La verrière du Baptême du Christ et de la Procession des drapiers (baie 26, Maître de la vie de saint Jean-Baptiste vers 1500-1510, et anonyme vers 1490-1500) de l'église Notre-Dame de Louviers.
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1. Sur Louviers :
Iconographie de saint Christophe : La peinture murale de saint Christophe à Louviers (vers 1510).
2. La liste de mes articles sur les vitraux.
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PRÉSENTATION.
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Cette baie de 4,40 m de haut et 0,70 m de large se compose d'une seule lancette trilobée occupe (flèche) l'extrémité ouest du bas-coté sud, à droite de la chapelle des fonts baptismaux. Presque toutes les verrières qui nous sont parvenues appartiennent aux campagnes d'agrandissement ou de remise au goût du jour de l'édifice, qui s'échelonnent entre 1490 et 1530 (parties rouges du plan).
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C'est une baie composite faite de deux parties différentes .
Au registre inférieur, la procession des drapiers de Louviers pour la Fête-Dieu se rattache par son exécution aux éléments de vitrail offert par Guillaume II Le Roux et par sa femme Jeanne Jubert qui ornait probablement la chapelle située au niveau des deux dernières travées du bas-coté sud ; il a été réalisé à la même date (vers 1495) et par le même atelier (contemporain de Jehan Barbe, de Rouen ?). Son emplacement initial n'est pas connu, mais le panneau provenait vraisemblablement d'une des baies des chapelles nord de la baie.
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Au registre supérieur, le Baptême du Christ daté vers 1500-1510, appartient à la production de l'atelier rouennais dit du Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, actif à Bourg-Achard, Rouen, et Conches.
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I. LE REGISTRE INFÉRIEUR : PROCESSION DES DRAPIERS DE LOUVIERS POUR LA FÊTE-DIEU (1490-1500).
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À l’époque médiévale, outre les activités de tannerie, Louviers est un centre important de production de toile de lin et de drap de laine.Les guerres apportent souvent le trouble et la destruction dans ces activités.
La corporation des drapiers-foulons était une corporation très riche, qui fit aux églises de Louviers de nombreuses libéralités. En reconnaissance de ces libéralités, les membres de cette corporation ont joui pendant plus de trois cent ans d'un double privilège : ils portaient le dais aux processions du Saint Sacrement, et à leur inhumation on sonnait gratis la grosse cloche dite « la Liard » (ou "cloche des foulons" offerte en 1379 par le drapier Jehan Liard) ; ils perdirent ces beaux privilèges en 1713 par une sentence du lieutenant-général de Pont-de-l'Arche rendue le 21 juin de cette année.
Le prêtre, revêtu d'une chape richement brodée, s'avance sous un dais, tenant l'ostensoir du Saint-Sacrement . Ce dais est de drap rouge frangé de trois couleurs et à la bordure frappée de fleur-de-lys d'or: ; ses montants bleus sont décorés également de fleur-de-lys d'or. Le prêtre est escorté par sept confrères drapiers, dont quatre tiennent les supports du dais ; et deux d'entre eux au moins portent une étole de fourrure. Les neuf confrères portent un chapel de fleurs en perles; les cinq qui ne soutiennent pas le dais tiennent des torches auxquelles sont fixées des armoiries . Ces écussons se rapportent à des corps de métiers qui travaillent la laine.
—Le premier blason montre les trois enfants nus (comme ceux de la Légende de saint Nicolas) dans un baquet d'or dont ils tiennent la traverse . C'est le blason des foulons.
— Un peu en arrière, c'est le blason des teinturiers : à la lettre T d'or, enfilée dans une couronne de même et posée sur un léopard d'argent, crinassé d'or. Nous disons au T et non au L, comme dit à tort M. Raymond
—Celui du second personnage près du prêtre est celle des tondeurs et épincetteuses « à une force d'argent, posée en pal et accompagnée de deux épinces de sable »
— En arrière et en haut, un blason évoque le sceau d'azur au lion d'or passant, à la bordure de gueules chargée de besants d'argent que les drapiers reçurent : ce "signet" en plomb fut remis en 1368 par Philippe d'Alençon aux habitants de Louviers pour qu'ils puissent marquer le drap qu'ils produisaient. Un spécimen de ces signets a été conservé, il montre sur l'une de ses faces "un écu triangulaire chargé d'une croix et d'un animal léniforme [lion ou léopard] passant et brochant et entouré d'une bordure de besants" (. L.Barbe, Bull. SEDL 1902)
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— Le dernier confrère porte les armes des laineurs : à la croisée de chardon d'or . Les têtes de chardon, plus précisément des cardères à lainer Dipsacus sativus servaient au lainage des draps fins. Ils étaient cultivées dans de nombreuses communes. Pour se servir des chardons, on les montent sur une croix ou croisée : trois rangs de chardons usés entourés d'une ceinture de chardons neufs. (Encycl. Meth.)
