La verrière de saint Honoré (baie 13) offerte en 1536 par la confrérie des boulangers pour l'église Saint-Ouen de Pont-Audemer.
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Voir :
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PRÉSENTATION.
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Cette baie à 3 lancettes trilobées et au tympan à 9 ajours principaux mesure 5 m. de haut et 3 m. de large. Elle éclaire la 3ème chapelle du bas-coté nord et a été vitrée en 1536, une quinzaine d'années après la fin de la construction de la nouvelle nef en 1515, dont les chapelles sont vitrées progressivement de 14 vitraux. Nous sommes donc à la seconde Renaissance, sous le règne de François Ier, et en 1535, la baie 8 venait de recevoir une copie de la Vie de saint Jan-Baptiste de Saint Vincent de Rouen par l'atelier des Le Prince de Beauvais, tandis que la baie 10 recevait la verrière de la Dormition.
Cette baie 13 "se ressent", pour les auteurs du Corpus vitrearum, " du style de l'atelier de Beauvais", tandis que Jean lafond affirme : "comme La vie de saint Jean-Baptiste, la Légende de saint Honoré est évidemment la copie d'un ouvrage du grand atelier de Beauvais."
Ses deux registres horizontaux sont divisés en quatre scènes légendées de la vie de saint Honoré, patron des boulangers et de la Picardie qui figure en évêque d'Amiens au sommet du tympan.
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1. Le jeune Honoré, à l'école, reçoit l'inspiration de l'Esprit Saint.
2. Miracle du "fourgon fleuri" dans le four à pain.
3. Procession du Fourgon Fleuri.
4. Le saint est intronisé évêque d'Amiens par le pape Vitalien.
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Les scènes sont limitées par des pilastres latéraux soutenant un étroit entablement avec à la base des scènes et des têtes de lancettes la légende partiellement déchiffrable.
La baie a été décrite par Delphine Philippe-Lemaître en 1853, par Raymond Bordeaux en 1874, puis par Régnier en 1899, par Jean Lafond en 1969, et par Françoise Gatouillat et co. pour le Recensement en 2001. J'emprunte mon texte principalement à Bordeaux et à Gatouillat.
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Vue générale.
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Verrière de saint Honoré (baie 13, 1536), église Saint-Ouen de Pont-Audemer. Photographie lavieb-aile août 2018.
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Inscription de donation.
D'après Jean Lafond, "comme nous l'apprend une inscription très mutilée, la verrière a été faite en 1536 des deniers de la confrérie Saint-Honoré "fondée en l'église de Monsieur Sainct-Ouen de Pont-Audemer".
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Aujourd'hui, je déchiffre ceci :
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LAN DE GRACE MIL CINQ CENT TRENTE SIX CESTE VITRE /DENIERS DE LA CONFRAR /HONORE FONDE EN L EGLISE DE MONSIEUR SAINT OUEN
PONT AUDEMER . JACQUES LANGLOYS ET ROBERT AUBIN. / O MESTRES PRIEZ D
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Il me semble probable que Jacques Langloys et Robert Aubin soient les membres les plus éminents de la confrérie parmi les maîtres-boulangers, le président et le trésorier par exemple.
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Verrière de saint Honoré (baie 13, 1536), église Saint-Ouen de Pont-Audemer. Photographie lavieb-aile août 2018.
Verrière de saint Honoré (baie 13, 1536), église Saint-Ouen de Pont-Audemer. Photographie lavieb-aile août 2018.
Verrière de saint Honoré (baie 13, 1536), église Saint-Ouen de Pont-Audemer. Photographie lavieb-aile août 2018.
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1. Comment saint Honoré fut inspiré par Dieu alors qu'il était à l'école.
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— Inscription en haut de la scène :
COM[M]ENT SAINCT HONORE FVT INSPIRE DE DIEV ESTANT A LESCOLLE.
Saint Honoré est debout devant un professeur, et tient à la main un livre ouvert dans lequel ce professeur lui indique un passage.
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"C'est à un chef-d'œuvre d'Engrand Le Prince, "La légende de saint Claude" à Gisors, qu'évoque irrésistiblement le premier épisode : "Com[m]ent saint Honoré fut inspiré de Dieu enfant étant à l'école". On pense aussi au vitrail de Conches où Romain Buron, dans l'Education de sainte Foy, a très heureusement imité son maître. Comme à Conches, l'élève est placé dans la même lancette que le pédagogue armé de verges, le reste de la scène étant occupé par ses condisciples. La colombe du saint-Esprit qui vole vers lui s'explique par l'inscription.
Les visages du vitrail de Pont-Audemer ne sont pas peints comme les visages de Beauvais et les rehauts de jaune d'argent sont appliqués avec moins de sûreté, mais le copiste a respecté l'une des caractéristiques principales de l'atelier : les murs de l'école sont violets sous un plafond vert et leurs baies s'ouvrent sur le ciel bleu foncé où des édifices sont peints en grisaille. Le chien du premier plan figurait certainement sur le modèle." (J. Lafond)
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Le plafond à caisson, les bas-reliefs de la colonne et du siège (masques, têtes animales, monstre ailé) sont typiquement influencés par la Renaissance italienne. Le maître d'école tient la férule non pas pour punir, mais comme emblème de son autorité, tandis que quatre autres maîtres sont coiffés de la barrette (de clerc ou de docteur) et que les enfants sont nu-tête pour la plupart. Dans les fenêtres, les fabriques sont réduites, et nous sommes loin des édifices architecturaux précisément rendus sur les vitraux d'Engrand et de Nicolas Le Prince.
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Verrière de saint Honoré (baie 13, 1536), église Saint-Ouen de Pont-Audemer. Photographie lavieb-aile août 2018.
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2. Le miracle du fourgon fleuri.
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Préalable.
a) Il est nécessaire de connaître le sens du substantif "fourgon" :
"Longue barre métallique ou longue perche garnie de métal utilisée pour remuer la braise ou la charge d'un four, d'une forge, d'un fourneau, ou pour attiser un feu. " Issu du latin populaire. furico, -onis dér. d'un furicare , dérivé du latin classique furare « voler » dér. de fur « voleur ». http://www.cnrtl.fr/definition/fourgon
b) il est également nécessaire de connaître la légende du fourgon fleuri, propre à saint Honoré.
