Les vitraux de Marc Chagall et Charles Marcq pour le déambulatoire nord de la cathédrale de Metz. IV. La baie n°11. (1958-1962).
Voir aussi dans ce blog :
- Les vitraux de Marc Chagall pour le déambulatoire nord de la cathédrale de Metz. I. La baie n°9. (1958-1962)
- Le vitrail de la Création ( 1963) de Marc Chagall à la cathédrale de Metz. Bras nord du Transept. Baie n° 17.
- Le vitrail de l'Arbre de Vie (1976) de Chagall à la chapelle des Cordeliers de Sarrebourg.
- Le vitrail de l'Arbre de Jessé et le vitrail de Chagall de la cathédrale de Reims : le travail de Charles Marq.
- Marc Chagall au Musée de Grenoble. "Le Marchand de bestiaux", et le "Songe d'une nuit d'été".
- "Celui qui dit les choses sans rien dire" : Aragon et Chagall à Landerneau.
.
PRÉSENTATION.
Lorsqu'il franchit le bras nord du transept pour accéder au déambulatoire qui contourne le chœur , le visiteur de la cathédrale trouve un panneau d'information n° 10 (le n° 9 est celui qui décrit la verrière de la Création) ; il y lit ceci :
.
"Chagall, sur les deux fenêtres de l'abside nord, ouvre en couleurs quelques pages de la Bible, une histoire continue qui mène de la tragédie de l'Exil à la Shoah.
Tout en haut, la lumière arc-en-ciel, au temps de Noé, éclate en bleu et en rouge devant vous. Le sacrifice d'Isaac lié sur l'autel annonce celui du Christ en Croix. Au centre, deux épisodes de la vie de Jacob : le songe et la lutte avec l'ange, un monde tout en rouge qui tranche avec celui de la manifestation de Dieu à Moïse devant le buisson ardent tout en bleu.
A la fenêtre suivante, l'histoire se poursuit. Sur le Sinaï en flammes, Moïse comme aspiré vers Dieu, reçoit les tables des dix paroles. Au centre, David chante s'accompagnant d'une lyre ; enfin Jérémie, le prophète préféré de l'artiste, nous invite à méditer sur le sens d'une histoire qui interpella Chagall : « Plus notre temps refuse de voir le visage entier du monde pour n'en regarder qu'une toute petite partie de sa peau, plus je deviens inquiet en considérant ce visage dans son rythme éternel. »
.
S'il lève les yeux, il sera ébloui par la lumière d'une vingtaine de spots montés sur un vilain luminaire dans une volonté, sinon de desservir l'œuvre du peintre, du moins de privilégier le culte. Il cherchera en vain à contourner ces odieux lumignons pour bénéficier d'un regard d'ensemble. L'une des verrières, avec ses trois lancettes, se trouve au nord de la porte d'accès à la tourelle octogonale de la Boule d'Or (baie n°9), et la seconde, à quatre lancettes, surmonte la porte de la Grande Sacristie (baie n°11 ) : ce lieu de passage a besoin d'être éclairé, mais imaginez la Place de la Concorde, dont des projecteurs occulteraient l'Obélisque !
Cela n'ôte rien à la justesse du texte proposé, et on ne peut mieux exprimer, de manière si concise, 1) que les deux verrières forment un ensemble débutant à la baie n°11, 2) que la figure d'espérance de Noé sous l'arc-en-ciel est ici déterminante, initiant le code des deux couleurs bleu et rouge qui structurent les vitraux.
Donc :
— Baie n° 9 : 3 lancettes lancéolées (Moïse recevant les Tables de la Loi, David jouant de la harpe , le prophète Jérémie ), deux médaillons à quatre-feuilles, une rose à dix ajours centrée par le Christ. Verrière réalisée par Charles Marq de Reims en 1962, d'après les cartons de Marc Chagall, 1958-1961.
—Baie n° 11 : 4 lancettes lancéolées bigéminées (le sacrifice d’Abraham, la lutte de Jacob avec l’ange, le songe de Jacob et Moïse devant le buisson ardent) surmontées de deux mouchettes ; tympan de deux mouchettes et un soufflet, encadrés par deux ajours latéraux. 1962, 362 x 92 cm pour les lancettes.
.
.
.
.
Chagall, peintre de la Bible.
Si Chagall a été pressenti à l'été 1958 par l'architecte en chef Robert Renard pour créer de nouveaux vitraux en remplacement de ceux détruits lors de la Seconde Guerre à la cathédrale de Metz, c'est bien-sûr sous l'effet du formidable renouveau de l'Art Sacré impulsé par le père dominicain Marie-Alain Couturier, bien-sûr en raison de la participation de Chagall à l'ornementation de l'église du plateau d'Assy (deux vitraux et une mosaïque) au coté de Georges Rouault, Fernand Léger, Pierre Bonnard, Henri Matisse etc..., mais aussi en raison de son travail d'illustration de la Bible par 105 gravures éditées en 1956 par Tériade, mais préparées dès 1931 par des gouaches pour Vollard.
Autrement dit, Chagall a puisé dans cet ensemble d'eaux-fortes et de peintures (surtout consacré aux livres de la Genèse et de l'Exode) pour choisir les scènes des baies 11 et 9 de Metz. Pendant les mêmes années, il travailla à un ensemble d'huiles sur toile connues sous le nom de Message Biblique, réunies au Musée du Message Biblique, aujourd'hui Musée National Marc Chagall de Nice, et les mêmes thèmes bibliques trouvent leur expression en couleur dans cet ensemble daté de 1960-1966.
Pour la baie n°11, nous retrouvons :
a) Les gravures de Bible (1931-1956) (précédées par des gouaches) accompagnant le texte biblique correspondant.
- Planche n°2 : Noé lâche la colombe par la fenêtre de l'arche.
- Planche n°4 : Noé et l'arc-en-ciel.