Rappel : la laine doit d'abord être dégraissée par les foulons dans un bain d'argile ou d'urine. En sortant du foulon, l'étoffe est brute et grossière. Elle est peigner avec un cadre de bois où sont fixés des têtes de cardères. Alternée avec le lainage, la tonte coupe la laine avec de grands ciseaux nommés "force". Puis les épincetteuses ôtent avec des petites pinces toutes les saletés et impuretés. Puis elle est confiée aux tondeurs qui la "chardonnent" et enfin aux teinturiers.
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Le sol est jonché de feuilles vertes et de fruits, ce qui correspond à la tradition des décorations florales de la Fête-Dieu.
Les drapiers portent des tuniques courtes serrées par une ceinture, sans manches ou à manches courtes, recouvrant un pourpoint ou une chemise de couleur opposée à celle de la tunique. Ce désaccord de couleur se retrouve sur les chausses, qui sont mi-partie, la couleur d'une moitié de la jambe s'opposant à celle de l'autre moitié avec des paires bleu-or, blanc-or et rouge-or. Tout aussi surprenant est le chaussage, notamment avec la paire de "chaussons" rouge et blanc qui semblent fourrés intérieurement.
Sur le plan technique, nous remarquerons l'emploi de gravure de verres rouges, soit pour les perles blanches de la chasuble du prêtre, soit pour rendre ces chaussons rouge et blanc dans un seul verre, ou les fleurs rouges à cœur blanc du sol.
Une autre prouesse réside dans l'emploi de verres insérées en chef-d'œuvre pour les pierreries de la chasuble.
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Procession des drapiers (1490-1500), baie 26, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018
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Procession des drapiers (1490-1500), baie 26, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018
Procession des drapiers (1490-1500), baie 26, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018
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La tête du prêtre, les armoiries des drapiers de Louviers et une partie de l'ostensoir ont été refaits.
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Procession des drapiers (1490-1500), baie 26, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018
L'inscription rappelle le nom d'un donateur de la restauration de 1903 par Maurice Muraire : "Restauration offerte en mémoire de M --Guillard, membre".
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Modèles de cette scène:
— 1°) les processions autour du Saint-Sacrement des Charitons et notamment leurs "chaperons" ( étoles) et leurs torchères.
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— 2°) Les enluminures des processions du Saint-Sacrement : 25 réponses pour Miniature pour la Fête-Dieu.
http://www.enluminures.culture.fr/public/mistral/enlumine_fr
Voir notamment :
- la miniature de la Fête-Dieu du Bréviaire de Charles de Neufchâtel page 485, ouvrage fait par le Maître de l'échevinage de Rouen avant 1498, Besançon BM ms 0069.
- la Miniature pour la Fête-Dieu du Missel à l'usage de Saint-Germain-L'Auxerrois Mazarine 0410 f.196, datant de 1480-1490.
- le Missel dit de Raoul du Fou Evreux BM lat. 199 f. 037v réalisé entre 1479 et 1511 à (?) Rouen.
- Clermont-Ferrand BM 0069 f 292v, après 1482,
- L'évangéliaire à l'usage de l'abbaye Sainte-Geneviève de Paris (?), Bibl Sainte-Geneviève ms 0106 f.130, réalisé vers 1520-1530.
- Le Bréviaire à l'usage du prieuré Saint-Lô à Rouen, Bibl. Sainte-Geneviève 1266 f.006, du début XVIe.
Ces enluminures de la Fête-Dieu sont situées principalement dans la région de Rouen, et dans une période 1480-1530.
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—3°) Les enluminures des cortèges funèbres où 13 "pauvres" portent des torches : Fouquet dans les Heures Chevalier (1452-1460):
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I. LE REGISTRE SUPÉRIEUR : LE BAPTÊME DU CHRIST (1500-1510).
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Il appartient à la production de l'atelier rouennais dit du Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste, actif à Bourg-Achard, Rouen, et Conches.
Cette partie du vitrail faisait partie de la verrière offerte par les tanneurs de Louviers pour la baie 10.
La moitié de la surface environ est traitée en grisaille sur verre blanc, montrant Jean-Baptiste, le Christ, et dans le lointain les murailles de Jérusalem.
En tête de lancette, Dieu le père envoie sa colombe parmi les rayons de sa gloire, tandis qu'une banderole brune porte sa parole en lettres d'or : HIC EST FILIUS MEUS DILECTUS IN QUO MICHI [BENE] COMPLAC [UI] Matthieu 3:17
La banderole est entourée de deux "nuages" rouges, en réalité des anges prosternés.
La partie boisée à gauche accueille, en haut, une chouette et un autre oiseaux, et, en bas, un couple de perdrix à coté d'un héron sur la berge du Jourdain.
