Zoonymie des Odonates. Kulilu dans l'Épopée de Gilgamesh .
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Voir aussi :
Zoonymie des Odonates. La période pré-linnéenne. Le nom "Demoiselle" (1682).
Zoonymie pré-linnéenne des Odonates : origine du nom de genre Libellula, Linnaeus, 1758.
Zoonymie des odonates. Le nom de genre Aeshna Fabricius 1775.
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En 1991, dans son excellent article A brief history of Odonatology, Philip S. Corbet écrivait :
" As early pictorial and written records become available, we obtain tantalising glimpses of dragonflies in literature and art. Thus adult dragonflies feature in prehistoric art of the Late Bronze Age from the Aegean region (Younger, 1983) and of the American Indians in British Columbia (Cannings & Stuart, 1977) whereas larvae are portrayed on Incan or pre-Incan pottery from Chile and Peru (Kennedy, 1947).
If the word ‘dragonfly’ is translated correctly we read in The epic of Gilgamesh –a renowned Mesopotamian king. – (ca 3,000-2,000 B.C.) that adult dragonflies emerge from aquatic larvae (Sandars, 1972).
Dragonflies are among the insects referred to in the oldest known book on zoology — the Sumerian and Akadian (Babylonian) Hubulla tablets from the 18th Century B.C. (Harpaz, 1973);"
Il signalait ainsi avec concision à la fois la présence de la mention des Libellules dans l'Épopée de Gilgamesh, mais aussi les incertitudes sur la traduction par "libellule" du mot inscrit en caractères cunéiformes sur les tablettes d'argile.
Pour l'étude de la Zoonymie (étude des noms) des Odonates, il est important de rechercher d'une part quel est le nom utilisé en akkadien dans l'un des textes les plus anciens de l'Humanité, et d'autre part dans quel contexte il apparaît, et enfin quelles sont les discussions sur sa traduction.
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I. Le nom "libellule dans l'Épopée de Gilgamesh.
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Cette épopée est relatée dans douze chapitres, dont la majorité furent découverts au XIXe siècle à Ninive dans les ruines du temple de Nabou, et dans la bibliothèque du palais d'Assourbanipal.
C'est dans la tablette X qu'il serait question de libellules. Hanté par la mort de son ami Enkidu, le roi Gilgamesh s'est rendu auprès d'Outa Napishtim pour obtenir l'immortalité. Il apprend de ce dernier (qui a survécu au Déluge) que la mort est inévitable :
"OutaNapishtim dit à Gilgamesh : « Gilgamesh pourquoi cette douleur dans ton cœur toi qui portes en toi la chair des dieux ? La mort est cruelle et sans merci. Qui de nous bâtit des maisons indestructibles ? Qui de nous scelle des contrats éternels ? Les frères héritent, partagent. Quel héritage est perpétuel ? La haine, même la haine existera-t-elle dans le pays pour toujours ? Est-ce que le fleuve monte et amène la crue pour toujours ?
"La libellule à peine sortie de la lumière, entrevoit le soleil et atteint à son terme.
"Depuis les temps les plus anciens, hélas ! rien ne dure, le dormeur et le mort se ressemblent, les deux n'ont-ils pas l'aspect de la mort ? Qui, la mort venue, peut distinguer entre le serf et le maître ?. Les Anounnaki, les grands dieux tiennent conseil avec eux, Mammitoum la “créatrice des destins” pour décider ensemble des destins, ils répartissent la vie et la mort ils révèlent les jours de la vie mais de la mort ils ne révèlent pas le jour." (Trad. Abed Azrié)
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Selon W.G. Lambert , le relevé de la tablette X pour les lignes qui nous concernent (avec la traduction littérale) serait :
21 im-ma-ti-ma naru is-sà-am-ma mi-la ub-lu For how long has the river risen and brought the flood?
22 ku-li-li i[q]-qé-lép-pa-a ina nari / So that dragonflies drift on the river
23 pa-nu-sâ i-na-at-ta-lu pa-an samsti / Their faces staring into the face of the sun god?
24 ul-tu ul-la-nu-um-ma ul i-ba-às-si mim-ma / Suddenly there is nothing.
25 sal-lu u mi-tum ki-i pi a-ha-mes-ma / The prisoner and the dead are alike,
26 sà mu-ti ul is-si-ru sa-lam-su / Death itself cannot be depicted,
Le terme traduit par Libellule est celui de ku-li-li ou kulili .
