La tapisserie de La Paix, 1993, d'après Marc Chagall par Yvette Cauquil-Prince au Musée du Pays de Sarrebourg.
.
-
Le vitrail de l'Arbre de Vie (1976) de Chagall à la chapelle des Cordeliers de Sarrebourg.
-
Marc Chagall au Musée de Grenoble. "Le Marchand de bestiaux", et le "Songe d'une nuit d'été".
-
"Celui qui dit les choses sans rien dire" : Aragon et Chagall à Landerneau.
Et voir aussi sur les tapisseries :
- La tapisserie de saint Antoine aux Hospices de Beaune.
- La tenture de la Vie de la Vierge de l'église Notre-Dame de Beaune.
.
.
.
PRÉSENTATION.
.
Cette monumentale tapisserie de basse-lisse tissée dans les ateliers d'Yvette Cauquil-Prince mesure 4,71 m de haut et 6,96 m de large et occupe entièrement le mur placé devant l'escalier du musée. Elle a été réalisée pour la ville de Sarrebourg d'après la gouache préparatoire pour le vitrail La Paix de l'ONU à New-York posé en 1964.
Elle a été inaugurée en 1994 pour son entrée au musée du Pays de Sarrebourg.
Comme toute œuvre de (d'après) Chagall, elle peut être admirée et étudiée selon divers points de vue.
.
Tapisserie La Paix, 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
.
La signature ou mention de Marc Chagall.
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
.
I. LA CONTEMPLATION FESTIVE.
.
Avant toute analyse, le degré zéro de la lecture c'est l'accueil de cette grande palette de couleurs, l'entrée dans sa danse, l'écoute des mélodies de son monde intérieur, la plongée dans ce Monde Bleu où nous attendent, au gré ravi de notre regard, sur des plages multicolores, cent motifs familiers.
Ils nous sont familiers parce qu'ils ressemblent à ceux de nos Abécédaires, A comme Âne, C comme Coq, L comme Lion et S comme Serpent : la joie de leur retrouvaille vient de nos enfances.
Mais ce sont aussi nos vieilles connaissances car ils proviennent du Bestiaire d'oncle Chagall, qui nous les apprivoisés, à moins que ce soit nous qui ayons été charmés et envoûtés de les avoir vu dans tous les grands musées, les grandes expositions du monde ; pour ma part, c'est une connivence avec ma visite du MUba de Tourcoing, de la Piscine de Roubaix, du FHEL de Landerneau, des vitraux de Reims et de Metz, et, surtout bien-sûr, du vitrail de L'Arbre de Vie des Cordeliers de Sarrebourg, dont je sors à peine.
Nous somme face à ce large sourire du Beau, toujours mystérieux et inépuisable par la fascination qu'il exerce en nos cœurs, mais ici aussi toujours amusé, malicieux, gentil et tendre. Son doux venin, flèche d'un Cupidon de l'art, pénètre par notre œil, nous étonne l'âme, impose à notre intellect le silence, et, sous ce baiser, par haut miracle spéculaire, fait surgir sur nos propres lèvres le divin épanouissement de la béatitude. Mais tellement tient mes esprits raviz, En admirant sa mirable merveille ...
.
CLIQUEZ SUR L'IMAGE POUR ACCÉDER À LA BALADE.
.
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
.
.
.
II. EN FAIT, C'EST D'ABORD UNE TAPISSERIE...
.
Une tapisserie est une traduction en fils de laine, soie, lin, d'une composition dessinée ou peinte par un artiste. La plupart des artistes donnent une œuvre au maître d'œuvre qui en fait le carton. L'œuvre est ensuite donnée aux artisans lissiers qui respectent scrupuleusement le carton du maître d'œuvre.
On nomme « maître-tapissier » ou mieux « maître d'œuvre en tapisserie» l'auteur des cartons et superviseur des lissiers , c'est l'auteur attitré de la tapisserie. Celle-ci, qui a le statut d'œuvre d'art, ne peut être tissée à plus de six exemplaires à partir d'un carton et porte (sous forme d'un bolduc) la signature du maître-tapissier. On peut nommer Jean Lurcat et Dom Robert.
