Aragon : Celui qui dit les choses sans rien dire
Tous ceux qui parlent des merveilles
Leurs fables cachent des sanglots
Et les couleurs de leur oreille
Toujours à des plaintes pareilles
Donnent leurs larmes pour de l'eau
Le peintre assis devant sa toile
A-t-il jamais peint ce qu'il voit
Ce qu'il voit son histoire voile
Et ses ténèbres sont étoiles
Comme chanter change la voix
Ses secrets partout qu'il expose
Ce sont des oiseaux déguisés
Son regard embellit les choses
Et les gens prennent pour des roses
La douleur dont il est brisé
Ma vie au loin mon étrangère
Ce que je fus je l'ai quitté
Et les teintes d'aimer changèrent
Comme roussit dans les fougères
Le songe d'une nuit d'été
Automne automne long automne
Comme le cri du vitrier
De rue en rue et je chantonne
Un air dont lentement s'étonne
Celui qui ne sait plus prier.
Mais l'œil demeure au tard d'hiver
Le transfigurateur du temps
Aux arbres nus rend le jour vert
Et verse aux autres dans son verre
Le vin nouveau d'avoir vingt ans
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Aragon : Chagall à l'Opéra I
Ton âme peut changer comme le fond des mers
Ton corps démesurer sa force à tes travaux
L'univers bourdonner de tes astres rivaux
Peuple de l'avenir parmi tes bras nouveaux
Toujours tu parleras des enfants qui s'aimèrent
Archipel archipel une terre qui ploie
L'arbre est rouge où l'oiseau chante et se désespère
L'ombre seule au printemps comme une jambe impaire
Pèse parmi les fleurs
Daphnis où tu te perds
Et comme un plomb léger tes pas changent de loi
Rien ne retombe plus quand vient le temps solaire
Le monde est un passage énorme de troupeaux
Un établi dansant où bouclent les copeaux
Et toute chose est peinte et les prés et la peau
La couleur et le sang ne songent qu'à se plaire
Quand le geste est un rire et vivre floraison
Le jour des jeunes gens flambe comme un phosphore
Tous les jeux que l'on joue ont des formes d'amphore
Et Chloé ne sait pas pourquoi Daphnis est fort
L'innocence du feu parfume la saison
Ah prolonge un instant l'innocence parfaite
Couple qui n'entends point dans ta bouche formé
Le mot d'or déjà mur de l'aimée à l'aimé
Et dans une île au loin regarde la fumée
Prophète paraphant le rêve que vous faîtes
Maladroits merveilleux l'un l'autre un seul instant
Sur le rivage bleu du matin de vous-même
Tout conspire à donner une rime au poème
Car votre lèvre est ronde et va dire je t'aime
Arrêtez-vous au bord de ce qui vous attend
Au solstice d'été l'heure d'Oaristys
Un grand soleil sauvage aux doigts de foin coupé
Va bondir immobile et pareil à l'épée
En deux égales parts également frapper
La fille et le garçon d'une même justice
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Aragon : Chagall à l'Opéra II,
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Il y a deux thèmes dans les toiles de Chagall qui reviennent
Comme si rien de rien ne pouvait s'entendre sans eux
En premier lieu dans un coin ce sont les amoureux
Elle en robe de mariée ou nue il faut que lui la tienne
N'importe dans le ciel une barque ou la rue ah seulement
Qu'il la tienne ou sans cela qui pourrait comprendre un pot de fleurs
Ou quoi que ce soit qui satisfait l'artiste ordinairement
Et le second thème est celui du temps qu'on ne voit pas comment
On pourrait figurer sinon par un balancier battant l'heure
Et l'horloge est la même à Vitebsk à Vence à Paris
Image emprunté à Kerdonis : Le Jongleur, 1943.
