Le polyptyque du Jugement Dernier (1445-1450) de Rogier van der Weyden aux Hospices de Beaune "à la loupe".
I. Les petites fleurs.
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Voir dans ce blog :
- La tapisserie de l'Agneau mystique des Hospices de Beaune.
- La tapisserie de saint Antoine aux Hospices de Beaune. Les volets du Polyptyque du Jugement Dernier.
La tenture de la Vie de la Vierge de la collégiale Notre-Dame de Beaune.
Les peintures murales de la chapelle Saint-Léger de la collégiale Notre-Dame de Beaune.
La tenture de la Vie de la Vierge de l'église Notre-Dame de Beaune.
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Introduction.
Le polyptyque du Jugement Dernier de Rogier van der Weyde est exposé aux Hospices de Beaune dans une salle à part, qu'il partage seulement avec trois tentures. C'est dire que le visiteur dispose des meilleurs conditions pour admirer ce chef d'œuvre. S'il veut en examiner les détails, une loupe de forte taille se déplace devant le retable, actionné par un moteur et une télécommande. Hélas, pour ce que j'en sais, le maniement de cette dernière est reservé aux guides patentés, qui choisissent les zones qu'ils souhaitent commenter. Loupe ou pas, télécommande ou pas, il est toujours agréable de disposer chez soi, sur son ordinateur, d'images mettant en évidence la prodigieuse technique des peintres primitifs flamands et leur maîtrise du rendu d'infimes détails.
C'est ce que je souhaite proposer ici, avec mes faibles moyens, basés sur les images prises sur place en dilletante avec un zoom de 400 mm.
La précision avec laquelle ce retable a été réalisé n'a d'égale que celle avec laquelle les amateurs et les spécialistes l'ont étudié. Et ma chance a été de trouver, accessible en ligne, la publication de Nicole Veronee-Verhaegen L'Hôtel Dieu de Beaune, (1973), treizième monographie du Centre National de recherches "Primitifs Flamands" dans laquelle j'ai trouvé tous les renseignements dont je pouvais rêver. Cet article fait largement appel à ce travail, fruit des recherches du "Groupe Weyden".
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Les panneaux inférieurs du Polyptyque sont numérotés de la gauche vers la droite de 1 à 7.
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Rogier van der Weyden, Polyptyque du Jugement Dernier (1445-1450), Hospices de Beaune, photographie lavieb-aile.
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LES PLANTES DU POLYPTYQUE DE BEAUNE.
Les experts en ont dressé un inventaire assez complet, en se basant sur les publications de l'abbé Boudrot en 1875, de Joseph Carlet en 1884, de Paul-André Genty, directeur du Jardin botanique de Dijon, en 1925, et sur les identifications qu'ils ont demandées à André Lawalrée, chef de département au Jardin botanique de l’Etat à Bruxelles ( liste dressée en 1966 et 1968) et de Henri Poinsot, directeur du Jardin botanique de Dijon (liste en 1969). Ces identifications, comme c'est le cas général dans l'étude d'œuvres picturales, où les plantes sont toutes plus ou moins stylisées, peuvent affirmer le genre botanique avec précision, mais ne peuvent souvent proposer, pour l'espèce, que des hypothèses. P.A Genty prend ainsi l'exemple des nombreuses violettes : "Ce sont incontestablement des violettes (genre Viola) mais l’absence de stolons, de capsules, de stipules, etc., organes caractéristiques des espèces de ce genre, ne permet pas de préciser à quelle violette le peintre avait affaire ».
N.B quand plusieurs propositions étaient faites pour une plante, j'ai privilégié celle d'Henri Poinsot.
Au total, 17 plantes sont identifiées, auxquelles il faut ajouter des fougères, diverses graminées. Et le Lis blanc Lilium candidum tenu par le Christ dans la main droite.
