La charpente sculptée de l'église de Pleyben par le Maître de Pleyben (vers 1571-1580). I. La croisée du transept et ses Sibylles.
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Voir aussi :
— Sur les sablières du Maître de Pleyben :
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— Et sur les sablières bretonnes :
Les sablières, entraits et poinçons de l'église Notre-Dame et Saint-Michel de Quimperlé.
Sablières, inscriptions et pardon de la chapelle Saint-Sébastien au Faouët (56).
L'enclos paroissial de Dirinon V. Les sablières (1623), les blochets et poinçons.
L'intérieur de l'oratoire Notre-Dame de l'abbaye de Daoulas.
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LE SCULPTEUR SUR BOIS DIT LE "MAÎTRE DE PLEYBEN".
Vers 1580, un sculpteur anonyme, désigné aujourd'hui sous le nom de convention de "Maître de Pleyben", réalisa les sculptures de la charpente de la chapelle du château de Kerjean, en Saint-Vougay, à la demande de Louis Barbier, seigneur de Kerjean. Un véritable chef-d'œuvre, influencé par l'École de Fontainebleau qui avait introduit vers 1535 le motif décoratif du cuir découpé à enroulement, et par la diffusion du style de la Seconde Renaissance française dans des recueils de gravures : le prospère Léon était largement ouvert à l'Europe par ses ports de Landerneau, Morlaix et Roscoff.
Cet artiste a reçu ce nom car on lui attribue aussi une partie des sablières de l'église de Pleyben, en haute Cornouaille vers 1564 et 1571. On reconnaît aussi son style sur la charpente de l'église de Saint-Divy, dans le Léon, et dans la chapelle de Sainte-Marie du Ménez-Hom en Plomodiern, située à 23 km de Pleyben et 70 km de Kerjean
Son style ? On le distingue à ces cuirs découpés à enroulements, car il faufile dans les découpes des linges et des cordages dont il confie les extrémités à des anges ou autres personnages. Ses anges aussi sont caractéristiques, avec une coiffure faite de mèches rondes cerclant la périphérie du visage, et avec une tunique aux plis prononcés, bouffante à la taille en formant une ligne sinueuse, avant de s'évaser vers les pieds avec une grande liberté. Ajoutons que les manches de ses tuniques s 'évasent en larges couronnes au dessus des coudes, qui sont globuleux. Ses personnages en pieds (Évangélistes ou Sibylles, notamment) ont en commun un visage fin, ovale, avec des nez longs et fins, de grands yeux aux pupilles en creux, des bouches fines, des manches bouffantes, ou, pour les femmes, des bandeaux de cheveux.
Mais ce sont surtout ses motifs iconographiques qui se répètent en tableaux stéréotypés : mascarons zoomorphes ou anthropomorphes sur le plan profane, guirlandes et frises à petits pois, musiciens, et, sur le plan religieux, des thèmes plus christiques que mariaux : Sainte Face, Tunique du Christ, Plaies du Christ, Instruments de la Passion, Rencontre de la Samaritaine. Et les Sibylles, à Kerjean et à Pleyben.
Datation : un chronogramme de la sablière du transept indique "1571". Sophie Duhem, qui estime que cette pièce n'est pas de la main du Maître de Pleyben mais appartient à une partie qui s'inspire de son travail, et qui indique que la construction du chœur date de 1564, propose la fourchette 1564-1571. Guy Leclerc propose celle de 1571-1580. Dans la première hypothèse, Pleyben aurait précédé les trois chantiers de Kerjean, Plomodiern (Ménez-Hom) et Saint-Divy de 10 à 20 ans, qui seraient des œuvres de maturité du Maître. Dans la seconde, les quatre chantiers sont pratiquement contemporains.
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Vue d'ensemble de la voûte de la croisée du transept.
Aux quatre angles du transept siègent les Évangélistes sous forme de statues à encorbellement (ou corbel). Ils tiennent, chacun, un phylactère avec les premiers mots de leur évangile. Leur positionnement aux quatre angles affirment le rôle fondamental, crucial, du Nouveau Testament .