- Planche n° 10 : Abraham prêt à immoler son fils selon l'ordre de Dieu
- Planche n° 14 : Jacob voit en songe une échelle touchant le ciel, où montent et descendent les anges de Dieu
- Planche n° 16 : La Lutte de Jacob avec l'ange
- Planche n° 18 : Joseph berger.
- Planche n° 20: Jacob pleurant la perte de Joseph
- Planche n° 27 : Dieu se manifeste à Moïse dans le buisson ardent
b) les toiles du Message Biblique.
Elles reprennent et développent les eaux-fortes par des couleurs éclatantes.
.
Chagall et la monumentalité.
En se contentant de placer les vitraux de Metz dans la lignée des travaux de Chagall sur la Bible, on passerait à coté d'un axe essentiel : son ouverture à la monumentalité, aux décors. Peintre de chevalet d'abord, et rapidement aussi graveur d'eaux-fortes, cet élève de Bakst (auteur de nombreux décors des Ballets Russes) s'initia en 1920 à la peinture de la salle du Théâtre d'art Juif, puis surtout, en Amérique, aux décors de ballets : Aleko en 1942 au Mexique, l'Oiseau de Feu en 1945 aux Etats-Unis, et enfin Daphnis et Chloé à Paris en 1959. Appliquer le terme de "décor" aux vitraux d'une cathédrale pourrait sembler un parallèle choquant, si on oubliait que ces expériences furent, pour le peintre, une expérience d'art total (peinture, musique et danse) et de transcendance. Quoiqu'il en soit, la commande des vitraux plaça Chagall face à un nouveau défi, celui de faire passer ses figures bibliques des dimensions d'une feuille de papier à celui d'une baie gothique, elle-même intégrée à une vaste structuration d'un espace sacré. Et quoiqu'il en soit aussi, sa palette s'était enrichie, depuis les gouaches bibliques des années 1930, de la lumière grecque ou des couleurs mexicaine, alors que les chorégraphies d'un Nijinski d'un Massine ou d'un Skibine impulsaient à ses personnages une souplesse expressive remarquable (voir infra la Lutte de Jacob), et que son expression lyrique s'en trouvait exaltée.
Chagall et le verre.
Enfin, le vitrail le confrontait aux impératifs d' un nouveau matériau, au moment où il multipliait les découvertes de nouveaux moyens d'expression : costumes, mosaïque, sculpture, céramique, tapisserie plus tard.
.
Les maquettes et études préparatoires.
Le Musée National Marc Chagall conserve un dessin, daté de 1959, correspondant à une maquette au crayon, crayons de couleurs et encre de Chine de la baie n°11.
.
RMN Gérard Blot : http://www.photo.rmn.fr/archive/12-576595-2C6NU023K6OT.html
.
On apprécie aisément le programme iconographique, centré sur quatre manifestations de Dieu (théophanies) à trois Patriarches, Abraham, Jacob et Moïse, alors que dans le remplage du tympan, la fleur centrale illustre dans les deux mouchettes la foi et l'espérance de Noé lançant une colombe après le déluge, et dans le soufflet Noé et l'arc-en-ciel signe de l'Alliance entre Dieu et l'humanité :
« L'arc étant dans les nuages, je le regarderai et me rappellerai le pacte perpétuel de Dieu avec toutes les créatures vivantes qui sont sur la terre.
Dieu dit à Noé: "C'est là le signe de l'alliance que j'ai établie entre moi et toutes les créatures de la terre." (Genèse 9:16-17).
Cette fleur sommitale est encadrée à droite par un rouleau de la Torah, et à gauche par un couple tenant un bouquet.
.
Je présenterai pour chaque lancette, en puisant dans la banque de données de la RMN (Réunion des Musées Nationaux) :
a) Le texte biblique
b) La gravure de Bible (et la gouache préparatoire le cas échéant)
c) la toile du Message Biblique.
.
.
LES QUATRE LANCETTES.
.
Marc Chagall, lancettes de la baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
Marc Chagall, lancettes de la baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
I. LANCETTE A. LE SACRIFICE D'ABRAHAM.
.
a) Le texte.
« Lorsqu'ils furent arrivés au lieu que Dieu lui avait dit, Abraham y éleva un autel, et rangea le bois. Il lia son fils Isaac, et le mit sur l'autel, par-dessus le bois. Puis Abraham étendit la main, et prit le couteau, pour égorger son fils. Alors l'ange de l'Éternel l'appela des cieux, et dit: Abraham! Abraham! Et il répondit: Me voici! L'ange dit: N'avance pas ta main sur l'enfant, et ne lui fais rien; car je sais maintenant que tu crains Dieu, et que tu ne m'as pas refusé ton fils, ton unique. Abraham leva les yeux, et vit derrière lui un bélier retenu dans un buisson par les cornes; et Abraham alla prendre le bélier, et l'offrit en holocauste à la place de son fils. Abraham donna à ce lieu le nom de Jehova Jiré. C'est pourquoi l'on dit aujourd'hui: A la montagne de l'Éternel il sera pourvu. » (Genèse 22 : 9-14).
.
b) La planche gravée n°10 pour Bible édité par Tériade 1956. "Abraham prêt à immoler son fils selon l'ordre de Dieu ". H 29,7 cm; L 24,5 cm.
—Voir "Abraham et Isaac en route vers le lieu du Sacrifice" : gouache préparatoire (1930) :
http://www.photo.rmn.fr/archive/14-546960-2C6NU0AGXK71W.html
— eau-forte : "Le Sacrifice d'Abraham" (1931-1934) RMN Gérard Blot.
http://www.photo.rmn.fr/archive/08-523236-2C6NU0IGNGNG.html
.
.
c) La toile du Message Biblique : Le Sacrifice d'Isaac.
