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5 novembre 2017 7 05 /11 /novembre /2017 21:55

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 Le Finistère détient 18 groupes de Saint Yves et les Plaideurs dont 9 datent du XVIe siècle. J'en ai décrit précédemment  quatre.

Ils varient par la posture du saint (assis ou debout), par la tenue vestimentaire des trois personnages, mais chacun se caractérise par sa petite particularité qu'il est amusant de rechercher. Ici, c'est... ah, patience !

À Quimper, dans le bas-coté de la nef, les trois statues sont posées sur un plateau fixé au mur, sans niche ni retable. Sa provenance n'est pas indiquée, et je ne l'ai pas trouvé la provenance ou la description dans la Monographie de Le Men de 1877. Le copieux ouvrage La cathédrale de Quimper de la collection La grâce d'une cathédrale ne m'en a pas appris d'avantage. Pourtant, ma curiosité est aiguisée par la phrase suivante, sous la plume de Virginie Montarou :

"De même, certains groupes signalés comme disparus peuvent être retrouvés, après avoir été laissés à l’abandon dans une remise comme celui, pourtant magnifique, de la cathédrale de Quimper. "

Mais Le Men signale l'existence ancienne d'une chapelle Saint-Yves dans la nef de la cathédrale, attestée en 1406, 1467, 1543, et 1618, et sous le vocable de saint Ronan et saint Yves, en 1529. Dès le XIVe siècle saint Yves, canonisé en 1347 par le pape Clément VII, avait une chapelle dans la nef de la cathédrale. Lorsqu’on reconstruisit cette partie de l’église, on s’empressa de rétablir sa chapelle, qui était déjà livrée au culte en 1467.  En 1473 on desservait dans cette chapelle, une chapellenie dont la présentation appartenait alternativement à l’évêque et au chapitre. 

Le groupe est classé au titre d'objet depuis le  26/09/2000. La notice de la base Palissy en donne les mensurations : h = 102 ; la = 48 ; pr = 20 ; dimensions de saint Yves ; le riche : h = 105, la = 33, pr = 15 ; le pauvre : h = 90, la = 33, pr = 10

Une inscription indique "Sant Erwan etre ar Pinvidig hag ar Paour. Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle".

 

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Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

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Saint Yves y est représenté assis sur une cathèdre. Il tient un rouleau d’écrits dans la main gauche. Sa tête et ses épaules sont légèrement inclinées vers la gauche. 

Il est vêtu simplement, de noir et de blanc. La cotte talaire noire qui descend jusqu'au bout des chaussures de cuir est recouverte par le surcot blanc et par le chaperon, petit mantel couvrant les épaules et dont le capuchon couvre partiellement la barrette. C'est, à cette barrette près, le vêtement décrit par les témoins lors du procès de canonisation, à condition de laisser au sculpteur sa part de liberté dans le choix des couleurs et de l'aspect des matières : le but est de créer un objet de dévotion et non de procéder à une reconstitution historique. Lire là-dessus l'article de Yves-Pascal Castel.
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Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

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Le plus réussi est peut-être le visage empli de sollicitude, avec sa bonhomie, son regard franc , ses sourcils dressés par l'attention dans l'écoute. Le saint, qui esquisse un geste de la main droite, semble être peint, surpris au cours d'une plaidoirie ou plus simplement d'une parole adressée.

 

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Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

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Le Riche.

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Le Riche s'est mis sur son trentain pour rencontrer l'Official. Il a d'abord passé ses chausses rouge vermillon, puis  une tunique de drap d'or dont il a boutonné l'encolure. Il a noué autour de sa taille une ceinture rouge, qui lui permettait de retenir une aumônière assortie,  à fond frangé d'or. Et là dessus, il a enfilé une houppelande teinte de la même garance qui donne sa couleur aux étoffes précédentes. Son revers est vert, et le tailleur a su jouer de la complémentarité des deux couleurs. 

Les houppelandes aux manches descendant jusqu'à terre appartiennent plutôt à la mode de la première moitié du XVe.

La barbe à deux pointes, déjà présente sur l'autoportrait de Dürer en 1498, est à la mode en  1540.

