L'enclos paroissial de Brasparts. I. La Démone tentatrice du porche sud.
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—Voir d'autres Démones de Bretagne dans les articles suivants :
Notre-Dame de Breac-Ellis en l'église de Brennilis, une "Vierge à la Démone".
L'arbre de Jessé de la chapelle Saint-Guen en Saint-Tugdual (56).
Arbre sculpté de Locquirec : L'Arbre de Jessé sculpté de l'église de Locquirec.
L' arbre de Jessé de l'église de Saint-Aignan (56). : XVIe siècle.
Sculpture de L' arbre de Jessé de l'église de Trédrez (22). : 1520
Sculpture de L'arbre de Jessé de l'église Notre-Dame de Saint-Thégonnec. (29) : 1610.
Sculpture de L'arbre de Jessé de la chapelle de La Trinité à Cléguerec (56). :1594
Groupe de Sainte Anne trinitaire de l'ossuaire de Saint-Hernin (29)
Chapelle Saint-Pierre à Plogonnec (29) Mari, conçevet hep pec'het. 2ème moitié XVIe
La Vierge à l'Enfant et à la démone de l'église Saint-Louis de Brest (XVIIIe siècle).
La Vierge à l'Enfant et à la démone de la Collégiale du Folgoët (29).
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Comme l'indique René Couffon et Alfred Le Bars (1988), le porche sud de l'église de Brasparts, "daté, sur son entablement, de 1589, présente une curieuse juxtaposition des deux styles gothique et Renaissance, ainsi que le montrent notamment les culs-de-lampe supportant les statues des Apôtres. Tandis que les deux travées de l'intérieur sont voûtées sur arcs ogives et que les portes jumelées du fond ont une décoration toute gothique, les contreforts, ornés de niches, colonnettes et pilastres Renaissance sont amortis par des lanternons pleins à dôme, et le tympan par un lanternon ajouré".
1589 ? Nous sommes alors au début du règne de Henri IV (1589-1610). Mais parmi les statues des apôtres, celle de saint Jean porte l'inscription : "LA.1592. L. GO./ PO. LORS. FAB., "l'an 1592 Le Goff (?) étant pour lors fabricien". Donc, nous voilà en 1592, et les troupes royales luttent contre le duc de Mercœur et ses alliés espagnols : c'est la Guerre de la Ligue (1588-1598).
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Cela aura peu d'incidence sur le sujet de mon article qui concerne ces culs-de-lampe qui donnent appui aux statues des douze apôtres. En granite, avec une base supérieure à cinq cotés moulurée et perlée, chaque encorbellement est sculpté en son soubassement par une figure angélique, humaine, animale ou à demi-monstrueuse. On retrouve là le masque, fréquent dans les sablières, de la bouche duquel s'échappent les tiges d'un feuillage ; un ange tenant un blason effacé, et dont les cheveux ébouriffés en boules évoquent l'atelier du Folgoët ; des feuilles frisées ; une tête de lion ; deux faces enserrées ensembles.
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Sous la statue de saint Jacques, voici un buste d'homme entouré d'un chien et d'un lièvre, témoin des vices dont il est l'emprise. Les deux animaux ont posé leur patte arrière sur ses flancs, alors que lui-même empoigne leur patte avant.
Personnage accosté d'un chien et d'un lapin, porche sud, église de Brasparts. Photographie lavieb-aile.
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Mais ce qui m'intéresse d'avantage, c'est la démone cornue qui tient une pomme dans sa main droite tandis qu'elle coiffe l'une de ses nattes, ou soutient sa tête, de la main gauche au bras accoudé. Elle possède les généreux attributs féminins d'une poitrine qu'elle met en évidence en se renversant en arrière, mais le bas de son corps est celui d'un serpent. Sa longue queue s'entortille sur elle-même, avant d'entourer le cou d'un pauvre homme.
C'est l'une des 10 ou 11 "Ornements du type femme-serpent" que Hiroko Amemiya a recensé dans sa thèse sur ces représentations semi-humaines, dont 9 dans le Finistère, alignées sur un axe nord-sud entre Bodilis, Sizun, Brasparts, Lannédern, et Plonevez-du-Faou et Lennon, avec des écarts à Le Juch et Plouay. Dans une cinquantaine d'autres exemples (dont 28 dans le Finistère), ces créatures sont foulées par la Vierge à l'Enfant, motif complet de la Nouvelle Ève abolissant la malédiction du Péché Originel dont ces Femmes-serpent isolées sont une figure métonymique.
Cette sculpture ne peut donc pas être comprise sans l'inclure dans cet ensemble, qui possède une forte cohérence thématique, géographique (Finistère) et temporelle (XVIe et XVIIe), d'autant qu'il faut y associer les vingt exemples bretons de sirènes, tenant souvent un miroir, mais parfois une pomme (Sizun), et surtout les 4 exemples de porches des Monts d'Arrée en vallée de l'Élorn, à Pencran, Guimiliau, Landivisiau et Ploudiry, où, dans une représentation de la tentation d'Ève par le Malin, ce dernier est représenté par une femme-serpent, à la queue enroulée autour de l'arbre de la Connaissance du Bien et du Mal, à la tête à longue chevelure, à la poitrine nue et qui tend une pomme à la femme d'Adam. Or, une trentaine de kilomètres séparent ces quatre porches de celui de Brasparts.
