Notre-Dame de Breac-Ellis en l'église de Brennilis, une "Vierge à la Démone".
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Tous mes remerciements et mon admiration à Marie-Thérèse Klaus, qui nous a guidé avec brio et humour lors des Journées du Patrimoine 2016 dans son église, qu'elle fait visiter depuis 18 ans!.
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— Sur l'église de Brennilis, voir :
- La Baie n°1 : saint Christophe (vers 1498-1510)
- La Baie n°1 : sainte Anne portant la Vierge en son sein ; saint Fiacre. (vers 1498-1510)
- La baie n° 2 : saint Michel, le Christ et saint Jacques (1490-1495)
- Notre-Dame de Breac-Ellis. La niche sculptée de la Vierge à la Démone (v. 1575)
- Les bas-reliefs des douze sibylles de l'église Notre-Dame de Brennilis, étudiés à la lumière des Heures de Louis de Laval.
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—Voir d'autres Vierges à la démone de Bretagne dans les articles suivants :
- La Vierge à la démone de la chapelle de Kerdévot.
- Jessé, Vierge et démone, et Immaculée Conception. Notre-Dame-de-Populo (Itron Varia Populo) à Landudal.
- L'arbre de Jessé de la chapelle Saint-Guen en Saint-Tugdual (56).
- Guimaec (29) Anne trinitaire de l'église de Guimaëc.
- Arbre sculpté de Locquirec : L'Arbre de Jessé sculpté de l'église de Locquirec.
- L' arbre de Jessé de l'église de Saint-Aignan (56). : XVIe siècle.
- Sculpture de L' arbre de Jessé de l'église de Trédrez (22). : 1520
- Sculpture de L'arbre de Jessé de l'église Notre-Dame de Saint-Thégonnec. (29) : 1610.
- Sculpture de L'arbre de Jessé de la chapelle de La Trinité à Cléguerec (56). :1594
- Groupe de Sainte Anne trinitaire de l'ossuaire de Saint-Hernin (29)
- Chapelle Saint-Pierre à Plogonnec (29) Mari, conçevet hep pec'het. 2ème moitié XVIe
- L'Arbre de Jessé de l'église de Plourin les Morlaix (29)
- Chapelle Saint-Trémeur à Plougastel (29)
- Chapelle Notre-Dame de Lannsalaün à Paule (22).
La Vierge à l'Enfant et à la démone de l'église Saint-Louis de Brest (XVIIIe siècle).
La Vierge à l'Enfant et à la démone de la Collégiale du Folgoët (29).
- Les Sirènes et Démones de l'église de Sizun (29) : la diabolisation d'Ève, ou la féminisation de Satan.
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Contexte.
L'église Notre-Dame est une ancienne chapelle tréviale de Loqueffret qui n'est devenue église paroissiale qu'en 1849. Une inscription en lettres gothiques à droite du maître-autel en indique la date de fondation en 1485, correspondant au règne du duc François II (de 1458 au 9 septembre 1488). Si la commande (sans-doute par le fabricien) et la réalisation de la statue sont un peu postérieures à la date de fondation (car les vitraux datent de 1495-1510 environ), cela correspondrait alors au règne d'Anne de Bretagne soit comme duchesse, soit comme reine de France à partir de 1499.
La famille noble qui revendiquait sa prééminence sur cette chapelle était alors celle des Berrien, mais on estime que Henri de Berrien était décédé vers 1482. Son épouse Louise du Juch (dont on ignore la date de décès) exerça-t-elle une influence sur les choix concernant cette chapelle? Leur fille Marie avait une quinzaine d'année, et c'est l'oncle, Roland de Berrien, recteur de Pleyben, qui offrit ( entre 1492 et 1498) le vitrail de la baie du transept nord. Plus tard, Marie de Berrien épousera vers 1500 Olivier II de Quélen baron du Vieux-Chastel, et le couple fera apposer leurs armoiries sur la verrière d'axe consacrée à la Vie de la Vierge.
Datation.
Niche et statue ont été classées à titre d'objet Mh le 12/04/1914 et datées par la notice des Mh de 1485 (date de la fondation de l'église).
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/palissy_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_98=REF&VALUE_98=PM29000059
Pourtant, Christiane Prigent, éminente spécialiste de la statuaire mariale, citée par H. Amemiya, écrivait :
Le type de vêtement de la Vierge ..."l'apparente aux Vierges voisines (également en bois) de l'église et de la chapelle Saint-Tudec en Poullaouen ; schéma utilisé à la chapelle de Lannelec en Pleyben (statue en pierre, [vers 1578]). [...] Le type de décor utilisé dans les volets et certains détails vestimentaires (tenue de l'ange) se rencontrent sur des œuvres postérieures à 1575 (chapelle de Berven en Plouzévédé, ancien diocèse de Léon) ; cette date pourrait correspondre à l'exécution de la statue par comparaison avec la Vierge de de la chapelle de Lannelec en Pleyben. Et l'ensemble (niche + statue) serait contemporain des panneaux de l'enfance du Christ ornant le maître-autel utilisant des schémas identiques à ceux des ateliers morlaisiens dans leur seconde période de production."
J'adopte donc cette datation : vers 1575 . Ce qui change beaucoup de chose.
La statue a été restaurée en 1956 par Mr Hurtret, ébéniste à Nesles-la-Vallée (Seine-et-Oise), et plus récemment en 2012 ; elle mesure 1,90 m (ou 2,10 m selon H. Amemiya). Je décrirai d'abord la Vierge, et ensuite les volets avec leurs quatre panneaux.
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Situation.
Comme de très nombreuses églises et chapelles bretonnes, l'église Notre-Dame de Brennillis honore la sainte patronne éponyme par une statue placée à droite de l'autel du chevet, dans une niche à volet.
L'église de Brennilis est construite sur un plan associant une nef à quatre travées et bas-cotés avec un chevet plat, très en faveur en Basse-Bretagne. Le mur du pignon est percé d'une baie ogivale à quatre lancettes (8 panneaux de la Vie de la Vierge) qui éclaire le chœur et son autel. Ce dernier est encadré par deux niches en bois, abritant à droite la Vierge à l'Enfant, et à gauche sainte Anne éduquant Marie. Tout cet ensemble est donc consacré à la Vierge, mais nous verrons qu'il s'agit d'un culte d'apparition récente, marqué par l'insistance sur la notion de la conception — sans péché — de Marie par sa mère Anne.
Cette insistance est loin d'être isolée puisque cette statue n'est que l'une des "Vierge à l'Enfant foulant une représentation semi-humaine" de Bretagne, et dont Hiroko Amemiya a recensé 52 exemples encore conservés, dont 13 dans des Arbres de Jessé, 4 dans des niches à volets, et 15 sur un croissant de lune.