La voûte forme, à la croisée, un grand carré découpé par deux diagonales reliant deux à deux les angles : ces diagonales réalisées en nervures moulurées se croisent en une clef pendante. Je nomme ces diagonales "liernes" (le couvre-joint des arêtes du lambris), et ce sont elles qui reçoivent seize sculptures en haut-relief. Le réseau est structuré par cinq nervures qui dessinent autant de carrés emboîtés. Enfin, quatre grandes nervures traversent en croix l'édifice, d'un transept à l'autre ou de la nef vers le chœur : elles sont rythmées par des abouts de poinçons (ou clefs).
Au total, nous aurons donc à examiner 4 Évangélistes, 16 personnages de liernes, une clef pendante, et 20 des 116 clefs de voûte. Soit 41 pièces sculptées, et même d'avantage car je vais dépasser un peu les limites du cadre imparti.
Le but est d'enrichir l'iconographie disponible en ligne. De favoriser la connaissance du patrimoine artistique de Bretagne. Et de poursuivre mon étude des Sibylles du Finistère, des instruments de musique de la Renaissance, et de la production du Maître de Pleyben.
L'exploration rapprochée de ces sculptures m'ont révélé (comme sur les autres sites, à Saint-Divy, Sainte-Marie-du-Ménez-Hom et même à Kerjean) le mauvais état de conservation, ou l'attaque par les parasites du bois. J'ai été choqué par la façon dont les figures sculptées ont été fixées au support par des vis cruciformes qui les transpercent et dont les têtes sont restées apparentes, sur un site classé par les Monuments historiques.
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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Angle nord-ouest de la voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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I. LA LIERNE NORD-OUEST.
1. L'évangéliste saint Jean et son aigle.
Phylactère : In principio erat Verbum. "Au commencement était le Verbe". Une citation qui prend un sens particulier si on considère que les Sibylles, comme les Prophètes, ont été, dans leurs paroles, inspirées par Dieu bien avant l'avènement du Christ, pour en annoncer la venue.
Les quatre évangélistes sont également sculptés à Kerjean et à Saint-Divy où deux seulement sont conservés.
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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1. Femme tenant un objet (brisé) dans la main gauche.
La femme est vêtu d'un manteau bleu sur lequel tombent ses longs cheveux. Marie-Madeleine ? L'objet pourrait être un miroir.
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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2. Femme en brun.
Elle est vêtue à la mode d'Anne de Bretagne (mais nous sommes sous Henri II) avec une coiffe en chaperon, dont les ailes retombent sur les épaules, et un décolleté carré. D'une main, elle tient le pan du manteau, et l'autre main est placée sur la poitrine. Mais l'index de cette main est tourné vers le haut, comme chez les Prophètes qui, sur les Arbres de Jessé, indiquent par ce geste que leur prophétie se réalise par le Christ, et également comme les Sibylles, ces prophétesses antiques.
Alors, serait-ce ici une Sibylle, dépourvu d'attribut d'identification ?
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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Éléments de décor : un masque féminin.
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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3. Femme en bleu tenant une une tige verte .
Pris par mon sujet, j'en ferais volontiers une Sibylle Lybique tenant un flambeau ; mais, est-ce raisonnable ? . N'est-ce pas un roseau, celui de la dérision du Christ lors de sa Passion ?
Notons pourtant cette main gauche placée sur la poitrine, et cet index expressif. Elle veut nous dire quelque chose, mais quoi ?
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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4. Femme tenant une palme.
La palme est l'attribut des vierges et martyres.
Mais ici, l'index gauche placé face au pouce alors que les autres doigts sont repliés est indubitablement "indicatif".
Est-ce la Sibylle Érythréenne et son rameau fleuri, elle qui a deviné la survenue de l'Annonciation (car on sait que l'ange Gabriel apporte à Marie un lys, ou du moins un rameau) ?
Comme les précédentes, elle est agenouillée. On notera l'élégance de son col, nervuré comme une fraise et couvrant ses épaules.
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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II. LA LIERNE NORD-EST.
