La verrière de sainte Clotilde (vers 1540) en baie 24 de l'ancienne collégiale Notre-Dame du Grand-Andely, Les Andelys (Eure).
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PRÉSENTATION.
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Les verrières de l'ancienne collégiale Notre-Dame
L'église Notre-Dame des Andelys, appelée collégiale à cause de la présence d'un collège de chanoines au Chapitre, a été construite, — alors que le duché normand avait été rattaché à la France par Philippe-Auguste par la prise de Château-Gaillard en 1204 —, en 1215-1220 sur les ruines d'une abbaye de femmes fondée en 511, par sainte Clotilde, épouse de Clovis Ier, et détruite vers 900 par les vikings . Il ne reste rien des vitraux du XIIIe siècle où fut bâti l'essentiel de la nef et du chœur Une seconde grande campagne de construction vers 1330-1345 concerna l'achèvement des façades est et ouest, et la mise en place des voûtes . Au tout début du XVIe siècle, l'édifice connut de grandes transformations , dont témoignent en baie 16 des éléments d'un vitrail dû au verrrier Arnoult de Nimègue. Le portail sud est de style flamboyant des xve et xvie siècles, et nous en gardons la grande rose sud (baie 114) et le vitrail du tympan du portail sud du transept, la baie 14 qui porte les armoiries de l'archevêque Georges II d'Amboise.
Mais la majorité des verrières anciennes datent des deuxième et troisième quart du XVIe siècle,
La campagne concerna le coté sud de l'édifice, correspondant à la reconstruction de l'ensemble des baies et à l'ouverture des chapelles. L'ensemble des baies sud furent vitrées de couleur entre 1510 et 1560. Par exemple, la baie 18 porte la date de 1540 et la baie 126 celle de 1560. Le chapitre collégial sut imposer une certaine unité thématique, avec trois verrières de la vie de saint Pierre et trois séries narratives de la vie de sainte Clotilde dans trois chapelles successives de la nef.
Nous avons ainsi, pour les verrières basses du coté sud :
Baie 10 : vers 1510-1520 : Enfance du Christ, offerte par Jean Basset et Isabeau Roussel.
Baie 12 : vers 1510-1520 : Crucifixion, offerte par Jean Basset et Isabeau Roussel.
Baie 14 : XVIIe
Baie 16 : vers 1500-1510 Verrière à grands personnages offerte par Henri Le Pelletier.
Baie 18 : 1540. Verrière de la Vierge offerte par Robine Duboys, veuve de Robinet Le Coq.
Baie 20 : 1540 remplacée en 1866 : verrière de sainte Clotilde
Baie 22 : vers 1540 : Vie de saint Léger.
Baie 24 : vers 1540 : verrière de sainte Clotilde, offerte par un couple de donateurs et leur fille.
Baie 26 : vers 1550-1575. verrière de sainte Clotilde, offerte par Alexandre La Vache sr de Radeval
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La baie 24.
Elle éclaire la 2ème chapelle sud. Haute de 4,15 m et large de 4,10 m, cette verrière de la vie de sainte Clotilde est composée de 4 formes rectangulaires et d'un tympan à 4 ajours droits.
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Verrière de la vie de sainte Clotilde, baie 24 (vers 1540), Notre-Dame du Grand-Andely. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Le culte de sainte Clotilde.
Le culte de la sainte reine s’est surtout établi et répandu en Normandie à partir des Andelys où Clotilde avait fondé un monastère de filles et une église. C'est le premier monastère qu’elle fit bâtir en 511 en France, après la mort de Clovis, avant même celui qu’elle fit édifier à Chelles, ou la basilique Saint-Germain d'Auxerre. Un miracle réalisé à l’occasion de la construction de ce dernier édifice fut à l’origine d’un important pèlerinage le 3 juin : à la prière de Clotilde une source dont l’eau avait le goût du vin, aurait jailli pour abreuver les ouvriers assoiffés et stimuler leur ardeur pendant le cours des travaux. À leur terme, la fontaine cessa de sourdre du vin, mais garda des vertus curatives miraculeuses .