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Description de la statue.
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On remarque d'abord la fraicheur des couleurs de la niche sculptée, le caractère juvénile de Marie, et l' élégance de son maintien, légèrement cambré et discrètement hanché. La Vierge est couronnée, ses cheveux longs et blonds encadrent le fin visage au front épilé, aux sourcils affinés, aux pommettes rosies, et aux yeux songeurs. Le manteau bleu retenu par un fermail doré s'évase à sa droite en une large courbe, alors que le pan de gauche est gracieusement retenu entre l'annulaire et l'auriculaire gauche, selon un schéma souvent retrouvé (par ex : Notre-Dame de Quillidoaré ; chapelle de Lannelec à Pleyben).
La robe est dorée, unie, mais la peinture porte des marques circulaires autour de la poitrine, limitant le contour d'une sorte de bustier ou signalant quelques fronces. L'encolure est d'un tissu bleu ciel qui se retrouve sur les avant-bras, mais la manche droite est exubérante, ou bien supporte un linge de la même couleur qui sert d'appui au pied droit de l'enfant. L'Enfant-Jésus figure comme Sauveur du Monde, bénissant et tenant le globe. Il porte une robe bleue à motif floral et revers doré au poignets. Comme sa Mère, il regarde au loin.
La Vierge est debout, ses pieds chaussés de souliers bruns posés sur un croissant de lune couleur argent. Par ce détail, elle est assimilée à la Femme de l'Apocalypse ou Mulier Amicta Sole (Femme vêtue de soleil) Ap. 12:1-17, celle qui donne naissance à un enfant mâle qui doit "mener toutes les nations avec un sceptre de fer" et qu'un dragon tente d'avaler. Cette assimilation a été développée par le théologien rhénan Rupert de Deutz et par saint Bernard de Clairvaux dans son Sermon pour l'octave de l'Assomption : .
"N'est-elle pas la femme de l'Apocalypse qu'enveloppe le soleil ? Je veux bien que la suite de cette vision prophétique prouve qu'il s'agit là de l'Église actuelle ; mais on peut sans inconvénient l'appliquer à Marie. Elle est éminemment celle qui s'est revêtue d'un autre soleil. De même que l'astre de notre monde créé se lève également sur les bons et les méchants, Marie, sans peser nos mérites antérieurs, se montre à tous pareillement accessible, clémente, infiniment tendre et prête à prendre en pitié toutes les misères humaines. Tout ce qui est imparfait est au-dessous d'elle ; elle surpasse de très loin tout ce qui est entaché de faiblesse ou de corruption, et sa supériorité infinie domine à une très grande distance toutes les autres créatures; on peut donc dire d'elle aussi qu’elle a la lune sous ses pieds. Sinon, ce ne serait pas un très grand éloge à faire à celle qui surpasse incontestablement les choeurs des Anges, des Chérubins et des Séraphins." Bernard de Clairvaux, Sermo in Domnica infra octavam Assumptionis BVM,PL 183, col. 430d-sq Trad. Michel Perrin
http://multimedia.opusdei.org/pdf/fr/les_12_pr_e9rogatives_de_la_vierge_marie.pdf
Pour saint Bernard (qui s'oppose à la notion de conception immaculée de la Vierge), la lune représente l'Église dont la Vierge et la médiatice : "Et maintenant, Mère de miséricorde, par cette même compassion de ton âme si pure, la Lune (c'est l'Église, je l'ai dit) se prosterne à tes pieds et t'adresse de pieuses supplications, parce que tu es devenue sa médiatrice auprès du Soleil de justice." (idem) .
Les statues de Vierge à l'Enfant foulant une créature semi-humaine, et dont les pieds sont posés sur un croissant de lune se trouvent aussi en Bretagne à :
- Landudal (29) église Notre-Dame de Populo
- Kergloff (29), chapelle de la Trinité
- Le Folgoët (29) église Notre-Dame
- Plouider (29) chapelle Saint-Fiacre
- Plabennec (29) chapelle de Locmaria Lann
- Saint-Yvi (29), église Saint-Yvi.
- Plourin-les-Morlaix (29) : église Notre-Dame
- Trébeurden (22), chapelle de Citeaux-Penvern
- Loc-Envel (22), église Saint-Envel
- Trédrez (22), église Notre-Dame
- Ploubezre (22), chapelle de Kerfons
- Cléguerec (56), chapelle de la Trinité.
- Ploërdut (56), chapelle Notre-Dame de Crénénan.
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Enfin, la Vierge domine et foule, mais seulement par l'intermédiaire du croissant de lune, une créature mi-femme mi-serpent que j'étudierai plus loin.
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La créature semi-humaine ou "démone".
Elle est décrite ainsi par Hiroko Mamemiya :
" Représentation semi-humaine : couchée sur le ventre au-dessous du croissant, tête à gauche. Buste redressé, bas du corps incurvé en forme de croissant. Visage rond aux sourcils fins. La bouche fermée, soulignée d'un trait noir au milieu, lui donne une expression dure. Deux petites cornes rouges (émergent de sa longue chevelure brune. Une pomme rouge dans chaque main. Seins nus en relief aux mamelons marqués. La partie inférieure du corps, peinte en vert, a la forme d'une queue de serpent squameuse. Elle épouse la courbe du croissant et remonte derrière le pan droit du manteau de la Vierge. L'extrémité effilée est nouée. "
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Cette créature a particulièrement intéressé Louis Le Thomas, en 1961-1962, puis Hiroko Amemiya, qui lui a consacrée sa thèse de 1996 . Cette auteure a dénombré 52 exemples de "Vierge à l'Enfant foulant une représentation semi-humaine" en Bretagne, dont 28 en Finistère, 10 en Côtes d'Armor, 11 en Morbihan et seulement 3 en Ille-et-Vilaine.
Parmi ces 52 groupes, où la Vierge à l'Enfant est debout (sauf 2 fois) 9 sont abrités dans une niche, 12 sont des arbres de Jessé, et 15 comportent un croissant lunaire.
J'ai rédigé des articles de ce blog pour une quinzaine d'entre elles, et les liens sont données en tête de cet article. J'en redonne la liste, complétée de quelques autres.
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Guimaec (29), presbytère, Finistère, fragment
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Locquirec (29), église Saint-Jacques, XVIIe. Jessé.
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Plounevezel (29), Chapelle Sainte-Catherine, XVIe-XVIIe
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Plourin-Morlaix (29), église Notre-Dame, XVI, Jessé.
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Saint-Thégonnec (29) , église Notre-Dame et Saint-Thégonnec, 1610. Jessé. Niche.
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Saint-Yvi (29) église Saint-Yvi. Jessé. Croissant
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Ergué-Gabéric (29), Chapelle de Kerdévot,
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Saint-Hernin (29) Sainte Anne trinitaire .
