L'église de Guipavas II. Le porche de 1563 par l'atelier des Prigent. L'extérieur.
.
— Sur Guipavas, voir :
Voir aussi d'autres œuvres de Bastien ou Henry Prigent:
.
"Laissez toute hâte, vous qui entrez". Ce lieu de passage était jadis là en transition pour préparer à l'accès dans l'espace sacré, et, comme tout seuil, il procédait d'un rituel et d'une symbolique propre à en déjouer les dangers . Il mérite donc qu'on s'y arrête.
.
.
L'église Saint-Pierre et Saint-Paul de Guipavas a été presque totalement détruite par les bombardements liés aux combats de la libération de Brest dans la nuit du 12 au 13 août 1944. Elle a été rebâtie en 1952-1955 avec des matériaux locaux comme la pierre jaune de Logonna ou encore de l'ardoise des monts d'Arrée, sur les plans de l'architecte d'art sacré, Yves Michel à qui l'on doit également la nouvelle abbaye de Landévennec ou l'église Saint-Louis à Brest.
Le porche Nord, qui daterait d'après G.Toscer de 1563 , et qui a été classé en 1926, est, avec les pignons des bras du transept, le seul élément à avoir résisté à l'incendie. Il a été réintégré à la nouvelle église.
.
L'atelier des Prigent
Ce n'est pas un hasard si ce porche rappelle au visiteur, avec son arc déprimé sculpté d'une lierne de feuillage et de grappes de raisins qui sortent de la gueule d'animaux, ceux de Pencran (1553) et de Landivisiau (1554-1565) : car ils sont sortis du même atelier de tailleurs de pierre, celui des frères Bastien et Henry Prigent, établi à Landerneau, et actif entre 1527 et 1577. Les vestiges de la Nativité de son tympan avec la tête de l'âne et du bœuf dépassant de leur stalle évoquent la Nativité du porche de Pencran, et c'est bien cette démarche de comparaison stylistique qui va rendre sa visite passionnante, riche de ces mille sensations émouvantes de "déjà vu quelque part".
D'autant que les Prigent ont aussi sculpté le haut du porche de Lampaul-Guimiliau, les calvaires monumentaux de Pleyben et de Plougonven, des statues isolées pour les porches de la vallée de l'Elorn (Le Tréhou, Trémaouézan, Commana et Ploudiry), trois Pietà (voir ici celle de Saint-Nic), et enfin six croix et vingt-trois calvaires ! Autant dire que le coup d'œil de reconnaissance du style et du vocabulaire Prigent trouve, en Basse-Bretagne, de quoi s'exercer dans d'excitantes promenades.
En bon sculpteurs landernéens s'approvisionnant en matériau dans la Rade de Brest via l'Elorn, les Prigent sont des virtuoses de la kersantite ("kersanton", du nom du lieu-dit de la commune de Loperhet), et c'est bien cette pierre qui donne au porche de Guipavas sa résistance à l'érosion et la finesse onctueuse de son grain gris sombre.
La date de 1563, avancée par Guillaume Toscer en 1907 (et peut-être lue sur le phylactère aujourd'hui effacé d'un ange?), semble plausible si on réalise que les trois chantiers se seraient ainsi succédés, avant le déclenchement des Guerres de la Ligue en 1588. D'autre part, le trumeau de Landivisiau supporte un magnifique bénitier due au ciseau de Bastien Prigent Or, les chanoines Abgrall et Peyron mentionnent dans leur description du porche de Guipavas un bénitier daté de 1565 (inscription "En l'an 1565 Me K/ian" soit Kérian, ou Kerjean), qui renforce le crédit apporté à la datation de Toscer, et qui aurait pu, s'il n'avait pas disparu depuis, enrichir la démarche d'étude stylistique et les relations entre Landivisiau et Guipavas.
.
Le porche de 1563 par l'atelier Prigent de Landerneau, église Saint-Pierre-et-saint-Paul de Guipavas. Photographie lavieb-aile février 2017.