1. Yvette Cauquil-Prince.
La tapisserie La Paix est donc l'œuvre du maître d'œuvre en tapisserie Yvette Cauquil-Prince (1928-2005). Cette peintre d'origine belge a pris la nationalité française en 1972. Née à Damprémy, elle a d'abord étudié la peinture à l' Académie royale des beaux-arts de Mons de 1943 à 1948 ; puis pendant trois années, de 1959 à 1961, elle est initiée à la liberté du tissage dans l'atelier expérimental créé par Pierre Wemaëre, rue Saint-Denis qui y supervise la réalisation d'une tapisserie de 14 m de long, Le Long Voyage . En 1961, s'inscrivant dans la tradition des lissiers flamands dont le rayonnement dans toute l'Europe au XVe et XVIe siècle fut immense, et qu'elle découvre au Musée de Cluny ou au Louvre, elle crée son propre atelier, l'atelier du Marais rue des Blancs-Manteaux, sur des métiers de basse-lice en créant une codification originale des cartons. Le lissier n'est pas interprète, il exécute le carton mis au point par Y. Cauquil-Prince. S'inspirant des techniques de tissage des lissiers du XVe au XVIIe siècle, mais aussi des tissages coptes de l'Égypte du début de notre ère, elle en reprend les procédés de tissage dans la forme, de hachure, dégradé, trames de différentes épaisseurs.
Elle installe ensuite son atelier en Corse. Elle est connue pour sa longue collaboration qui la lia à Marc Chagall, avec lequel furent créées 40 tapisseries, mais elle réalisa également des tapisseries d'après Braque, Brassaï, Max Ernst, Emile Hecq, Kandinsky, Klee, Xavier Lalanne, Fernand Léger, Henry Miller, Picasso, Nicky de Saint-Phalle et d'après ses propres œuvres. Elle a exposé à Charleroi (Belgique) (1973), à Philadelphie, Milwaukee et Los Angeles (Etats-Unis) (1978), aux musées de Heidelberg (Allemagne) (1979 et 1991) et de Guéret (1979), au Centre de Teschigara à Tokyo (Japon) (1981), à l'abbaye de l'Epau (1983), au musée de l'Athénée à Genève (Suisse) (1985), à la Chapelle des Cordeliers à Sarrebourg (1991 et 1994), en Finlande (1992), en Espagne (1993), dans trois musées au Japon (1996), à Marseille (1996), à Liège (Belgique) (1997), au Mans (1997), à Karuisaroa (Japon) (1998), à Vienne (Autriche), à Balinguen (Allemagne) (2000) et à New-York (Etats-Unis) (2001-03), au musée de Sarrebourg (2005); Elle fut administrateur du musée national Marc Chagall à Nice à partir de 1973.
.
2. Yvette Cauquil-Prince et Chagall
Encore étudiante, Yvette Cauquil-Prince rencontre Marc Chagall par l’intermédiaire de Madeleine, la femme d’André Malraux, alors ministre de la Culture. « Je me suis rendue à son atelier, avec un Picasso sous le bras. Chagall était vert de rage. Il a dit : " Elle a osé amener l’Espagnol chez moi !" Il a tourné les talons… Puis est revenu en demandant : "Évidemment, Picasso est un génie, vous lui donnez tout votre cœur. Vous pourriez faire de même pour moi ?" ». Sa première réalisation en fut la transposition d'une de ses lithographie, La Famille d'Arlequin (1965), débutant une collaboration qui n'a son égal qu'avec celle entre Chagall et les maître-verriers Charles Marq et Jacques Simon de l'Atelier Simon Marcq à Reims.
"La première tapisserie de Marc Chagall est commandée par le gouvernement israélien pour la décoration de la Knesset (le Parlement). Amorcé à partir de 1962, lors de l’inauguration des vitraux de la synagogue d’Hadassah, le projet prend rapidement la forme d’un triptyque de tapisseries, élaborées à partir de trois gouaches préparatoires confiées à la Manufacture des Gobelins. Les tapisseries qui complètent le décor mosaïque du hall de réception sont inaugurées en 1969. En dépit de la qualité du tissage, l’ensemble souffre d’un certain manque d’unité et trahit les hésitations des lissiers dans l’adaptation chromatique des modèles picturaux.