"Pour la tradition qui s'appuie sur un texte de la fin du XIe siècle édité par les Bollandistes, Honoré, qui appartenait à la noble lignée des comtes de Ponthieu, vécut en Amiénois une existence studieuse, austère et généreuse. Ceci lui valut non seulement d'être élevé contre son gré à la dignité épiscopale, mais encore de susciter ds son vivant des miracles, multipliés après sa mort le 16 mai 600. Dans cette vie exemplaire, seul un modeste incident pourrait justifier que les boulangers se soient placés sous la protection du saint.
Alors que la nourrice d'Honoré chauffait son four domestique, le fourgon à la main, quelqu'un lui annonça la nouvelle de l'élection épiscopale. Incrédule, la brave femme s'écria que cette élection était aussi inimaginable que la métamorphose de son fourgon en arbre. Et aussitôt, le fourgon se couvrit de feuilles et de fleurs...
Au XIIIe ou au XIVe siècle, une légende populaire prit corps qui donnait au patronage choisi par les boulangers une autre assise. Honoré, loin d'être fils de famille, « s'adonna dès les premiers jours de sa jeunesse aux œuvres pies et à la profession de boulanger qu'on appelait vulgairement fournier... ; nourrissant son prochain par de larges aumônes qu'il lui prodiguait dans la profession de boulanger dont il vivait ». La légende est connue par un manuscrit du XIVe siècle ayant appartenu à Victor de Beauvillé. Cf. H. Josse, La légende de saint Honoré, évêque d'Amiens, d'après un manuscrit de la bibliothèque de V. de Beauvillé, trad., Amiens, 1879 ; L. du Broc de Segange, Les saints patrons des corporations..., Paris, 1887, t. I, p. 36 ".
Ailleurs, le "fourgon" fut planté en terre par la nourrice, et c'est alors qu'il se transforma en mûrier fleuri :
"Honoré fut promu au sacerdoce par Béat, septième évêque d'Amiens. Lorsque ce dernier mourut vers 554, Honoré fut désigné pour lui succéder par les acclamations du peuple et du clergé. En apprenant cette nouvelle, sa nourrice, incrédule, s'écria : « Je croirais plus volontiers que ce fourgon ardent pourrait prendre racine et se changer en arbre ». Et elle planta dans la cour de sa maison l'instrument dont se servent les boulangers pour remuer les braises.
Le fourgon, emmanché d'un bâton se changea en un mûrier couvert de fruits et de fleurs. Devant un tel miracle, la nourrice dut se rendre à l'évidence. Une variante à cette légende proclame que la nourrice s'est écriée à la mort du saint : « Si celui-là est saint, je veux que mon fourgon reverdisse ». Mais nous préférons la première version, car il paraît difficile même à une servante de refuser le titre de saint à un évêque qui reçut la communion à l'autel d'une main lumineuse présentant les stigmates de la Passion, à cet élu de la divinité qui, bénéficiant d'un pouvoir auditif vraiment extraordinaire, entendit à deux lieux de distance l'hymne chanté par Lupicin, après la découverte des restes des saints Fuscien, Victoric et Gentien...
Le miracle de Port annonça qu'Honoré serait grand devant l'Éternel, comme ce prince chrétien d'Occident qui fit reverdir l'Arbre Sec d'Ebron, desséché depuis la mort du Christ, en célébrant la messe sur lui .
Au XVIIe siècle, dit le Père Ignace, on voyait encore le mûrier. « Dans la cour de cette maison (la maison paternelle du saint), on voit encore le « meurier miraculeux » provenu d'un fourgon à demi-brûlé qu'on tient par tradition avoir été planté en cette place par la nourrice de ce saint, quand on vint lui dire qu'il étoit évêque d'Amiens » . Cet arbre miraculeux fut considéré comme un emblème prophétique des fruits de salut que devait porter l'épiscopat de saint Honoré . Cette légende, conclut l'abbé Corblet est la raison pour laquelle, dès le XIIe siècle, les boulangers choisirent saint Honoré pour patron.
En la chapelle Saint-Honoré d'Amiens, la confrérie des boulangers et pâtissiers célébrait sa fête tous les ans, le 16 mai.
Enfin, une dernière tradition affirme que le tisonnier brûlant a été planté en terre par saint Honoré lui-même. Il se couvrit de feuilles et de fleurs et devint un noisetier superbe qui, à la ressemblance de celui de saint Gratien possédait une amande rouge de feu."
Saint Honoré serait né à Port-Le-Grand, en aval d'Abbeville, et c 'est là que Jacques Sanson, en 1646, a vu le mûrier miraculeux (Histoire ecclésiastique d'Abbeville p. 192). Ce miracle rappelle celui du bâton de saint Christophe. Mais cet auteur donne une solution à l'épineux problème de savoir si Honoré était le fils d'Aymeric comte de Boulogne (ou d'un comte de Ponthieu), ou bien le fils d'un boulanger, en expliquant que c'était la nourrice qui était mariée à un boulanger : dès lors, tout devient cohérent, et nous pouvons savourer l'exclamation de la bonne femme, qu'elle croiroit plustost que ce fourgon ardant qu'elle tenoit en ses mains (c(est elle qui enfourne) prendroit racine & deuiendroit arbre, que de croire qu'Honoré fust Evesque. Et ce personnage truculent de scander son propos en fichant d'un bras vigoureux son tisonnier fumant et rougeoyant sur le sol de l'échoppe, où il s'enracine.
Description.
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"Cinq pains sont sur une planche fixée à la muraille par des chevilles de bois. Du four allumé, sortent des flammes jaunâtres. Nu, sauf les reins qu'il a ceints d'un linge blanc, ainsi que sa tète, saint Honoré est debout devant l'entrée du four, et en retire son fourgon, qui, loin de sortir noirci du foyer enflammé, apparaît couvert de fleurs et de feuillages. La mère du saint manifeste par ses gestes sa stupéfaction à la vue de ce prodige. L'aspect du fourgon fleuri plonge aussi dans l'étonnement d'autres spectateurs. Au bas [sic] du panneau, l'artiste inconnu, mais de grand talent, a tracé cette inscription" :
COMENT LA MERE SAINCT HONORE SE ESBAHI DV FOVRGO[N] QVI AU FOVR FLEURI.