Lambert indique en note concernant la traduction des lignes 23 et 24 :
"The rendering given presumes that kulilu is feminine. There seems to be no clear evidence elsewhere on this point. Then the lesson from the dragonfly is continued: they drift down the river with their big eyes looking upwards, but suddenly they disappear beneath the surface and exist no more. Without this continuation lines 21-22 seem to have no purpose. For ultu ullanumma with the idea of suddenness, note Descent of lstar 63 (R. Borger, BAL II 90): iS-tu ul-la-nu-um-ma *is-tar a-na erset la tari li-ri-du "As soon as Istar had gone down to the underworld." Most translators have taken lines 22 and 23 together, whatever the details of their renderings. V.S., however, takes 23 and 24 together: "Ein Antlitz, das in die Sonne sehen konnte, Gibt es se.it jeher nicht." This is excellent grammar, but seems to give no meaning." .
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Dans un article concernant les Odonates, Carlos Bonet Betoret présente en 1993 ce passage ainsi :
"The citation the Odonata is contained within the speech of Utnapishtim, when he explains to Gilgamesh how it is impossible to be immortal:
Do we build for ever our houses,
and forever do we steal of properties?
Perhaps the brothers do divide their part for ever.
Perhaps the hate does divide for ever
Perhaps does the river always grow and make inundations.
Does the dragonfly leave its skin?
And its face can only see the face of the sun?
In the original text of the Assyro-Babylonian language is written “ku- li- li- ki- lip- pa.” Modern specialists believe that this means skin of the dragonfly nymph, when it leaves its pupal case to become a flying adult insect."
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II. LES CHOIX DE TRADUCTION.
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La traduction de ce passage de L'Épopée de Gilgamesh peut tout changer pour Libellule, qui cherche ses racines mésopotamiennes.
En anglais, la publication qui faisait référence était celle de N.K Sandars, parue en 1960 chez Penguin's. Elle a le défaut de transformer en prose la versification de l'Épopée. Il y a aussi Classic Myths from Mesopotamia, de Stephanie Dailey, (1989, révisée en 2000), en vers, qui a pris le parti de "moderniser" le texte en le débarrassant de ces détails et tournures désuètes.
Et enfin, il y a celle d'Andrew George The Epic of Gilgamesh : a new translation, parue chez Penguin Classics en 1999 et révisée en 2003. La version babylonienne est connue depuis plus d'un siècle, mais les linguistes déchiffrent encore de nouveaux fragments en akkadien et sumérien. La "nouvelle traduction magistrale" d'Andrew George ( The Times ) combine brillamment ces derniers dans un récit fluide et sera longtemps comme le Gilgamesh anglais définitif.
Andrew R. George (né en 1955) est un universitaire britannique connu pour son édition et sa traduction de l' épopée de Gilgamesh . Andrew George est professeur de Babylonien dans le Département des langues et des cultures du Proche et du Moyen-Orient à l' École des études orientales et africaines SOAS de l' Université de Londres. Dans le domaine de la recherche sur Gilgamesh, ses travaux ont révolutionné les choses autant que la parution de The Evolution of the Gilgamesh Epic de J.H. Tigay en 1982.
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1°) Andrew George 2003.
La plupart des traducteurs anglo-saxons et français donnent la leçon "libellule" pour ce passage, mais Andrew R. George préfère traduire le terme kulili par "éphémère" (Ephemera Linnaeus 1758, Mayfly, Mouche de mai) :
The ephemeral nature of the mayfly is proverbial, and for this reason (as well as the Arabic cognate) I prefer to take kililu as "mayfly" rather than the customary "dragonfly". As Dalley notes (Afw/w,p. 133, n. 121), the image evokes a passage of Atra-hasis in which the mother goddess likens those drowned in the Deluge to mayflies borne along by a river: ki-ma ku-li-li im-la-a-nim na-ra-am, 'they fill the river like mayflies' (OB Atram-hasTs in iv 6) . A. R. George, The Babylonian Gilgamesh Epic: Introduction, Critical Edition and Cuneiform ... 2003
Voir sa traduction des vers 311-315 de The Babylonian Gilgamesh Epic, vol. I page 697 .
311 At some time feuds arise in the lands.
312 At some time the river rose (and) brought the flood,
313 the mayfly floating on the river
314 Its countenance was gazing on the face of the sun,
315 then all of a sudden nothing was there.
Trad littérale :"A un moment donné, des querelles surgissent dans les terres.
À un certain moment la rivière s'est levée (et) a apporté le déluge,
l'éphémère flottant sur la rivière
Son visage contemplait le visage du soleil,
puis tout d'un coup rien n'était là."