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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L'évangéliste Marc et son lion.
Le phylactère indique le texte de l'incipit Marc 1:1 Initium evangeli jesu christi. "Commencement de l'évangile de Jésus-Christ".
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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5. Un ange tenant une lanterne. Ou la Sibylle Persique.
Puisqu'il s'agit d'un ange avec deux ailes et des pieds nus, ce ne peut être la Sibylle Persique, dont la lanterne est l'attribut. Ah, c'est irritant, d'autant qu'elle montre clairement par son index gauche qu'elle avait prédit l'avènement de cette Lumière éclairant le Monde.
Ce serait un ange tenant la lanterne des gardes de l'arrestation de Jésus à Getsémani ?
A moins que ce ne soient pas ici des ailes, mais un écran doré appartenant au décor sous-jacent ? Et à moins d'interpréter les deux "ailes " dorées comme un dossier aux bords enroulés.
Notez les manches courtes évasées en spires concentriques, caractéristiques du Maître, tout comme la tunique cintrée au dessus d'un feston en coquille Saint-Jacques
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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6. La Sibylle Europa et son glaive.
Là, plus de doute. C'en est une. Elle porte le glaive parce qu'elle avait prévu, plusieurs années ou siècles auparavant, le Massacre des Innocents. C'est fort, non ?
Mais quelle jolie brune ! Si élégante et si bien maquillée ! Et cet art pour laisser échapper, d'un manteau trop grand pour elle, une cuisse fine et bronzée !
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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7. Sainte Barbe tenant sa tour à trois fenêtres.
Sainte Barbe, je ne vous la présente pas. Sa coquetterie ne se dément pas ici, avec ses sourcils et son front épilés, son rouge au joues, ses longs cheveux châtains dénoués comme toute jeune fille. Comme elle protège de la foudre, elle est ici fort utile sous ce lambris qui n'attend qu'une étincelle ...
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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8. Jeune homme barbu.
Qui est ce quidam chaussé de sabots ? Un pèlerin dans sa pèlerine ? Et que tient-il dans la main droite ?
—Un presse-agrume !
— Un moule à Kouglof !
— Une coquille ?
— Mais non, ce sont les doigts de sa main gauche sortant du poignet de sa houppelande. Un genou à terre, il prie, les mains jointes.
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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III. LA LIERNE SUD-EST.
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Lierne sud-est, voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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Saint Luc et son taureau.
Sur sa banderole se lit son incipit Luc 1:1 : Quoniam quidem multi conati sunt. "Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit".
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Voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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9. Une femme tenant une aiguière. La Samaritaine.
On reconnaît ici la femme qui a puisé de l'eau au Puits de Jacob, à la demande de Jésus. Comment la reconnaît-on ? Car elle figure de façon plus explicite sur une sablière du transept sud de Pleyben, mais aussi de la chapelle de Kerjean.
On comprend que l'artiste a choisi de représenter en majorité sur la voûte des femmes, n'appartenant pas au peuple Juif (Sibylles ; Barbara l'orientale ; la Samaritaine) ou réprouvée par les Pharisiens (Marie-Madeleine), mais qui l'ont annoncé ou reconnu ou ont joué un rôle important dans la Foi .
La Samaritaine, voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
La Samaritaine, voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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10. La Sibylle de Tibur tenant la main coupée.
Cette main montre qu'elle a prédit par ses vaticinations le soufflet qu'un soldat romain infligea au Christ lors de sa Passion.
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La Sibylle de Tibur, voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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La Sibylle de Tibur, voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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11. La Sibylle de Samos tenant son berceau.
car elle a, pars ses oracles, prévu la Nativité du Christ.
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La Sibylle de Samos, voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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La Sibylle de Samos, voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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12. La Sibylle Cimmérienne tenant la corne servant de biberon.
annonçant que la Vierge donnerait le sein à l'Enfant-Jésus.
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La Sibylle Cimmérienne, voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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La Sibylle Cimmérienne, voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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IV. LA LIERNE DU SUD-OUEST.