Les premières sources scripturaires de la Vie de sainte Clotilde sont triples : l'Historia Francorum, de Grégoire de Tours, livre II, paragraphe XXVIII, suivie du Liber historiæ Francorum rédigée vers 727 probablement par un moine de Saint-Denis, et de la Chronique de Frédégaire BnF lat. 10910 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10511002k .
La verrière 24 est consacrée au début de la vie de la sainte, centrée sur le meurtre de son père Childeric par son frère, et sur l'épisode des fiançailles.
Selon Grégoire de Tours, "Gondioc avait été roi des Burgondes […]. Il avait eu quatre fils : Gondebaud, Godégisèle, Chilpéric et Gondemar. Gondebaud égorgea Chilpéric son frère et noya la femme de celui-ci en lui attachant une pierre au cou. Il condamna à l'exil ses deux filles ; l'aînée, qui prit l'habit, s'appelait Croma, la plus jeune Clotilde. Or, comme Clovis envoie souvent des ambassades en Bourgogne, la jeune Clotilde est aperçue par ses ambassadeurs. Comme ils l'avaient trouvée élégante et sage et qu'ils avaient su qu'elle était de famille royale, ils l'annoncèrent au roi Clovis. Sans tarder, celui-ci envoie à Gondebaud une ambassade pour la demander en mariage. Ce dernier n'osant pas opposer un refus la remit aux ambassadeurs, et ceux-ci, amenant la jeune fille, la présentant au plus vite au roi. Quand il l'eut vue, le roi fut rempli d'une grande joie et il se l'associa par le mariage, alors qu'il avait déjà d'une concubine un fils nommé Thierry. »
D’après le Liber Historiæ, Clovis, entendant parler de la beauté de Clotilde, envoya Aurélien la demander en mariage. Or, Clotilde était chrétienne. Un dimanche qu’elle allait à la messe, Aurélien, s’étant déguisé en pauvre, s’assit au milieu des mendiants qui formaient la clientèle du lieu saint, après avoir laissé ses propres habits aux mains de ses compagnons dans la forêt. Après la messe, Clotilde, selon son habitude, se mit à distribuer des aumônes. Arrivée à Aurélien, elle lui mit dans la main une pièce d’or. Lui, il baisa la main de la princesse et la tira par le bas de sa robe. Rentrée dans sa chambre, elle fit appeler l’étranger qui lui avait donné ce signe. Aurélien prit en main l’anneau de Clovis, et déposa derrière la porte de la chambre de Clotilde sa besace, dans laquelle il avait les ornements des fiançailles.
Dites-moi, jeune homme, lui dit Clotilde, pourquoi feignez-vous d’être pauvre, et pourquoi m’avez-vous tirée par le bas de ma robe ?
— Votre serviteur, répondit Aurélien, désire vous parler en secret.
— Eh bien, parlez.
— Mon seigneur Clovis, roi des Francs, m’a envoyé vers vous, parce qu’il désire vous avoir pour reine. Voici son anneau et ses autres ornements royaux.
En disant ces mots, il chercha de l’œil la besace derrière la porte de la chambre, mais il ne la trouva plus, et il fut saisi d’affliction ; Elle s’associa avec intérêt à sa recherche, et dit : Qui a enlevé sa besace à ce pauvre ?
Enfin, on retrouva la besace, et, en secret, Aurélien remit à Clotilde les ornements de fiançailles. Pour l’anneau de Clovis, elle le déposa dans le trésor de son oncle. Saluez de ma part Clovis, ajouta-t-elle. Il n’est pas permis à une chrétienne d’épouser un païen. Veillez à ce que personne n’apprenne rien de ceci. Qu’il en soit comme l’ordonnera Dieu, mon Seigneur, que je confesse devant tout le monde. Pour vous, allez en paix. Aurélien revint et rapporta toutes ces choses à son maître.
L’année suivante, Clovis envoya son ambassadeur Aurélien demander à Gondebaud sa fiancée Clotilde. Apprenant cela, Gondebaud fut effrayé, et dit : Il faut que tous mes conseillers et mes amis burgondes sachent quelle querelle me cherche Clovis, qui n’a jamais vu ma nièce. Pour toi, dit-il à Aurélien, tu es venu ici pour espionner ce qui se passe chez nous. Retourne dire à ton maître qu’il ment en pure perte lorsqu’il parle de ma nièce comme de sa fiancée.