"Le récit du fourgon miraculeux, particulièrement bien venu ici pour illustrer le patronage dont se réclament les donateurs, autorise l'artiste à représenter avec un grand art un fournil médiéval. Autour du boulanger Honoré debout, torse et jambes nus, au milieu de la pièce, tout est en place : le pétrin de chêne dont le couvercle refermé supporte les pains ronds qui seront bientôt enfournés sur les pelles au long manche appuyées au mur, le four à la gueule ouverte à hauteur d'homme d'où s'échappent les flammes qui ont transformé en rameau feuillu l'extrémité du fourgon (ce crochet métallique qui sert à déplacer les bûches sur la sole brûlante) que tient encore Honoré, les étagères où les pains cuits refroidissent. L'épouse, la servante, l'apprenti, auxiliaires indispensables, sont présents sous les traits de la mère du saint et de deux comparses flanqués d'un client ébahi." (Bordeaux)
Autre description :
"C'est dans un fournil non moins puissamment coloré — plafond pourpre et parois violettes — que se déroule le miracle qui, pour le populaire, a fait de l'évêque d'Amiens le patron des boulangers alors que la légende a été imaginée pour justifier un patronage dont on oubliait l'origine . Nu jusqu'à la ceinture, le mitron retire du four embrasé son fourgon tout verdoyant de feuillage. Sa mère est debout derrière la table où sont posés les pains. Admirablement peint sous la coiffe dont les barbes pendent sur un corsage rouge, son visage exprime un vif étonnement. Déjà l'inscription semblait faire d'elle le personnage principal de la scène : Com[m]ent la mère saint Honoré se esbahi du fourgon qui au four fleuri ». Depuis que la tête de saint Honoré a dû être refaite, ainsi que le visage d'une spectatrice, c'est aujourd'hui la figure la plus intéressante." (J. Lafond)
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Verrière de saint Honoré (baie 13, 1536), église Saint-Ouen de Pont-Audemer. Photographie lavieb-aile août 2018.
Verrière de saint Honoré (baie 13, 1536), église Saint-Ouen de Pont-Audemer. Photographie lavieb-aile août 2018.
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3. La Procession du Fourgon Fleuri.
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"l'histoire se termine par la représentation très-mouvementée d'une procession, la procession de Fourgon-fleuri, où l'on portait en grande solennité un fourgon verdoyant.
On lit:
COM[M]ENT POVR LE MIRACLE DV FOVRGO[N] FVT FAICTE VNGNE POVRCESSYON.
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"Le registre supérieur se tient dans une gamme plus claire. On voit d'abord « com[m]ent pour le miracle du fourgon fut faicte ungne pourcessyon ». Derrière la bannière de saint Honoré, un boulanger en tenue de ville élève le fourgon miraculeux, puis vient le clergé : un porte-croix escorté par deux enfants de chœur tenant des flambeaux, deux chantres et deux prêtres en chape. La foule des confrères ferme la marche en sortant, semble-t-il, d'une église. On ne manquera pas de comparer ce cortège peint avec une verve familière à la procession de la charité (baie 18 et 20)." (Jean Lafond)
"Les habitants de Port n'ont pas oublié la légende du fourgon fleuri. C'est pourquoi, de nos jours, ils allument encore un feu de joie, le 15 mai, veille de la fête patronale. L'idée d'organiser ce feu est née d'un rapprochement entre le tisonnier flamboyant du saint et la flamme d'un bûcher. Le grand arbre qu'on brûlera, c'est la représentation gigantesque et populaire du bâton fleuri. On pourrait bien faire remarquer que, dans la légende, c'est la verdure qui triomphe du feu ; au bûcher du 15 mai, c'est au contraire la flamme qui dévore et détruit la végétation de l'arbre ; mais n'y regardons pas de si près. L'idée, très ingénieuse s'imposa chez les premiers organisateurs de ces feux, grâce à l'extrême popularité des feux de la Saint-Jean.
Le feu de Saint-Honoré était allumé autrefois, au centre du village près de la maison du saint.
C'est après l'office du soir, que la procession quitte l'église et grimpe la côte raide de la route de Sailly. Les rues sont jonchées de feuillages et les maisons, ornées des plus belles fleurs du jardin.
On emporte la châsse du saint , et le grand cierge qui jamais ne s'éteint pendant la marche. Une seule fois, pourtant, le vent eut raison de la flamme ; mais on s'expliqua bien vite pourquoi ; le chantre avait oublié quelques versets... Jadis, suivaient le bâtonnier de Saint-Honoré, les bâtonniers de la Vierge, de Sainte-Catherine, de Sainte Anne..."
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Notez le sol jonché de tiges de fleurs (la fête du saint a lieu de 16 mai), comme pour la Fête-Dieu.
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Verrière de saint Honoré (baie 13, 1536), église Saint-Ouen de Pont-Audemer. Photographie lavieb-aile août 2018.
Verrière de saint Honoré (baie 13, 1536), église Saint-Ouen de Pont-Audemer. Photographie lavieb-aile août 2018.
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4. Le saint est intronisé évêque d'Amiens par le pape Vitalien.
"Dans un troisième compartiment, le pape Vitalien, entouré d'un cortège de cardinaux et de prélats en brillants costumes, sacre évêque saint Honoré: l'inscription porte ceci:
COMMENT SAINCT HONORE FVT SACRE EVESQVE DE AMIANS.
Description par J. Lafond :
"Le sacre épiscopal de saint Honoré par le pape Vitalien est d'une composition moins heureuse. Les deux cardinaux qui y assistent paraissent singulièrement gauches. Sans doute le peintre verrier ne disposait pas, pour ce dernier épisode, d'un bon modèle."
Cet artiste était-il Mausse Heurtault, comme l'a supposé Louis Régnier ?
La question devait être posée puisque nous sommes en présence de deux copies faites à un an d'intervalle d'après les maîtres de Beauvais. Il faut répondre par la négative, car le tympan de la vie de saint Jean-Baptiste, la Pentecôte, œuvre authentique et, semble t-il, originale de Mausse Meursault, est d'une facture et d'un style tout différents de ceux du réseau de saint Honoré." (Jean Lafond)
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On remarquera le verre bleu gravé et rehaussé de jaune d'argent utilisé pour la mitre d'Honoré et pour la robe damassée d'un assistant. Et le procédé de représentation du sol par des hachures en tirets sur le sol vert, déjà utilisé dans les scènes 1 et 2, mais qui se retrouve dans les vitraux réalisés par Nicolas ou Engrand Le Prince, par exemple à Gisors (baie 26).
