La charpente sculptée de l'église de Pleyben (vers 1571) par le Maître de Pleyben : le transept nord. Sablières, blochets et entraits.
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Voir aussi :
— Sur les sablières du Maître de Pleyben :
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— Et sur les sablières bretonnes :
Les sablières, entraits et poinçons de l'église Notre-Dame et Saint-Michel de Quimperlé.
Sablières, inscriptions et pardon de la chapelle Saint-Sébastien au Faouët (56).
L'enclos paroissial de Dirinon V. Les sablières (1623), les blochets et poinçons.
L'intérieur de l'oratoire Notre-Dame de l'abbaye de Daoulas.
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Présentation générale : voir mon article sur les sablières du transept sud. Comme pour ce dernier, je débute par l'angle de la croisée du transept proche du chœur, c'est à dire ici à gauche de la statue de l'évangéliste saint Marc, et j'étudie pour chaque sablière la frise inférieure, les personnages présentant le cartouche de cuir découpé, et enfin le motif principal.
Nous trouverons successivement :
— sur le coté oriental au dessus du retable (quatre cartouches) :
- Le cuir découpé de La Trahison de Judas face au grand prêtre au pied de la Croix.
- Un blochet : jeune homme tenant un bâton.
- Le cuir découpé de La femme montrant un livre et tenant un rouleau de papier.
- Le premier entrait à engoulant.
- Le cuir découpé du Couple autour d'un cœur.
- Le second entrait à engoulant.
- Les cuirs au chronogramme 1571.
- Le blochet d'un Homme tenant une couronne d'épines.
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— sur le coté occidental (quatre cartouches):
- Le blochet de la Femme tenant un objet (brisé).
- Le cuir découpé à l'objet brisé, présenté par quatre oiseaux.
- Le second entrait à engoulant, aux armoiries de Mgr Sergent.
- Le cuir découpé de Deux personnages couchés tenant un cuir.
- Le premier entrait à engoulant, aux armoiries de Pie IX.
- Le cartouche du Nain vert tenant un poireau.
- Le blochet d'un Personnage présentant un crâne.
- Le cuir découpé des Soldats jouant aux dés la Tunique du Christ.
... avant d'arriver à l'angle de la croisée du transept, avec la statue de l'évangéliste Jean.
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La voûte du transept nord et sa charpente, église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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La voûte du transept nord et sa charpente, église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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I. LE COTÉ ORIENTAL.
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Les sablières du coté oriental du transept nord, église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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1. De l'évangéliste Marc au premier entrait.
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Les sablières du coté oriental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Le cuir découpé Le Remord ou la Trahison de Judas, face au grand prêtre au pied de la Croix.
a) la frise : inspirée des guirlandes Renaissance, elle alterne des grappes de fruits ou des épis de grains avec des feuilles lancéolées et la partie distale d'un légume charnu, à quatre lobes souvent centrés par un bouton.
b) Les anges présentateurs du cuir.
Ils sont les pendants de leurs homologues de la première sablière du transept sud, dont le premier tenait un clou et portait une écharpe blanche, et le second une trompette. Ici, l'objet tenu par le premier ange est moins facile à identifier, et le second ne tient pas de trompette, mais désigne la scène centrale de l'index. Autre différence, les anges tiennent le cuir en s'éloignant de lui. Mais on retrouve toutes les spécificités des anges du Maître. En sixième année, vous êtes censés les connaître sur le bout des doigts.
c) Le cuir découpé : il s'agit plutôt d' un cadre rectangulaire mouluré, posé, comme un objet indépendant, sur deux cuirs à enroulements blancs à bords dorés, par les oreilles desquels passent les deux brins du linge blanc tendu par les anges.
d) Le motif :
La traverse d'une croix en T s'intègre au cadre, dans une indistinction du cadre et du motif très habituelle au Baroque : le Monde est un théâtre, nous en sommes les acteurs et les spectateurs, rêveurs éveillés sur une scène qui se confond avec la salle.
A la base de cette croix sont plantés trois clous : c'est la Croix de la Passion, comme le confirme la couronne d'épines, celle qui fut posée sur la tête du Christ en dérision de sa royauté.