Aurélien répondit avec fermeté :
Voici ce que vous mande mon seigneur le roi Clovis.
Si vous voulez lui donner sa fiancée, assignez-lui un endroit où il puisse venir la prendre ; sinon, il viendra s’expliquer avec vous à la tête de son armée.
— Qu’il vienne où il lui plaira, répondit Gondebaud ; moi aussi, je me mettrai à la tête des Burgondes ; il sera victime de la ruine qu’il a causée à d’autres, et le sang qu’il a versé en abondance sera vengé.
L’entendant parler ainsi, les Burgondes, ses conseillers, craignant la colère de Clovis et de ses Francs, dirent à leur roi : Que le roi s’informe auprès de ses serviteurs et de ses chambellans, si, par un tour d’adresse, les envoyés de Clovis n’ont pas introduit des cadeaux de fiançailles ; il faut éviter qu’il y ait un prétexte contre vous et votre peuple, car la malice de Clovis est trop furieuse.
Tel fut le conseil que, selon la coutume, les Burgondes donnèrent à leur roi. On fit la recherche qu’ils demandaient, et l’on trouva dans le trésor royal l’anneau de Clovis, avec son image et son inscription. Alors Gondebaud, affligé, interrogea la princesse.
Je sais, seigneur mon roi, répondit-elle, qu’il y a quelques années les envoyés de Clovis nous ont apporté divers cadeaux en or ; à moi, votre servante, ils ont remis en main un petit anneau, que j’ai déposé dans vos trésors.
— Vous avez agi à la légère et sans réflexion, répondit Gondebaud.
Et, indigné mais malgré lui, il la remit à Aurélien. Celui-ci la reçut avec grande joie, et, avec ses compagnons, il la conduisit auprès de Clovis à Soissons en France. Clovis, plein de joie, en fit sa femme." [Source ici]
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Une source scripturaire plus contemporaine de ce vitrail est le Compendium de Robert Gaguin, publié en 1500 ; La graphie CROTILDIS (qui figure dans les inscriptions de la baie 24) y est attestée.
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Les sources iconographiques sont rares, surtout concernant les fiançailles de Clotilde, mais nous trouvons dans les Chroniques de Saint-Denis BnF Fr. 2597 folio 2 datant du 1er quart du XVe siècle un dessin à la plume de la rencontre d'Aurélien et de Clotilde.
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Par ailleurs, la baie 21 (Romain Buron, vers 1530-1540) de la collégiale de Gisors est également consacrée à sainte Clotilde. Voir mon article sur ce vitrail.
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LE TYMPAN.
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Il est actuellement voilé par un filet de protection.
a) Son ajour gauche montre le meurtre de Childeric, père de Clotilde, par son oncle Gondebaud.
Inscription :
--UE GU[N]DEBAULT TUA CRUELLEMENT
CHILPERIC SON FRERE PERE DE CLOTILDIS
b) Sur le 2ème ajour, Gondebaud envoie Clotilde en exil. (très restauré).
inscription :
GOADEBAULT COMMANDA QUE FUT ENNEME EN EXIL LA SAINCTE ET ENFERMEE AU
MONASTERE AVEC AULTRES ENFANTS DE SON FRERE CHILPERIC
c) Gondebaud fait jeter la femme de son frère Childeric dans le Rhône. Presque entièrement refait.
Inscription :
COMMENT GONDEBAULT LE CRUEL FIST IETER DANS LE RHONE
LA FAMME DE SON FRERE LE ROY CHILPERIC
d) Gondebaud envoie en exil la sœur de Clotilde (très restauré).
Inscription :
SEUR DE CROTILDIS
EN EXIL PAR GUNDEBAULT P--
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Verrière de la vie de sainte Clotilde, baie 24 (vers 1540), Notre-Dame du Grand-Andely. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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LES LANCETTES.
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Verrière de la vie de sainte Clotilde, baie 24 (vers 1540), Notre-Dame du Grand-Andely. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Lancette A. Clovis remet à Aurelianus un anneau et l'envoie comme ambassadeur auprès de Clotilde.