.
Je ferais de larges emprunts (placés en retrait) à la description d'Emmanuelle Le Seac'h, qui a établi le catalogue raisonné des Prigent dans sa thèse, repris dans un ouvrage de 2014. Je tente de payer la dette de ces emprunts en saluant l'exceptionnel intérêt de ce travail, et en contribuant à ses inventaires iconographiques.
"L'archivolte repose sur des colonnettes prismatiques. L'accolade décorée de crochets en feuilles de choux et sommés d'un fleuron gothique s'appuie sur des colonnes torsadées comme à Pencran ou à Landivisiau, terminés par des pinacles.
Les contreforts de biais sont décorés d'une niche à console et à dais gothiques avec les statues modernes de Joseph et de la Vierge. Les rampants du pignon sont décorés des mêmes crochets, avec des pinacles mutilés autour du corps. A gauche, une crossette représente un dragon, la queue enroulée autour du corps."
.
Puisque le premier article de cette série concernait les crossettes, je peux aussi remarquer la ressemblance entre le dragon ailé de Guipavas, et celui de Pencran, chacun placé à l'angle du porche.
Il me reste à décrire la statue moderne de saint Pierre sous l'accolade, mais surtout les deux anges des consoles des statues. Leur tête, leurs bras et leur phylactères sont brisés, mais une ou deux lettres sont encore visibles sur la banderole de gauche.
.
Le porche de 1563 par l'atelier Prigent de Landerneau, église Saint-Pierre-et-saint-Paul de Guipavas. Photographie lavieb-aile février 2017.
.
Le tympan.
Les traces de polychromie attestent qu'ici comme ailleurs le porche et ses statues étaient peints, en faisant notamment appel à l'ocre rouge et au bleu. Il faut imaginer ce lieu comme ceux que ressuscitent les illuminations lasers des grands calvaires bretons, ou des porches des cathédrales.
.
Tympan et voussures du porche de 1563 par l'atelier Prigent de Landerneau, église Saint-Pierre-et-saint-Paul de Guipavas. Photographie lavieb-aile février 2017.
.
Les voussures du tympan.
.
"Dans les voussures de l'archivolte, il ne reste que sept anges. Ils sont thuriféraires, orants, porteurs de phylactères, ou musiciens — cornemuse et trompette — ou font le geste de bénédiction. Leurs visages, similaires à ceux de Pencran et de Landivisiau, sont de la main d'Henry Prigent. Le sculpteur leur a donné deux plis verticaux au niveau du front, ce qui leur donne un air songeur. Les paupières sont doubles. Les cheveux forment des crochets bouclés sur le front. Les plissés des tuniques resserrées à la taille par une ceinture sont habilement rendus. Le vêtement est plaqué sur les cuisses. Les ailes sont déployées en V ou seulement ouvertes dans le dos et leurs plumes sculptées de manière variée : en écaille, ovales ou striées ou tout simplement lisses. Tous ces détails rappellent le soin et la minutie de l'atelier des Prigent"
.
Voussures du porche de 1563 par l'atelier Prigent de Landerneau, église Saint-Pierre-et-saint-Paul de Guipavas. Photographie lavieb-aile février 2017.
.
Trois anges de la voussure droite.
.
Bien entendu, l'ange joueur de cornemuse n'a, une fois de plus, pas échappé à la vigilance d'Argus de Jean-Luc Matte, qui le décrit ainsi :
"Sc/pierre : anges musiciens : hautbois et cornemuse. L'ange cornemuseux a la tête brisée ainsi que les mains. Apparemment seule la gauche était posée sur le hautbois. 1563. 1 bourdon d'épaule à raccord médian et pavillon, orné d'un ruban tressé. Hautbois brisé, poche cousue à décor géométrique. Il est dommage que la statue soit brisée car la représentation est bien détaillée."
Je remarque aussi le costume exceptionnellement luxueux de ce cornemuseux, puisqu'il est le seul à bénéficier de manches à quatre rangs de crevés et à dentelles aux poignets. Sa posture échappe à tout hiératisme, puisqu'il ploie le genou droit.