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Landudal (29), Notre-Dame de Populo. Jessé
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Plougastel (29), chapelle Saint-Trémeur.
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Plogonnec (29) Chapelle Saint-Pierre Mari, conçevet hep pec'het. 2ème moitié XVIe
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Saint-Tugdual (56) , Chapelle Saint-Guen (ou Saint-Guénaël), XVIe (1540). Jessé
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Saint-Aignan (56) , église Saint-Aignan, XVIe. Jessé
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Ploerdut (56) , Chapelle Notre-Dame à Crénénan, XVIe siècle
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Cléguerec (56) , Chapelle de la Trinité. 1594. Jessé.
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Trédrez (22), Chapelle de Locquémeau, (1520) . Jessé
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Loc-Envel (22), église Saint-Envel, XVIe.
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Duault (22) , Chapelle Saint-Jean de Landugen,, XVIe
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Paule (22) chapelle de Lannsalaün. Vitrail de l'Arbre de Jessé.
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Cette représentation de la démone, mélant à des traits chtoniens (divinité souterraine ou infernale) et reptiliens des traits de séduction féminine et tenant la pomme, se rapporte à l'évidence aux versets de la Genèse Gn 3 relatant la tentation d'Éve par le serpent, et la faute d'Adam et Éve qui a entrainé la condition mortelle et le Péché Originel transmis à toute la descendance du premier couple. La démone mi-femme mi-serpent serait une fusion de Satan et d'Ève, une diabolisation de la féminité.
Mais l'image rappelle aussi les versets 14 et 15 de Genèse 3 :
L'Éternel Dieu dit au serpent: Puisque tu as fait cela, tu seras maudit entre tout le bétail et entre tous les animaux des champs, tu marcheras sur ton ventre, et tu mangeras de la poussière tous les jours de ta vie. Je mettrai inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et sa postérité: celle-ci t'écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon.
C'est un "objet-valise", formé par la fusion de plusieurs objets ou personnages métaphoriques et dont le sens n'est pas la somme des significations, mais qui va, par la puissance de la figure, dire autre chose de plus complexe, et, en réalité, d'informulable sur le plan théologique. S'adressant à l'imaginaire qui y trouve parfaitement son compte, il fait miroité l'entre-deux de la mystique mariale, avec, en arrière-fond tacite, le légendaire breton.
La Vierge foule de son talon (c'est dire l'importance de la chaussure bien visible émergeant des replis de la robe) l'Ève ancienne qu'elle abolie, et l'Ève ou le serpent de la Genèse deviennent implicitement le dragon de l'Apocalypse.
L'ambivalence concerne aussi la pomme : cette dernière n'est jamais croquée par la démone, mais elle est brandie avec vigueur vers le haut, comme si la féminité diabolique continuait à proposer activement à l'humanité la tentation de la concupiscence et , quoique asservie désormais, qu'elle ne renonçait pas à redresser la tête et à poursuivre son œuvre. Enfin cette pomme adopte la forme d'un sein (ceux de la serpente sont toujours généreux, mais ceux de la Vierge ne se font pas oublier dans le cas des Vierges allaitantes), mais aussi la forme du globe terrestre, le globus cruciger tenu par l'Enfant. Une rhétorique de l'anaphore se plaît à jouer avec ce rappel, avec ces citations internes à l'œuvre.
De même, les sinuosités de la queue, qui se dresse verticalement, viennent citer en les singeant celles des plis de la robe, des boursouflures des manches, et, surtout, celles de la chevelure. C'est ici si vrai que la queue du serpent et les cheveux de la Vierge se rejoignent (cf cliché infra). Le nœud qui affecte la queue du reptile (comme celle du dragon de sainte Marguerite) est une allégorie du Mal, comme tout ce qui est torve, gauche, désuni, tâché, rayé, incomplet.
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En Bretagne, les arbres de Jessé en vitrail comportent en majorité Jessé assis ou plus rarement debout, alors que Jessé est couché dans l'ensemble des haut-reliefs. Parmi les quinze haut-reliefs bretons d'Arbre de Jessé, treize introduisent la figure d'une démone, cornue, à la poitrine dénudée, tenant une pomme, et allongée. Ce sont ceux de Cléguerec, Duault, Guimaëc, Loc-Envel, Locquirec, Ploerdut, Plounevezel, Plourin-Morlaix, St-Aignan, St-Thégonnec (niche), Saint-Guen à St-Tugdual, St-Yvi et Tredrez. La totalité de ces arbres bretons sont du XVIe siécle, hormis 5 arbres datant du XVIIe.
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Cette créature a particulièrement intéressé Louis Le Thomas, en 1961-1962, puis Hiroko Amemiya, qui lui a consacré sa thèse de 1996
Comparaison avec les autres groupes sculptés de Bretagne.
.Cléguerec, Duault, Guimaëc, Loc-Envel, Locquirec, Ploerdut, Plounevezel, Plourin-Morlaix, St-Aignan, St-Thégonnec (niche), Saint-Guen à St-Tugdual, St-Yvi et Tredrez.
Voici la liste de ces 21 Arbres de Jessé sculptés :
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Cléguerec, Chapelle de la Trinité, Morbihan. XVIIe
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Confort-Berhet, église N-D. de Confort, Côtes d'Armor, XVIe
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Duault, Chapelle Saint-Jean de Landugen, Côtes d'Armor, XVIe
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Guimaec, presbytère, Finistère, fragment
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Loc-Envel, église Saint-Envel, Côtes d'Armor, XVIe
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Locquirec, église Saint-Jacques, XVIIe
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Ploerdut, Chapelle Notre-Dame à Crénénan, Morbihan, XVIe siècle
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Plouegat-Moysan, presbytère, Côtes d'Armor, XVIe, fragment
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Plounevezel, Chapelle Sainte-Catherine, Finistère, XVIe-XVIIe
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Plourin-Morlaix, église Notre-Dame, Finistère, XVI
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Plouzévédé, Chapelle Notre-Dame de Berven, Finistère, XVIe
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Priziac, Chapelle Saint-Nicolas, Morbihan, XVIe
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Saint-Aignan, église Saint-Aignan, Morbihan, XVIe
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Saint-Thégonnec, église Notre-Dame et Saint-Thégonnec, Finistère, XVIe
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Saint-Tugdual, Chapelle Saint-Guen (ou Saint-Guénaël), Morbihan, XVIe
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Saint-Yvi, église Saint-Yvi, Finistère,
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Trédrez, Chapelle de Locquémeau, Côtes d'Armor, XVIe
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Tréverec, église Saint-Véran, Côtes d'Armor, XVIIe
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Trinité-Porhoet, église de la Trinité, Morbihan, XVIe ?