Comme deux marionnettes de guignol, deux personnages semblent s'interpeller en s'accoudant à leur fenêtre. L'un est le grand prêtre du Temple de Jérusalem, Caïphe, ou du moins l'un des "chefs des prêtres", et l'autre est Judas Iscariote tenant un sac rempli de pièces : les fameux "trente deniers" :
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"Alors, l’un des Douze, celui qui s’appelait Judas Iscariot, se rendit auprès des chefs des prêtres pour leur demander: Si je me charge de vous livrer Jésus, quelle somme me donnerez-vous? Ils lui versèrent trente pièces d’argent." (Matthieu 26:14-15)
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"En voyant que Jésus était condamné, Judas, qui l’avait trahi, fut pris de remords: il alla rapporter aux chefs des prêtres et aux responsables du peuple les trente pièces d’argent et leur dit: J’ai péché en livrant un innocent à la mort!
Mais ils lui répliquèrent: Que nous importe? Cela te regarde! Judas jeta les pièces d’argent dans le Temple, partit, et alla se pendre. Les chefs des prêtres ramassèrent l’argent et déclarèrent: On n’a pas le droit de verser cette somme dans le trésor du Temple, car c’est le prix du sang. Ils tinrent donc conseil et décidèrent d’acquérir, avec cet argent, le «Champ-du-Potier» et d’en faire un cimetière pour les étrangers. Voilà pourquoi ce terrain s’appelle encore de nos jours «le champ du sang». Ainsi s’accomplit la parole du prophète Jérémie: Ils ont pris les trente pièces d’argent, le prix auquel les descendants d’Israël l’ont estimé, et ils les ont données pour acheter le champ du potier, comme le Seigneur me l’avait ordonné." (Matthieu 27 : 3-10)
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Puisque Judas et Caïphe se trouvent de part et d'autre de la Croix, il est logique de penser que c'est le Remords de Judas, et non sa Trahison, qui est représentée, mais on peut aussi voir la composition comme une accusation dénonçant la cupidité du disciple de Jésus et l'implication des chefs Juifs et les présentant comme les responsables de sa mort. Alors que la première sablière du transept sud dénonçait la responsabilité de Pilate.
Cette scène est également représentée sur les sablières du chœur de Roscoff, alors que celles de l'église de Saint-Divy comporte le motif de la Croix et de la Couronne, encadrée par l'aiguière et le bassin du lavement de main de Pilate.
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Judas face au grand prêtre au pied de la Croix, première sablière du coté oriental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Judas face au grand prêtre au pied de la Croix, première sablière du coté oriental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Le blochet : un homme jeune tenant un bâton (et un objet brisé dans la main gauche).
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Blochet du coté oriental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Entre le blochet et l'entrait :
Cuir découpé de La femme montrant un livre et tenant un rouleau de papier.
C'est une femme puisqu'on discerne une coiffe au dessus de cheveux ramassés sur les cotés. Mais que veut-elle dire en tendant l'index droit sur la page de son livre, et en brandissant un codex ? "C'était écrit là " ? .
La femme montrant un livre et tenant un rouleau de papier, sablière du coté oriental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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2. Du premier au second entrait.
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Le premier entrait à engoulant.
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Le cuir découpé du Couple autour d'un cœur.
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Le Couple autour d'un cœur, sablière du coté oriental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Le Couple autour d'un cœur, sablière du coté oriental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Le cuir est encadré par un groupe de deux personnages. Nous voici devant le premier personnage du groupe de droite : c'est une femme qui fait face au spectateur et lui sourit. Elle est richement vêtue d'un manteau bleu clair à manches courtes et d'une robe blanche, usant avec largesse des galons or.
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Le Couple autour d'un cœur, sablière du coté oriental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Cette voisine est couchée sur le coté et tient de la main gauche un livre ouvert, qu'elle désigne de l'index.