On remarque sur cette toile des détails qui aident à la lecture du vitrail. Isaac est étendu sur les rondins du bûcher. Le bélier de substitution sacrificielle paît sous un arbre, mais on voit aussi Sarah (l'épouse d'Abraham) qui supplie son mari d'épargner son fils unique. L'ange envoyé par Dieu est peint en bleu, alors que Chagall va utiliser dans tout son vitrail le rouge pour toutes les manifestations divines, et le bleu pour la sphère humaine et terrestre. Enfin le Christ est figuré en haut à droite, portant sa croix, alors que de fidèles se prosternent (nimbés), qu'une femme s'agenouille, qu'une autre gravit le Golgotha un enfant dans les bras. Un homme vêtu d'une pelisse et coiffé d'une casquette tient sous le bras un objet. Un carton à dessin ?
.
http://www.photo.rmn.fr/archive/16-532097-2C6NU0A4CLS3L.html
.
d) Le vitrail.
La toile du Message Biblique (contemporaine ou plutôt postérieure, mais non antérieure au vitrail), nous permet de mieux repérer le bélier sous son arbre. Pour attirer sur lui notre attention, le peintre a placé un triangle de verre rose et bleu, qui suppose un verre bleu plaqué de rose. La comparaison de l' arbre des deux œuvres précédentes avec celui-ci montre comment Chagall utilise la "contrainte" de l'usage des plombs pour faire du feuillage une force expressive, gonflée de la puissance salvatrice : l'échange des victimes.
La présence du Christ en haut à droite passerait vite inaperçue, alors que sa présence atteste d'une démarche typologique ancienne reliant le sacrifice d'Isaac par son père, avec la mort sur la croix du Christ en obéissance de la volonté du Père. (Biblia Pauperum)
Un autre élément remarquable est le changement d'orientation d'Abraham, qui n'est plus tourné vers l'ange. La scène y gagne en acuité dramatique, car le Patriarche n'a pas encore interrompu son geste. Certes, il n'a pas le bras levé pour frapper (comme dans l'image de la Biblia Pauperum) mais il se prépare à exécuter l'ordre reçu de Dieu, il se concentre sur l'ardeur de sa foi. Au même moment, une lueur frappe son œil gauche : en fait, il a déjà perçu l'injonction de l'ange, il laisse retomber son bras, et l'affreuse tension de sa conscience. Nous voyons l'instant d'avant, et l'instant d'après.
En outre, Abraham n'est plus assis ou à genoux, mais debout, en déséquilibre vers l'avant (le même déséquilibre que dans la lancette A de la baie n°9 pour Moïse recevant les Tables de la Loi). Les deux œuvres picturales étaient statiques, fixant les deux visages d'Abraham et de l'ange tournés l'un vers l'autre. Une posture sculpturale. Mais il me semble que tout l'art des chorégraphes russes est passé par là, et que désormais les corps dansent, les bras se libèrent, les jambes bougent, les costumes tournoyent, et que les grandes lignes de construction structurent l'espace selon des flux pleins de dynamisme. Nous passons des figures bibliques vers les drames de l'histoire, Histoire Sainte ou Histoire Contemporaine. Et des Portraits vers les Chorégraphies. L'Ancien Testament à l'Opéra. (Je pousse loin le bouchon, non ? )
Enfin, la comparaison entre la planche n°10, la toile et le vitrail peut porter sur le traitement du corps d'Isaac. Sur la gravure, l'arc convexe mais horizontal de son corps, et les bras noués derrière la tête évoquaient la passivité inerte d'une victime infantile et presque animale. Sur la toile, le corps est celui d'un adolescent au torse musclé, les bras sont libres et allongés sur le coté, les yeux sont ouverts. Dans la confiance dans l'infaillibilité du père ? Mais dans le vitrail, la diagonale du corps est tendue vers le haut et la gauche, dans l'axe d'animation principal de tout le vitrail. C'est l'axe du couteau, celui du visage incliné d'Abraham, celui de nombreuses lignes de plombs, l'axe d'expansion du feuillage de l'arbre. Puisque Chagall ne peint pas une feuille de gravure isolée, un tableau séparé, mais une des quatre lancettes d'un vitrail, cette diagonale se tend vers les autres lancettes et va s'y prolonger.
Inutile d'insister sur la beauté d'Isaac, gracieux androgyne assoupi .
Marc Chagall, Le sacrifice d'Abraham, lancette A, baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
Marc Chagall, Isaac, in Le sacrifice d'Abraham (détail), lancette A, baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
Marc Chagall, Le sacrifice d'Abraham, lancette A, baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
Marc Chagall, tête de la lancette A, baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
LANCETTE B. LUTTE DE JACOB CONTRE L'ANGE.
.
a) le texte biblique :
« Jacob demeura seul. Alors un homme lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore. Voyant qu'il ne pouvait le vaincre, cet homme le frappa à l'emboîture de la hanche; et l'emboîture de la hanche de Jacob se démit pendant qu'il luttait avec lui. Il dit: Laisse-moi aller, car l'aurore se lève. Et Jacob répondit: Je ne te laisserai point aller, que tu ne m'aies béni. Il lui dit: Quel est ton nom? Et il répondit: Jacob. Il dit encore: ton nom ne sera plus Jacob, mais tu seras appelé Israël ; car tu as lutté avec Dieu et avec des hommes, et tu as été vainqueur. » (Genèse 32 : 24-28) .
.
b) La gravure de Bible éditée par Tériade, planche n°16. La lutte de Jacob avec l'ange. H 30 cm; L 24cm.
.
Estampe (1931-1934), RMN Gérard Blot
http://www.photo.rmn.fr/archive/08-523237-2C6NU0IGNN00.html
.
c) La toile du Message Biblique : La lutte de Jacob et de l'ange [1960-1966]. 2,51 m x 2,05 m.
.
RMN Adrien Didierjean
http://www.photo.rmn.fr/archive/16-532099-2C6NU0A4CLIB3.html
.
d) le vitrail de Metz.