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La lierne sud-ouest de la voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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L'évangéliste Matthieu et son ange .
.... ainsi que le phylactère portant l'incipit de son évangile Liber generationem jesu christi."Livre de la genèse de Jésus Christ".
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L'évangéliste Matthieu, voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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La lierne sud-ouest de la voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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13. Ange tenant la Couronne d'épines. Ou la Sibylle de Delphes
On ne peut assimiler cet ange avec la Sibylle de Delphes, qui porte le même attribut...à moins d'interpréter les deux "ailes " dorées comme un dossier aux bords enroulés. La Sibylle Delphique aurait annoncé le couronnement d'épines du Christ lors de sa Passion.
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La lierne sud-ouest de la voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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14. Ange présentant la Croix. Ou la Sibylle Hellespontique.
On ne peut confondre cet ange avec la Sibylle Hellespontique, qui porte le même attribut, ...à moins d'interpréter les deux "ailes " dorées comme un dossier aux bords enroulés. La Sibylle Hellespontique aurait prévu la Crucifixion.
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La lierne sud-ouest de la voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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La lierne sud-ouest de la voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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15. Un évêque.
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La lierne sud-ouest de la voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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La lierne sud-ouest de la voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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16. Une femme en vert, bras croisés sur la poitrine. Ou une Sibylle lambda, sans attribut.
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La lierne sud-ouest de la voûte de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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DISCUSSION: LES SIBYLLES DE PLEYBEN
Si je m'en tiens aux prophétesses identifiables sans ambiguïté, je retiens les Sibylles Europa avec son glaive, de Tibur avec sa main, de Samos avec son berceau et Cimérienne avec son biberon. J'accepte à la rigueur la Lybique et son flambeau, l'Erythréenne et son rameau. Si on prend le parti de considérer les "ailes" dorées des trois anges comme des dossiers, parti que j'adoptai d'abord après examen du bord rectiligne et enroulé de deux-ci, on accepte alors d'y reconnaître la Persique et sa lanterne, la Delphique avec la Couronne d'Épines, et l'Hellespontique avec la Croix. Au maximum, on enrôle la dernière, dépourvue d'attribut, mais au vêtement et à la coiffure soignée dignes d'une de ces dames vaticinatrices. Donc, quatre certainement, et peut-être neuf parmi les douze Sibylles.
Après examen des anges des nervures du chœur, qui ont tous leurs ailes à bords rectilignes et enroulés (voir ici en fin d'article), je ne conserve que les quatre Sibylles certaines.
Pour l'abbé Yves-Pascal Castel, "les Sibylles, au nombre de cinq sont l'Européenne, la Samienne, la Libyque, l'Erythréenne et Agrippa". L'attribut de cette dernière est le fouet, que je n'ai pas observé.
Le frère des Écoles chrétiennes Guy Leclerc (frère d'Edouard) décrit "La sibylle de Samos porte un berceau et annonce la Nativité du Christ, celle de Perse porte une lanterne et annonce le Christ lumière du monde, celle de Tibur tient le gant qui rappelle le soufflet du soldat romain, la sibylle cimérienne tient un biberon en forme de corne d'abondance [sic], et ainsi de suite". Cet "ainsi de suite" témoigne de la difficulté à donner une identification définitive.
Je rappelle qu'à Kerjean, le même sculpteur a représenté cinq ou six Sibylles, Agrippa, celle de Samos, de Crimée (cimmérienne), de Delphes, et Hellespontique.
Il est possible que le thème des Sibylles se mêle avec, ou soit détourné au profit du culte des Instruments de la Passion, et de la compassion pour les souffrances du Christ, qui est évident sur les quatre sanctuaires ornés par le Maître de Pleyben avec les cuirs des Cinq Plaies, de la Couronne d'épines autour de la Croix, de la Sainte Face, des porteurs de la Colonne de Flagellation, entre autres.
De manière générale, le culte christique l'emporte sur le culte marial. Enfin, notons l'absence, sur ces personnages des liernes, des thèmes profanes, qui apparaissent sous forme de masques dans le décor intermédiaire.