- Aquilegia vulgaris "Ancolie"
- Bellis perennis "Pâquerette"
- Borrago officinalis "Bourrache officinale"
- Centaurea jacea "Centaurée jacée":
- Chrysanthemum leucanthemum "Marguerite commune".
- Convallaria majalis "Muguet de mai".
- Dianthus "Oeillet"
- Eupatorium cannabinum "Eupatoire à feuilles de chanvre",
- Fragaria vesca "Fraisier des bois"
- Plantago lanceolata "Plantain lancéolé"
- Plantago media "Plantain bâtard (ou intermédiaire)"
- Ranunculus acris . "Renoncule âcre"
- Silene latifolia alba « Compagnon blanc »
- Trifolium pratense: Trèfle des prés, "Trèfle des prés"
- Trifolium repens. "Trèfle blanc".
- Veronica chamaedrys "Véronique petit-chêne"
- Viola odorata "Violette odorante"
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La plupart de ces plantes sont des plus courantes dans la peinture flamande contemporaine, et dans les tapisseries dites "mille-fleurs" : elles sont régulièrement interprétées par les auteurs à travers leur symbolique, notamment liée à leur couleur (blanc = pureté, bleu = Marie, rouge = Passion du Christ), ou à leur forme (Ancolie = colombe du Saint-Esprit).
Le peintre les a réparties dans la partie gauche, celle des élus accueillis dans le Paradis, alors que le sol qui s’étend à droite jusqu’au bord du gouffre infernal est de plus en plus aride et ponctué de fissures, fumerolles et flammèches. Les fleurs participent, ici comme ailleurs, à composer un lieu idéal, un locus amoenus renvoyant aux jardins clos et aux strophes printanières de la poèsie amoureuse, ou à l'hortus conclusus où se tient la Vierge. Nicole Veronee-Verhaegen cite un passage de l'Elucidarium, qui les décrit, à la fin des temps: « La terre, que les martyrs ont arrosée de leur sang, se couvrira de fleurs immarescibles ».
Je ne les ai pas toutes cueillies, les fleurs de ce tapis d'un éternel printemps, et comme dit le poète, "J'ai laissé les plus jolies pour celui qui viendra demain". Je reprends par contre l'inventaire panneau par panneau de N. Veronee-Verhaegen.
Panneau I
Il est utile de rappeler que les plantes du panneau 1 sont situées en zone restaurée.
a. Aquilegia vulgaris "Ancolie"
b. Bellis perennis "Paquerette"
c. Viola odorata "Violette odorante"
d. Dianthus (Henri Poinsot) ou Lychnis githago ? [ = Agrostemma githago] : "Nielle des prés".
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Panneau 2
e. Viola odorata. "Violette odorante"
f. Fragaria vesca "Fraisier des bois"
g. Ranunculus acris . "Renoncule âcre"
h. Bellis perennis "Pâquerette" ou Chrysanthemum leucanthemum "Marguerite commune".
i. Trifolium "Trèfle"
j. Centaurea jacea "Centaurée jacée":
k. Eupatorium cannabinum "Eupatoire à feuilles de chanvre", ou inspiré de Valeriana officinalis "Valériane officinale" ou aussi de Lychnis chalcedonica ? . Selon Genty, « C’est peut-être la plante la plus remarquable du tableau, ce qui ne l’empêche pas d’être indéterminable ». De son côté, en observant que cette plante est peut-être inspirée de Lychnis chalcedonica, Lawalrée engage à poser la question de son symbolisme: est-ce par hasard qu’on l’appelle aussi « Croix de Jérusalem » ?
1. Borrago officinalis "Bourrache officinale" [ ou inspiré de Omphalodes verna "Petite bourrache"]
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Panneau 2. Bourrache (bleue), Renoncule âcre (blanche), Eupatoire à feuilles de chanvre (rose pourpre), violette odorante (bleue). Photographie lavieb-aile.