La posture de Jacob change d'une œuvre à l'autre. Sur l'eau-forte, Jacob, la jambe gauche engagée entre celles de l'ange comme dans une clef de judo, l'autre jambe tendue en arrière, succombe à la poussée de son adversaire qu'il regarde d'un air suppliant. Mais les traits de l'ange expriment aussi la souffrance. Dans le tableau, la scène biblique est placée au centre de nombreuses scénettes satellites. L'ange, beau, grand, domine largement son adversaire qui s'arqueboute dans une fente avant, sans que sa hanche gauche, cruciale dans l'affaire, ne soit menacée. Enfin, dans le vitrail, Jacob garde la position en fente avant genou gauche fléchi, mais l'ange le chevauche littéralement, ce qui amène la face de Jacob contre le torse de son adversaire, dans un corps à corps un peu maladroit ou complexe qui n'est pas éloigné d'un accouplement.
Rébecca Massé comparait la première posture à celle d'une valse :
" Lorsqu'il se bat contre l'ange dans la seizième planche, Jacob saisit son adversaire avec des mains tellement maladroites que la violence attendue d'un combat ressemble ici davantage à une danse. Seuls les visages crispés des combattants démontrent que leur activité n'a rien à voir avec une valse. Cette analogie semble être l'écho d'un tableau de Rembrandt portant le même titre."
Voir ici le tableau de Rembrandt :
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Rembrandt_Harmensz._van_Rijn_063.jpg
Mais c'est dans le vitrail que l'analogie avec le tableau de Rembrandt est la plus franche, c'est là où les antagonistes sont entièrement collés. Les lignes de leurs corps s'entrelacent, le tronc de l'ange pivote de 90° par rapport à ses pieds, et, plutôt qu'une figure de valse, il me semble voir là une passe de tango argentin. La lutte solitaire d'un homme charnel contre un être céleste se transforme en une dualité complice, ou un adoubement. Le virage du récit biblique ( "Je ne te laisserai point aller, que tu ne m'aies béni") devient parfaitement cohérent.
Mais c'est dans le vitrail que l'analogie avec le tableau de Rembrandt est la plus franche, c'est là où les antagonistes sont entièrement collés. Les lignes de leurs corps s'entrelacent, le tronc de l'ange pivote de 90° par rapport à ses pieds, et, plutôt qu'une figure de valse, il me semble voir là une passe de tango argentin. La lutte solitaire d'un homme charnel contre un être céleste se transforme en une dualité complice, ou un adoubement. Le virage du récit biblique ( "Je ne te laisserai point aller, que tu ne m'aies béni") devient parfaitement cohérent.
Ce qui contraste de plus, entre les deux œuvres, est l'expression du visage angélique. Celui de Chagall est pleinement investi par l'attitude de combat tandis que la version de Rembrandt présente un ange au regard serein où les ailes largement déployées évoquent le moment final, lorsque la grâce de Dieu est accordée à Jacob. Alors que l'ange tente de s'enfuir, en dépit de son épuisement, Jacob le retient en le suppliant de le bénir. De par les poses et les regards la peinture témoigne donc de l'issue du combat. La lutte atteint son point culminant; le déboîtement de la hanche du patriarche. Nous voyons clairement l'ange prendre appui avec sa jambe contre un rocher au premier plan à gauche, tout en repoussant Jacob d'une main sur la hanche et le retenant dans son dos à l'aide de l'autre main.
Les couleurs.
La différence la plus marquante entre le vitrail et la toile tient au choix des couleurs. Dans la toile du Message Biblique, la couleur largement prédominante est le bleu, couleur choisie pour indiquer que ce combat se déroule pendant la nuit. Dans le Musée niçois, la toile est suspendue seule contre un grand mur (voir ici). Au contraire, la monumentalité de cette lancette l'intègre dans une mise en scène intégrant les autres lancettes, le tympan et le vitrail voisin. Le rouge y indique la manifestation divine, aveuglante et brûlante. Non seulement l'ange enjambe Jacob, mais en même temps, c'est toute la présence divine qui descend sur lui, l'entoure, l'englobe, l'enthousiaste en un transport digne de l'extase que sculpta Le Bernin dans la Transverbération de Sainte Thérèse à Santa Maria della Vittoria de Rome. La couleur rouge est ici équivalente à l'or rayonnant depuis les Cieux sur sainte Thérèse exaltée, et l'équivalente encore de l'or du fond des icônes : elle désigne l'espace sacré.
Les détails.
De l'ensemble des détails de la toile du Message Biblique, nous ne trouvons ici que :
- un arbre,
- un alignement de maisons
- un ange en tête de lancette.
(voir ici). Au contraire, la monumentalité de cette lancette l'intègre dans une mise en scène intégrant les autres lancettes, le tympan et le vitrail voisin. Le rouge y indique la manifestation divine, aveuglante et brûlante. Non seulement l'ange enjambe Jacob, mais en même temps, c'est toute la présence divine qui descend sur lui, l'entoure, l'englobe, l'enthousiaste en un transport digne de l'extase que sculpta Le Bernin dans la Transverbération de Sainte Thérèse à Santa Maria della Vittoria de Rome. La couleur rouge est ici équivalente à l'or rayonnant depuis les Cieux sur sainte Thérèse exaltée, et l'équivalente encore de l'or du fond des icônes : elle désigne l'espace sacré.
Les détails.
De l'ensemble des détails de la toile du Message Biblique, nous ne trouvons ici que :
- un arbre,
- un alignement de maisons
- un ange en tête de lancette.
.
Marc Chagall, Lutte de Jacob contre l'ange, lancette B, baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
La signature : "Chagall Riems" (sic).
.
Signature de Marc Chagall, lancette B, baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
Marc Chagall, Lutte de Jacob contre l'ange, lancette B, baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
1.