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2°) Les traducteurs français postérieurs à Andrew George.
En 1979, Abed Azrié a publié L’épopée de Gilgamesh : texte établi d’après les fragments sumériens, babyloniens, assyriens, hittites et hourites, traduit de l’arabe et adapté par Abed Azrié, éd. Berg international, 1979 . J'ai cité plus haut son texte :
Est-ce que le fleuve monte et amène la crue pour toujours ? La libellule à peine sortie de la lumière, entrevoit le soleil et atteint à son terme. Depuis les temps les plus anciens, hélas ! rien ne dure, le dormeur et le mort se ressemblent, les deux n'ont-ils pas l'aspect de la mort ?
En 1982, Jean Bottéro a publié L'Epopée de Gilgamesh chez Gallimard. Je ne l'ai pas consulté. En 2009, M. Laffon a publié Gilgamesh chez Bellin d'après la traduction de Bottéro. Voici la traduction du passage qui nous intéresse :
« Nous sommes tous comme des éphémères emportés par le courant : de nos visages qui voyaient le soleil, brusquement il ne reste plus rien. Endormi, mort, c’est la même chose ! Personne n’a jamais pu représenter la mort. Pourtant, depuis ses origines, l’homme en est prisonnier. Depuis que les grands dieux, et Mammitu, la grande déesse mère, la faiseuse des destins, ont arrêté ensemble les destinées des hommes, ils nous ont imposé la mort comme la vie, nous laissant seulement ignorer le moment de notre mort » (M. Laffon pp. 74-75)
On trouve aussi en ligne : "Tels des éphémères [insectes] emportés par le courant, des visages qui voyaient le soleil, tout à coup il ne reste plus rien. Endormi et mort, c'est tout un" (Gilgamesh X, VI, 6-25)
La thèse argumentée d'A. George semble donc avoir été convaincante. Les Odonatologistes ont-ils pris la mesure de ce bouleversement , qui les priveraient d'une glorieuse entrée en matière dans le récit de l'histoire des relations entre les hommes et les Odonates ?
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III. LE MOT KULILU .
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1°) Dans le Lexique sumérien-français (textes traduits dans Attinger, ), 2017
gu5-li-an-na-k s. litt. "compagnon d'An", un insecte (souvent traduit par "libellule") vaincu par Ninµirsu/Ninurta Gud. Cyl. A 26:10, Angim 36, 58, Lugale 129; non-st. ku6-li-an-na Angim 58 aA (mA) gu5-ul = gu-ul
2°) Dans l' Assyrian Dictionary anglais-assyrien, Assyrian -English -Assyrian Dictionary je lis :
—kuliltu nf fish-woman; dragonfly; mermaid*
— kulilu n. 1 fish-man, merman; mayfly; ---->. - * dragonfly
— Samas n. sun-god; -->. kaIlat -* dragonfly;
3°) Je trouve sur Wikipédia :
In Babylonian mythology, Kulilu is a destructive spirit, half man, half fish.[1][2]
4°) Le Manuel d'Épigraphie Akkadienne de R. Labat et F. Malbran-Labat, le manuel de signes cunéiformes le plus utilisé par les étudiants, donne :
kallat Samas libellule 324 (E-Gi 4 -A- d UTU).
4°) Le Sumerian Compound -Sign Words donne :
ku-li-an-na: friend of heaven; dragonfly ('friend' + 'sky' + genitive).
5°) Dans A Concise Dictionary of Akkadian, de Jeremy A. Black,Andrew George,J. N. Postgate, 2000
je lis :
Kulilu I, kulilû, "dragonfly" JB [Akkadien néobabylonien, Ier millénaire], mil k."flood bearing dragonfly (corpses)"
6°) Le Dictionnaire Assyrien de CIVIL (Miguel) GELB (I.J) The Assyrian dictionary 1971 indique
Buru-Gal-Edin-Na : Dragonfly
http://www.aina.org/cad/cad_k.pdf
7°) En Sumérien, le terme est connu grâce au plus ancien dictionnaire bilingue Sumérien-Akkadien, l'Harra-Hubulu datant de l'époque Paléo-babylonienne. Voir mon précédent article, et voir Landsberger n° 234, 347 et 348.
n° 234 burus5-id-da), en Sumérien, ku-lîl-um en Akkadien, Il est traduit en allemand par Landsberger par Libelle, « libellule ».
n° 347 : ku.li.la.an.na en Sumérien, ku-li-li-ti en Akkadien. Il est également traduit en allemand par Landsberger par Libelle, « libellule ».
n° 348 e.gi4.a.dUD, Sumérien, kal.lat ilSamat en Akkadien. Il est traduit en allemand par Landsberger par Libelle, « libellule ».