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Plouegat-Moysan, ancienne église, fragment au Musée départemental de Quimper.
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Plouharnel, Chapelle Notre-Dame des Fleurs, bas-relief en albâtre, XVIe
On remarque que les paroisses de Cléguérec, Saint-Tugdual, Ploerdut et Priziac appartenaient autrefois au même doyenné, celui de Kemenet-Guégant ou Guéméné-Guingant, présidé par Guéméné-sur-Scorff, et que les verrières de l'Arbre de Jessé sont présentes dans d'autres paroisses du même doyenné, à Melrand, et Guern.
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J'ai étudié, avant de rendre visite à l'église de Brennilis,, huit de ces sculptures.
Il s'agit de trois œuvres du Finistère et trois du Morbihan, placées dans tous les cas dans des niches en bois, plus ou moins bien conservées. Les compositions elle-mêmes ont perdu certains de leurs éléments (perte, vol), ce qui affaiblit la valeur de l'analyse comparative, d'autant que les altérations puis les restaurations réalisées dans le passé ont pu faire disparaître de précieux indices.
Ces hauts-reliefs bretons sont tous du modèle "en chandelier" avec Vierge au centre encadrée par deux groupes de rois. David tient sa harpe dans tous les cas. Jessé est constamment allongé, soit en décubitus droit, soit en décubitus gauche, tête soutenue par la main, mais les yeux sont soit ouvert, soit fermés.
La Démone est présente dans cinq cas sur six, toujours à demi-allongée et redressant la tête, et brandissant la pomme dorée. Ses traits de monstruosité animale, reptiliens ou de serpents, sont plus ou moins marqués, et c'est en elle que l'imagination propre de l'artiste s'est le plus affirmée.
La Vierge est installée sur un croissant de lune dans trois cas, selon le type de la Vierge de l'Apocalypse en relation avec le dogme, alors discuté, de l'Immaculée Conception. Elle est couronnée par les anges à Saint-Aignan, Priziac, Cléguérec et Trédrez. Le ou les prophètes ne sont présents qu'à Saint-Aignan.
Chapelle Saint-Guen, saint Tugdual (56) : 1540.
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Cléguerec, Chapelle de la Trinité, Morbihan. 1594. Jessé.
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Duault, Chapelle Saint-Jean de Landugen, Côtes d'Armor, XVIe
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Guimaec (29), presbytère, Finistère, fragment
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Loc-Envel, église Saint-Envel, Côtes d'Armor, XVIe
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Locquirec, église Saint-Jacques, Finistère nord XVIIe. Jessé.
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Ploerdut, Chapelle Notre-Dame à Crénénan, Morbihan, XVIe siècle
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Plounevezel, Chapelle Sainte-Catherine, Finistère nord, XVIe-XVIIe
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Plourin-Morlaix, église Notre-Dame, Finistère nord, XVI
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Saint-Aignan, église Saint-Aignan, Morbihan, XVIe
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Saint-Thégonnec, église Notre-Dame et Saint-Thégonnec, Finistère nord, 1610. Jessé.
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Saint-Tugdual (56) , Chapelle Saint-Guen (ou Saint-Guénaël), Morbihan, XVIe (1540). Jessé
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Saint-Yvi, église Saint-Yvi, Finistère sud,
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Trédrez (22), Chapelle de Locquémeau, (22) (1520) . Jessé
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Chapelle de Kerdévot, Ergué-Gabéric (Finistère sud)
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Sainte Anne trinitaire, ossuaire de Saint-Hernin.
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Landudal, Notre-Dame de Populo.(Jessé)
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II. LA NICHE ET SES 2 VOLETS.
Niche en bois polychrome (bleu, rouge brique, jaune-ocre, noir) à cuve polyédrique, à fronton et socle triangulaire, et à deux volets à charnières. Chaque volet de couleur bleu clair mesure 190 cm sur 57 cm et est divisé en deux registres de panneaux sculptés en bas-relief et peints.
Sur le socle se lit l'inscription NOSTRE DAME DE Breac ELLIS. Une photographie plus ancienne montre que les panneaux en bois se trouvaient alors au sommet de la niche.
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http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/memoire_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_1=REF&VALUE_1=AP54P01544
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Cette dénomination est commentée ainsi par Bernard Tanguy, toponymiste de renom, dans son Dictionnaire des noms de communes, trèves et paroisses du Finistère page 44 :
"Même si dans ... (cette chapelle) une statue ancienne de la Vierge porte l'inscription Notre Dame de Breac Ellis, altération probable de Breac'h-Elez "bras de l'Elez", du nom de la rivière qui sort du marais de Yenn-Elez, le toponyme [ Brennilis, en breton Brenniliz] semble bien être formé du vieux-breton bren "colline" et du breton iliz, "église". "
Nostre Dame de Breac Ellis signifierait donc Notre-Dame du marais du Yeun Elez, breac provenant d'une racine indo-européenne *Bhrw-c qui signifie précisément terrain humide, terrain marécageux, cf l'anglais brook = ruisseau, le jute du Kent *brook : terrain humide, le germanique *bruoch = vallon humide. Cité par http://marikavel.com/bretagne/brennilis/accueil.htm
Il faut préciser, pour saisir non seulement le sel de cette dénomination, mais aussi ses résonances avec le légendaire breton et ses rapports avec la créature chtonienne s'agitant sous les pieds de la Vierge, que le Yeun Elez porte aussi le surnom de Youdig, "la petite bouillie", comme le raconte Anatole Le Braz dans la Légende de la mort :
« On dirait, en été, une steppe sans limites, aux nuances aussi changeantes que celles de la mer. On y marche sur un terrain élastique, tressé d’herbes, de bruyères, de jonc. À mesure qu’on avance, le terrain se fait de moins en moins solide sous les pieds : bientôt on enfonce dans l’eau jusqu’à mi-jambes et, lorsqu’on arrive au cœur du Yeun, on se trouve devant une plaque verdâtre, d’un abord dangereux et de mine traîtresse, dont les gens du pays prétendent qu’on n’a jamais pu sonder la profondeur. C’est la porte des ténèbres, le vestibule sinistre de l’inconnu, le trou béant par lequel on précipite les « conjurés ». Cette flaque est appelée le Youdig (la petite bouillie) : parfois son eau se met à bouillir. Malheur à qui s’y pencherait à cet instant : il serait saisi, entraîné, englouti par les puissances invisibles"
A la puissance maléfique du marais, des loups noirs ou des créatures aquatiques qui peuvent vous emporter, et donc de la démone, s'oppose celle de saint Michel, bien présent dans l'église de Brennilis sur le vitrail sud. :
"De même, si en traversant le Yeun, vous voyez « bouillir » l’eau du Youdic, hâtez-vous de fuir, sans chercher ce que cela peut être. Les imprudents qui se sont laissés aller à un mouvement de curiosité en ont été cruellement punis ; on n’a plus entendu parler d’eux. Il n’est pas rare que le silence de la nuit soit troublé par des abois furieux, comme des chiens qui s’entre-déchirent. C’est la meute des conjurés qui « fait des siennes ». Mais alors, au-dessus de la chapelle Saint-Michel qui couronne le mont, une lumière subite resplendit, et l’on voit apparaître dans cette auréole la forme gigantesque de l’Archange exterminateur. Il abaisse son glaive vers le Yeun, et tout rentre dans l’ordre. Sant Mikêl vraz a oar an tu d’ampich ioual ar bleizi-du (« Le grand saint Michel sait la manière d’empêcher de hurler les loups noirs ») " Anatole Le Braz, Les saints bretons - 1893
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Les deux panneaux supérieurs se répondent et composent une Annonciation, assez comparable avec celle du volet de niche de la Vierge de la chapelle de Lannelec en Pleyben.