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Verrière de saint Honoré (baie 13, 1536), église Saint-Ouen de Pont-Audemer. Photographie lavieb-aile août 2018.
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LE TYMPAN
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"Le saint évêque d'Amiens, patron du mestier » des boulangers, est représenté au sommet du tympan dans ses vêtements pontificaux. D'une main, il tient sa crosse, et , de l'autre, un livre ouvert. Le peintre verrier ne l'a pas chargé du pain doré, son emblème particulier."
"Les saints logés dans les autres compartiments principaux sont sainte Catherine, sainte Barbe, saint Jacques le Majeur et sainte Austreberte. Derrière la sainte abbesse de Pavilly, un loup s'attaque à l'âne du monastère : pour expier son forfait, il devra faire jusqu'à sa mort le service de sa victime. Des anges adorateurs et des têtes finement peintes complètent ce charmant ensemble auquel répond l'amortissement des lancettes avec des putti et des dauphins, et des soldats porteurs de drapeaux." (Jean Lafond)
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C'est bien-sûr la présence de sainte Austreberthe qui m'interpelle : j'en découvre l'existence, mais j'apprends ceci :
"Austreberthe de Pavilly (Sainte Austreberthe) (née en 630 à Thérouanne, Pas-de-Calais - morte le 10 février 704 à l'abbaye de Pavilly) était une religieuse française du Moyen Âge, qui prit le voile très jeune et fut religieuse au monastère du Port dans le Ponthieu. Puis, elle devint abbesse à la fondation de Pavilly, où elle mourut au début du viiie siècle, à l'âge de 74 ans.
Sainte Austreberthe et ses religieuses avaient l'habitude de blanchir les linges de sacristie de l'abbaye de Jumièges distante de quelques lieues de Pavilly. Un âne avait été dressé pour transporter seul le linge d'un monastère à l'autre. Or, un jour, l'âne se retrouva face à face avec un loup qui se jeta sur lui et le dévora.
Sainte Austreberthe apparut, réprimanda le loup, et le condamna à remplir les fonctions dont sa victime s'acquittait auparavant. C'est ainsi que le loup accomplit jusqu'à la fin de sa vie sa tâche avec humilité et soumission.
Sur le lieu de la mort de l'âne fut érigée une chapelle, au VIIe siècle, puis, quand le monument fut ruiné, une simple croix de pierre le remplaça. Elle sera remplacée à son tour par un chêne, dans lequel furent placées plusieurs statues de la Vierge, nommé chêne à l'âne."
Sa présence s'explique peut-être par un culte local à la vallée de la Seine et au diocèse de Rouen, mais aussi peut-être par sa présence au monastère de Port-le-Grand, dans le Ponthieu, lieu de naissance présumé de saint Honoré.
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Verrière de saint Honoré (baie 13, 1536), église Saint-Ouen de Pont-Audemer. Photographie lavieb-aile août 2018.
Verrière de saint Honoré (baie 13, 1536), église Saint-Ouen de Pont-Audemer. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
Verrière de saint Honoré (baie 13, 1536), église Saint-Ouen de Pont-Audemer. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
Verrière de saint Honoré (baie 13, 1536), église Saint-Ouen de Pont-Audemer. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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SOURCES ET LIENS.
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— BORDEAUX (Raymond ), 1874, Bibliographie : Hagiographie du diocèse d'Amiens par l'abbé Jules Corblet, Bulletin monumental vol 40 pages 398-400
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k31059g/f442.item
"Le chapitre consacré par M. l'abbé Corblet à saint Honoré, évêque d'Amiens, est également digne d'être compulsé. On sait que saint Honoré, patron titulaire d'une des anciennes églises de Paris, dont le nom désigne encore l'une des rues les plus importantes de cette grande ville, est le patron des boulangers et des pâtissiers. Pourquoi? M. l'abbé Corblet passe en revue les diverses explications qui ont été données de ce patronage, sans pouvoir offrir aucune conclusion certaine. Un écrivain peu sérieux, A.-V. Arnault, de l'Académie française, a publié en 1833, dans le tome 48 de la Revue de Paris, un article léger, intitulé "Du patronage déféré à certains saints, sur certaines industries" et en tète il place saint Honoré. Dans sa légende, dit-il, on ne voit rien qui explique le culte particulier que les boulangers lui ont voué. "De sa vie, il n'a mis la main à la pâte." A quoi tient donc la dévotion des mitrons pour saint Honoré? A force de se creuser la tête, notre académicien finit par supposer ceci : "C'était un riche boulanger qui fonda la chapelle devenue plus tard l'église Saint-Honoré de Paris, et cela suffit pour que tous les boulangers suivissent l'exemple de dévotion donné d'abord par leur confrère".
Malgré ses plaisanteries, A.-V. Arnault se montre aristocrate. Pour lui, comme pour M. Corblet, saint Honoré était le noble fils d'un comte du Ponthieu. Mais les boulangers de Normandie étaient en possession, au XVIe siècle, d'une légende plus populaire. D'après cette légende, peinte avec une couleur splendide sur les superbes vitraux de Saint-Ouen de Pont-Audemer, saint Honoré, loin de n'avoir de sa vie mis la main à la pâte, aurait commencé par être garçon boulanger; puis, ayant étudié, serait devenu évêque d'Amiens. Cette verrière de saint Honoré, si resplendissante d'éclat et de fraîcheur, fut donnée en l'an de grâce 1536, par la Confrérie des boulangers de Pont-Audemer, dont Jacques Langlois et Robert Aubin étaient alors dignitaires. Elle a été décrite amplement par Mme Philippe Lemaître, qui lui consacre huit pages dans sa Notice des vitraux de Saint-Ouen de Pont-Audemer (Rouen, 1853, 3 pages gr.in-8°).