III. LANCETTE C. LE SONGE DE JACOB.
.
a) Le texte
« Il eut un songe. Et voici, une échelle était appuyée sur la terre, et son sommet touchait au ciel. Et voici, les anges de Dieu montaient et descendaient par cette échelle. Et voici, l'Éternel se tenait au-dessus d'elle; et il dit: Je suis l'Éternel, le Dieu d'Abraham, ton père, et le Dieu d'Isaac. La terre sur laquelle tu es couché, je la donnerai à toi et à ta postérité. Ta postérité sera comme la poussière de la terre; tu t'étendras à l'occident et à l'orient, au septentrion et au midi; et toutes les familles de la terre seront bénies en toi et en ta postérité. Voici, je suis avec toi, je te garderai partout où tu iras, et je te ramènerai dans ce pays; car je ne t'abandonnerai point, que je n'aie exécuté ce que je te dis. » (Genèse 28 : 12-15)
b) la gravure de Lider un poemen / Chants et poèmes , Abraham Valt (dit Avrom Liessin), 1938 vol.2. Texte Yiddish.
http://www.photo.rmn.fr/archive/07-538676-2C6NU0J1DJLU.html
.
c) Gravure de Bible, (Tériade 1956) planche n°14 : "Jacob voit en songe une échelle touchant le sol, où montent et descendent les anges de Dieu." . estampe, H 30 cm; L 24,8 cm. 1931-1934.
.
RMN Gérard Blot. http://www.photo.rmn.fr/archive/02-000120-2C6NU0GX5YHP.html
.
c) Toile du Message Biblique. "Le songe de Jacob". [1960-1966]. 1,95 m x 2,78 m
"Le tableau, en forme de diptyque, présente deux scènes nettement séparées, seulement reliées entre elles par l’arrondi de la colline où s’est endormi Jacob. A gauche, dans une nuit au ton violet, il voit en songe des anges monter et descendre une échelle, allusion à sa longue descendance. Les anges semblent danser comme des acrobates autour de l’échelle, évoquant le cirque que Chagall aime tant et soulignant la profonde parenté de ses sujets profanes et de ses sujets sacrés.
A droite, l’ange transparent souligné de blanc, couleur divine, porte un chandelier allumé qui éclaire la nuit bleue et rend manifeste l’éblouissement plein d’espoir du message divin." (MNMC)
.
RMN Adrien Didierjean
http://www.photo.rmn.fr/archive/16-532098-2C6NU0A4CLLYY.html
.
d) Estampe 1977
.
.
Le vitrail de Metz.
.
Marc Chagall, Le songe de Jacob, lancette C, baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
Marc Chagall, Le songe de Jacob, lancette C, baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
Marc Chagall, Le songe de Jacob, lancette C, baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
IV. LANCETTE D. MOÏSE ET LE BUISSON ARDENT.
a) Le texte. Exode 3 : 1-5
Page de Bible, tome 1 page 25.
.
RMN Adrien Didierjean http://www.photo.rmn.fr/archive/16-532147-2C6NU0A4C94ZV.html
.
b) La planche 27 (1931-1934) gravée pour Bible édité par Tériade 1956. Dieu se manifeste à Moïse dans le buisson ardent . H 29.5 cm; L 23.4 cm.
.
RMN Gérard Blot http://www.photo.rmn.fr/archive/08-523239-2C6NU0IGNQBV.html
.
c) Moïse devant le Buisson ardent, Toile du Message Biblique n°10 (1960-1966).1,95 m x 3,12 m.
"Dans une composition en frise, trois figures légèrement obliques scandent les deux épisodes fondateurs de l’histoire de Moïse. Le sens de lecture est celui de l’hébreu : Moïse, à droite, tombe à genoux devant le buisson qui brûle et ne se consume pas. La mission divine, sortir les Hébreux d’Egypte, lui est annoncée par un ange flottant au milieu d’un cercle coloré, évocateur à la fois des mandorles qui soulignent la présence divine au fronton des églises romanes, mâtiné de souvenirs de l'orphisme de Delaunay.
A gauche, la scène de la traversée de la mer Rouge présente Moïse suivi du peuple juif en rang serré dans son manteau. Ici encore, des résurgences médiévales de Vierges de miséricorde abritant un peuple de croyants dans leur manteau montre l'intérêt de Chagall pour les représentations religieuses anciennes. La vague qui se referme derrière lui, également évocation de la nuée divine, protège leur avance contre l’armée de Pharaon dont la colère est soulignée de rouge et de mouvements frénétiques. Chagall a représenté cette scène à de nombreuses reprises, ici dans sa forme la plus resserrée, véritable illustration de la métaphore en peinture dont André Breton attribuait l'invention à l'artiste." (Commentaire MNCM)
.
RMN Adrien Didierjean http://www.photo.rmn.fr/archive/16-532084-2C6NU0A4CJZ3Y.html
.
d) Le vitrail de Metz.
Signature Marc Chagall en bas à droite.
Cette foi-ci, le buisson, qui aurait toutes les raisons d'apparaître en verre rouge pour signifier qu'il est "ardent", qu'il "ardait en feu", n'est pas séparé par une distinction de couleur de la zone bleue du mont Sinaï et de Moïse. Je pense que cela se comprend lorsqu'on replace cette lancette dans l'ensemble du vitrail, où le rouge de la manifestation divine commence dans la tête de la lancette A, se déploie largement dans la lancette B, traverse en diagonale ascendante la lancette C et se termine par le sommet de la lancette D.
Cette disposition, réservant la théophanie à la partie haute du dessin, était aussi celle de la gravure (cercles concentriques sur fond blanc autour du nom YAHVÉ en lettres hébraïques) et de la toile du Message (bleu pour les 3/4 inférieurs, cercles concentriques rouge, bleu et jaune autour d'un ange).
.
Marc Chagall, Moïse et le buisson ardent, lancette D, baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
.
La référence au cubisme orphique de Delaunay, proposée par le commentaire du tableau du Message Biblique, est ici manifeste. Robert Delaunay a été le voisin et ami de Chagall pendant son séjour parisien de 1911 à 1914 à La Ruche, (visite ici) dans le 15e arrondissement.
.
Robert Delaunay, Hommage à Blériot, 1914, Kunstmuseum, Bâle.