Je les décrirai en premier.
1. Panneau supérieur gauche. Ange Gabriel.
L'ange de l'Annonciation porte une aube et un surplis serré par une ceinture d'or à nœud frontal ; il fait le geste de bénédiction et tient un lys . Au dessus de lui, une banderole contient les paroles AVE MARIA GRATIA PLENA.
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Panneau supérieur du volet gauche, niche de Notre-Dame de Breac-Ellis, église de Brennilis. Photographie lavieb-aile.
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2. Panneau supérieur du volet droit. Vierge de l'Annonciation.
C'est la représentation habituelle de la Vierge surprise dans sa lecture par l'arrivée de l'ange ; de la colombe du Saint-Esprit ; et du lys dans un vase. La banderole indique §VEA ANCILLEA DOMINI (au lieu de "Ecce Ancilla Domini"). J'ignore si cette double faute date d'une restauration récente, ou de la nuit des temps. Elle a déjà été relevée ainsi en 1986.
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Panneau supérieur du volet droit, niche de Notre-Dame de Breac-Ellis, église de Brennilis. Photographie lavieb-aile.
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Panneau inférieur du volet gauche. Sainte Geneviève.
Une carte-postale ancienne (1950) montre que le panneau portait l'inscription Ste GENEVIEEVE. On lit maintenant "Ste GENIEVRE".
La sainte, voilée, vêtue d'une robe dorée et d'un manteau pourpre, tient en main un cierge.
Ce nom de "Genièvre" inciterait à la distinguer de sainte Geneviève de Paris, d'autant que l'encyclopédie Wikipédia indique l'existence d'une sainte "Geneviève de Loqueffret" qui serait la sœur de saint Edern, et la fondatrice du monastère de Loqueffret. Par ailleurs, "Genièvre" est le nom d'une héroïne du roman breton Enec et Eride de Chrétien de Troyes, et "Guenièvre" est le nom de l'épouse du roi Arthur...dont saint Edern fut l'amant.
Genova, sœur de saint Edern, apparaît aussi à Lannedern sur un panneau sculpté.
Néanmoins, rien ne permet d'affirmer que l'église Sainte Geneviève de Loqueffret construite au XVIe siècle et donc postérieure à l'église de Brennilis, ne soit pas dédiée à sainte Geneviève de Paris : ni sa statue de la sainte, couronnée, portant un cierge et un livre, ni l'inscription du bénitier portatif de bronze "POVR. LA. PARROISSE. DE. LOQVEFFRET. SANCTA. GENOVEFA.1617" puisque Sancta Genovefa [parisiorum] est le nom latin de la sainte (Cf Toponymie générale de la France III p. 1587) . Elle est fêtée le 3 janvier, et la translation de ses reliques le 28 octobre.
H. Amemiya s'étonne également dans son ouvrage de cette graphie récente : "S'agit-il d'une erreur d'inscription ? D'après la photo prise en 1951 par Louis Le Thomas l'inscription était Sainte GENEVIEEVE. Cf Cliché Le Thomas n°3596 , conservé à la DRAC."
D'ailleurs, le chanoine Abgrall n'a vu là en 1904 à Brennilis qu'une sainte "Geneviève" ; d'autre part, il est bien difficile de valider les informations sur cette Geneviève de Loqueffret, malgré les indications du site grandterrier.net . Surtout, la sainte est représentée ici exactement selon l'iconographie de sainte Geneviève de Paris, tenant un cierge qu'un démon veut éteindre au moyen d'un grand soufflet et qu'un ange rallume avec une bougie.
"Le premier type iconographique de sainte Geneviève, où un ange et un démon s’affrontent autour d’un cierge, a prévalu tout au long du Moyen Age ; il s’inspire d’un miracle relaté dans l’hagiographie rédigée au VIe siècle à la demande de Clotilde.
Geneviève se rendait avant l’aube à Saint-Denis (Catheuil à l’époque), accompagnée de jeunes filles, pour assister à un office nocturne à la basilique qu’elle venait de faire édifier à l’emplacement de la sépulture du premier évêque de Lutèce. Sur le chemin, une tempête se leva et des bourrasques de vent éteignirent les torches de ses compagnes, les plongeant dans la nuit. Geneviève saisit alors un cierge, qui se serait immédiatement rallumé sous l’effet de ses prières.
Pour traduire visuellement ce prodige et marquer les esprits, les enlumineurs et sculpteurs médiévaux ont illustré une version postérieure, où, remplaçant le vent, c’est un diable, armé d’un soufflet ou d’un éteignoir, qui s’efforce d’éteindre le flambeau, qu’un ange rallume aussitôt à l’aide d’un petit cierge ; ce combat symbolise pour les fidèles la victoire du jour sur la nuit, de la lumière sur les ténèbres, du bien sur le mal, de la foi sur la barbarie.
Cette représentation médiévale de sainte Geneviève, entre ange et démon, fit fortune dans les enluminures jusqu’à la fin du Moyen Age, et se retrouve encore dans les estampes, plus particulièrement au XVIIe siècle."
Sa vie (Vita Sanctae Genovefae) est reprise au XIIIe siècle par Vincent de Beauvais (Speculum historiale livre XXI, ch. 8 et 46-48), texte qui fut traduit par Jean de Vignay vers 1370-1380 (Miroir Historial, Livre XXI, ch. 8 et 46-48). Renaut le clerc a composé vers 1310 une Vie versifiée Bnf Lat. 13508 et Bibl. Sainte Geneviève Ms 704/1.
Le site Enluminures.culture.fr propose 16 exemples d'enluminures médiévales représentant le miracle du cierge de sainte Geneviève.