C'est dans la troisième chapelle de la nef, du côté de l'Évangile, que j'ai pu admirer cette peinture de la Renaissance. Le premier panneau, à droite de l'observateur représente l'intérieur d'une boulangerie. Cinq pains sont sur une planche fixée à la muraille par des chevilles de bois Du four allumé, sortent des flammes jaunâtres. Nu, sauf les reins qu'il a ceints d'un linge blanc, ainsi que sa tète, saint Honoré est debout devant l'entrée du four, et en retire son fourgon, qui, loin de sortir noirci du foyer enflammé, apparaît couvert de fleurs et de feuillages. La mère du saint manifeste par ses gestes sa stupéfaction à la vue de ce prodige. L'aspect du fourgon fleuri plonge aussi dans l'étonnement d'autres spectateurs. Au bas du panneau, l'artiste inconnu, mais de grand talent, a tracé cette inscription
COMENT LA MERE SAINCT HONORE SE ESBAHI DV FOVRGO QVI AU FOVR FLEURI.
Le second tableau représente une école où un second miracle s'accomplit. Saint Honoré est debout devant un professeur, et tient à la main un livre ouvert dans lequel ce professeur lui indique un passage. Inspiré par l'Esprit-Saint, l'écolier, jusqu'alors ignorant, explique ce passage, et on lit au bas du panneau
COMENT SAINCT HONORE FVT INSPIRE DE DIEV ESTANT A LESCOLLE.
Dans un troisième compartiment, le pape Vitalien, entouré d'un cortége de cardinaux et de prélats en brillants costumes, sacre évêque saint Honoré: le socle porte ceci:
COMMENT SAINCT HONORE FVT SACRE EVESQVE DE AMIANS.
Enfin, l'histoire se termine par la représentation très-mouvementée d'une procession, la procession de Fourgon-fleuri, où l'on portait en grande solennité un fourgon verdoyant.
On lit:
COMENT POVR LE MIRACLE DV FOVRGU FVT FAICTE VNGNE POVRCESSION.
Nous avons résumé. ici cette légende, parce qu'elle a échappe aux patientes recherches de M. Corblet, et à celles du R. P. Cahier, dans ses Caractéristiques des Saints.
Ajoutons qu'une autre verrière de cette même église de Pont- Audemer représente le martyre subi à Amiens par saint Quentin,
dont M. Corblet raconte la vie dans le volume qui nous occupe."
— CALLIAS BEY (Martine), CHAUSSÉ (Véronique), GATOUILLAT (Françoise), HÉROLD (Michel), 2001,"Les vitraux de Haute-Normandie", Corpus vitrearum Recensement VI, CNRS éditions, page 194.
— CORBLET. Origine du patronage liturgique des boulangers. Le miracle du fourgon reverdissant de saint Honoré était cher à l'érudit abbé qui l'évoqua dans un mémoire sur Quelques Pèlerinages de Picardie, présenté au Congrès Scientifique de France tenu à Amiens en 1867.— CORBLET. Hagiographie..., t. III, p. 42. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5457554s/texteBrut
— DESPORTES ( Françoise), 1981, . Le pain en Normandie à la fin du Moyen Âge. In: Annales de Normandie, 31ᵉ année, n°2, 1981. pp. 99- 114; doi : https://doi.org/10.3406/annor.1981.5421 https://www.persee.fr/doc/annor_0003-4134_1981_num_31_2_5421
— GATOUILLAT ( Françoise) 2001, Eglise Saint-Ouen : Les Vitraux de Haute-Normandie, Corpus vitrearum / Recensement des vitraux anciens de la France, Paris, CNRS, 2001. p. 194-195.
— GATOUILLAT (Françoise),, "L'utilisation de modèles graphiques dans le vitrail parisien au début du XVIe siècle", dans Michel Hérold et Claude Mignot (dir.), Vitrail et arts graphiques XVe-XVIe siècles, actes de la table ronde de Paris, Ecole nationale du patrimoine, 29-30 mai 1997, Paris, 1999, p. 159.
Michel Hérold, "A propos du "Maître de la Vie de saint Jean-Baptiste : recherches sur l'usage des patrons à grandeur au début du XVIe siècle", dans Michel Hérold et Claude Mignot (dir.), Vitrail et arts graphiques XVe-XVIe siècles, actes de la table ronde de Paris, Ecole nationale du patrimoine, 29-30 mai 1997, Paris, 1999, p. 182.
— GATOUILLAT (Françoise), 1996, Eglise paroissiale Saint-Ouen, Pont-Audemer : les verrières, inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, commission régionale Haute-Normandie, Rouen, Connaissance du patrimoine de Haute-Normandie, Itinéraires du patrimoine n°103, 1996 ;
— GATOUILLAT Françoise,Notice © Monuments historiques, 2005,
http://www2.culture.gouv.fr/public/mistral/palissy_fr?ACTION=RETROUVER&FIELD_98=LOCA&VALUE_98=%20Pont-Audemer&NUMBER=4&GRP=0&REQ=((Pont-Audemer)%20%3ALOCA%20)&USRNAME=nobody&USRPWD=4%24%2534P&SPEC=3&SYN=1&IMLY=&MAX1=1&MAX2=200&MAX3=200&DOM=Tous
"Une autre (baie 13) reflète aussi par sa facture, l'influence d'un grand atelier de Beauvais. Du point de vue iconographique, les verrières ne comportent pas de programme d'ensemble. Les vitraux sont commandés pour orner les chapelles privatives. Le sujet est le choix du donateur. On peut noter toutefois plusieurs cycles hagiographiques rarement illustrés, ceux dédiés à saint Ouen (baie 18), à saint Mathurin (baie 12) et à saint Honoré (baie 13). «
— LAFOND, (Jean), 1969, Les vitraux de l'arrondissement de Pont-Audemer, Nouvelles de l'Eure, n°36, 1969 ;
— MONTIER, (Armand), 1895,Les vitraux de Saint-Ouen de Pont-Audemer, Pont-Audemer, Impr. du Commerce, G. Hauchard, 1895 ;
— MONTIER, (Armand), 1896, "Pont-Audemer", Normandie monumentale p.97-110. (non consulté)
— OTTIN, sd. [1896], p. 223
— PERROT (Françoise), 1972, M. Baudot et J. Lafond. Églises et vitraux de la région de Pont-Audemer, numéro spécial des Nouvelles de l'Eure, 3e trimestre 1969 , [compte-rendu], Bulletin Monumental Année 1972 130-1 pp. 87-88
https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1972_num_130_1_5138_t1_0087_0000_3
— PHILIPPE-LEMAITRE (Delphine) en 1853, non consulté
— REAU (Louis), 1958, iconographie
— REGNIER (Louis) en 1899, Compte-rendu d'une Excursion à Pont-Audemer et à Quillebeuf (18 août) , in "Annuaire des cinq départements de l'ancienne Normandie publié par l'association normande, Caen Rouen, Henri Delesques
https://archive.org/stream/annuairedescinq00artsgoog/annuairedescinq00artsgoog_djvu.txt
"Non contents d'élever un monument imposant par ses dimensions, les paroissiens de Saint-Ouen avaient voulu doter leur église d'une décoration intérieure capable de rivaliser avec la somptuosité de l'œuvre architecturale. Ainsi, selon le goût du temps, les chapelles devaient être fermées de clôtures en pierre, ajourées, qui ne furent sans doute jamais construites, dont nous ne possédons, en tout cas, que les extrémités, liées de chaque côté au pilier voisin. Tout naturellement, l'ornementation de ces clôtures eût été empruntée de façon exclusive au style de la Renaissance, et ce que l'on en peut voir atteste en effet, autant de délicatesse que de goût. Mais nous ne saurions étendre cet éloge aux piscines ménagées dans le mur des chapelles ; ce sont de gauches et monotones compositions, qui ont, il est vrai, subi plus d'une injure, et souffert notamment du plus maladroit des grattages.