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Le Couple autour d'un cœur, sablière du coté oriental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Le couple apparaît dans des niches dorées comme à la fenêtre de leur demeure. Lui est coiffé d'un chapeau rond, peu éloigné d'une barrette. Ses deux mains sont posées sur des tablettes noires. Au centre, un cœur vermillon blessé de trois entailles en losange. Elle est accoudée à une tablette, et tient un objet cylindrique brun. Sa coiffure, élaborée, demande à être décryptée.
La signification exacte de cette scène m'échappe.
La frise semble inclure le motif des deux dragons accouplés par le col (sablière du transept sud), mais le bois est fort dégradé.
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Le Couple autour d'un cœur, sablière du coté oriental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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A gauche, l'énigme se poursuit car le personnage d'allure féminine tient une massue et un fouet, tous les deux verts, et sa voisine une sorte de quenouille.
La frise donne à voir un masque libérant de sa bouche des tiges végétales.
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Avec cette sablière, nous changeons de style puisque non seulement le motif, même énigmatique, est profane, alors que le transept sud et le chœur sont décorés de sablières à sujets religieux, mais aussi que les anges présentateurs aux lignes dynamiques et déliées laissent la place à ces femmes aux corps ramassés dans des postures acrobatiques, et encore que les frises s'enrichissent de mascarons et animaux fantastiques.
Il est difficile pour moi d'affirmer qu'il s'agit du travail d'un autre artiste, ou bien d'une capacité du Maître de Pleyben à s'adapter à un autre style, en sachant qu'il faut mieux parler d'un atelier, avec plusieurs "mains" restant fidèles aux spécificités communes tout en exprimant des talents particuliers.
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La partie gauche du cuir du Couple autour d'un cœur, sablière du coté oriental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017. Couple autour d'un cœur, sablière du coté oriental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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3. Après le second entrait : la dernière sablière orientale et le blochet final.
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La dernière sablière orientale : le chronogramme 1571.
A l'entrée du transept, près de la sacristie (1680)-(1690), on trouve l'inscription A LONNEUR DE DIEU ET NOTRE DAME . MONSIE / GNEUR SAINCT GERMAIN ET SAINCTE KATHERINE CETE OEUVRE FUST FAICTE . LAN / MILL CINQ . CENTZ SOIXANTE QUATRE . / VENERABLE MAISTRE ALAIN KERGADALEN RECTEUR POUR LORS .
Cette inscription a été complétée en caractères gravées par la mention : FUT ENTIEREMENT RESTAUREE DE 1857 À 1860.
Sur le mur du bas côté Sud, au dessus de la porte située entre le porche et le transept, se trouve une autre inscription LAN (1583) VE VOBIS GENTIBUS IN TEMPLO VANA LOQUENTIBUS.
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Dernière sablière du coté oriental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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II. LE COTÉ OCCIDENTAL.
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Le coté occidental du transept nord, église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Le blochet : une femme vêtue du bleu tenant un objet (brisé).
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Blochet nord-ouest du coté occidental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Entre le blochet nord-ouest et le second entrait : le cuir de l'Objet blanc tenu par deux oiseaux-volutes .
a) la frise : rinceaux et épis.
b) les deux oiseaux : on distingue de la tête le bec rehaussé de rouge, la langue, l'œil noir, et un collier doré. Le bas du corps est remplace par deux volutes.
c) le cartouche : un cadre rectangulaire en bois mouluré est posé par dessus le cuir, aux doubles enroulements latéraux. Rien de sorcier, mais c'est pourtant un modèle différent des précédents.
d) Le motif : il est intercalé entre deux enroulements, et la convexité est brisée. S'agissait-il d'un cœur ?
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Dernière sablière du coté occidental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Dernière sablière du coté occidental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Entre les deux entraits.
Le cuir des Deux personnages allongés tenant un cuir .
a) la frise : assez riche, elle comporte un masque (femme sous une coiffe), une coquille, et deux dragons liés par la queue, qui est une volute. De fait, ces dragons étaient aussi présent sous le cuir précédent.
b) les personnages présentant le cuir.
Nous sommes ici loin des anges raffinés qui, près de la croisée, ou dans le transept sud, présentaient les cuirs à motifs religieux. Et pourtant, nous retrouvons le traitement particulier des cheveux en petits choux, ou les manches à ballons, qui indiquent que la production sort du même atelier.