L'église de Sizun, à 30 km de Brennilis, possède un panneau de bois représentant "Ste GENIEVRE" tenant son cierge allumé par l'ange malgré les tentatives du diable et de son soufflet (image infra). Il provient de la chapelle Saint-Ildut, en Sizun, construite entre 1633 et 1677.
En conclusion, je vois ici une Sainte Geneviève (de Paris), sans-doute assimilable à celle qui est honorée à Loqueffret et à Sizun et qui n'a aucun caractère distinctif permettant d'en faire la sœur de saint Edern. Mais comme le culte de cette sainte est rare ailleurs en Bretagne, cet exemple iconographique est précieux. Le motif du cierge qui résiste aux tentatives d'extinction devait être vu comme une admirable image de la vigilance de la Foi. Enfin, les Finistériens des Monts d'Arrée semblent avoir eu, comme ailleurs en France, des difficultés avec la graphie de la sainte, qu'ils ont décliné selon divers modes.
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Sainte Geneviève, Panneau inférieur du volet droit, niche de Notre-Dame de Breac-Ellis, église de Brennilis. Photographie lavieb-aile.
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Le démon et l'ange s'opposant autour du cierge de sainte Geneviève, Panneau inférieur du volet droit, niche de Notre-Dame de Breac-Ellis, église de Brennilis. Photographie lavieb-aile.
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Quelques enluminures du miracle du cierge de sainte Geneviève sur le site www.enluminures.culture.fr
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Panneau inférieur du volet gauche, Sainte Apolline.
Sainte Apolline ou Apollonie est invoquée contre le mal de dents, tant dans les livres d'Heures que par l'intermédiaire de statues dont aucune paroisse ne peut manquer de disposer. Que feraient alors les pauvres paroissiens ?
Marie-Thérèse Klaus ne manque jamais de le souligner : si vous aviez mal aux dents, vous alliez vous agenouiller devant sa statue (ou son panneau sculpté) "et, rien qu'à voir sa paire de tenailles, vous n'aviez plus mal du tout !".
Ce remède radical ne dispense pas d'adresser quelque oraison à la vierge et martyr à laquelle les bourreaux arrachèrent les molaires :
Donc de bon cœur je te requier
que veulles exsausser ma priere
et des dents le mal appaiser
ou souvent j'ay douleur amere.
Virge benigne, virge clere
ut dolorem eripias
tien moy a jamais ta chambeliere,
et sanam me efficias. ("afin de prendre ma douleur et de réussir à me soigner"). Livre d'heures à l'usage de Bayeux.
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Panneau inférieur du volet gauche, Sainte Apolline, Panneau inférieur du volet gauche, niche de Notre-Dame de Breac-Ellis, église de Brennilis. Photographie lavieb-aile.
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La sainte est représenté ici vêtu d'or et de pourpre, et brandissant sur l'épaule gauche sa dent de sagesse entre les machoires de ses tenailles. On trouve le même dessin dans divers livres d'Heures du site enluminure.culture.fr, comme ceux-ci, daté de 1505 et de 1490 :
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Le foulard de saine Apolline.
Mais le détail qui m'intéresse dans cette sainte Apolline de Brennilis, c'est sa coiffure : à vrai dire, c'est la même que celle que porte la Vierge dans le panneau de l'Annonciation : un voile ou tissu blanc (souvent rayé de bleu) qui resserre les cheveux en passant entre la nuque et la chevelure, et qui peut si besoin être rabattu vers le front si nécessaire.
S'il m'intéresse, c'est que ce bandeau en "chouchou, ce voile rayé est presque pathognomonique de la sculpture mariale bretonne du XVIe siècle, témoignant d'une mode vestimentaire dont on pourrait, si on y consacrait le soin nécessaire, tracer les limites temporelles et spatiales. C'est l'un des nombreux points communs avec la Vierge de Lannelec en Pleyben (1578), mais on trouve aussi cet accessoire sur la Vierge de l'Annonciation de l'église Saint-Germain de Pleyben (1588) et sur de nombreuses Vierges allaitantes examinées dans ce blog:
Notre-Dame de Tréguron, chapelle de Tréguron, Gouézec
Notre-Dame de Bonne-Nouvelle à Saint-Herbot en Plonevez-du-Faou.
La Vierge à l'Enfant de l'église Saint-Julien de Châteauneuf du Faou (16e siècle)
Vierge allaitante Mamm al leiz de la fontaine de Tréguron
Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, chapelle de Quillidoaré, Cast
Vierge allaitante de la chapelle Notre-Dame de Kergoat, Quéménéven
Notre-Dame de Tréguron, église Saint-Germain, Kerlaz
Vierge allaitante de la Chapelle de Kerluan, Chateaulin :
Vierge de l'ossuaire de Pleyben troisième quart du XVIe siècle
Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, chapelle de Bonne-Nouvelle, Locronan
Notre-Dame de Tréguron (?), chapelle Saint-Denis à Seznec, Plogonnec.
Vierge allaitante de la Chapelle Sainte-Marine à Combrit
"Sainte" (Vierge) de l'ossuaire de Saint-Hernin.
Vierge de l'Arbre de Jessé de Plourin-les-Morlaix
Vierge à la démone de l'église de Poullaouen
Chapelle Sainte-Anne de Carhaix
...et en réalité sur un nombre sans cesse grandissant d'exemples où ce simple mais coquet auxiliaire ne manque pas de me faire un signe de reconnaissance.
Certes je m'irrite de constater que Notre-Dame de Breac Ellis a oublié de le porter, mais je suspecte quelque tour joué par un restaurateur malin qui l'aurait ôté. De même que je suis prêt à croire que la poitrine de la Dame était jadis plus dénudée qu'aujourd'hui. Mes désirs pour des réalités.
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Volet droit de la niche de Notre-Dame de Breac-Ellis, église de Brennilis. Photographie lavieb-aile.
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DISCUSSION.
Depuis que j'ai commencé à photographier ces Vierges à la démone, mon interprétation s'est modifiée. Et, parallélement, des travaux d'iconographie ont été publiés, mettant l'accent sur l'importance du culte de l'Immaculée Conception en Normandie.
La conception sans tâche de Marie : une valeur identitaire en Normandie.