D'autres objets, remontant au XVe siècle, mériteraient çà et là d'attirer l'attention. Nous citerons, par exemple, les jolies boiseries mi-gothiques mi-Renaissance qui ferment la chapelle des fonts baptismaux, installée sous la tour inachevée du midi; les fonts eux-mêmes, œuvre de sculpture intéressante, contemporaine des derniers grands travaux de l'église; quelques frises et sculptures décoratives dans les chapelles du nord, ayant, selon toute apparence, servi soit d'appui, soit de couronnement, à des tableaux peints sur bois ou à des retables à personnages en relief, les uns et les autres malheureusement disparus, aussi bien que la grande contre table du maître-autel, commandée en 1535 par la confrérie de charité à Gaspard de Laval, « imaginier » à Caudebec.
Mais ce qui constitue la grande richesse artistique de l'église Saint-Ouen, c'est une collection de verrières polychromes depuis longtemps célèbre et que l'opinion des érudits et des artistes classe à bon droit parmi les plus intéressantes du nord de la France. Décrites une première fois en 1853 par M"'* Philippe-Lemaître, les quatorze verrières de Saint-Ouen de Pont-Audemer ont été récemment l'objet d'un nouveau travail, dû à M. Montier, ancien maire de la ville, sous l'administration duquel commencèrent à être pris des soins de conservation depuis longtemps nécessaires. Le renouvellement des plombs, un nettoyage prudent, une restauration ou plutôt une mise en état sobre et discrète ont rendu à ces belles peintures translucides leur solidité, leur fraîcheur et leur éclat d'autrefois ( Ce travail délicat fut confié à M. Duhamel-Marette, l'artiste bien connu. On a reproché à M. Duhamel d'avoir, dans la verrière mystique, remplacé deux têtes, qu'il affirme énergiquement n'avoir pas appartenu à l'œuvre primitive : l'une de ces têtes était un véritable soleil placé au-dessus du corps de Moïse et traduisant d'une manière peut-être outrée le rayonnement lumineux dont parle la Bible. Le lecteur pourra en juger dans les photographies prises avant la restauration par les soins de la Commission des monuments historiques.).
Tous ces vitraux garnissent les fenêtres des chapelles de la nef. La première baie du côté nord, à partir de l'ouest, renferme les panneaux les plus anciens de tous. Dans cet unique vestige de la vitrerie antérieure au XVe siècle, on voit des figures de saints, surmontées chacune d'un dais gothique, et deux dates, l'une — 1475 — s'appliquant au vitrail lui- même, l'autre — 1551 — indiquant l'époque où il fut complété et définitivement placé à l'endroit où nous le voyons aujourd'hui. Voici d'ailleurs l'inscription, qui a donné lieu à une interprétation erronée :
lan • mil • cccc • Ixxv • fut • ce /te • vriere • fcte ' p ' guille • le • bnvenu • pierre • cardonel •
M*"' Philippe-Lemaître et, après elle, M. Canel et M. Montier ont pris le premier de ces noms pour celui du peintre-verrier. C'est une erreur manifeste. Guillaume Le Bienvenu figure ici comme trésorier, au même titre que les trois autres. Il était d'un usage courant, à cette époque, que le temporel des églises fût administré par quatre marguilliers .
Plus loin, une verrière, offerte en 1536 par les boulangers, est tout entière consacrée à la vie de saint Honoré, évêque d'Amiens, patron de la corporation. C'est une des plus curieuses de l'église, bien que l'on puisse y relever de fâcheuses défaillances de dessin. Si le groupe des écoliers, par exemple, est d'une grâce ravissante, le saint Honoré dans sa boulangerie et les deux cardinaux de la procession du « fourgon fleuri » paraissent, au contraire, fort gauches.
On peut rapprocher de cette fenêtre la verrière suivante, qui, malheureusement très endommagée, représentait le long martyre de saint Vincent. Peut-être faut-il reconnaître dans l'une et dans l'autre deux œuvres sorties de la même main. Toutes deux se distinguent par une coloration vive et brillante, avec quelques duretés toutefois et même quelques discordances. Le peintre, d'ailleurs, n'était pas sans expérience et savait produire une piquante variété d'effets: les extérieurs abondamment ensoleillés contrastent avec des intérieurs assez habilement traités en clair obscur. Nous croyons avoir reconnu un parti de coloration analogue dans plusieurs verrières des églises d'Elbeuf et de l'église de Caudebec-en-Caux, toutes d'une date à peu près contemporaine.