A droite, une femme vêtue de rouge à manches or déroule une étoffe dorée. A la différence des "cuirs à anges", cette étoffe ne se resserre pas en un lien qui sert d'accrochage au cuir en se faufilant par des opercules. Le décor est-il moins précis, moins élaboré ?
A gauche, nous virons à la franche gaudriole frivole voire grivoise,avec ce personnage en habit bleu, empoignant ses chevilles et faisant le grand écart. Nous trouvons sur les clefs (abouts de poinçons) en ronde bosse de tels acrobates, mais ici, les dimensions étroites et le bas-relief imposent des contraintes qui accentuent le caractère grossier, naïf ou grotesque du saltimbanque. Mais sa fraise rose au galon doré, les crevés de son gilet ou les rubans de ses coudes soulignent son élégance.
c) le cuir : proche du précédent, avec un rectangle mouluré posé sur deux cuirs latéraux.
d) le motif.
Deux personnages ( féminins ?), l'un en habit bleu et l'autre en beige, reprennent la posture allongée avec les pieds nus appuyés aux montants, des anges et autres personnages présentateurs de cuirs. Et, effectivement, ce que j'avais pris pour une colonne n'est autre qu'un cuir enroulé. Autrement dit, l'image, plus ingénieuse qu'il n'y paraît, est une mise en abyme. Le cartouche montre deux présentateurs de cartouche, placés en miroirs. Comme un théâtre posé sur la scène d'un théâtre, ou bien une pièce de théâtre qui montre des acteurs préparant une pièce de théâtre. Hamlet date de 1603, le Songe d'une nuit d'été de 1600, La Vie est un songe, de 1635. Quand au changement du regard humain sur son environnement, qu'il se met à placer dans un cadre pour l'observer en développant la notion de Théâtre de la Nature, il correspond à l'apparition des œuvres de Joris Hoefnagel, vers 1580. Placer le cadre dans le cadre, cela ne relève sans-doute pas, de la part de l'atelier du Maître de Pleyben, de l'initiative d'une seconde main, dégradée et de tradition populaire, mais d'un esprit vif, averti des mutations en cours dans l'art. L'acrobate de gauche est ici parfaitement à sa place.
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Le cuir des Deux personnages allongés tenant un cuir , sablière du coté occidental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Le cuir des Deux personnages allongés tenant un cuir, sablière du coté occidental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Le cuir des Deux personnages allongés tenant un cuir, sablière du coté occidental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Le blochet du personnage tenant une tête de mort.
On a pu penser qu'il s'agissait de Marie-Madeleine, qui sera, plus tard dans l'Histoire de l'art, requise dans ce rôle. Le personnage androgyne aux jambes croisées associe les traits d'un ange, tels que nous les connaissons, à ceux de saint Jean.
Une aide précieuse nous serait apportée par la connaissance des attributs des autres blochets, mais beaucoup de ceux-ci sont brisés. Le crâne est peut-être celui d'Adam, souvent rencontré au pied de la Croix pour affirmer que le Christ libère, par sa mort, l'humanité de la malédiction du premier homme. Ou bien, ce crâne est tendu par cet ange bleu comme un Memento mori, si commun aux ossuaires bretons. On comprendrait alors que ses orbites creuses soient dirigées vers l'assistance, alors que le craniféraire (ce néologisme me démangeait) dirige son regard vers les Cieux, comme un exemple à suivre.
Un mot sur le nain vert encadré à la droite de ce blochet.
Le cartouche du Nain vert tenant un poireau.
Il n'est nain que pour le plaisir du titre, mais c'est bien un indubitable poireau qu'il brandit dans sa main droite, alors que la gauche est posée sur son genou. Est-ce un rébus ? Un autoportrait et une signature de l'artiste, comme l'envisage (sur d'autres motifs) Jean-Claude Le Floch ? Un poireau se dit " pour" en breton, ce qui ne mène pas loin.
Mais je vois aussi une courge dressée droit sur son épaule gauche. "Koulourdr" en breton. Bof.