.
Trois anges des voussures du porche de 1563 par l'atelier Prigent de Landerneau, église Saint-Pierre-et-saint-Paul de Guipavas. Photographie lavieb-aile février 2017.
.
Ange joueur de trompette droite. Voussure de gauche.
Je ne vois aucune anche à l'embouchure, qui est légèrement évasée et cannelée. Je ne vois pas non plus de trous pour les doigts. C'est donc bien, comme l'indique E. Le Seac'h, une trompette. Le pavillon s'orne de trois lignes sinueuses.
.
Deux anges des voussures du porche de 1563 par l'atelier Prigent de Landerneau, église Saint-Pierre-et-saint-Paul de Guipavas. Photographie lavieb-aile février 2017.
.
Un nouveau-né nouveau venu.
Depuis 2015, le tympan, jadis particulièrement vide hormis l'âne et le bœuf (tête ou museau brisés) dans leur stalle d'osier tressé, s'est enrichi d'une crèche.
"Ayant disparu depuis plus de 100 ans, le hasard a voulu que l'élément essentiel de la Nativité représentée sur ce porche ait pu être retrouvé. La pierre ouvragée de l'enfant Jésus a ainsi repris sa place d'origine sur la corniche. Désormais tous les personnages sont à nouveau réunis sur la façade de notre vieux porche sous le regard amusé des anges musiciens sculptés dans la voussure. La pierre ouvragée a été rescellée sur la corniche début novembre 2015" (Michel Boucher 2015)
.
Je suis néanmoins frappé par le manque de rapports de proportion entre ce nouvel élément, et l'espace disponible. Il comporte sur fond de paille un corps nu étendu au centre, entre deux anges orants. Je n'ai pu déchiffrer, de l'inscription de la bande inférieure, que le mot -dieu- central.
Comparer avec la Nativité du porche de Pencran.
.
Tympan (détail) du porche de 1563 par l'atelier Prigent de Landerneau, église Saint-Pierre-et-saint-Paul de Guipavas. Photographie lavieb-aile février 2017.
.
La corniche à rinceaux autour d'un soleil ailé. La frise de pampres.
Yann Gwegen décrivait en 1988 " de riches pampres entrelacés, dans lesquels des insectes, des reptiles, des oiseaux voire même des amours qui mangent avec avidité d'abondantes grappes de raisin." .
Effectivement, on remarquera un dragon à l'extrémité droite de la corniche, et un oiseau picorant à gauche du portail.
.
Tympan et voussures du porche de 1563 par l'atelier Prigent de Landerneau, église Saint-Pierre-et-saint-Paul de Guipavas. Photographie lavieb-aile février 2017.
Entrée du porche de 1563 par l'atelier Prigent de Landerneau, église Saint-Pierre-et-saint-Paul de Guipavas. Photographie lavieb-aile février 2017.
.
Comme à Pencran, comme à Landivisiau, mais aussi comme à Landerneau et à Daoulas, la tige du rinceau qui monte le long des piédroits trouve son origine dans la gueule d'un animal, plus ou moins monstrueux. Et ce détail est si émouvant à retrouver qu'il se charge par réminiscence de "la mélancolie d'un souvenir" dont parle Proust à propos de la Vierge Dorée. Ou de la simple excitation qu'accompagne, lors d'un dîner familial, l'attente de savoir sur quelle assiette à soupe on va tomber parmi les trente-six qui composent le service des Fables de la Fontaine. Ou quelle image du chocolat Poulain va receler la tablette que maman va ouvrir.
Ici, j'ai eu : un chien de chasse ; un deuxième (mais j'échangerai mes doubles) ; un dragon à queue de serpent ; et un lion.
.
Ma récolte à Landivisiau : un autre dragon, mais à la queue en tire-bouchon :
.
.
Base des piédroits du porche de 1563 par l'atelier Prigent de Landerneau, église Saint-Pierre-et-saint-Paul de Guipavas. Photographie lavieb-aile février 2017.
