Les sculptures extérieures de l'enclos paroissial de Sizun (29).
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Voir :
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I. LE BESTIAIRE : CROSSETTES ET GARGOUILLES .
J'utiliserai le terme de "crossette" tel que je le trouve défini dans Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne (2014) d'Emmanuelle Le Seac'h (1972-2011) page 40 :
"Les pierres d'amortissement, nécessaires à la structure et à l'équilibre d'un fronton ou d'un pignon, sont généralement prolongées par des acrotères, des crossettes ou des pots-à-feu. Les crossettes, situées à la terminaison des rampants d'un pignon ou d'un fronton, sont extrêmement nombreuses. Les plus belles sont sculptées dans la pierre de kersanton sur les porches de la vallée de l'Élorn, comme à Landivisiau où un lion et un dragon se font pendant. L'Ankou apparaît parmi les crossettes, comme sur la façade de l'église de Lannédern."
Régulièrement photographiées pour leur beauté et leur thème pittoresque, les crossettes zoomorphes de Bretagne n'ont pourtant pas fait l'objet d'une étude réglée, comme ce fut le cas pour les sablières par Sophie Duhem. (1) Parmi les animaux représentés, les dragons (crachant leur venin) semblent se tailler la part du lion, mais ce dernier prendrait la seconde place, devant les chiens, et les sirènes, auxquelles j'ai consacré un article particulier.
(1) à l'exception du mémoire d'E. Le Seac'h sur les crossettes et gargouilles de quatre cantons du Finistère : Landerneau, Landivisiau, Ploudiry, ... et Sizun ! Je le découvre à l'instant.
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1°) La baie située immédiatement à l'ouest du porche d'entrée (1514) est couronnée par une lucarne à gables à crochets et fleurons, avec deux crossettes à la base : un lion à gauche, et un sagittaire à droite.
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Le lion.
Le lion, de profil mais tournant la tête vers nous, est, comme tout lion, doté d'une crinière frisée alors que l'arrière-train est glabre. Il tire entre ses rangées de dents une longue langue dont l'extrémité s'enroule. Ses pattes avant prennent appui sur un rouleau. Sa queue se termine en trois pointes ; elle a la particularité, assez répandu chez ces félidés de kersanton, de passer entre les deux pattes arrière pour revenir de façon fort équivoque s'ériger vers le haut et l'avant. Tous l'art coquin du sculpteur est de jouer de cette équivocité dans verser, comme ailleurs, dans l'obscénité.
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Le sagittaire.
L'animal de droite évoque immédiatement le logo d'Air-France, lui-même repris de celui d'Air-Orient et connu sous le nom d'hippocampe ailé mais familièrement baptisé "la crevette".
http://logonews.fr/2013/08/06/histoire-du-logo-air-france/
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Il en a l'aile aux nervures parallèles, la crinière hachurée, la queue formant une boucle. Seulement, à Sizun, la queue se prolonge sur le dos jusqu'à la tête. D'autre part, les pattes avant sont munies de mains, comme un Centaure, mi-homme, mi-cheval. Enfin, ces mains tiennent une flèche incurvée, une flèche-arc. Comment ne pas voir dans ce Centaure ailé et archer un Sagittaire ? Et comment, alors, ne pas réaliser que la lucarne est encadrée par deux signes du Zodiaque, le Lion de l'été et le Sagittaire de la fin de l'automne ?
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La lucarne correspondante, au nord, est encadrée par deux autres crossettes. Ce sont ici deux lions. Ils ont tous les deux les pattes avant et arrière regroupées, comme si ils bondissaient, tous les deux une langue très bien pendue, et tous les deux une crinière en larges et longs plis. Ils ne diffèrent que par un détail.
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A gauche, le lion a la queue qui s'étend vers l'arrière et le bas.
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La queue de celui de droite passe entre les cuisses et revient étaler son plumeau sur son dos.
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Venons-en à un autre type de lions. Ceux-ci tiennent entre leurs pattes antérieures la tête d'un humain, en taille réduite. On peut alors les voir comme des forces maléfiques tentant de s'approprier les âmes des paroissiens. En les représentant, les tailleurs de pierre mettent-ils en garde leurs contemporains contre les pouvoirs du Diable, ou bien en protègent-ils le sanctuaire en les expulsant hors du lieu saint ?
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Premier exemple.