Entre-temps, Marc Chagall fait connaissance d’Yvette Cauquil-Prince, en 1964. Séduit par la sensibilité artistique de son travail de transposition au regard des œuvres qu’elle lui présente, il lui propose la réalisation d’une première pièce : La Famille d’Arlequin, qui prend pour modèle une lithographie originale, sera achevée en 1967. L’habilité d’Yvette Cauquil-Prince à traduire les compositions picturales de l’artiste en respectant les valeurs chromatiques de la palette originale a raison des réticences de Chagall. Yvette Cauquil-Prince devient alors son maître d’œuvre et réalisera toutes ses autres tapisseries, à l’exception de la pièce conçue pour l’entrée du musée national Marc Chagall, à Nice en 1973, dont l’exécution sera confiée aux Gobelins.
Le climat de confiance qui s’établit entre Chagall et Yvette Cauquil- Prince conduit à la création d’un ensemble de tapisseries d’une grande richesse expressive et conforte la marge d’appréciation laissée au maître d’œuvre. La réalisation de la pièce (choix techniques, carton et tissage) ne requiert donc plus l’intervention directe de l’artiste. Les nombreux échanges d’Yvette Cauquil-Prince avec Marc Chagall sont autant d’occasions pour elle d’approfondir sa perception de l’univers du peintre et d’affiner le choix des sujets. Cette empathie lui permet de nourrir la part de liberté créative nécessaire à la justesse d’effets de sa transposition.
Les premières tapisseries, de petite taille, sont suivies, dès 1973, de la première grande pièce, Le Prophète Jérémie (400 x 600 cm), commande du Jewish Community Center de Milwaukee Yvette Cauquil-Prince alterne alors les petites pièces et les plus grandes, pour lesquelles l’appui financier d’un commanditaire est indispensable. Au début des années 1980, elle entreprend parallèlement la réalisation de deux pièces importantes, Le Grand Cirque, de sa propre initiative, et Job, pour le Rehabilitation Institute de Chicago, toutes deux achevées en 1985. Par l’amplification spectaculaire que son travail donne au modèle, Yvette Cauquil-Prince satisfait l’aspiration de Chagall à développer de larges orchestrations murales : « Il faut poursuivre et, si possible, avec de grandes pièces » car « nous avons œuvré à de la musique de chambre, à l’expression d’instruments solitaires, nous aurons fait trop peu d’opéras, de symphonies », confiait Chagall à son maître d’œuvre. Ce vœu se réalisera avec le tissage de La Paix (471 x 696 cm), une pièce exécutée pour la Ville de Sarrebourg d’après la maquette du vitrail réalisé pour le siège de l’ONU. Faute de commanditaire, un projet de transposition de la gouache préparatoire pour la mosaïque Le Message d’Ulysse en une tapisserie longue de seize mètres ne verra finalement pas le jour.
En sa qualité de maître d’œuvre, et non de cartonnier ou de simple lissier, Yvette Cauquil-Prince ne limite pas son intervention à la reproduction d’un modèle ni à son agrandissement. Elle propose, par le changement de médium et de format, une autre lecture de l’œuvre originale. Au-delà de la satisfaction de voir son travail s’enrichir d’une nouvelle vocation spatiale, Marc Chagall trouve, dans cette expérience de la tapisserie, une approche de la matière de la laine qui s’accorde avec cette « chimie » associant composition, matière et lumière qu’il a toujours considérée comme inséparable du sens et de la raison d’être de l’œuvre." (Dossier de presse MUba Chagall de la palette au métier Renaissance 2015)
.
.
Le musée du Pays de Sarrebourg montre dans un cartel un exemple des cartons préparatoires d'Yvette Cauquil-Prince. Il illustre parfaitement la complexité du travail de conception, mais aussi d'exécution par la mosaïque des différentes teintes de fil. Il s'agit de l'oiseau (un coq) chevauché par un garçon qui se trouve en haut à gauche de l'œuvre. La confrontation du carton et du travail effectué est passionnante.
.
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
.
Je donnerai deux exemples du "battage", passage d'un ton à un autre par des hachures qui s'interpénètrent. Ce procédé permet aussi des dégradés.
L'examen attentif montre que ces hachures permettent aussi de multiples modulations, soit des teintes, soit du trait noir.
.
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
.
.
III. LE MODÈLE DE MARC CHAGALL : LA GOUACHE DU VITRAIL DE L'ONU (1964) LA PAIX EN HOMMAGE À DAJ HAMMERSKJÖLD, PRIX NOBEL DE LA PAIX .