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Panneau 3
m. Viola odorata. "Violette odorante".
n. Plantago lanceolata "Plantain lancéolé"
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Panneau 4
o. Ranunculus acris: "Renoncule âcre" .
p. Melandryum rubrum "Compagnon rouge", ou Silene alba
q. Viola odorata: "Violette odorante"
r. Trifolium pratense: Trèfle des prés, "Trèfle des prés"
s. Trifolium repens. "Trèfle blanc".
t. Plantago media "Plantain bâtard (ou intermédiaire)"
u. Chrysanthemum leucanthemum "Marguerite commune".
v. Fragaria ... vesca ? "Fraisier des bois".
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Panneau 5
w. Veronica chamaedrys "Véronique petit-chêne"
x. Convallaria majalis "Muguet de mai".
Genty signale encore Potentilla, Primula auricula L. var., Gladiolus (?) et Orchis maculata L. (?). Il ne les situe pas sur le tableau. Les schémas de Poinsot comprennent encore Ranunculus repens, Viola reichenbachiana (?), Orchis...
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CONCLUSION.
Les 17 ou 20 plantes de ce polyptyque ne sont remarquables ni par leur nombre (on en dénombre une centaine sur les tapisseries —84 identifiées sur la Tenture de la Licorne des Cloîtres de New-York—), ni par la présence d'espèces rares, ni par la précocité de leur représentation (les œuvres de Van Eyck forment un précédent d'un naturalisme et d'une maîtrise exceptionnels), ni même sans-doute par la technique picturale. Elles ne semblent pas exprimé un message allégorique crypté ; ce sont toutes des plantes indigènes, couvrant le sol comme les gazons métaphoriques des rencontres amoureuses, mais ne comportant aucune fleur cultivée métaphorique comme la Rose, la Pivoine ou l'Iris, si on excepte le Lys placé ici à part. Parmi les plantes courantes, je m'étonne de ne pas voir mentionné le Pissenlit Taraxacum officinale, la Pensée Viola tricolor, la Pervenche Vinca major ou minor l'Anémone Anemone coronaria, le Souci Calendula officinalis, la Sauge Salvia officinalis, la Primevère Primula , le Myosotis Myosotis scorpioïdes, etc...
Pas remarquables, ces petites fleurs de Rogier de la Pasture ? Mon œil ...,
...mon œil ne partageait pas cet avis, lorsqu'il les a photographiées.
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SOURCES ET LIENS.
— BOUDROT (Abbé Jean-Baptiste ) 1875, Le Jugement dernier, retable de l' Hôtel-Dieu de Beaune, Beaune, 1875 page 22 :
https://archive.org/stream/frick-31072000963266/31072000963266#page/n25/mode/2up
— CARLET (Joseph) 1884 , Le Jugement dernier. Retable de l'Hôtel-Dieu de Beaune (suivi d'une notice sur les triptyques de Dantzig et d'Anvers), Beaune, 1884; paru également dans Société d'Histoire, d'Archéologie et de Littérature de l'arrondissement de Beaune. Mémoires. Année 1883 (Beaune), 1884, 153-186.
—FETTWEIS (Geneviève ) Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique Les fleurs dans la peinture des XVe , XVIe et XVIIe siècles Dossier pédagogique http://www.extra-edu.be/pdf/GF_Fleurs_10nov.pdf
— GENTY (P.), 1925, "La Flore du retable de Rogier van der Weyden à l'Hôtel-Dieu de Beaune", dans Bulletin de l'Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon (Dijon ), 1925, 47-51.
— VERONEE-VERHAEGEN (Nicole), 1973, L'Hôtel-Dieu de Beaune ; introduction de Pierre Quarré, Corpus de la peinture des anciens Pays-Bas méridionaux au quinzième siècle 13, Bruxelles : Centre national de recherches Primitifs flamands .
http://xv.kikirpa.be/uploads/tx_news/CORPUS_13_-_BEAUNE_-_1973.pdf