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Le blochet du personnage tenant une tête de mort, sablière du coté occidental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Du premier entrait jusqu'à la statue de saint Jean.
Voici le dernier cartouche, qui vient en vis à vis avec le premier, celui de la Trahison ou du Remord de Judas au pied de la Croix. Or, nous revenons ici à un motif religieux, et à une scène évangélique au pied de la Croix.
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Le cuir des Deux soldats romains jouant aux dés la Tunique du Christ.
a) frise. On y trouve à l'extrême gauche une feuille sagittée (j'ai cru à une étoile de mer et à une seiche), des feuilles lancéolées, des épis, des grappes, et enfin un escargot. Cet escargot est présent aussi sur les sablières de la chapelle de Kerjean, sous le cuir des Cinq Plaies. Il évoque ceux qui grimpent le long des pampres des colonnes des retables bretons, ou ceux des voussures et piédroits des porches, sculptés en kersanton par l'atelier du Maître du Folgoët (1423-1509) ou des frères Prigent de Landerneau (1527-1577).
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Le cuir des Deux soldats romains jouant aux dés la Tunique du Christ, sablière du coté occidental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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b) les soldats.
Ils occupent l'emplacement en dehors du cartouche qui est celui des anges et autres personnages chargés de présenter et de soutenir par des cordages ces encarts, alors qu'en fait ils appartiennent au motif , dans un nouvel exemple de confusion ou du brouillage de la convention du cadre et du hors-cadre.
Comme ces anges présentateurs, ils sont presque couchés (pour figurer en pied malgré la hauteur très réduite de la sablière), et comme eux, ils fléchissent une jambe, dont le genou est tendu devant eux, et ils étendent l'autre jambe, dont le pied (ici chaussé) atteint avec vigueur les limites de la sablière.
Leur posture d'escrimeur et leur menton projeté par l'hyperextension du cou leurs confèrent des allures de ridicules matamores, d'autant qu'en guise d'épées, ce sont leurs dès qu'ils mettent si martialement en avant : un cinq à gauche, un quatre à droite.
Ce ridicule est achevé par celui de leur toilette. À droite, le perdant porte une armure d'opérette, sans casque, avec des jambes et des bras nus. A gauche, cette armure bleu métal est portée sur des bragou braz, ces larges braies ou culottes bouffons des Bretons, au dessus de chaussures de cuir noir fort civiles. Les envolées des manches (qui singent celles, identiques, des anges présentateurs) et la ressemblance du bas de l'armure avec une jupette dénient, malgré son casque, toute crédibilité à ce légionnaire mal échappé d'une page d'Astérix.
Le cuir des Deux soldats romains jouant aux dés la Tunique du Christ, sablière du coté occidental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Le cuir des Deux soldats romains jouant aux dés la Tunique du Christ, sablière du coté occidental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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c) le cuir. Oh, rien de plus sobre ! Ce sont les vaches maigres ! Un tableau de bois à moulures, et un cuir à enroulements de chaque coté. Mais le comique provient des découpes de ces enroulements, qui servent de fenêtres de passage aux mains de soldats, avec leur dès.
Le cuir des Deux soldats romains jouant aux dés la Tunique du Christ, sablière du coté occidental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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d) Le motif. La scène décrite est très sérieuse, elle est tirée de l'évangile de Jean 19:23-24 : ayant crucifié Jésus, les soldats se partagent ses vêtements, en faisant quatre parts, mais ils se refusent à partager la tunique en la déchirant, car elle est "sans couture, d'une seule pièce depuis le haut jusqu'en bas". Au pied de la Croix, pendant l'agonie du Christ, ils décident de la tirer au sort (en latin : sortiamur, de sortio, is, ire "tirer au sort".
Au centre du cartouche, ne figurent que la tunique et les deux mains tenant les dès.