.
La tapisserie La Paix est la transposition d'une gouache préparatoire pour le vitrail The Peace du siège de l'ONU à New-York. Ce magnifique vitrail vibrant a été offert aux Nations Unies en 1964 en tant que mémorial à son deuxième secrétaire général, Dag Hammerskjöld, tué dans un accident d'avion à Ndola, en Rhodésie du Nord (l'actuelle Zambie), le 18 septembre 1961.
"Dag Hammarskjöld né le 29 juillet 1905 à Jönköping en Suède est un diplomate suédois, qui fut secrétaire général des Nations unies de 1953 à 1961. Le prix Nobel de la paix lui fut décerné l'année de sa mort, à titre posthume. Sa médiation en 1955 pour obtenir la libération de 15 soldats américains capturés par la République populaire de Chine pendant la guerre de Corée, ses interventions dans la crise du canal de Suez en 1956 — avec la création de la première force d'urgence des Nations unies — et dans la crise de Jordanie en 1958 lui valurent la réputation d'ardent défenseur de la paix. Après sa mort, John Fitzgerald Kennedy le qualifiera de « plus grand Homme d'État du xxe siècle». Son refus de choisir entre le camp occidental et le camp soviétique et son engagement en faveur des nations nouvellement décolonisées, notamment celles du Bloc afro-asiatique (il se rendit dans 21 pays d'Afrique entre décembre 1959 et janvier 1960) et contre l'Apartheid (il effectua un voyage en Afrique du Sud en janvier 1961) lui valurent cependant de nombreuses critiques et inimitiés de la part des Grandes puissances, notamment lors de la crise congolaise. Après Hammarskjöld, aucun autre Secrétaire général des Nations unies, n'osa affirmer, de façon aussi nette, l'autonomie et l'indépendance de l'Organisation vis-à-vis des États les plus puissants."
Marc Chagall a conçu le vitrail gratuitement dans son atelier en France et l'œuvre a été exécuté en vitrail par deux des artistes les plus en vue du monde dans ce domaine, Charles Marq et Jacques Simon. Cette fenêtre, dont le titre complet serait “The Window of Peace and Human Happiness” «La fenêtre de la paix et du bonheur humain», mesure environ 3,7 m de haut et 4,6 m de large (ou ? 358 cm de haut sur 538 cm de large, y compris la bordure) , il constitue un hommage visuel aux principes sur lesquels est fondée l'Organisation des Nations Unies. Aujourd'hui, il se situe dans la partie est du hall des visiteurs du bâtiment .
On repère d'abord à droite du centre un homme assis, voûté, tête basse, une main à plat sur la poitrine : ce serait Isaïe, mais c'est une reprise de son Jérémie antérieur. Schématiquement, à gauche, c'est la Vision d'Isaïe ; dans un cercle, la Paix espérée, le paradis plein de lumière, où hommes et animaux coexistent dans la joie et la paix. À droite une foule de personnages sont rassemblés sous la double évocation de L'Exode et du Décalogue de Moïse, et de la Rédemption par la crucifixion du Christ. Au milieu se retrouve l'Amour (un couple s'embrassant sous un bouquet), et en bas à gauche est figurée la Mère et l'enfant.
.
.
.
IV. UNE SOURCE DIFFÉRENTE, LA TAPISSERIE LA PROPHÉTIE D'ISAÏE POUR LE HALL DE LA KNESSET.
Le vitrail La Paix partage des points communs étroits avec la tapisserie La Prophétie d'Isaïe conçue à la même époque (1963-1969) pour la Knesset. Cette dernière est la première pièce (dans une lecture de droite à gauche) d'un triptyque au contenu biblique manifeste, à coté de L'Exode et de l'Entrée à Jérusalem.
.

.