La Vie de saint Nicolas, qui suit, appartient à une époque un peu postérieure et à un genre sensiblement différent. La palette du peintre s'est enrichie de tons nouveaux : l'artiste auquel nous avons affaire affectionne, par exemple, un jaune doré dont l'emploi répété donne à l'ensemble un aspect tout particulier. Egalement remarquable par l'habileté de la composition, la sûreté du dessin et l'harmonie des couleurs, cette verrière a malheureusement perdu la plus grande partie de ses panneaux inférieurs, que l'on a eu la sagesse de ne pas compléter lors de la restauration récente.
— des deux verrières latérales de l'abside de la même église, représentant, d'une part, l'histoire du chef de saint Jean-Baptiste, de l'autre, l'Invention et l'Exaltation de la sainte Croix;
— de David terrassant Goliath, puis reçu en triomphe par les filles de Juda, dans le bas-côté sud de Saint-Jean d'Elbeuf;
— enfin de la magnifique verrière de la Femme adultère, datée de 1532, dans l'église de Caudebec-en-Caux (deuxième chapelle méridionale).
MM. Palustre et Montrer ont été frappés, à juste titre, de l'étroite parenté qui unit cette Vie de saint Nicolas au grand vitrail de la Loi et de la Grâce que l'on voit ensuite, terminant la série des baies du côté nord. Dans cette dernière fenêtre, nous trouvons de nouveau, mais à un degré plus extraordinaire encore, la perfection du dessin, la hardiesse des attitudes, une science du groupement prodigieuse, un coloris vibrant, égal et bien équilibré, et, dominant le tout d'inoubliable façon, la même note chaude, lumineuse et dorée. Cette page splendide, datée de 1556, contemporaine, par conséquent, du plus bel épanouissement de la Renaissance française, fut à coup sûr l'œuvre d'un artiste de premier ordre, au courant de tous les progrès de la technique, non moins attentif au mouvement des idées en matière esthétique, mais heureusement protégé contre tout excès par un goût sûr et une raison dont son œuvre même atteste la puissance. Nous avons vainement cherché son nom. Tout au plus pouvons-nous nous risquer à rattacher son œuvre à l'atelier qui produisit, vers le milieu du XVP siècle, les vitraux de Serquigny et de Beaumont-le-Roger (1), les admirables panneaux dont il ne reste que des débris à Jouy-sur-Eure, la verrière de la Manne, à Couches, et peut-être aussi la Présentation au Temple de la même église. Mais où chercher elle-
(1) Nous parlons surtout des deux panneaux, représentant l'Annonciation et ia Nativité, qui figurent dans les petites fenêtres latérales de l'abside. Ce sont ceux qui ont le moins souflert des restaurations modernes.
môme l'origine de ces œuvres ? Nous ne saurions le dire. Si Ton en croit M. Palustre, c'est du côté d'Argentan et d'Alençon qu'il faudrait se tourner ; mais, pour notre part, nous ne voyons aucune raison sérieuse de suivre l'auteur de la Renaissance en France dans des observations et des classifications qui sont loin, en réalité, d'avoir le mérite de la justesse.
Traversons la nef et continuons notre rapide examen. Nous trouverons, en face de la précédente, une verrière fort intéressante, parce que c'est la seule de la série dont l'auteur soit connu. En effet, le 16 novembre 1535, par contrat notarié, deux ou trois membres d'une famille bourgeoise de Pont- Audemer, les Genouville, alors simples marchands, commandèrent à un peintre-verrier de Rouen, nommé Mauxe Heurtault, un vitrail où devaient être représentées la Vie de saint Jean-Baptiste et, au-dessus, la Descente du Saint- Esprit sur les apôtres ; de plus, voulant faire comprendre à l'artiste le genre qui avait leurs préférences, il lui recommandèrent de s'inspirer avec soin de la verrière consacrée à saint Jean , dans l'église de Saint- Vincent de Rouen (1). Or, grâce à M. Paul Baudry, nous savons que la verrière de Saint- Vincent, qui par bonheur subsiste intacte, porte, avec la date 1525, le monogramme d'un peintre-verrier célèbre, Engrand Le Prince (1). Les productions de l'école de Beauvais excitaient donc dès lors assez d'admiration pour que Ton ne crût pouvoir mieux faire que de les copier. Et, de fait, Mauxe Heurtault imita le plus qu'il put, de la verrière rouennaise, la disposition générale ( Il supprima cependant la Danse de Salomé, remplacée par la scène qui montre la jeune fille apportant sur un plat la tête de Jean-Baptiste. De nombreuses variantes ont également été introduites dans la scène du Baptême, tandis qu'au contraire la Prédication fut presque littéralement copiée.), la richesse des fabriques et, — ce qui, sans doute, importait le plus, — la tonalité merveilleusement sonore. Mais, en dépit d'un talent incontestable, le dessin est plus sec, et le faire n'a pas cette largeur étonnante qui caractérise le modèle. Nous signalerons comme un des meilleurs le personnage du premier plan qui ôte ses vêtements pour entrer dans le Jourdain. Peut-être, si nous ne nous abusons, quelques analogies pourraient-elles conduire à faire honneur au môme peintre de la Vie de saint Honoré et de la Vie de saint Vincent que nous avons vues dans les chapelles septentrionales.
(1) M. Paul Baudry a, le premier, signalé ce curieux document dans sa description des vitraux de Saint-Vincent (1875) ; mais le texte qu'il en donne, p. 94, d'après une copie de M. Gosselin, renferme quelques inexactitudes. Grâce à une très obligeante communication de M. Charles de Beaurepaire, il nous est possible d'en donner ici une leçon meilleure : « Mausse Heurtault, maistre du mestier de verrier en ceste ville de Rouen, dem* en la paroisse S. Nicolas du dit lieu, s'est submis et obligé, par ces présentes, envers ditz de Genouville, bourgeois et marchans, dem" au Pont Audemer, qui présens estoient, faire pour les dits de Genouville, construire, agréer et parfaire... une vitre de la gratideur qu'il disoit luy avoir esté baillée par lesdits de Genouville; et icelle figurer telle et delà sorte que celle qui estédiffiée et construite en l'église S' Vincent de ceste ville de Rouen, qui est la première du costé de devers la maison du grenetier de Rouen; et icelle vitre figurer de la vie de s. Jehan Baptiste, de aussi bonnes pièces, matières et pourtraicts que est celle du dit lieu de S. Vincent ; et faire et figurer aux fourmementz d'icelle vitre une Penthecouste, où seront figurez Dieu, le S* Esperit, Nostre Dame et les apostres ; et icelle vitre rendre toute parfaicte, preste , et icelle asseoir en l'église de S. Ouen du dit lieu de Pont Audemer dedens le jour de Pasques fleuries prochain, à ses despens; cette submission ainsy faicte aumoyen de la somme de Ixx 1. 1.,... » (Min. du tab. de Rouen. Arcli. de la S.-Inf.).