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Je veux dire que de même qu'une lampe sur la fenêtre
N'est qu'un objet s'il n'y a point dans un creux de l'ombre deux êtres
Pour expliquer le monde et l'on peut se passer de Jésus-Christ
À la rigueur mais pas de ces deux-là couchés sur leur nuage
De même il faut la pendule à colonnettes dans le tableau
Pour mesurer le temps qui passe ou ce serait vraiment dommage
Mais ceci ne serait plus de la peinture à peine une image
D'Épinal puisque le temps n'y coulerait pas comme de l'eau
Marc Chagall voit d'un seul coup les amoureux et le reste des choses
Parce que tandis qu'ils sont couchés ensemble ou plutôt nichés
Ensemble ou perchés ensemble ou pour mieux dire ensemble branchés
Parfois dans le boitier de la pendule où leur reflet se pose
Avec le tic-tac de ce qui se passe isolés dans leurs bras
Ils sont comme une île dans la mer où viennent mourir les vagues
Joliment tout autour la mer et ses poissons en fait de draps
Mais écoutez battre le temps Au contraire d'à l'Opéra
Daphnis et Chloé ces amants-ci le temps les tient dans sa bague
Entre la naissance et l'enterrement tout a le mouvement
Du balancier dans son boîtier vitré tout sur soi-même oscille
La vie a des saisons comme les yeux des battements de cils
Ce peintre le temps qui bat dans le pendule des amants
Il est le sol pour qui le temps se soit fait objet de peinture
Car je n'en vois pas d'autre pour ma part même à l'Académie
Et c'est il faut en convenir une singulière aventure
Comme être la roue à la fois et le cocher de la voiture
À la fois de subir le temps et de le peindre mes amis
Et puis le temps il a bon dos Explique-t-il que ce bonhomme
Avec sa canne sur les toits s'en aille ainsi se promener
Ou que votre tête s'envole et cela sans vous étonner
Qu'on ait deux visages se voit sans qu'on vous montre chez Barnum
Certes tout cela ne va pas sans troubler les gens plus ou moins
Habitués que les objets un par un occupent une place
La pomme sur le compotier les pieds par terre et qu'on ait soin
De montrer par la perspective ou s'ils sont près ou s'ils sont loin
Comme depuis toujours n'est-ce-pas nous les voyons dans les glaces
Et quand la noce dans la rue avance avec un violon
Est-ce que le porteur d'eau cesse d'équilibrer sa palanche
Qui pourrait s'imaginer une neige autrement que blanche
Et le sable alors serait-il le sable s'il n'était pas blond
Peut-être qu'il en est ainsi mais dites-moi le temps qui passe
Ets-il jaune ou vert ou tient-il forcément la faux à la main
Car ce peintre qui peint le temps à la fois doit peindre l'espace
Un tableau c'est une mémoire et que voulez-vous qu'on y fasse
Chaque jour y bouscule tout pour faire place au lendemain
On l'a bien vu le Louvre est trop petit pour que Chagall s'y loge
Ici les plafonds ne sont faits que pour la couronne des Rois
Or cette homme est une forêt Tous les palais lui sont trop étroits
Comme doit douloureusement au temps être étroite l'horloge
Comme dans son cœur on porte douloureusement son pays
Avec ces inoubliables détails oubliés qui vous blessent
Et soudain vous sentez en vous quelque chose qui n'obéit
Plus Est-ce l'âme Il suffit d'un parfum pour qu'elle soit éblouie
Il suffit d'une petite maison bleue et basse ô faiblesse
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SOURCES ET LIENS.
— Chagall, de la poésie à la peinture, catalogue d'exposition, Fonds Hélène & Édouard Leclerc pour la culture, 225 p. Saint-Thonan, 2016.
— Poème Chagall à l'Opéra :
http://www.wikipoemes.com/poemes/louis-aragon/chagall-a-lopera.php
—Site :
http://cmamusees.canalblog.com/archives/2016/02/14/33369142.html
— Il ne m'est Paris que d'Elsa, Google,
https://books.google.fr/books?id=o1W26yBO-I0C&pg=PT89&lpg=PT89&dq=Et+l%27horloge+est+la+m%C3%AAme+%C3%A0+Vitebsk&source=bl&ots=WmVljnW1gm&sig=MYTR-fSp1aK9bM0040QI-BNN52M&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwibmYLn1tLOAhXF2xoKHa-4AKIQ6AEIHDAA#v=onepage&q=Et%20l'horloge%20est%20la%20m%C3%AAme%20%C3%A0%20Vitebsk&f=false