Base des piédroits du porche de 1563 par l'atelier Prigent de Landerneau, église Saint-Pierre-et-saint-Paul de Guipavas. Photographie lavieb-aile février 2017.
Base des piédroits du porche de 1563 par l'atelier Prigent de Landerneau, église Saint-Pierre-et-saint-Paul de Guipavas. Photographie lavieb-aile février 2017.
Base des piédroits du porche de 1563 par l'atelier Prigent de Landerneau, église Saint-Pierre-et-saint-Paul de Guipavas. Photographie lavieb-aile février 2017.
.
.
SOURCES ET LIENS.
— ABGRALL (Jean-Marie), 1912, Notices sur les paroisses : Guipavas Chanoines Jean-Marie Abgrall et Paul Peyron, "[Notices sur les paroisses] Guipavas", Bulletin diocésain d'histoire et d'archéologie, Quimper, 12e année, 1912, p. 114-124, 148-158, 183-192, 205-218, 237-248.
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/243b23ce0573cffab3d8cd3e7b8a3048.pdf
— BOUCHER (Michel), 2015, association Guipavas identité et patrimoine , Le porche de la Nativité. Guipavas le mensuel n°5 - janvier 2016
http://www.mairie-guipavas.fr/IMG/GLM/N005/GLM_web-005-p09.pdf
— BERTHOU (Gilles), Monuments et vieilles pierres de Guipavas.
http://gilles.berthou.pagesperso-orange.fr/Guipavas_monuments.htm
— CASTEL (Yves-Pascal), 1979, “ Le porche de Guipavas...,” Courrier du Léon et Progrès de Cornouaille 1er septembre 1979 Collections numérisées – Diocèse de Quimper et Léon, consulté le 14 mars 2017, http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/items/show/1935.
— CASTEL (Yves-Pascal), 1979, Le patrimoine architectural et les sites de la commune de Guipavas, “0016 patrimoine commune de Guipavas 1.09.79,” Collections numérisées – Diocèse de Quimper et Léon, consulté le 14 mars 2017, http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/items/show/1476.
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/0264d74a8e17fd1da31a25ef0df9b90d.jpg
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/0264d74a8e17fd1da31a25ef0df9b90d.jpg
— COUFFON (René), LE BARS (Alfred), 1988 Répertoire des églises : paroisse de GUIPAVAS Notice extraite de : Diocèse de Quimper et Léon, nouveau répertoire des églises et chapelles, par René Couffon, Alfred Le Bars, Quimper, Association diocésaine, 1988.
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/d7fa2365a76658fe5c12b1ddf3e34546.pdf
— INFOBRETAGNE, "Guipavas"
http://www.infobretagne.com/guipavas.htm
— GWEGEN (Yann), 1988, , Guipavas gwechall goz: son histoire, ses familles, ses villages - 279 pages page 8 :
— LE SEAC'H (Emmanuelle), 1997, Les crossettes et les gargouilles dans quatre cantons du Finistère : Landerneau, Landivisiau, Ploudiry, Sizun. Éditeur: s.n., 2 vol. : 359 p. + 135 p. : ill. ; 30 cm .
http://portailcrbc.univ-brest.fr/cgi-bin/koha/opac-detail.pl?biblionumber=34066
— LE SEAC'H (Emmanuelle), 2014, Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne, les ateliers du XVe au XVIIe siècle, 1 vol. (407 p.) - 1 disque optique numérique (CD-ROM) : ill. en coul. ; 29 cm ; coul. ; 12 cm; Note : Index. - Notes bibliogr., bibliogr. p. 373-395. Rennes : Presses universitaires de Rennes , 2014. Éditeur scientifique : Jean-Yves Éveillard, Dominique Le Page, François Roudaut
— TOSCER (Guillaume) 1907, Le Finistère pittoresque, (Sites et monuments) Pays de Léon et Tréguier, Imp. A. Kaigre.