Voir la photographie ici : https://knesset.gov.il/birthday/photo.aspx?lng=3&md=262
Elle est décrite ainsi :
"The right tapestry was the first one to be complete. Its title was changed several times. Following the first discussion Chagall had with Knesset Speaker Kadish Luz, he wished to dedicate its theme to the “End of Days.” Articles written on the tapestries during their making, and news reports in Israel towards the hanging of the tapestries in 1969, spoke of the tapestry as “The Creation.” There is, however, a clear discrepancy between the expression Chagall gave to the concept of “Creation” in another biblical piece of his, and the biblical images in this work. The title “Peace” was then given to the tapestry during the early 1970’s, due to its similarity to the similar motifs in his stained glass window, entitle “Peace” in the United Nations building. The notable differences between the two pieces are the dominance of Christian motifs and of the color blue in the one in the UN. The most accurate name is probably “The Vision of Isaiah,” as the image of Isaiah is the most dominant in the work, and there is no doubt that the animals in it symbolize the passages, “A wolf will reside with a lamb, and a leopard will lie down with a young goat; an ox and a young lion will graze together, as a small child leads them along. A cow and a bear will graze together, their young will lie down together. A lion, like an ox, will eat straw. A baby will play over the hole of a snake; over the nest of a serpent, an infant will put his hand” (Isaiah 11, 6 – 8).
Among the motifs in the tapestry that are not necessarily related to its main theme are: Moses portrayed as an angel with the Stone Tablets (on the top right), Jacob’s dream of the ladder (top center), and the image of Sarah with her son Isaac, below the image of Abraham holding a knife (bottom left). "
.
La maquette de cette œuvre, sous le titre de Création, peut nous aider à l'interpréter.
.
.
Nous disposons aussi de deux autres documents :
a) L'Esquisse préparatoire à l'encre de chine du vitrail La Paix, ONU, New-York 1963, Photo (C) RMN-Grand Palais (musée Marc Chagall) / Gérard Blot
.
Esquisse préparatoire à l'encre de chine du vitrail La Paix, ONU, New-York 1963, Photo (C) RMN-Grand Palais (musée Marc Chagall) / Gérard Blot
.
b) surtout, une gravure sur cuivre pour l'édition de la Bible .
Elle porte le titre de "La Création" et aurait été réalisée vers 1934 dans le projet d'une illustration de la Genèse et de l'Exode pour Ambroise Vollard, dans un corpus de 40 gravures. A moins qu'elle n'appartiennent aux 105 gravures de Bible, publiée chez Tériade en 1956. Nous y retrouvons le cercle contenant 11 animaux, un nourrisson et un garçon nimbé. Ce nimbe se retrouve dans le vitrail de New-York et dans la tapisserie de Sarrebourg sous forme d'arcs polycycliques.
Le thème en serait Dieu créant les animaux et l'homme, mais la contamination avec la Vision d'Isaïe est patente ; et l'auréole autour de la tête du jeune homme, incompréhensible dans la représentation de la Création, trouve son sens dans le "Rejeton d'Isaï" (le Christ pour les Chrétiens), dans la vision prophétique d'Isaïe. [le rejeton d'Isaï, c'est le descendant de Jessé, car Jessé et Isaï sont deux formes du même nom : à ne pas confondre avec le prophète].
.
Marc Chagall, Gravure à l'eau-forte pour l'illustration de la Bible. Photographie lavieb-aile lors de l'exposition Chagall, Landerneau juin 2016.
.
.
V. DESCRIPTION.
Nous disposons maintenant d'au moins deux clefs d'interprétation pour cette tapisserie. Sur le plan laïc ou universel, c'est la représentation d'une vision utopique de la Paix sur terre, et on sait combien Chagall a été bouleversé, comme ses contemporains, par la Seconde Guerre Mondiale, par ses exodes, par la Shoah, puis par la guerre froide entre 1947 et 1989.
Sur le plan biblique, c'est la vision d'Isaïe du chapitre 11 (on retient habituellement les versets 11:6-8).
On sait que Chagall ne sépare pas ces deux domaines, et que pour lui la Bible est une source de poésie.
Puis un rameau sortira du tronc d'Isaï, Et un rejeton naîtra de ses racines.
L'Esprit de l'Éternel reposera sur lui: Esprit de sagesse et d'intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de connaissance et de crainte de l'Éternel.
Il respirera la crainte de l'Éternel; Il ne jugera point sur l'apparence, Il ne prononcera point sur un ouï-dire.
Mais il jugera les pauvres avec équité, Et il prononcera avec droiture sur les malheureux de la terre; Il frappera la terre de sa parole comme d'une verge, Et du souffle de ses lèvres il fera mourir le méchant.
La justice sera la ceinture de ses flancs, Et la fidélité la ceinture de ses reins.