Pour résumer très succintement ce qu'expose en détail l'ouvrage collectif de La Fête aux Normands (2011), le culte de la conception sans tâche de la Vierge Marie est passé d'Angleterre à la Normandie au XIe siècle, et y a été honoré par une fête le 8 décembre, dite "la fête aux Normands" . Cette fête de la conception de Marie s'est diffusée dans toute la France, et en tout cas dans la région lyonnaise puisqu'au XIIe siècle saint Bernard, dans une lettre aux chanoines de Lyon vers 1139, exprime son désaccord à la célébrer. Saint Thomas d'Acquin s'y opposera aussi au XIIIe siècle, mais le culte perdurera, pour trouver une grande vigueur en Normandie à la fin du XVe siècle et au début du XVIe. Une Fête du Puy des Palinods est instituée à Rouen par l'élite de la bourgoisie locale, couronnant de prix les meilleurs poèmes (notamment les chants royaux) faisant l'éloge de la conception sans pareille de Marie et élisant un Prince du Puy. Ces poèmes font appel à un riche argumentaire comportant :
- Le culte de sainte Anne et le baiser de la Porte Dorée.
- L'Annonciation et le verset Ave Gratia plena
- Le salut AVE comme inversion du nom ÈVE
- L'Assomption de la Vierge.
- La Vierge aux symboles bibliques reprenant à divers textes vétéro-testamentaire (Cantique des cantiques, Genèse,) des préfigurations de la Vierge, notamment celui de "miroir sans tâche", Speculum sine macula.
- Le Triomphe de la Vierge sur le Péché, représenté par un serpent.
A Saint-Vincent de Rouen et à Conches-en-Ouches(1540-1555) cette croyance et ses développements poétiques sont exposés dans des vitraux à visée apologétique. A Rouen (1522-1524) sont représentés la Rencontre de la Porte Dorée, la Vierge aux symboles bibliques et le Triomphe de la Vierge sur son char. Vingt ans après, en 1540-1555, le vitraux de Conches montrent une Vierge aux symboles bibliques, le Triomphe de la Vierge sur le serpent (et une Vierge à l'Enfant en Femme de l'Apocalypse face à saint Michel dans le tympan).
a) Il s'agit de soutenir que Marie, non seulement est restée Vierge en concevant et en accouchant de son Fils, mais aussi qu'elle a été conçue par sa mère Anne sans péché. Puisque le Péché Originel est lié, depuis saint Augustin, à la relation sexuelle "concupiscence ou libido", il est important de montrer que non seulement sainte Anne est devenue miraculeusement enceinte alors qu'elle était stérile et âgée, mais aussi que Marie est née sans qu'Anne et son mari Joachim n'aient de relation sexuelle. C'est toute l'importance de la scène du baiser devant la Porte Dorée, car ce baiser passe alors pour l'acte fécondant.
b) D'autre part, l'Annonciation devient aussi un argument de la thèse immaculiste, par les mots prononcés par l'ange : Ave gratia plena. Cette salutation est considérée comme l'affirmation de la plénitude de grâce dont Marie est bénéficiaire depuis sa conception, pour n'avoir jamais été soumise à la malédiction du péché. Pour Laurence Riviale, l'Annonciation du vitrail de Conches doit etre considérée comme une preuve apportée à l'Immaculée Conception.
c) Enfin le Triomphe de Marie est mis en scène comme un triomphe à l'antique où le char de la Vierge écrase de ses roues le serpent du Péché.
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Ce détour normand permet de réinterpréter le programme iconographique de Brennilis qui apparaît alors très proche des réalisations normandes tant par les dates que par les thèmes choisis :
1. vers 1495 : La baie n°1 est consacrée à Sainte Anne portant en son sein la Vierge immaculée (de couleur or) alors que l'inscription Castae Connubiae (Chaste mariage) au dessus d'un panneau perdu qui devait être le Baiser de la Porte Dorée témoigne du caractère non sexuel, et donc no peccamineux, de l'union de Joachim et d'Anne.
2. vers 1500-1515 : la baie 0 est consacrée à la Vie de la Vierge.
3. Les deux niches d'autel montrent à gauche sainte Anne éducatrice, et à droite la Vierge à l'Enfant foulant la démone (1575). Dans les volets, l'Ange de l'Annonciation met en évidence les mots Ave gratia plena. Les volets inférieurs sont des figures de la vigilance de la Foi et de la résistance aux persécutions.
Les Vierges à la démone bretonne peuvent être considérées comme la forme équivalente des Triomphes normands. La femme-serpent n'est qu'une représentation du Péché Originel vaincu par la Vierge qui a échappé par sa conception sans tâche à son emprise.
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A Brennilis comme ailleurs, il ne suffit pas de dire que cette Vierge foule la Démone et qu'elle est posée sur un croissant de lune pour affirmer que cet ensemble plaide la thèse de la conception immaculée de Marie. Il faut la situer dans le programme iconographique complet, avec les panneaux des volets (Annonciation), la niche de sainte Anne éducatrice du coté nord du chœur, le vitrail de sainte Anne portant la Vierge radieuse en son sein (baie 1), et le vitrail de la Vie de la Vierge (baie 0). Il faudrait y associer les cantiques qui resonnaient dans la chapelle, les bannières ou la paramentique, la liturgie (celle de la Nativité de la Vierge), les lectures de l'Office de la Vierge dans les Livres d'Heures, les images pieuses, les prédications, et surtout peut-être le rôle des ateliers de sculpture (à Quimper ? à Morlaix ?) et de vitraux qui diffusaient ces thématiques. Il faudrait (je tente de le faire) restituer ce tissu de relations réciproques entre les grands chantiers des cathédrales et des commandes ducales ou royales, et le réseau des chapelles et églises édifiées au XVe et XVIe siècle, qui faisaient apparaître là un Arbre de Jessé, là un groupe d'Anne trinitaire, là une Vierge à la démone, là une Sainte Parenté, là un cycle de la Vie de la Vierge, là une Vierge allaitante, pour participer à la nouvelle dévotion envers la Maternité et la Conception. Et il faudrait tenter de comprendre si la base de cette dévotion était d'abord théologique (face à la contestation de la Réforme), ou d'abord liée au Pouvoir soucieuse de s'approprier la religion comme propagande (et à l'opposition entre confesseurs dominicains et franciscains), ou d'abord liée à la démographie, aux troubles sanitaires, aux conflits armés, dans un souci de procréation et de fécondité des familles nobles et des familles paysannes. Il faudrait aussi étudier par quelles voies les poètes dévots de Rouen, les confréries de Notre-Dame-de-la-Conception normandes et les nouveaux vitraux de Normandie ont influencé les artisans verriers et sculpteurs bretons.
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SOURCES ET LIENS.
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Sur l'église de Brennilis :
— Site Infobretagne contenant les texte des chanoines Peyron et Abgrall :
http://www.infobretagne.com/brennilis.htm
— Inventaire descriptif de l'église de Brennilis fait pendant l'été 1983. Tapuscrit conservé à la bibliothèque du diocèse de Quimper.