On voit bien aussi dans cette verrière un écu chargé des initiales M. P., mais la place donné à cet écu au premier plan suffit à prouver qu'il ne saurait avoir la même signification que les cartouches fort peu apparents où se trouvent les lettres E L. I*. : il fait allusion, non à l'auteur, mais à un donateur.
Tout à côté de cette œuvre exclusivement française, on trouve une page au caractère complètement opposé et à la date cependant presque, contemporaine, ainsi que suffit à le prouver le costume des donateurs, f La composition quelque peu théâtrale, l'abondance des draperies, la noblesse des attitudes, l'expression môme des figures • (1), indiquent dans cette Mort de la Vierge l'influence pour ainsi dire exclusive de l'art italien. L'œuvre est, d'ailleurs, remarquable, et serait plus admirée encore si le coloris, à côté d'harmonies charmantes, ne présentait des lourdeurs qui nuisent gravement à l'effet général.
Une très grande diversité de style et d'inspiration règne, — nous ne sommes pas le premier à le faire remarquer, — dans les vitraux de cette partie de l'église. C'est là, ainsi qu'on l'a dit, un des effets les plus intéressants de l'exécution des chapelles au moyen de donations isolées. » Ainsi, côte à côte avec une scène inspirée des idées les plus hardies, les plus gramme ou des armoiries fort difficiles à déchiffrer. M"« Philippe- Lemaître en a donné la reproduction. — On ne connaît aucune autre œuvre du peintre- verrier Heurtault, dont M. Ch. de Beaurepaire n'a retrouvé la trace, en dehors du marché précité, que dans le passage suivant des comptes de Saint- Vincent ; « Le 18 novembre 1531, [payé] à Mausse Hertault, verrier, pour la refachon de toutes les verrières cassées de l'église et pour la lanterne, x 1. v s. ».
novatrices, les plus favorables aux influences du dehors, nous contemplons toute une série de petits panneaux encadrés d'architectures dont l'aspect, à première vue, est plus gothique encore que Renaissance, rappelant tout à fait, en un mot, les productions de l'art du verrier au XV" siècle. De quelques fragments informes d'inscription qui s'y aperçoivent, M. Ernest de Fréville (1) a cru pouvoir induire que cette verrière avait été posée en 1519. Ce serait assez, en effet, la date indiquée par les costumes. Divers épisodes de la vie de saint Nicolas, de saint Eustache, de saint Jean l'Évangéliste, et l'une des visions de l'Apocalypse, forment dans cette fenêtre autant de sujets d'un vif intérêt iconographique.
La verrière suivante, sans doute de quelques années moins ancienne, représente divers saints isolés et plusieurs scènes de la vie des apôtres Pierre et Paul. L'auteur subissait encore l'influence affaiblie du passé.
Nous arrivons aux trois fenêtres des chapelles terminées sous Louis XII. Les verrières qu'elles enchâssent, loin d'être inférieures en intérêt aux précédentes, fournissent, au contraire, d'excellents spécimens des productions d'une période transitionnelle dans l'art du peintre-verrier comme dans tous les autres. La première, donnée en 1516 par Guillaume Tesson, bourgeois de Pont-Audemer, offre à nos regards plus d'un personnage traité de façon supérieure, — par exemple la Vierge penchée sur le corps de son Fils (la Mise au tombeau) et les deux acteurs de la scène de l'Annonciation, — et les encadrements y récèlent aussi de charmants détails. Quant aux deux autres fenêtres, elles mériteraient de nous arrêter longtemps. De nombreux épisodes empruntés à la vie de saint Ouen sont figurés dans l'une d'elles en de petits panneaux où tout serait matière à examen, où l'œil admire avec un égal plaisir la judicieuse sobriété de l'ordonnance, la grâce, l'aisance, la clarté de l'exécution. L'autre, qui ne paraît pas de la même main et pourrait être môme de quelques années antérieure, est consacrée à la représentation de plu- sieurs miracles eucharistiques d'une identification difficile. Il y a dans tout cela d'inappréciables documents pour l'histoire du costume. Au bas se déroule, sur toute la largeur des deux baies, une procession du Saint-Sacrement, suivie de nombreux paroissiens et précédée de la confrérie de charité, donatrice des deux verrières. M, Ferdinand de Lasteyrie a jugé cette curieuse procession digne de figurer dans sa grande histoire de la peinture sur verre.
Telle est cette brillante série de vitraux, dont l'examen permet de saisir toutes les transformations que subit l'art du peintre-verrier dans la première moitié du XVP siècle. Il faut souhaiter qu'un érudit, doublé d'un artiste, consacre bientôt à ces œuvres remarquables, dont la valeur est aujourd'hui, heureusement, bien comprise, la publication approfondie et abondamment illustrée que comporte un tel sujet, c II est temps », comme le faisait remarquer récemment M. Eugène de Beaurepaire, il est temps, avec les procédés graphiques dont nous disposons aujourd'hui, de faire connaître, sans distinction d'époque, à tous. Français et étrangers, les trésors infiniment variés de notre art national. N'est- il pas, d'ailleurs, sage et patriotique, en prévision de désastres qui peuvent toujours se produire, d'assurer à ces fragiles monuments le privilège de la perpétuité en en reproduisant l'image? > Peut-être une étude ainsi longuement et patiemment poursuivie, et les comparaisons minutieuses avec les œuvres contemporaines qui en seraient le complément obligé, nous vaudront-elles un jour la réponse à ces questions d'origine, toujours si délicates à trancher. A ce point de vue, il convient de ne pas l'oublier, les plus petits détails ont leur importance, et l'examen des damassés par exemple, auquel M. le comte de Marsy conviait récemment les archéologues, ne manquerait pas sans doute d'amener çà et là des résultats inattendus. (Les vitraux peints de la cathédrale de Bourges, dans le BulL mon., 1897, p. 396)."