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Baptême du Christ (Maître de la vie de saint Jean-Baptiste, 1500-1510) baie 26, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018
Baptême du Christ (Maître de la vie de saint Jean-Baptiste, 1500-1510) baie 26, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
Baptême du Christ (Maître de la vie de saint Jean-Baptiste, 1500-1510) baie 26, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
Baptême du Christ (Maître de la vie de saint Jean-Baptiste, 1500-1510) baie 26, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
Baptême du Christ (Maître de la vie de saint Jean-Baptiste, 1500-1510) baie 26, église Notre-Dame de Louviers. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Michel Hérold a consacré en 1999 un article La production normande du Maître de la vie de saint Jean-Baptiste (Pierre, Lumière et couleur, pages 469-485) dans lequel il replace cette scène dans une suite de 10 scènes de la Vie de Jean-Baptiste allant des adieux de Jean-Baptiste à ses parents jusqu'à sa décollation. Huit de ces scènes sont présentes dans la baie 2 de Bourg-Achard, 3 dans la baie 20 de Conches, 4 = 2 vestiges à Saint-Romain de Rouen, une seule à Louviers, mais il faut ajouter à ce recensement les deux panneaux conservés à Londres, musée Victoria et Albert (achetés au peintre rouennais Jules Boulanger en 1909) et les trois panneaux conservés au Museum of Art de Philadelphie.
Concernant la scène du Baptême du Christ, elle est présente, outre à Louviers, à Bourg-Achard, à Conches, à Rouen sous forme de vestiges, et à Philadelphie, soit donc au total à cinq reprises. L'auteur cite aussi la copie du Baptême conservée à Overstone, Northampstonshire, église Saint-Nicolas, "dont la confrontation avec son homologue de Louviers est sans ambiguité".
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Michel Hérold a fait procéder à un relevé des dessins des plombs sur des photos des panneaux de Philadelphie et de Louviers, pour constater que les deux œuvres sont conçues à la même échelle et les contours des personnages se superposent presque exactement, alors qu'une bonne partie du décor varie. Cela traduit le réemploi de patrons dit "silhouettés", des documents techniques bien adaptés aux besoins des ateliers de peintres verriers en vue de la répétition.
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Il est aussi possible de comparer les inscriptions : elles sont présentes dans tous les cas sauf à Overstone, disposées verticalement dans un cartouche de même proportion. Celles de Louviers et de Bourg-Achard sont très proches par leur écriture gothique, bien que la plus élégante et la plus ornée soit à Bourg-Achard. Dans les deux cas, le terme latin MIHI est orthographié MICHI, une forme attestée (Fonts de St-Barthélémy de Liège, v. 1118 ; Bréviaire à l'usage d'York ) mais rare.
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La conclusion de l'étude de Michel Hérold est de concevoir un seul atelier, rouennais, disposant de suites de patrons fournis par un ou plusieurs peintres parisiens : c'est à cette structure que reviendrait le nom, créé par Jean Lafond, de Maître de la vie de saint Jean-Baptiste.
Le peintre parisien est ou serait Jean d'Ypres, le Maître des Très petites heures d'Anne de Bretagne, malgré qu'aucun modèle de la Vie de saint Jean Baptiste, et notamment ici du Baptême du Christ, ne soit connu de la main de ce peintre prolifique.
Dans un certain nombre de cas, des patrons à grandeur, très détaillés, serait fournis par le peintre, et décalqués par le verrier, qui se réserve les choix techniques et la coloration.
Mais l'atelier se montre aussi capable de maîtriser l'ensemble des étapes et de se dégager de l'influence ou de citation parisienne : c'est précisément le cas pour ces Baptêmes successifs et semblables.
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Voir, du même atelier, la baie 1 et la baie 2 de Bourg-Achard.
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SOURCES ET LIENS.
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http://sedlouviers.pagesperso-orange.fr/histoire/25questions/drap.htm
— BARBE (Lucien), Louviers décorée au XVe siècle, Société d'études diverses de l'arrondissement de Louviers, 1902, Imp. E. Izambert., 1903
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4413211/f75.item.r=drapiers.zoom
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4413211/f73.item.r=drapiers.zoom
— BARBE Lucien, « Histoire de l'industrie textile du drap à Louviers », in Bulletin Annuel de la. , Bulletin S.E.D.,t. I,1893 page 45-82
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k441316k/f43.image.r=lucien%20barbe
— CALLIAS BEY (Martine), CHAUSSÉ (Véronique), GATOUILLAT (Françoise), HÉROLD (Michel), 2001,"Les vitraux de Haute-Normandie", Corpus vitrearum Recensement VI, CNRS éditions, page 171
— HÉROLD (Michel), 1999, La production normande du Maître de la vie de saint Jean-Baptiste, Pierre, Lumière, couleur, Etude d'histoire de l'art du Moyen-Âge en l'honneur d'Anne Prache, , Presses de l'Université de Paris-Sorbonne
— LAFOND Jean, 1963, Les vitraux de Notre-Dame de Louviers, par Jean Lafond . Louviers et Pont-de-l'Arche. Nouvelles de l'Eure, n° 15, Pâques 1963. (pp. 42-47).
— LE MERCIER (E.) Monographie de l'église Notre-Dame de Louviers Ch. Hérissey et fils, 1906 - 212 pages
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