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/71e51d7ff370034408d2b2e0ebdb6061.pdf
— ABGRALL, (Jean-Marie) 1904 Notice sur Brennilis, Bulletin Diocésain d'Histoire et d'Archéologie BDHA 1904 page 95-101 :
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/af488ed0b5ac10edd2fb9441496254a9.pdf
— ABGRALL (Jean-Marie), 1904, Architecture bretonne, Ar. de kerangal, Quimper pages 283-284.
https://archive.org/stream/architecturebre00abgrgoog#page/n317/mode/2up/search/brennilis
— COMBOT (recteur de Brennilis), 1856, Note sur l'église de Brennilis, cité dans BDHA 1904.
— COUFFON , Le Bars, Nouveau répertoire des églises et chapelles, Quimper, 1988
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/8f6bfc6f028b1a3a6cf67e7cd7c3578f.pdf
— GATOUILLAT (Françoise), HÉROLD (Michel), Les vitraux de Bretagne, Corpus Vitrearum vol. VII, Presses Universitaires de Rennes page 118.
—PEYRON, 1910, Eglises et chapelles, Bulletin Société archéologique du Finistère t. XXXVII pp. 293-294.
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Sur les Vierges à démone et les arbres de Jessé, témoins du culte de l'Immaculée Conception :
— AMEMIYA (Hiroko) 2005, Vierge ou démone, exemple dans la statuaire bretonne, Keltia éditeur, Spézet. 269 p. page 68-69. Version remaniée de la thèse de 1996.
— AMEMIYA (Hiroko), 1996, Figures maritimes de la déesse-mère, études comparées des traditions populaires japonaises et bretonnes . Thèse de doctorat d'études littéraires, histoire du texte et de l'image Paris 7 1996 sous la direction de Bernadette Bricout et de Jacqueline Pigeot. 703 pages Thèse n° 1996PA070129 . Résumé : Le thème principal de cette étude est de voir quel rôle la femme non-humaine - et notamment la femme qui appartient au monde maritime - a joué au Japon et en Bretagne, à travers les récits relatifs à l'epouse surnaturelle. Pour la Bretagne, les recherches s'étendent également sur l'iconographie religieuse representant l'être semi-humain telles la sirène et la femme-serpent. La région conserve dans ses chapelles de nombreuses statues des xvie et xviie siecles figurant ce type faites par des artisans locaux. L'imagination populaire s'epanouit ainsi dans la femme non-humaine de deux facons en Bretagne : dans l'expression orale et dans l'expression plastique ce qui nous offre une occasion inestimable d'etudier leur compatibilite dans leur contexte socioculturel. Les recits qui traitent le thème du mariage entre l'être humain et l'être non-humain révèlent la conception de l'univers d'une societé. L'autre monde ou les êtres de l'autre monde sont en effet une notion fonctionnelle qui permet à la societé de maintenir l'ordre interne par une intervention externe fictive : la suprématie du fondateur du Japon s'explique par la transmission d'une puissance surnaturelle par sa mère du royaume maritime, alors qu'en Bretagne, la destruction de la cité légendaire d'Is est causée par une fille maudite née d'une fée. Le premier volume de cette étude est composé de trois parties : i. L'autre monde dans la tradition populaire au Japon, ii. Recits relatifs au mariage au Japon et en Bretagne, iii. Iconographie d'une femme semi-humaine. Le deuxieme volume est un inventaire des différents types de representation semi-humaine en Bretagne.
— BATAILLON (Lionel), 1923, Les symboles des litanies et l'iconographie de la Vierge en Normandie au XVIe siècle, Revue Archéologique Cinquième Série, T. 18 (Juillet-décembre 1923), pp. 261-288
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k203691j/f266.double
— LE THOMAS (Louis), 1961 "Les Démones bretonnes, iconographie comparée et étude critique", Bulletin de la société Archéologique du Finistère t. 87 p. 169-221.
— LE THOMAS (Louis) 1963 "Les Arbres de Jessé bretons", première partie, Bulletin de la société Archéologique du Finistère 165- 196.
— LE THOMAS (Louis) 1963, "Les Arbres de Jessé bretons", troisième partie, Bulletin de lasociété Archéologique du Finistère pp. 35-72.
En 1961, Louis Le Thomas décrivait 34 Arbres de Jessé bretons, dont 13 verrières et 21 arbres sculptés (haut-reliefs, niches à volets et bas-reliefs).
— FOURNIÉ (Eléonore), LEPAPE (Séverine), 2012,« Dévotions et représentations de l’Immaculée Conception dans les cours royales et princières du Nord de l’Europe (1380-1420) », L’Atelier du Centre de recherches historiques [En ligne], 10 | 2012, mis en ligne le 11 mai 2012, consulté le 24 septembre 2015. URL : http://acrh.revues.org/4259 ; DOI : 10.4000/acrh.4259
— LEPAPE (Séverine), 2009, « L’Arbre de Jessé: une image de l’Immaculée Conception? » ,Médiévales [En ligne], 57 | automne 2009, mis en ligne le 18 janvier 2012, consulté le 22 septembre 2015. URL : http://medievales.revues.org/5833
— LEPAPE (Séverine), 2011, "L'Arbre de Jessé normand et la question de l'Immaculée Conception", in Françoise Thélamon, Marie et la "Fête aux Normands", publication Université Rouen-Le Havre, 352 pages, pages 195-209
https://books.google.fr/books?id=hwA9AgAAQBAJ&dq=seule+sans+en+sa+conception+conches&hl=fr&source=gbs_navlinks_s
— LEPAPE (Séverine) 2004 Étude iconographique de l’Arbre de Jessé en France du Nord du xive siècle au xviie siècle Thèse Ecole des Charteshttp://theses.enc.sorbonne.fr/2004/lepape
— PRIGENT (Christiane) 1982, Les statues des Vierges à l’Enfant de tradition médiévale (XVe -XVIe siècle) dans l’ancien diocèse de Cornouaille, thèse de doctorat de 3ème cycle, dir. A. Mussat, Université de Haute-Bretagne, 1982, dactyl..
— RIVIALE (Laurence), 2011, "L'Immaculée Conception dans les vitraux normands", in Françoise Thélamon, Marie et la "Fête aux Normands", publication Université Rouen-Le Havre, 352 pages, pages 179-194.
https://books.google.fr/books/about/Marie_et_la_F%C3%AAte_aux_Normands.html?id=hwA9AgAAQBAJ&redir_esc=y
— Colloque 2009 L'Immaculée Conception de la Vierge : histoire et représentations figurées du Moyen Âge à la Contre-Réforme, Jean-Claude Schmitt (Directeur d'études, GAHOM - Groupe d'Anthropologie Historique de l'Occident Médiéval (EHESS)), Séverine Lepape, Eléonore Fournié - EHESS - Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris,
http://www.archivesaudiovisuelles.fr/FR/_video.asp?id=2150&ress=7107&video=140631&format=68
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