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LA CLEF PENDANTE CENTRALE ET LES ABOUTS DE POINÇON SUR LES QUATRE NERVURES.
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Nous n'avons fait que la moitié du chemin — et encore ! —et nous devons encore rester un bon moment le nez levé, pour observer le réseau des nervures qui, à partir de la clef pendante centrale, se dirigent vers les quatre directions cardinales, égrenant à chaque croisement avec les carrés des nervures transversales leur 20 à 24 "abouts de poinçons". Nous y trouverons des anges, des musiciens et des acrobates, mais aussi quelques fleurons.
Dirigeons d'abord nos jumelles vers la clef pendante.
I. La clef pendante : les quatre anges du Jugement Dernier.
Quatre anges buccinateurs ont embouché leur trompette qu'ils dirigent vers nous pour annoncer le Jugement Dernier. Assis sur le même siège, ils portent une tunique or, vers l'Orient, bleu et blanche, vers le Septentrion, verte vers l'Occident, et bleue, vers le Midi. Ah, mes amis, quel vacarme ! À réveiller les morts !
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Clef pendante des quatre anges buccinateurs de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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Clef pendante des quatre anges buccinateurs de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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Clef pendante des quatre anges buccinateurs de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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Les abouts de poinçon des quatre nervures.
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Pour chaque nervure, je me dirigerai du centre vers la périphérie.
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II. La nervure se dirigeant vers le chœur.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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1. Un ange en tunique blanche.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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2. Un joueur de vièle.
En bonnet, tunique bleue, braies brunes, chaussures noires, il joue avec un archet sur un instrument à (trois) cordes.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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3. Un fleuron. Je passe.
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4. Un joueur de luth. Là, je prends.
Barbu, le regard inspiré, vêtu d'une tunique jaune à manches bouffantes, jambes écartées et comme saisi en plein vol plané, il joue (sans plectre visible) d'un instrument à cordes pincées, dépourvues d'ouïes : un luth, si on veut, malgré sa forme peu ventrue. Ou une guiterne (joué avec un plectre), une mandore, ou une mandoline (plus ventrue), etc.
Voir S. Duhem pages 225-228 et tableau page 357 et qui mentionne les instruments de Bodilis, Lannédern (1559-1581), Saint-Divy, Roscoff, et Ploermel, . Voir le joueur de luth de Kerjean sur mon blog, par le Maître de Pleyben.
Il faudrait voir, comme pour le joueur de vièle, le manche de l'instrument et ses chevillers.
D'une manière générale, sur les musiciens sculptés en Bretagne ou aux XV-XVIe siècle, voir dans mon blog, entre autre :
- La chapelle N.D. du Crann à Spézet.
- L'église Saint-Houardon à Landivisiau
- Chapelle Notre-Dame de Carmès à Neulliac : les lambris peints du XVe siècle
Les anges musiciens des voûtes de l'église Notre-Dame de Kernascléden (ca 1440).
- Les sablières de Saint-Sébastein au Faouët
- Joueur de cornemuse, chapelle Saint-Yves, Priziac, photographie lavieb-aile.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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5. Le sonneur de cornemuse.
Il figure dans le site Iconographie de la cornemuse de Catherine et Jean-Luc Matte avec quatre photos de Joël Jubin, avec le seul commentaire "Cornemuseux aux genoux repliés ; un bourdon d'épaule". En effet, Jean-Luc Matte a fait remarqué que les cornemuses du Moyen-Âge, et jusqu'au XVIe siècle, ne sont pas toujours représentées avec un bourdon d'épaule.
Notre joueur presse le sac de cuir sous le coude gauche, veille à remplir ce sac en soufflant dans le porte vent, et place trois doigts sur les trous du hautbois, dont il assure la prise par le pouce et l'auriculaire. De la main droite, il désigne la direction de l'est, c'est à dire l'autel du chœur.
Il est coiffé d'un bonnet qui est replié vers l'avant (déjà observé à Saint-Divy) et il est vêtu d'un grand manteau vert ourlé d'or, frioncé à la taille, au col rond, et à revers bleu couvrant en vagues les genoux.