Le chapeau écarlate à rebords évasés n'est pas très éloigné de celui d'Arthur, Prince de Galles vers 1500, ou de Johannes Cuspinian par Lucas Cranach vers 1502-1503. Mais la présence de la barbe et des cheveux longs incitent à comparer aussi avec le Portrait d'un jeune homme avec barbe et chapeau rouge du même Lucas Cranach en 1521. On notera bien-sûr les deux larges boutons dorés, qui s'apparient avec les boutons placés aux aisselles de la houppelande.

Est-ce un portrait réaliste d'un seigneur ou d'un marchand breton , ou bien une composition d'artiste mêlant des traits vestimentaires disparates, et une barbe plutôt hébraïque? 

https://en.wikipedia.org/wiki/1500%E2%80%931550_in_Western_European_fashion

http://lecostume.canalblog.com/archives/pilosite_faciale/index.html

Il tient, comme Yves, un rouleau de papier dans la main gauche, mais l'élément déterminant est la pièce en or qu'il tend, entre pouce et index, au juge. 

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Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

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Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

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Le Pauvre.

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Le Pauvre, à coté, fait grise-mine, et c'est bien le rôle qui lui est confié. Il porte, sur une chemise blanche qui se devine aux poignets, une terne tunique à manches, descendant sous les genoux, au dessus de galoches à semelles. Pas de guêtres, pas de chausses.

Son visage est un peu le sosie de celui de saint Yves. 

L'artiste a évité tout misérabilisme, mais a utilisé des moyens très subtils pour indiquer son statut. Le premier est la direction des pieds perpendiculaire au corps. Le second est sa petite  taille, les trois têtes s'alignant sur une droite oblique vers le bas du Riche au Pauvre. La troisième est son allure engoncée : il semble empêtré par le poids de son bissac de procès, poids de la malheureuse histoire de la justesse de sa cause, dont il sait bien qu'elle compte pour du beurre. 

Lui aussi tient un rouleau de papier blanc dans la main gauche, et la répétition de ces trois rouleaux participe d'un effet comique assez habile.

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Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

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Mais son chapeau breton, le chapeau de feutre noir et rond, l'avez-vous vu ?

Comme il ne sait pas bien quoi en faire, et qu'on ôte son chapeau devant Monsieur le Juge, il l'a calé entre son bras et sa poitrine : cela ne diminue pas son embarras.

 

 

 

Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

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J'ai dit que mon amusement était de dénicher le détail singulier.

Ici, le Pauvre présente quatre ou cinq pièces d'or, aussi belles et luisantes que celle du Riche, en équilibre dans le creux de la main qu'il tend vers le saint.

C'est maladroit, car, du coup, toute la morale de la scène dénonçant la corruption de la "Justice" par les Riches, et montrant qu'Yves Hélory de Kermartin sait y résister pour juger en droit, s'effondre. Patatras ! 

C'est pas comme ça que les choses vont changer. La terre va continuer à tourner, les pauvres vont continuer à s'appauvrasser et les riches à s'enrichasser afin que chacun reste à son rang :

D'ar paour da baouraad

D'ar pinvidig da binvidikaad

Ha da bep hini da chom en e renk

(Source)

 

Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

Saint Yves entre le Riche et le Pauvre. XVIe siècle, cathédrale de Quimper. Photographie lavieb-aile novembre 2017.

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SOURCES ET LIENS.

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http://books.openedition.org/pur/22411?lang=fr

http://fonds-saintyves.fr/Les-representations-de-saint-Yves

— LE MEN (R.F), 1877, Monographie de la cathédrale de Quimper,

http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/1e08593c46eb46336af146045b16d0f4.pdf

— MONTAROU (Virginie), 2004, Saint Yves entre le Riche et le Pauvre, in Saint Yves et les Bretons, Presses Universitaires de Rennes.

http://books.openedition.org/pur/22412?lang=fr

 

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Published by jean-yves cordier

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  • : Le blog de jean-yves cordier
  • : 1) Une étude détaillée des monuments et œuvres artistiques et culturels, en Bretagne particulièrement, par le biais de mes photographies. Je privilégie les vitraux et la statuaire. 2) Une étude des noms de papillons et libellules (Zoonymie) observés en Bretagne.
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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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