.
Mais l' utilisation de ce langage de pure poésie lumineuse est particulièrement appropriée ici, où, par respect avec les traditions hébraïques, Yahvé ne peut être représenté : Chagall l'évoque par une vibration musicale géométrique faite de cercles et de triangles, sortes de cosmos qui surgissent de la trompe d'un ange placé en tête de lancette. Cet éclatement prismatique de la lumière d'un soleil qui ne peut être fixé directement est la culmination du grand embrasement rouge qui débutait en tête de lancette A . Il rejaillit sous forme de touches de jaune d'argent sur le front de Moïse, et y suscite les rayons divergents.
Mais surtout, cette citation est d'autant moins gratuit qu'elle annonce l'arc-en-ciel du sommet du tympan, par lequel Dieu rappelle l'Alliance qu'il a conclu avec l'humanité entière depuis Noé.
.
Marc Chagall, Moïse et le buisson ardent, lancette D, baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
V. LE TYMPAN.
.
Il présente les scènes suivantes : Joseph berger, Jacob pleurant la perte de Joseph, Noé lâchant une colombe de l’Arche, et Noé et l’arc-en-ciel.
.
Marc Chagall, Tympan de la baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
Les 2 ajours inférieurs.
.
1. Joseph berger. Ajour inférieur gauche.
a) Le texte. Genèse 37:2
« Voici la postérité de Jacob. Joseph, âgé de dix-sept ans, faisait paître le troupeau avec ses frères; cet enfant était auprès des fils de Bilha et des fils de Zilpa, femmes de son père. Et Joseph rapportait à leur père leurs mauvais propos. »
b) Gouache préparatoire (1931) à la Planche n°18 de Bible, "Joseph, le dernier des douze fils de Jacob, à l'âge de dix-sept ans, au temps où il faisait paître le troupeau avec ses frères".
Après les planches 14 à 17 consacrées à Jacob, Chagall réalise 8 planches (n°18 à 25) sur l'histoire de Joseph et de ses frères, fils de Jacob.
Dans la planche 18, Chagall représente Joseph comme un jeune éphèbe vêtu d'une tunique. Celle-ci est le signe de la préférence donnée par Jacob à Joseph, fils de Rachel, plutôt qu'à ses demi-frères, fils de Léa (qu'il a épousé trompé par son beau-père, en croyant coucher avec Rachel) et de servantes : " Israël aimait Joseph plus que tous ses autres fils, parce qu'il l'avait eu dans sa vieillesse; et il lui fit une tunique de plusieurs couleurs. " (Gn. 37 : 3). En arrière plan, les demi-frères dont on devine l'hostilité.
.
RMN Gérard Blot. http://www.photo.rmn.fr/archive/14-546964-2C6NU0AGX2AT1.html
.
c) Le vitrail de Metz.
.
Les deux ajours inférieurs.
"La partie haute présente Joseph berger, Jacob pleurant la perte de Joseph, Noé lâchant une colombe de l’Arche, et Noé et l’arc-en-ciel. Ce sont tous des épisodes tirés de la Genèse et de l’Exode. " (Park, 2008)
Marc Chagall, Tympan de la baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
Marc Chagall, Tympan de la baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
2. Jacob pleurant la perte de Joseph.
.
a) le texte : Genèse 37 : 31-35.
" Ils prirent alors la tunique de Joseph; et, ayant tué un bouc, ils plongèrent la tunique dans le sang. Ils envoyèrent à leur père la tunique de plusieurs couleurs, en lui faisant dire: Voici ce que nous avons trouvé ! reconnais si c'est la tunique de ton fils, ou non. Jacob la reconnut, et dit: C'est la tunique de mon fils! une bête féroce l'a dévoré ! Joseph a été mis en pièces! Et il déchira ses vêtements, il mit un sac sur ses reins, et il porta longtemps le deuil de son fils. Tous ses fils et toutes ses filles vinrent pour le consoler; mais il ne voulut recevoir aucune consolation. Il disait: C'est en pleurant que je descendrai vers mon fils au séjour des morts ! Et il pleurait son fils."
b) La planche gravée n° 20 de Bible : "Jacob, ayant reconnu la tunique de Joseph que ses fils lui ont apportée teinte de sang, le croit mort et s'abandonne à sa douleur". H 30,7 cm; L 25 cm.
.
http://www.photo.rmn.fr/archive/02-015595-2C6NU0G2VEB4.html
.
— la gouache préparatoire de 1931.
.
http://www.photo.rmn.fr/archive/14-546965-2C6NU0AGX2HY8.html
.
c) Le vitrail.
Verre bleu plaqué de verre blanc gravé à l'acide, rehaut de jaune d'argent, une pièce rose.
Les deux ajours placés au sommet des lancettes se répondent en accentuant l'émotion qu'elles suscitent : la beauté du jeune berger vêtu de sa tunique nous rend plus sensible le chagrin de son père croyant faussement à la mort de son fils préféré.
.
Marc Chagall, Tympan de la baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
Les deux mouchettes : Noé, dans l'arche, lâche la colombe.
a) Les planches de texte de Bible, édition Tériade 1956 tome 1 page 2 verso: Genèse 8 : 20-22.
.
RMN Adrien Didierjean. http://www.photo.rmn.fr/archive/16-532105-2C6NU0A4CL6ZC.html
.
b) La planche de gravure n°2 de Bible, édition Tériade 1956 tome 1 : "Noé lâche la colombe par la fenêtre de l'arche " H 30,3 cm; L 24,2 cm.
Chagall représente l'intérieur de l'arche. Noé, représenté de profil, légèrement tourné vers le spectateur, se tient à la droite de la fenêtre et y lâche une colombe par sa main droite. L'autre main est posée sur une chèvre, aussi présentée de profil. Une femme tenant un bébé dans ses bras se tient aux cotés de Noé. Un coq est présent dans le coin inférieur gauche. Une grande tendresse se dégage de cette scène, faite d'intimité familiale.