Le Maître de Pleyben a également sculpté en blochet un autre cornemuseux à Pleyben (vers 1571) , que je présenterai dans un futur article sur les sablières, mais aussi à l'église de Saint-Divy (blochet, 1575-1580) et dans la chapelle du château de Kerjean (about de poinçon,1575-1580).
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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6. L'ange gris-souris tenant un cuir découpé.
Ce cuir portait sans doute une inscription peinte. Les "cuirs découpés" introduits en France par les décorateurs italiens du château de Fontainebleau sont l'une des particularités stylistiques du Maître de Pleyben. L'une de ses autres manies est d'encadrer la tête de ses créatures de sept choux bruns comme autant de bouclettes frisées.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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7. L'ange bleu aux bracelets d'or.
Chut ! (et non "chute") : il vole, bras écartés, les yeux écarquillés par la contemplation de Dieu. Les choux frisés précédents se sont transformés en délicieuse anglaises.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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II. La nervure se dirigeant vers le transept sud.
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1. Le joueur de percussion.
Que tient-il ? Deux objets blancs resserrés au centre, que j'interprète comme deux petits tambours ou boites à rythme, la partie évasée me semblant recouverte d'une peau. En tout cas, il est emporté par la musique. On retrouve le bonnet "de musicien (voir le sonneur de cornemuse). La tunique bleu-gris est rayée sur le torse comme la livrée d'un domestique, serrée à la taille avant de se terminer par une fronce charmante, caractéristique du sculpteur (voir les anges présentateurs de cuir à Kerjean, par exemple).
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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2. L'ange à la tunique vert-d'eau.
Il vole, une main sur le chœur et l'autre, inspirée et déclamative.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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3. L'acrobate bleu et brun.
Un acrobate apporte toujours avec lui ses valeurs ou contre-valeurs de rupture avec l'ordre conventionnel et de pratique ludique alors condamnée, comme le théâtre et les arts de tréteaux, par l'Église. Mais cette dernière tolérait cette transgression, et mieux, elle lui donnait une place, notamment dans les hauteurs de ses sanctuaires, sans que l'on puisse dire jamais si il s'agit d'un exutoire, d'une condamnation de Mal, ou d'une capacité à conjoindre les contraires pour mieux proclamer la gloire divine. Je renvoie à Michael Bakhtine et la carnavalisation médiévale, ou de la Fête des Fous instituée à la Sainte Chapelle pour les enfants de chœur, etc.,
Celui-ci fait la roue, et saisit ses pieds. Le geste de la préhension des pieds très fréquemment représenté sous forme de crossettes, et auparavant sous forme de modillons romans en sculpture sur pierre. Il possède manifestement une valeur érotique.
Mais notre saltimbanque fait mieux : c'est par l'intermédiaire d'une sorte de grande pince à linge qu'il empoigne sa cheville. Ce qui mériterait de plus amples recherches.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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4. L'homme brun et bleu une main gauche sur la poitrine.
5. ?
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III. La nervure allant vers la nef.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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1. L'homme au plastron doré.
Il est coiffé du bonnet "des musiciens", ce qui me conduit à remarquer qu'il a dans les mains des sortes de cymbales ou de castagnettes.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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2 et 3 : Deux fleurons.
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4. Un ange blanc faisant un bras d'honneur esquissant un geste de salutation.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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5. Un ange vert présentant un rouleau de papier.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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6. Un fleuron.
7. Un homme (?) vêtu d'une robe bleue tenant ses chevilles.
C'est la fameuse posture licencieuse dont je parlais à propos de l'acrobate bleu.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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IV. La nervure allant vers le transept nord.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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1. L' ange blanc jouant de la trompette.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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2., 3, et 4 : trois fleurons.
5. Un ange blanc tenant une trompette droite.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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6. Un satyre au pourpoint brun.
Barbu, les oreilles pointues et le sexe ostensible : c'est un satyre, malgré ses pieds nus. Et, hasard, cet être lubrique tient ses chevilles empoignées.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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7. Un ange jouant du pipeau ou un hautbois.