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DISCUSSION.
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Il semble que le même mot, ou un mot homonyme, qui désigne une femme-poisson ou un homme-poisson soient aussi traduit comme "une libellule" . Pour Michael Ford
A “Ku-li-li” is a “Fish Woman” and “Kulilu is “dragonfly”. This god seems associated with the Ku-li-an-na or “Kililtu” which is “friend of Anu”. The Kulilitu is an insect or “little bride” which according to Wiggerman in “Mesopotamian Protective Spirits” may have been blended in translations. (in Maskim Hul: Babylonian Magick)
Le seigneur Ku-li-an-na ou Kulinanna, "ami d'An" désigne par épithète Dumuzi (Tammuz), roi-berger après son mariage sacré avec la déesse Innana Ishtar.
La complexité de ces proxémies est illustrée par cet extrait (j'ai laissé passer quelques erreurs de graphie) de Mesopotamian Protective Spirits: The Ritual Texts de F. A. M. Wiggermann page 182
— Kulullû, « Fish-Man ». a Word : that KU6.LU.ULU -lu is to read kulullû appears from the Göttertypentext where the word is spelles ku-lu-ul-lu (MIO 1 80:12). A long -û is demanded by Sumerian lù-ùluu, from which lullû is borrowed, but none of the lullù words is spelled with an additionnal vowel indicating length, and thus, counter to etymology, actiual usage indicates a short vowel (the dictionary assume a short vowel). A by-form kulil(l)u is attested in KAR 162 Rev.4. (Ee, spelled ku-li-li). This kulil(l)u is to kept distinct from
a) Ku-li-li, variant of dKi-li-li (Landsberger Fauna 136, Frankena Takultu 97, CAD K 357a), a female figure, possibiy apotropaic as well (III.B.13=n)
b) kulilu (Sum.: burus(-id-da), "dragonfly ".
c) ku-li-an-na= kuliltu. The SB bilingual text of Angim 58 trans* lates ku-li-an-na, "friend of heaven/ An", denoting one of the trophies of Ninurta/Ningirsu, with ku-lil-ta. What ku-li-an-na denotes in the OB text is not known; it was hardly Dumuzi, who is sometimes called "friend of An". Etc..
Ou encore :
F. A. M. Wiggermann - 1992 - History
The SB text apparently associates "friend of An" with the Akkadian loanword ku-li-li-an-na, "little bride of An" = Akkadian kulil(l)tu, an insect since it appears among other insects ... "little bride" (an insect) and kuliltu, "fish-woman" are not related linguistically, they may have been fused in the mind of the late translator of Angim
De même on peut lire les propos de Jerrold S. Cooper et Eugen Bergman 1978 concernant KU-LI-AN-NA .
Wilcke, ZA 59 99107 distinguishes between k u — li — a n — n a : “dragonfly”, and the k u — li— a n — n a under discussion here, but since both appear as kuliltu in Akkadian, the reason for this distinction is unclear, unless Wilcke considers the Akkadian translation to be erroneous for the ku-li-an-na trophy. If one could be certain that ku-li-an-na did indeed mean « dragonfly », (cf CAD s.v kulilitu « an insect »), there would be no reason to hesitate in so translating the word here, since a dragonfly would be no more bizarre than several other of Ninurta's trophies... The habitat of ku—li—an—na, according to 1. 36, is an— 5 a r k i — s a r “the limits of the universe, everywhere”, which might, with some imagination, be used to support an insect identification, but in reality tells us little. The spelling k u6 — 1 i — a n — n a in aA is unique, probably derived from confusion with k 1.16 — 1 1'1 — ll x — 1 u : kulilu/kulullu “fish-man”. There is no apparent relationship between this k u — li — a n — n a and the homonymous epithet of Dumuzi (“friend of An”; ...; see Wilcke, ZA 59 69).
CAD = The Assyrian Dictionary of the Oriental Institute of the University of Chicago
Datation.