La tunique est rouge, une couleur d'emploi exceptionnel sur ces sablières. Elle est pliée, l'encolure à galon doré rabattue sur le devant, alors que les manches à crevés sont écartées. Ainsi, ce vêtement devient une représentation du Christ mort, la tête inclinée sur la poitrine et les bras en croix. Dans la solitude crée par l'expulsion des deux soldats hors-champ, elle atteint une dense signification spirituelle qui évoque ce qu'écrivait Joseph Malègue dans Augustin : " Il [le Christ] a subi le délaissement de son Père, l'abandon de Dieu, la sécheresse et le désert des dérélictions absolues : cette croix sur la Croix, cette mort dans la mort".
Ce motif est également représenté sur les sablières de la chapelle de Kerjean, et, deux fois, sur celle de Sainte-Marie-du-Ménez-Hom.
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Le cuir des Deux soldats romains jouant aux dés la Tunique du Christ, sablière du coté occidental du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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LES ENTRAITS.
Le centre de ces entraits porte, visible de la croisée du transept, deux blasons, celui du pape et celui de l'évêque en fonction lors de la campagne de restauration du XIXe siècle. Le recoupement des dates de Pie XI (1846-1878) et de Monseigneur Sergent (1855-1871) donne le créneau de 1855-1871, cohérent avec les dates de la restauration générale indiquée par l'inscription lapidaire proche de la sacristie, de 1857 à 1860.
Nœud du premier entrait. Armoiries du pape Pie XI (1846-1878).
Le nœud sculpté porte les armoiries écartelé en 1 et 4 d'azur au lion couronné d'or et en 2 et 3 d'argent aux deux bandes de gueules.
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Nœud du premier entrait. Armoiries du pape Pie XI (1846-1878), transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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L'engoulant du second entrait.
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Le second entrait du transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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Le nœud du second entrait. Armoiries de Mgr Sergent (1855-1871).
Il porte les armoiries d'azur à la Vierge entourée de douze étoiles dans une gloire et posée sur une nuée mouvant de la pointe de l'écu, le tout d'argent.
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Nœud du second entrait. Armoiries de Mgr Sergent (1855-1871), transept nord, atelier du Maître de Pleyben (vers 1571), église Saint-Germain de Pleyben. Photographie lavieb-aile juillet 2017.
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CONCLUSION PROVISOIRE.
Avec ce deuxième article sur les sablières des deux bras du transept de Pleyben, et celui sur la voûte de la croisée du transept, il est possible de rechercher une concept global, un programme derrière les seize cartouches sculptées. La première remarque est de constater que sept ont un thème religieux, deux au nord et cinq au sud, et que neuf cartouches sont profanes. La deuxième remarque est de noter que les quatre angles de la croisée sont occupés par des thèmes liés à la Passion : la Lâcheté de Pilate lors du Lavement de main, et des Stigmates, au sud, et du Remord de Judas au pied de la Croix, et de la Tunique tirée au sort, au nord. (bien que les Stigmates soient précédées, à l'angle sud-ouest, par les deux dragons). Le thème central est donc christique, et traite de la Passion. Les autres thèmes religieux sont tirés de l'enfance, puis de la vie de Jésus : Nativité, Présentation au Temple, et Rencontre de la Samaritaine.
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SOURCES ET LIENS.
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1°) Les cartouches et cuirs découpés.
— ANDROUET DU CERCEAU (Jacques), Le premier volume des plus excellents bastiments de France : Le Louvre, Vincennes, Chambord, château de Madrid (Philibert Delorme 1548-1559), Covussi, Folambray, Montargis, La Muette, Saint-Germain, Creil, Vallery, Verneuil, Ancy-le-Franc, Gaillon, Manne.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10411354/f45.image
Le second volume : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3137097/f12.image
Blois, Amboise, Fontainebleau, Villiers, Charleval, Les Tuileries, St-Mort, Chenonceau, Chantilly, Anet, Ecouen, Challueau, Dampierre, Beauregard, Bury.