6. Le loup habitera avec l'agneau, Et la panthère se couchera avec le chevreau; Le veau, le lionceau, et le bétail qu'on engraisse, seront ensemble, Et un petit enfant les conduira.
7. La vache et l'ourse auront un même pâturage, Leurs petits un même gîte ; Et le lion, comme le boeuf, mangera de la paille.
8. Le nourrisson s'ébattra sur l'antre de la vipère, Et l'enfant sevré mettra sa main dans la caverne du basilic.
Il ne se fera ni tort ni dommage Sur toute ma montagne sainte; Car la terre sera remplie de la connaissance de l'Éternel, Comme le fond de la mer par les eaux qui le couvrent.
En ce jour, le rejeton d'Isaï sera là comme une bannière pour les peuples; Les nations se tourneront vers lui, Et la gloire sera sa demeure.
.
Construction et composition.
Un grand cercle est tracé sur un peu plus de la moitié gauche, et c'est à l'intérieur de ce cercle que sont représentés les animaux des versets 6 à 8 : le Lion, l'Agneau, le Loup, le Bœuf, la Vipère, la Vache debout devant l'Âne, l'Enfant et le Lionceau, mais aussi la Chèvre, et les Oiseaux.
D'autres motifs soit bibliques soit propres à l'univers onirique de Chagall sont placés sur la périphérie du cercle dont ils épousent les arcs. De bas en haut, Sarah et Isaac ; Abraham tenant un couteau, avec près de lui l'ange et le bouc ; divers personnages, un cheval, un joueur de choffar ; un homme volant tête en bas ; Jacob allongé, la tête soutenue par l'ange (ou : la Création de l'homme) ; les Astres ; et enfin une femme debout qu'un visage vient embrasser dans l'éclat d'un bouquet. Quoique décalée, c'est l'image centrale de la fenêtre qui attire immédiatement le regard et rappelle le "baiser de paix" du Nouveau Testament, qui signifie l'amour et l'harmonie entre le ciel et la terre. Ou c'est tout simplement l'Amour fécond, celui de l'Arbre de Vie de Sarrebourg.
Isaïe est figuré sur la partie droite, sur la ligne horizontale médiane ; c'est le personnage le plus grand de l'œuvre. Il porte une robe violette-rouge, il est pieds-nus, dans une posture en S humble, méditative ou souffrante, avec un livre à ses pieds. Chagall a repris ici une figuration ancienne du prophète Jérémie, ou du prophète Elie. Il fait face à sa Vision.
.
.
Derrière lui, mais face à un homme vêtu de rouge et accoudé à une canne se tient une foule. On y distingue facilement des hommes, des femmes, des enfants ou nourrissons, un couple enlacé, un danseur et une danseuse, des choristes, un homme tenant le chandelier, un autre soufflant dans une trompe. L'atmosphère enjouée n'est pas celle d'un exode ou d'une guerre.
Plus haut, quelques maisons et deux clochers, puis le Christ crucifié que Nicodème vient déposer de la croix. Celle-ci s'inscrit dans un triangle : le Golgotha, ou bien la Montagne sainte ?
.
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
.
Un homme ou ange vole en tenant un étendard : il va à la rencontre de Moïse, qui vole également en tenant les Tables de la Loi qu'il désigne de l'index . Le rayonnement de celui qui a vu Yahvé en face forme deux ovales semblables à des ailes, c'est le Moïse ailé récurrent chez Chagall .
Moïse, tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
.
.
Tapisserie La Paix, 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix, 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
.
Nous aurions tort, et nous serions sûr de trahir le dessein de Chagall, si nous prétentions que ces identifications de motifs bibliques étaient certaines, établies et univoques. C'est tout le contraire ! Au fil des œuvres, ( et depuis les gouaches préparatoires de La Bible dans les années 1950), les figures se modifient et deviennent des icônes laïques, polysémiques et universelles, elles sont des vignettes poétiques d'un collage basé sur la réminiscence.
Ainsi, rien n'assure que "Abraham", identifié car il tenait un couteau sur le vitrail de l'ONU, ne soit pas simplement le père de l'enfant placé plus bas. Le couteau s'est transformé en une chandelle, et cela peut évoquer les Nativités flamandes dans lesquelles Joseph éclairait l'Enfant-Jésus dans les bras de Marie.