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Nervure de la croisée du transept de l'église Saint-Germain de Pleyben, photographie lavieb-aile 2017.
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9. Un ange à tunique rouge tenant un objet vert.
Quel est cet objet dont l'extrémité est pyramidale ?
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10. Un homme déguisé en grenouille, portant une pancarte.
Cet homme vert porte l'écriteau suivant : BATISTE LARS / DEC Sd MOUCHE.
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11. Un ange bleu tenant un rouleau.
Nous sommes arrivés à l'extrémité du transept nord.
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UN BONUS : L'ABSIDE DU CHŒUR.
Elle ouvre en éventail ses quatre voûtains.
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Vue générale du coté nord.
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Ange tenant la Couronne d'épines.
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Ange tenant un objet brisé.
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Ange au monogramme de Marie.
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Ange au tétragramme.
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Ange au monogramme christique IHS.
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Clef pendante.
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Joueur de luth à cinq cordes. Absidiole de gauche.
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BONUS BIS : ANGES DES NERVURES.
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Ange au hautbois.
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Ange de l'Annonciation.
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Ange à la colonne.
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Euh, comment dirais-je ?
Ouf !
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SOURCES ET LIENS.
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— CASTEL (Yves-Pascal), Les 70 sibylles du Finistère. site de la Société Archéologique du Finistère.
http://patrimoine.dufinistere.org/art2/index.php?art=ypc_sibylles
— CASTEL (Yves-Pascal), 2006, "Les 70 sibylles du Finistère", Bulletin de la Société Archéologique du Finistère - T. CXXXV - 2006
— LECLERC (Guy), 2007, Pleyben, son enclos et ses chapelles, éditions Jean-Paul Guisserot, 31 pages pages 18 et 19.
https://books.google.fr/books?id=hWctwxQfyhgC&pg=PA18&lpg=PA18&dq=sibylles+pleyben&source=bl&ots=kzc-VMkVBx&sig=29B6LVXN1nHu2s5hEpHEt3en1vA&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiI596WxpfVAhXH2xoKHQ5WDd4Q6AEIQjAF#v=onepage&q=sibylles%20pleyben&f=false
http://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf-Couffon/PLEYBEN.pdf
— Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Enclos_paroissial_de_Pleyben
BIBLIOGRAPHIE NON CONSULTÉE.
- J.M. Abgrall : Pleyben. Eglise, calvaire, ossuaire, chapelle Notre-Dame de Lannélec (B.S.A.F. 1892) ; Pleyben (Quimper, 1908) ; Le Livre d'Or des églises de Bretagne
- A. de La Barre de Nanteuil 1914, : Pleyben (S.F.A. C.A. 1914)
- Le Coz (Y) : Construction et translation du calvaire de Pleyben (B.D.H.A. 1910)
- B.D.H.A. 1938 : Notice de Pleyben
- R. Lisch : Pleyben (S.F.A. C.A. 1957)
- M. Moreau-Pellen : Pleyben (Châteaulin, 1950)
- Ass. Bret. : Congrès de Châteaulin, 1960 (Pleyben)
- G. Leclerc : Pleyben, la rogue paroisse (Châteaulin, s.d.)
- A. Legrand : Pleyben (Rennes, 1979)
— ABGRALL, Jean-Marie. Pleyben, son église, son calvaire. Editions d'art Jos Le Doaré, Quimper, 1969.
— BARREAU, Loïc, MARCEL-ROUAULT, Claude. Les enclos paroissiaux de Bretagne. Editions OUEST-FRANCE, 2006, p. 88-89.
— LEGRAND, André. Pleyben. Editions OUEST-FRANCE, Rennes, 1979.
— MOREAU-PELLEN, Madeleine. Pleyben, son église, son calvaire. Collection 'Reflet de Bretagne'. Editions d'art Jos Le Doaré, Châteaulin, 1957.
— MUSSAT, André. Arts et cultures de Bretagne. Paris, 1879.
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