Ces regroupements thématiques incitent donc à voir dans cette femme-serpent une forme féminine de Satan, ou une assimilation de la féminité avec la Tentation responsable de la Faute, et dans l'homme enserré dans les orbes de la queue Adam lui-même, ou tout homme entraîné par le Désir vers la répétition du Péché.
D'autres associations enrichissent l'interprétation de cette figure. Gwenc'hlan Le Scouëzec a écrit à son propos :
" C'est là, teintée du souvenir du démon chrétien du Paradis terrestre, l'antique déesse vipérine des profondeurs de la terre et de l'eau ; elle est la reine du marais de l'Ellez, celle qui se tient à la porte des Enfers."
C'est aussi ce que suggérait l'étude, à Brennilis, de la Vierge à la Démone nommée Notre-Dame de Bréac-Ellis.
Ici, on doit tenir compte aussi des autres culs-de-lampe, qui développent le thème de l'homme en proie à ses vices, figurés sous des formes animales, alors qu'au dessus les douze saints énoncent les douze articles du Symbole des Apôtres, que sur le trumeau se tient le Christ Sauveur, et que sur la voûte était peint l''Agneau de l'Apocalypse ouvrant le livre scellé et portant l'étendard orné d'une croix, entouré d'une auréole rayonnante. Une opposition radicale entre un monde soumis au Malin, et la victoire de la Rédemption.
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SOURCES ET LIENS.
— ABGRALL (chanoine Jean-Marie), PEYRON (chanoine Paul), 1903 et 1904, "[Notices sur les paroisses] Brasparts", Bulletin de la commission diocésaine d'histoire et d'archéologie, Quimper, 3e année, 1903, p. 364-374, 4e année, 1904, p. 33-64.
http://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf_notices/brasparts.pdf
http://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/bdha/bdha1903.pdf
http://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/bdha/bdha1904.pdf
AMEMIYA (Hiroko), 2005, Vierge ou Démone - Exemples dans la statuaire bretonne, Préface de Pierre-Yves Lambert Keltia Graphic, Spézet, 269 pages, ISBN 2-913953-82-4 Version remaniée de la thèse de 1996.
— AMEMIYA (Hiroko), 1996, Figures maritimes de la déesse-mère, études comparées des traditions populaires japonaises et bretonnes . Thèse de doctorat d'études littéraires, histoire du texte et de l'image Paris 7 1996 sous la direction de Bernadette Bricout et de Jacqueline Pigeot. 703 pages Thèse n° 1996PA070129 . Résumé : Le thème principal de cette étude est de voir quel rôle la femme non-humaine - et notamment la femme qui appartient au monde maritime - a joué au Japon et en Bretagne, à travers les récits relatifs à l'épouse surnaturelle. Pour la Bretagne, les recherches s'étendent également sur l'iconographie religieuse représentant l'être semi-humain telles la sirène et la femme-serpent. La région conserve dans ses chapelles de nombreuses statues des xvie et xviie siècles figurant ce type faites par des artisans locaux. L'imagination populaire s'épanouit ainsi dans la femme non-humaine de deux façons en Bretagne : dans l'expression orale et dans l'expression plastique ce qui nous offre une occasion inestimable d'étudier leur compatibilité dans leur contexte socioculturel. Les récits qui traitent le thème du mariage entre l'être humain et l'être non-humain révèlent la conception de l'univers d'une société. L'autre monde ou les êtres de l'autre monde sont en effet une notion fonctionnelle qui permet à la société de maintenir l'ordre interne par une intervention externe fictive : la suprématie du fondateur du Japon s'explique par la transmission d'une puissance surnaturelle par sa mère du royaume maritime, alors qu'en Bretagne, la destruction de la cité légendaire d'Is est causée par une fille maudite née d'une fée. Le premier volume de cette étude est composé de trois parties : i. L'autre monde dans la tradition populaire au Japon, ii. Récits relatifs au mariage au Japon et en Bretagne, iii. Iconographie d'une femme semi-humaine. Le deuxième volume est un inventaire des différents types de représentation semi-humaine en Bretagne.
— Infobretagne :
http://www.infobretagne.com/brasparts.htm
— COUFFON (René), LE BARS (Alfred), 1988, Brasparts, in Diocèse de Quimper et Léon, nouveau répertoire des églises et chapelles , Quimper : Association diocésaine, 1988. - 551 p.: ill.; 28 cm.
http://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf-Couffon/BRASPART.pdf
— Topic-topos :
http://fr.topic-topos.com/apotres-brasparts
—CIRÉFICE (Patrice), sd, Le porche de l'église de Brasparts, Forum de la ville de Brasparts :
http://ville-brasparts.forum-actif.net/t1497-le-porche-de-l-eglise-de-brasparts
— LE THOMAS (Louis), 1961 "Les Démones bretonnes, iconographie comparée et étude critique", Bulletin de la Société Archéologique du Finistère t. LXXXVII p. 169-221.