"Ce nourrisson dans les bras maternels pourrait donc très bien symboliser la renaissance de cette humanité nouvelle pleine d'espoir et d'amour qu'espérait tant Chagall." (R. Massé)
"Universellement, le coq est le symbole de la ponctualité et de la fiabilité. Il annonce l'aube, et donc l'arrivée de la lumière. Dans cette même idée, il est celui qui annonce également la libération, le passage des ténèbres à la lumière." (idem)
.
RMN Gérard Blot, http://www.photo.rmn.fr/archive/08-523231-2C6NU0IGNHGY.html
.
Idem, gouache préparatoire.
http://www.photo.rmn.fr/archive/14-546951-2C6NU0AGXKOXU.html
.
c) Le vitrail.
Les deux mouchettes forment une seule composition. Le point de vue est beaucoup plus large que dans les œuvres précédentes, permettant de voir derrière et au dessus de Noé sa famille , composée selon la Bible de ses trois fils Sem, Cham et Japhet et de leurs épouses (Gn 7:13) . Disons qu'il y a eu des naissances, ou des passagers clandestins, car je compte plus de 16 personnes. Rien que du coté tribord.
A bâbord, c'est un enchevêtrement de pattes et d'oreilles, d'ailes et de museaux, où une cane ne retrouverait pas ses poussins. Le plus amusant dans les arches de Noé, ce sont les girafes et les éléphants, les zèbres et les dromadaires, les macaques et les hippopotames (sans oublier la baleine) qui font le bonheur des peintres depuis la nuit des temps. Mais point ici.
.
.
Marc Chagall, Tympan de la baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
Marc Chagall, Tympan de la baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
Le soufflet du sommet du tympan : Noé et l'arc-en-ciel.
.
a) le texte : Genèse 9:8-16.
— Bible, éd. Tériade 1956, tome 1 page 4
http://www.photo.rmn.fr/archive/16-532108-2C6NU0A4CL8QS.html
.
— Bible, page 4 verso.
http://www.photo.rmn.fr/archive/16-532109-2C6NU0A4CLDPZ.html
.
b) La planche gravée n°4 de Bible. L’arc-en-ciel, signe d'Alliance entre Dieu et la Terre (Genèse IX:8-17).
.
RMN Gérard Blot http://www.photo.rmn.fr/archive/08-523233-2C6NU0IGN2XZ.html
.
.
http://art.rmngp.fr/fr/library/artworks/marc-chagall_l-arc-en-ciel-signe-d-alliance-entre-dieu-et-la-terre_gouache_1931
RMN Adrien Didierjean
http://www.photo.rmn.fr/archive/16-532095-2C6NU0A4CLET0.html
.
d) Le vitrail de Metz.
À la différence de la gravure et de la toile, Noé n'est plus couché, dans la posture du songeur, mais il est debout et semble toucher du bras l'arc-en-ciel qu'un ange déploie dans la tête de lancette. Il n'y a plus ni maison, ni coq, ni chèvre, ni famille en liesse, tout au plus un beau rameau d'olivier.
.
Noé et l'arc-en-ciel, tympan de la baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
Le soufflet de la baie n°11, présentant Noé et l'arc-en-ciel, et l'ajour central de la rose de la baie n°9 se répondent, si on se rappelle que le Déluge préfigure pour les chrétiens le Jugement Dernier, et que Noé sauvant un "reste" de l'humanité pécheresse préfigure le Christ (Matthieu 24:38-42). Après la création d'Adam, un nouveau départ est donné, avec des règles différentes, celles de l'Alliance noachique (Noé = Noah en hébreu). Cette nouvelle création sur fond de destruction radicale ne peut pas ne pas faire évoquer la Seconde Guerre Mondiale, "le conflit armé le plus vaste que l’humanité ait connu, mobilisant plus de 100 millions de combattants de 61 nations, déployant les hostilités sur quelque 22 millions de km², et tuant environ 62 millions de personnes, dont une majorité de civils." (Wikipédia).
Le mot hébreu pour "alliance" est bérit et son étymologie provient peut-être de l'akkadien biritu, "lien". Dans l'alliance accordée à Noé, Dieu seul s'engage, inconditionnellement, en faveur de ses descendants, alors que l'alliance accordée à Moïse sera réciproque et conditionnée à la fidélité d'Israël. Les Prophètes expliqueront alors les malheurs d'Israël par son inconduite et sa trahison unilatérale du contrat. (D'après Quesnel et Gruson, La Bible et sa culture, Desclée de Brouver, 2011 p. 72).
L'Alliance de Dieu avec l'humanité est donc racontée par Chagall dans les vitraux qu'il créa pour la cathédrale de Metz. Elle débute avec la verrière de la Création dans la baie n°17, et l'alliance adamique qui concerne tous les hommes. Elle se poursuit ou se renouvelle dans la baie n°11 avec Noé au profit de la Création toute entière. Elle se conclue ensuite plus spécifiquement avec le peuple d'Israël par à travers Abraham, Jacob et Moïse. Dans la baie n° 9, elle s'établit avec Moïse sur des bases contractuelles supposant le respect d'un Code de l'Alliance. Elle s'enracine par David au sein d'une lignée et d'une dynastie royale. Elle est remise en cause par l'inconduite d'Israël et des rois de Juda, provoquant la colère de Yahvé et la punition de l'Exil et la destruction de la ville et du Temple de Jérusalem mais par la voix prophétique de Jérémie l'Eternel s'engage malgré tout à accorder son pardon. Enfin le Christ en croix rachète par sa mort sur la croix l'humanité toute entière du Péché.