Rien n'affirme non plus que "Sarah", nommée ainsi par sa proximité avec Abraham, ne soit pas tout bêtement la figure universelle de la Mère et de l'Enfant.
Mais cela peut aussi être la Vierge, par référence à la lecture chrétienne du verset d'Isaïe 11:1 Puis un rameau sortira du tronc d'Isaï, Et un rejeton naîtra de ses racines, où le "rameau" est la Vierge, et le "rejeton" est Jésus.
.
.
De même, le Songe de Jacob est identifié car, sur la tapisserie de la Knesset, cet emplacement était occupé par Jacob et sa vision de la fameuse échelle. Mais ici, (et sur le vitrail de l'ONU), nous ne voyons qu'un homme étendu (et peut-être est-il en train de rêver), la tête soutenu par un personnage, peut-être un ange.
Anne Dopffer parle de "Bible réinventée", et si les figures de Moïse ( à cause des deux tables de la Loi) ou du Christ en croix sont incontestables, toutes les reprises des anciennes illustrations bibliques de Chagall sont métamorphosées pour s'insérer dans une grande métaphore universelle de l'Humanité et du Cosmos, nourrie par un patrimoine d'images chargées de sens. Nous pouvons nous accorder sans doute pour compléter le titre "la Paix" : c'est ici une Paix messianique et visionnaire fondée sur l'Espoir malgré la réalité du monde.
On a pu écrire à propos du vitrail de New-York : "La Fenêtre de la Paix est profondément influencée par l’ampleur de la vision de Chagall : par sa compassion et sa tolérance, et en tant qu’artiste juif exilé d’une grande patrie pendant la plus grande partie de sa vie adulte et témoin des deux guerres mondiales, de sa profonde compréhension de Souffrance. Il élève le langage symbolique d'une tradition spirituelle spécifique au niveau de signification universelle, en faisant quelque chose auquel tout le monde peut se rapporter."
On a souligné aussi l'influence de la Neuvième Symphonie de Beethoven, l'une des œuvres préférées de Dag Hammarskjøld, avec sa reprise de l'Ode à la Joie de Schiller, devenu l'hymne de l'Union Européenne : elle est basée sur la notion de confraternité humaine. Après la Deuxième Guerre mondiale, la Neuvième fut choisie symboliquement, comme message de paix et de fraternité, pour la réouverture le 29 juillet 1951 du festival de Bayreuth, dont le nazisme avait tellement terni l'image.
.
Ces discussions ne doivent surtout pas nous détourner de la figure centrale, celle du Baiser sous le bouquet : car nous ne trahirons pas Chagall en affirmant que seul l'amour humain peut accomplir le miracle, si improbable, de la Paix. Et qu'il a su y contribuer, par la tendresse cocasse mais engagée de son regard.
"Au centre, à la charnière de deux espaces, se trouve le couple primordial autour duquel gravitent symboles et personnages mus par un mouvement cosmique, mouvement de joie saluant l'avènement de la paix universelle. Éminemment poétique, l'espace ainsi créé tient sa logique de l'imaginaire et de la spiritualité de l'artiste." (Forestier 2016)
.
"Au centre, à la charnière de deux espaces, se trouve le couple primordial autour duquel gravitent symboles et personnages mus par un mouvement cosmique, mouvement de joie saluant l'avènement de la paix universelle. Éminemment poétique, l'espace ainsi créé tient sa logique de l'imaginaire et de la spiritualité de l'artiste." (Forestier 2016)
.
Tapisserie La Paix, 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
Tapisserie La Paix (détail), 1993, Yvette Cauquil-Prince d'après Chagall au Musée du Pays de Sarrebourg. Photographie lavieb-aile 2 mai 2016 .
.
SOURCES ET LIENS.
— https://lesbottieres.wordpress.com/tag/yvette-cauquil-prince/
— FORESTIER (Sylvie, HAZAN-BRUNET (Nathalie), JARASSÉ (Dominique), MARCQ (Benoît), MEYER (Meret), 2016 Les vitraux de Chagall, Citadelles & Mazenod, page 112.
— FHEL, 2016, Chagall, de la poésie à la peinture, catalogue de l'exposition organisé par le FHEL à Landerneau.
— Marc Chagall, des couleurs pour la Bible, Artlys 2014
.