Ce lion est très semblable aux précédents, avec ses yeux exorbités, sa longue langue à la pointe en rouleau, sa queue entre les cuisses, sa crinière frisée. Mais il maintient un petit enfant, au visage poupin mais grave.
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Deuxième exemple.
Celui-ci exerce, par ses pattes tendues, une force plus coercitive sur la tête d'un malheureux.
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Une gargouille.
Il semble s'agir d' un crocodile.
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Un dragon grimaçant (coté nord).
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II. AUTRES SCULPTURES EXTÉRIEURES.
1°) Deux figures animales sur le porche sud.
" Le porche sud, en tiers-point, a ses voussures richement décorées de feuilles d'acanthe bien sculptées, voussures séparées par des moulures toriques ininterrompues et à bases prismatiques. La voussure extérieure, relevée en accolade, est décorée de choux frisés et amortie par un fleuron gothique ; son extrados est orné de feuilles d'acanthe comme à la fontaine du chevet de Notre-Dame-du-Folgoët. Au fond du porche, buste-cariatide supportant jadis la statue de saint Suliau avec inscription : " LAN. MIL. VcXIII. " (Couffon & Le Bars, 1988)
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Deux animaux sont observés sur ce porche.
Le premier est un chat? un chien ?
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Le second est un lion. Avec la queue entre les pattes, remontant sur le dos.
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2°) Ange tenant une banderole avec la date de 1661.
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Ange avec la date de 1661, église Saint-Suliau, enclos paroissial de Sizun, photographie lavieb-aile.
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3°) Déploration (1542).
Ce groupe sculpté en kersanton provient du cimetière, où son socle de granit est resté, avec une inscription d'une Mission de 1858 mentionnant la date de "LAN MIL V XXXX : II". Le Christ, dont le bassin est posé sur le genou gauche de sa mère, est allongé sur le genou droit tandis que sa tête retombe dans le vide, à peine soutenu par saint Jean. Il porte un perizonium noué sur le coté droit. Ses cheveux sont longs, sa barbe méchée . Sa bouche est entrouverte, laissant à découvert sa dentition. Ces éléments, parmi d'autres, permettent à E. Le Seach d'attribuer cette sculpture à l'auteur du calvaire voisin de l'église Saint-Rémi à Camaret et dont l'inscription porte la date de 1538 et le nom (du sculpteur ?) de G. PALUT.
Les trois personnages ont les paupières lourdes, presque globuleuses et baissées. Les arêtes des nez sont saillantes, comme à Camaret.
Saint Jean, vêtu d'une robe à ceinture et à bouton d'encolure, essuie une larme de la main gauche. La Vierge porte un long manteau enveloppant couvrant sa tête, proche des "capes de veuve" du Finistère. Sa gorge est couverte par une guimpe plissée qui entoure aussi le visage et masque la chevelure. Marie-Madeleine, les cheveux dénoués, toujours ostensiblement élégante avec sa robe à décolleté carré et les crevés de ses manches, ouvre un pot d'aromates décoré de cannelures obliques.
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Déposition (1542), en kersanton par G. Palut, église Saint-Suliau, enclos paroissial de Sizun, photographie lavieb-aile.
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Saint Gouesnou en évêque du Léon.
"provenant d'une fontaine". Crosse brisée, chape au fermail doté d'un médaillon, mitre, bagues à chacun des doigts longs. Col frisé comme une fraise.
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L'église adopte une forme de croix archiépiscopale, car elle comporte après une nef de trois travées avec bas-côtés, deux transepts séparés par une travée. La nef inférieure et le porche méridional remontent au XVIè siècle, le premier transept et le reste de la nef à la première moitié du XVIIè siècle ; le second transept et le choeur furent construits de 1660 à 1664 sous la direction de Guillaume Kerlezroux .
Le premier transept sud porte 2 dates : à côté de la fenêtre, " ALAIN. MEN. 1638 ", et sous le fleuron, " 1639 "
ALAIN MEN 1638
Il s’agit du trésorier de la paroisse en 1638. Tous les ans, un paroissien était désigné pour gérer l’argent de la fabrique, percevoir ses recettes et acquitter ses dépenses. L’intérieur du baldaquin des fonts baptismaux porte le nom d’un autre trésorier, peut-être de la même famille « P. MEN 1630 ».
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III. LA PORTE DU PHILOSOPHE.