On suppose que le règne historique supposé de Gilgamesh a été approximativement 2700 BCE . Les premiers poèmes sumériens de Gilgamesh datent de la troisième dynastie d'Ur (2100-2000 avant notre ère). Les premières versions akkadiennes de l'épopée unifiée datent de ca. 2000-1500 avant notre ère . En raison de la nature fragmentaire de ces versions Old Babylonian, il n'est pas clair qu' elles aient inclus un compte rendu élargi du mythe de l'inondation; bien qu'un fragment inclut l'histoire du voyage de Gilgamesh pour rencontrer Utnapishtim . La version "standard" akkadienne, débutant par a été compilée par Sin-liqe-unninni entre 1300 et 1000 avant notre ère. C'est elle qui a été retrouvée par Hormuzd Rassam en 1853 sur les 11 tablettes en akkadien de la bibliothèque du palais d'Ashurbanipal datant du VIIe siècle. Traduite en anglais par George Smith en 1872, porte le nom de son incipit "Celui qui a vu la profondeur" (ša naqba īmuru). Seuls les 2/3 des 3600 vers de l'épopée nous sont connus.
La mention d'une "libellule" dans la tablette X doit donc être datée entre 1300 et 1000 avant notre ère.
Valeur allégorique.
Dans ce texte, la libellule est donnée en exemple à Gilgamesh pour qu'il réalise la finitude de toute chose : elle émerge, elle contemple le soleil, puis elle disparaît, emportée par les flots. Ce courant qui entraîne la libellule avec lui, pour l'Homme, c'est le Temps qui le mène à la mort.
C'est exactement le même souci rhétorique qui amènera les peintres flamands à peindre des Vanités avec des fleurs, des papillons, des libellules, des bougies qui fument et des crânes parmi les bijoux. Tout passe ici bas.
Mais si Kulilu est traduit par Ephémère, la démonstration est encore plus forte, puisque ces insectes ont une vie adulte très brève, au cours de laquelle ils se reproduisent, puis meurent. Ephemerida signifie "qui ne vit qu'un seul jour".
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CONCLUSION.
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Au terme de cette enquête, je peux dire que le nom par lequel les Babyloniens (les Néo-bab et les Paléo-bab) désignaient les Odonates était quelque chose comme KULILU, malgré les difficultés de transcription des caractères cunéiformes. Je peux aussi dire que ce mot figure sur la Xeme tablette d'argile retrouvée dans le palais d'Ashurbanipal à Ninive, dans cette partie du récit de l'Epopée de Gilgamesh écrite entre 1300 et 1000 avant notre ère, qui raconte comment le roi Gilgamesh avide d'éternité reçoit de l'immortel Outa Napishtim cet exemple : l'homme est destiné à mourir tout comme les libellules sont emportées par les flots sur lesquels ils viennent d'émerger.
Mais je suis convaincu que cette méditation sur la brièveté et l'insignifiance de la vie des insectes s'applique mieux encore si le terme akkadien est traduit par "mayfly", l'Éphémère.
Philip S. Corbet avait été fort prudent d'écrire : If the word ‘dragonfly’ is translated correctly we read in The epic of Gilgamesh –a renowned Mesopotamian king. – (ca 3,000-2,000 B.C.) that adult dragonflies emerge from aquatic larvae (Sandars, 1972). Si le mot "libellule" en est la traduction correcte, nous pouvons lire dans l'Epopée de Gilgamesh que les libellules adultes émergent de larves aquatiques.
Finalement, je sais que je ne suis plus sûr de rien, et j'en suis bien instruit. J'en garde quelques traductions lapidaires comme des silex :
Pour combien de temps le fleuve monte-t-il pour amener la crue? Une libellule glisse sur le fleuve, Sa face faisant face au soleil, À la fin, il n'y a rien !
Ou bien :
Le fleuve s'élève-t-il sans cesse pour amener sa crue ? La libellule ne sort de son cocon Que pour voir un moment la face du soleil.
Ou , dans la BD de Jens Harder :
Un jour, le fleuve monte en crue. Seule la libellule qui sort de son cocon, elle seule reverra le soleil après la catastrophe"
Tout et son contraire, telle est la vérité sous le soleil.
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SOURCES ET LIENS.
—LABAT (René), 1976, Manuel d'Épigraphie Akkadienne de R. Labat et F. Malbran-Labat, 5º édition; Paris 1976
https://archive.org/details/LabatR.ManuelDEpigraphieAkkadienne5Ed1976
— GEORGE Andew Gilgamesh
http://eprints.soas.ac.uk/1603/1/George%20Babylonian%20Gilgamesh%201.pdf
— BETORET (Carlos Bonet), 1993, Two Odonata Citations in ancient Mesopotamia literature
https://www.insects.orkin.com/ced/issue-1/ancient-mesopotamian-literature/
https://www.insects.orkin.com/ced/
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