On sait que Chagall est opposé à tout prosélytisme religieux. Mais si le mot Amour vient remplacer le mot Alliance, et que ces trois baies racontent l'amour du Créateur pour sa Création, malgré les exactions humaines, pour inciter les hommes à ne pas désespérer lors des périodes de conflit et de haine, on peut rapprocher ce programme iconographique de ce qu'il déclara lors de l'inauguration des vitraux de l'église du Fraumünster de Zurich :
"Je prononce ce mot « paix », ce mot magique, surtout à notre époque, ce mot que l'on retrouve dans la Bible. (...) En dépit des difficultés de notre monde, j'ai retenu l'amour de la vie intérieure dans lequel j'ai été élevé et l'espérance de l'homme dans l'amour. Dans notre vie il y a une seule couleur, comme sur une palette d'artiste, qui donne le sens de la vie et de l'Art. C'est la couleur de l'amour. Je vois dans cette couleur d'amour toutes les qualités qui permettent l'accomplissement dans tous les domaines. (...) L'art que j'ai pratiqué depuis mon enfance m'a enseigné que l'homme est capable d'amour et que l'amour peut le sauver. Pour moi, c'est la vraie couleur, la vraie matière de l'Art". Sylvie Forestier, Chagall—les Vitraux. Paris : Éditions Paris-Méditerranée, 1996. p. 185, cité par Rébecca Massé.
Le signe que Noé adresse en levant la main droite, à coté d'un olivier, salue sans-doute l'avènement de l'Alliance, mais on peut y voir aussi le signe d'espoir adressé par Chagall à l'humanité rescapée du conflit mondial. Un salut d'artiste, dans une pirouette.
.
Noé et l'arc-en-ciel, tympan de la baie n°11, déambulatoire nord de la cathédrale de Metz, photographie lavieb-aile.
.
.
SOURCES ET LIENS.
— Base de données des photographies de la Réunion des Musées Nationaux :
http://www.photo.rmn.fr/
http://www.photo.rmn.fr/C.aspx?VP3=SearchResult&VBID=2CO5PCD92LT2B&SMLS=1&RW=1280&RH=616&PN=30#/SearchResult&VBID=2CO5PCD92LT2B&SMLS=1&RW=1280&RH=616&PN=1
— http://vitrail.ndoduc.com/vitraux/htm5/eg_StEtienne@Metz_Chagall.htm
— Exposition Chagall et la Bible au Musée d'art et d'histoire du judaïsme 2011.
http://www.mahj.org/documents/Chagall-et-la-Bible-dossier-pedagogique.pdf
— http://vdujardin.com/blog/marc-chagall-metz-paradis-terrestre/
— http://hoffmangkor.fr/albums/metz-illuminee-de-jour/
— http://www.mesvitrauxfavoris.fr/cathedrale%20metz%20%20chagall.htm
—"La symbolique des vitraux de Chagall" - Robert Fery
https://www.youtube.com/watch?v=sEYDDgkLbBQ
— BLANCHET-VAQUE (Christine), Les enjeux de la création contemporaine dans la restauration d'un monument classé. Les premiers vitraux de peintres à la cathédrale de Metz, 1952-1965 In Nicholas Bullock,Luc Verpoest Living with History, 1914 - 1964: la Reconstruction en Europe Après la Première Et la Seconde Guerre Mondiale Et Le Rôle de la Conservation Des Monuments Historiques, Leuven University Press, 2011 - 390 pages
https://books.google.fr/books/about/Living_with_History_1914_1964_la_Reconst.html?id=P84es4zwTiAC&redir_esc=y
— GAUTRON (Jean-Claude), site kerdonis.fr
http://kerdonis.fr/ZCHAGALL/page5.html
— MASSÉ (Rebecca), 2010, l'illustration de la Bible par Marc Chagall comme témoignage de sa position théologique personnelle. Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en histoire de l'art pour l'obtention du grade de maître es arts (M.A.) Département d'histoire Faculté des Lettres Université Laval Québec. Les 105 planches de gravure de Bible figurent en annexe. En ligne :
http://www.theses.ulaval.ca/2010/27339/27339.pdf
— MEYER (Bella), 2015, "Chagall à New-York à la rencontre de la monumentalité", in Chagall et la musique, Gallimard/ Philharmonique de Paris / La Piscine-Roubaix, pages 280-283.
— MEYER (Franz), 1995, Marc Chagall, Paris, Flammarion.
— PARK (Chan Young), 2008, La Bible illustrée par Marc Chagall (1887-1985) : un dialogue interculturel et son évolution , Thèse en Histoire de l’art , Université Paris IV Sorbonne sous la direction de Bruno Foucart.
http://www.theses.paris-sorbonne.fr/thesepark.pdf
— PACOUD-RÈME (Élisabeth) ), 2000, «Chagall et le renouveau de l’art sacré en France après-guerre», dans Marc Chagall maquettes de vitraux, catalogue d’exposition, Paris, Réunion des Musées nationaux, 2000,
—PINTELON (Véronique), 2004, Les conditions artistiques, administratives et historiques de la réalisation des vitraux de Marc Chagall à la cathédrale de Reims.
http://www.cathedrale-reims.culture.fr/documents/chagall-pintelon.pdf
— SCHMITT-REHLINGER, Geneviève, 2006 Jésus le Christ dans l’œuvre de Marc Chagall : le motif du crucifié, Thèse de doctorat de Théologie catholique sous la direction de PierreMarie Baude, Université Paul Verlaine de Metz, .
http://docnum.univ-lorraine.fr/public/UPV-M/Theses/2006/Schmitt_Rehlinger.Genevieve.LMZ0607_1_2.pdf
— ZELLER (Madeleine), 2009, Marc Chagall et le Message Biblique, in Françoise Mies, Bible et art: L'âme des sens, Presses universitaires de Namur, 2009 - 190 pages
— Marc Chagall et les vitraux de Metz : Rouen, Musée des beaux-arts : 22 mai-15 septembre 1964 /Marc Chagall / [Rouen] : Le Musée , [1964]
— L'atelier Simon-Marcq :
http://www.ateliersimonmarq.com/public/site/parutions/141101%20VMF/ASM%20VMF%20FULL%20site.compressed.pdf