La petite porte sud qui donne accès à l'église avant la sacristie encadre de kersanton le vantail peint de ce rouge si particulier à nos sanctuaires. Elle mérite un examen attentif, en raison du personnage qui en orne le fronton triangulaire, et qui a été surnommé "le philosophe". Ou bien en raison de ses pilastres à chapiteaux, et de la frise qui suit le pied-droit et la courbe en anse de panier, où des petits personnages et des passereaux s'égayent dans les rinceaux de vigne.
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Le fronton triangulaire et sa tête en ronde-bosse.
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Homme caressant sa barbe, fronton de la petite porte sud, église Saint-Suliau, enclos paroissial de Sizun, photographie lavieb-aile.
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La frise d'encadrement.
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Diaporama. Petite porte sud, église Saint-Suliau, enclos paroissial de Sizun, photographie lavieb-aile.
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IV. LA FRISE EXTÉRIEURE AU NORD ET A L'EST.
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Cette frise de granit qui daterait de 1660 a peu inspiré les experts :
"Certains motifs de cette frise de l'église Saint-Suliau à Sizun, masques et dragons, témoignent à la fois de l’influence des maîtres ornemanistes de la Renaissance et de la persistance de thèmes mythologiques venus de l’Antiquité." (Topic-topos)
"Une frise bizarre d'animaux de toutes sortes, de figures grimaçantes et de bêtes fantastiques" (Chanoine Abgrall).
"A hauteur du visage, une frise mystérieuse court au long de ce chevet polygonal. Elle pique la curiosité, mais garde son mystère." (Infobretagne)
" Le chevet du type Beaumanoir à noues multiples est décoré d’une frise sculptée. " (Centre SPREV)
Pourtant, on peut y reconnaître certains éléments significatifs, et approfondir son étude.
Je la diviserai selon les deux pans de mur qui constituent le chevet.
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I. LE MUR ORIENTÉ SUD-EST.
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Ce mur comporte une série de contreforts couverts de niches à colonne cannelées et dais très ornementés. Deux de ces niches abritent aujourd'hui une statuette.
La frise, en pierre blonde, est haute d'une vingtaine de centimètres, ce qui l'apparente d'emblée aux sablières de la charpente. Lorsqu'elle passe par les contreforts qui alternent leur forme carrée et triangulaire, elle s'orne volontiers de masques ou de cuirs, alors que les thème des sculptures sont de prédominance animalière entre les contreforts.
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1°) Premier mur au sud.
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Un renard poursuivant une poule.
Le renard, queue déployée et sexe en érection, à la gueule tournée vers un coq, ou une poule qui est tombée à la renverse. Le renard est fréquemment représenté sur les sablières, sous l'influence du succès du Roman de Renart, notamment par le thème très populaire de Renart déguisé en clerc prêchant aux poules.
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Puis vient une suite de quatre quadrupèdes à la queue-leu-leu. On y reconnaît peut-être un renard (?) qui poursuit un cochon, puis un chien poursuivant un lion (?).
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Deuxième contrefort sud. Profil triangulaire.
Deux masques et un dragon. La première tête porte un bonnet de type phrygien, a les yeux exorbités, le nez épaté et la gueule hilare. Il côtoie un dragon , à tête de chèvre, à ailes de chauve-souris et à queue de serpent. Le deuxième visage est comparable au premier en dehors de ses dents proéminentes.
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L'autre versant du contrefort montre également trois éléments.
Un visage d'homme sauvage, cheveux frisés, forts sourcils, yeux exorbités, pommettes saillantes, nez épaté, mais dont la bouche est remplacé par un cordage torsadé.
Un lapin de profil, dressé sur ses pattes arrières, en train de déféquer.
Un visage féminin évoquant par sa coiffure les masques de la tragédie grecque.
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2°) Deuxième mur exposé au sud
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Après un grotesque tenant un élément floral entre ses dents, viennent un masque, une louve (une renarde ?) allaitant cinq petits, puis un cuir.
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Après un masque grimaçant de toutes ses dents, vient une sirène accoudée sur le coté droit, sa queue formant un nœud partiellement brisé.
Puis le contrefort rectangulaire, avec des éléments décoratifs, et des masques
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Autre pan de mur.
Renard poursuivant un oiseau (de proie) et ses sept petits.
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Ici, un crocodile (une baleine ?) apparaît entre les pattes d'autres animaux.
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Contrefort.
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LE VERSANT EXPOSÉ AU NORD.
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CONCLUSION.