— ANDROUET DU CERCEAU (Jacques), s.d, Termes et cariatides,
http://architectura.cesr.univ-tours.fr/Traite/Images/INHA-4R85BIndex.asp
— ANDROUET DU CERCEAU (Jacques) (1510?-1585?), [Entre 1542 et 1545] Grands cartouches, [20] pl., Eau forte ; 38 cm [S.l.], [s.n.] 2 suites sans titre ni inscription. 7 des 20 planches reprennent des compositions de Fantuzzi connues par des estampes publiées vers 1542-1543.
http://bibliotheque-numerique.inha.fr/viewer/1807/?offset=#page=5&viewer=picture
— ANDROUET DU CERCEAU (Jacques) (1510?-1585?), [Entre 1545 et 1547] Petits cartouches de Fontainebleau, [31] pl., Eau forte ; 26 cm, [S.l.], [s.n.] Suite sans titre d'ornements inspirés par l'art de Fontainebleau et destinés à servir de modèles. Certaines planches reprennent des compositions de Fantuzzi connues par des estampes publiées entre 1542 et 1545 ; D'autres figurent déjà dans la première ou la seconde suite des grands compartiments
http://bibliotheque-numerique.inha.fr/viewer/1801/?offset=#page=5&viewer=picture
http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40564725t
— DIETTERLIN (Wendel), 1598, Architectura, Nuremberg.
http://architectura.cesr.univ-tours.fr/Traite/Images/INHA-Res207Index.asp
— FLORIS (Cornelis II de Vriendt ,dit) 1556, Veelderley Veranderinghe van grottisen avec HIERONYMUS COCK (graveur et éditeur)
https://collections.vam.ac.uk/item/O977184/veelderley-veranderinghe-van-grotissen-ende-engraving-floris-cornelis-ii/
https://www.nationalgalleries.org/art-and-artists/60572/plate-veelderley-veranderinhe-van-grottissen-ende-compartimenten-design-fantastic-fountain-published
— FLORIS (Cornelis), 1557, Veelderley Niewe Inuentien, HIERONYMUS COCK (graveur et éditeur)
— VREDEMAN DE VRIES (Hans), 1557 Architectura ou batiments prins de Vitruve, Anvers,
http://architectura.cesr.univ-tours.fr/Traite/Images/INHA-Res207Index.asp
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2°) Sur l'église de Pleyben :
— ABGRALL, Jean-Marie. Pleyben, son église, son calvaire. Editions d'art Jos Le Doaré, Quimper, 1969.
— ABGRALL, Jean-Marie (1892), Pleyben. Eglise, calvaire, ossuaire, chapelle Notre-Dame de Lannélec Bulletin dee la Société archéologique du Finistère pages 55-72
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k207622m/f136.item
— COUFFON (René), 1988, Notice sur Pleyben
http://diocese-quimper.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf-Couffon/PLEYBEN.pdf
— DUHEM (Sophie), 1997, Les sablières sculptées en Bretagne: images, ouvriers du bois et culture paroissiale au temps de la prospérité bretonne, XVe-XVIIe s. ; préf. d'Alain Croix, Rennes :Presses universitaires de Rennes, 1997 : thèse de doctorat en histoire sous la direction d'Alain Croix soutenue à Rennes2 en 1997.
— LECLERC (GUY), 1996, Les enclos de Dieu, édition Jean-Paul Guisserot, 141 p.
— LECLERC (Guy), 2007, Pleyben, son enclos et ses chapelles, éditions Jean-Paul Guisserot, 31 pages pages 18 et 19.
https://books.google.fr/books?id=hWctwxQfyhgC&pg=PA18&lpg=PA18&dq=sibylles+pleyben&source=bl&ots=kzc-VMkVBx&sig=29B6LVXN1nHu2s5hEpHEt3en1vA&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwiI596WxpfVAhXH2xoKHQ5WDd4Q6AEIQjAF#v=onepage&q=sibylles%20pleyben&f=false
— LE FLOCH (Jean-Claude), Pleyben : l'ensemble de sablières sculptées.
http://www.mairiepleyben.fr/joomla-mairie/images/stories/documents/docs_historiques/sablires.pdf
— Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Enclos_paroissial_de_Pleyben
— Infobretagne : http://www.infobretagne.com/pleyben-eglise-sablieres.htm
— http://monumentshistoriques.free.fr/calvaires/pleyben/pleyben.html
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