Inscription :
A CLOTILDIS NIECE DE GOUDEBAULT CLOVIS ENVOYE AMBASSADEUR LUI
MONSTRANT MOULT CONFIANCE EN SA FOY IL BAILLIST SON ANNEAU A AURELIAN
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Verrière de la vie de sainte Clotilde, baie 24 (vers 1540), Notre-Dame du Grand-Andely. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Lancette B.
Au 2ème plan, Aurelianus remet en secret l'anneau de Clovis à Clotilde, qui lui donne une acceptation écrite pour son mariage avec Clovis.
Au 1er plan, Aurelianus reçoit l'aumône de Clotilde (tête restaurée) parmi les pauvres et estropiés.
Inscription :
EN SECRET VESTU COMME PAUVRE HOMME AURELIANUS VIENT [COMPIE] SON MESSAGE
ET RECEVANT AUMOSNE IL DONNE LANNEAU ENVOYE PAR LE ROY A CLOTILDIS
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Verrière de la vie de sainte Clotilde, baie 24 (vers 1540), Notre-Dame du Grand-Andely. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Lancette C. Gaudebaud remet Clotilde à Aurélianus, qui la conduira à Clotilde.
Inscription :
COMMENT LE ROY GOUDEBAULT CLOTILDIS FUT DELIVREE A AURELIANUS
AMBASSADEUR POUR ESTRE A SON MAISTRE CLOVIS DONNEE A FAMME ;
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Verrière de la vie de sainte Clotilde, baie 24 (vers 1540), Notre-Dame du Grand-Andely. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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Lancette D. Adieu de Clotilde à Gondebaud.
Inscription:
COMMENT CLOTILDIS APRES AVOIR DIST ADIEU A SON ONCLE GONDEBAULT FUST
AMENEE [FIA --] CLOVIS PAR AURELIANUS AMBASSADEUR .
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Dans la moitié basse, figurent devant un drap d'honneur damassé trois donateurs : un homme et deux femmes non identifiés.
Gatouillat et col. parlent d'un clerc, sans doute en raison d'une apparence de tonsure plutôt due à un artefact car la riche robe dont l'étoffe damassée bleue se retrouve en pan au bras de la femme, s'accorde plus avec un jeune seigneur ou bourgeois.
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Verrière de la vie de sainte Clotilde, baie 24 (vers 1540), Notre-Dame du Grand-Andely. Photographie lavieb-aile 26 août 2018.
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SOURCES ET LIENS.
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— GATOUILLAT ( Françoise), CALLIAS-BEY (Martine), CHAUSSÉ (Véronique), HÉROLD (Michel), 2001, Eglise Notre-Dame du Grand-Andely, ancienne collégiale in Les Vitraux de Haute-Normandie, Corpus vitrearum / Recensement des vitraux anciens de la France vol. VI, Paris, CNRS, 2001. p. 103.
A propos de sainte Clotilde :
— COUTIL (Léon), 1909, Le culte de sainte Clotilde aux Andelys et en Normandie, Hérissey, Evreux, 54 p. Extrait du Recueil des Travaux de la Société Libre de l'Eure t. VI, 1908.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63160499/f101.item.r=clotilde.texteImage
— GAGUIN (Robert), 1500, Compendium de origine et gestis francorum Livre I folio V
https://books.google.fr/books?id=DeQ9AAAAcAAJ&pg=PP8&dq=%22crotildis%22+chilperic&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjt7em9ipvgAhUlgHMKHdWnDvgQ6AEIXTAI#v=onepage&q=%22crotildis%22%20&f=false
— GUERIN (abbé Paul), 1885, Les petits Bollandistes vies des saints de l'Ancien et du Nouveau ..., Volume 6, 3 juin page 422
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De Jean Le-Maire de Belges 1540, Les illustrations de Gaulle et singularitez de Troye …, Sergent, page 72
https://books.google.fr/books?id=f8tTAAAAcAAJ&dq=+CHILDERIC+SON+FRERE+PERE+DE+gundebault&hl=fr&source=gbs_navlinks_s