1. Les crossettes.
Je crois que notre compréhension immédiate de ces lions faussement terribles, mais au fond bien débonnaires est très juste, et que, même si nous ignorions tout de la relation des hommes du XVIe siècle avec le monde animal, de ses représentations fantasmatiques, de ses croyances, nous sommes plus proches d'eux en entrant dans l'église en leur jetant un coup d'œil mi-amusé et mi-admiratif, en projetant sur eux notre propre bestiaire intérieur, que si nous nous pénétrons des théories savantes sur leur pouvoir apotropaïque (protecteur du mauvais-œil, ou protecteur du sanctuaire en éloignant le Malin, par "répulsion des semblables") ou de leur "visée moralisatrice par pouvoir du contre-exemple" qui convertit les animaux terrifiants en frères-prêcheurs. Nos prédécesseurs du XVIe siècle "croyaient-ils en leurs mythes" et en ces monstres d'opérette ? J'en doute.
Mais je ne doute pas qu'ils aient eu, comme nous, le goût à tempérer l'ardeur de la foi par une théâtralité amusante, grand-guignolesque avant l'heure.
Grand-guignolesque : "d'une horreur qui dépasse le bon-sens". Gageons que les bretons n'en manquaient pas.
2. La frise.
Elle ne nous reste opaque que si nous n'y voyons pas une succession de scénettes et de décors tirés des calepins d'un ornemaniste qui fait ici exhibition de son savoir-faire. Il ne serait pas très difficile de retrouver chacune de ces sujets sur des plinthes, des corniches, des jubés ou des porches, à la chapelle Saint-Fiacre du Faouët et même pas loin d'ici, sur les sablières de Sizun . Certes, certaines séquences excitent encore notre curiosité, mais sinon, où serait notre plaisir ?
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SOURCES ET LIENS.
— ABGRALL (Jean-Marie), « L´église paroissiale de Sizun et ses annexes », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, Quimper, Société archéologique du Finistère, t. 28, 1910, p. 129-138
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k207696j/f177.image
— CHAURIS (Louis) 2009, "Un édifice polyphasé singulièrement polylithique : l'église paroissiale de Sizun (Finistère), Bulletin de la Société archéologique du Finistère, 2009, t. CXXXVII, p. 115-130.
— COUFFON (René) et Alfred Le Bars, 1988, Diocèse de Quimper et de Léon : Nouveau répertoire des églises et chapelles, Quimper, Association Diocésaine de Quimper, 1988, p. 416-420.
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/54730d797d70be488e00757c7d0fcef7.pdf
— DITTMAR (Pierre-Olivier), RAVAUX (Jean-Pierre), 2006, « Significations et valeur d'usage : le cas des gargouilles de Notre-Dame de L'Epine », Etudes marnaises, 2006, t.CCXXIII, p.46-50.
https://www.academia.edu/6446935/_Significations_et_valeur_d_usage_des_gargouilles_le_cas_de_Notre-Dame_de_l_Epine_avec_J.-P._Ravaux_Notre-Dame_de_LEpine_1406_-_2006._Actes_du_colloque_international._LEpine-Ch%C3%A2lons_15_et_16_septembre_2006_t._II_2008_Etudes_Marnaises_t._CXXIII_p._38-80
— LE SEAC'H (Emmanuelle), 2014, Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne. Les ateliers du XVe au XVIe siècle. Presses Universitaires de Rennes.
http://www.pur-editions.fr/couvertures/1409573610_doc.pdf
— LE SEAC'H (Emmanuelle), 1997, Les crossettes et les gargouilles dans quatre cantons du Finistère : Landerneau, Landivisiau, Ploudiry, Sizun. Mémoire de maîtrise d’histoire, 2 vol. 359 p. + 135 p. : ill. ; 30 cm.
— VIOLLET-LE-DUC (Eugène ) 1854-1868, « Gargouille », Dictionnaire raisonné de l’architecture française, Paris, Bance-Morel, , t.VI, p.24-28.
https://fr.wikisource.org/wiki/Dictionnaire_raisonn%C3%A9_de_l%E2%80%99architecture_fran%C3%A7aise_du_XIe_au_XVIe_si%C3%A8cle/Gargouille
— Wikipédia "Gargouille".
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gargouille
— Topic-topos : Sizun
http://fr.topic-topos.com/eglise-saint-suliau-sizun
— Infobretagne : Sizun
http://www.infobretagne.com/enclos-sizun.htm
— SPREV :
http://www.sprev.org/centre-sprev/sizun-enclos-paroissial-saint-suliau/
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