Iconographie des saints Côme et Damien : la chapelle Saint-Sébastien de Saint-Ségal.
Voir sur cette chapelle :
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Iconographie des saints Côme et Damien : la chapelle Saint-Sébastien de Saint-Ségal.
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La chapelle Saint-Sébastien en Saint-Ségal : le retable du chœur (vers 1710).
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La chapelle Saint-Sébastien : la cloche de 1902, et celle de 1599.
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Voir les articles précédents sur l'iconographie des saints Côme et Damien :
- Iconographie de saints Côme et Damien en Bretagne (et ailleurs..) : Iconographie de Saint Côme et saint Damien en Bretagne, sur une vingtaine de sites, sur les porches de Landivisiau (1554), Bodilis (1570), et Saint-Houardon de Landerneau (vers 1554), à Saint-Nic, Plougastel, La Martyre, Ploudiry, Languivoa, etc, etc... .Avec une petite iconographie générale (enluminures, ...).
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Saint Côme et saint Damien sur le cadran solaire de 1614 de l'église de Saint-Nic (Finistère).
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Le portail intérieur du porche sud de l'église de Bodilis.(1570)
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Le porche sud et la porte sud de l'église Saint-Houardon de Landerneau. (vers 1554-1570)
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Saints Côme et Damien dans le Bréviaire d'Isabelle de Castille (vers 1497).
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Les vitraux anciens de l'église de Saint-Lô : la baie 8 de la Trinité et de saints Côme et Damien .
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et l'enluminure des Grandes Heures d'Anne de Bretagne folio 173v par Jean Bourdichon (1505-1510) .
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Introduction.
Lorsque, à partir de la chapelle Saint-Côme-et-Saint-Damien de la paroisse de Saint-Nic, je me suis interrogé sur la localisation du culte des deux médecins jumeaux en Bretagne, j'ai découvert de nombreux sanctuaires conservant encore leurs statues, notamment en Finistère, tant en Léon qu'en Cornouaille. L'iconographie de saint Côme et de saint Damien est donc riche en Basse-Bretagne. Elle associe le plus souvent la représentation d'un saint vêtu en docteur (Côme) qui lève vers la lumière un flacon d'urine afin de juger de l'état d'un ou d'une patiente, avec celle d'un alter ego (Damien) tenant un pot d'onguent. Soit les figures de l'alliance nécessaire du diagnostic et de la thérapeutique en médecine.
Or, je peux aujourd'hui ajouter un autre exemple qui m'avais échappé, alors qu'il se trouve dans une chapelle très proche de celle de Saint-Nic. En effet, 25 km seulement séparent cette commune de celle de Saint-Ségal, avec sa chapelle dédiée à saint Sébastien. L'Aulne serpente entre les deux sites.
Pourtant, il m'aurait suffi de mieux consulter l'Iconographie des saints médecins Côme et Damien de Marie Louise David-Danel, publié en 1958, puisqu'elle y signalait dans son inventaire la mention : "SAINT-SÉBASTIEN-en-SAINT-SÉGAL (Finistère) - Panneau Sculpté : Un Saint."
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Aujourd'hui, les deux saints sont représentés, sur le volet gauche de la niche d'un saint Joseph à l'Enfant de la chapelle nord du chœur.
C'est un panneau en bois polychrome daté (par rapprochement avec la date des retables voisins) de 1714-1729, divisé en trois compartiment avec de haut en bas, un saint évêque, puis saint Damien, puis saint Côme qui ne dispose que d'un demi-compartiment.
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Niche de Saint Joseph à l'Enfant, chapelle nord, chapelle Saint-Sébastien, Saint-Ségal. Photographie lavieb-aile 21 juin 2019.
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Volet gauche, Niche de Saint Joseph à l'Enfant, chapelle nord, chapelle Saint-Sébastien, Saint-Ségal. Photographie lavieb-aile 21 juin 2019.
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1°) Saint Damien, sa spatule et son pot d'onguent.
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Il est coiffé de la barrette rouge des docteurs en médecine de l'Ancien Régime, et porte sur une longue robe blanche un manteau bleu à revers or. Il tient d'une main le pot d'onguent et de l'autre ce qui peut être vu comme une spatule, mais qui a plutôt la forme d'une lancette. Nous aurions alors les deux branches de la Thérapeutique, l'acte manuel, et la prescription ou administration de médicaments : car cette lancette est nécessaire à la saignée, qui prend une place alors majeure dans les traitements.
Les cheveux mi-longs et bouclés sont sculptés, nous sommes presque sûrs qu'ils sont d'origine. Par contre, comme je ne dispose pas du dossier de restauration, j'ignore si la moustache Louis XIII était présente ou s'il elle relève du choix du peintre-restaurateur. On peut faire confiance à ce dernier pour être certain qu'elle n'a pas été placée ici à la légère.
On somme, nous avons toutes les caractéristiques de l'iconographie de ce saint.
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Saint Damien, Volet gauche, Niche de Saint Joseph à l'Enfant, chapelle nord, chapelle Saint-Sébastien, Saint-Ségal. Photographie lavieb-aile 21 juin 2019.
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Saint Damien, Volet gauche, Niche de Saint Joseph à l'Enfant, chapelle nord, chapelle Saint-Sébastien, Saint-Ségal. Photographie lavieb-aile 21 juin 2019.
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2°) Saint Côme et son urinal.
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Il est coiffé de la barrette de docteur, et vêtu d'une robe noire recouverte d'un camail. On pourrait le confondre avec un prêtre (saint Yves par exemple), s'il n'élevait vers la lumière la matula ou urinal de couleur jaune tout en la désignant de la main gauche pour appuyer sa sentence.
Cet attribut, et son association avec saint Damien, lèvent tout doute sur son identification.
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Saint Côme, volet gauche, Niche de Saint Joseph à l'Enfant, chapelle nord, chapelle Saint-Sébastien, Saint-Ségal. Photographie lavieb-aile 21 juin 2019.
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3°) Le panneau supérieur : un saint évêque.
Aucun indice ne vient préciser l'identité de ce personnage, qui peut être un évêque (comme Corentin, puisque la chapelle est située dans son diocèse, ou Séverin, patron de l'église paroissiale), ou un abbé (comme Guénolé, abbé de Landévennec).
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Saint évêque, volet gauche, Niche de Saint Joseph à l'Enfant, chapelle nord, chapelle Saint-Sébastien, Saint-Ségal. Photographie lavieb-aile 21 juin 2019.
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Discussion.
Marie-Louise David-Danel a signalé en 1958 la présence d'un des deux saints en la chapelle Saint-Sébastien, ni dire lequel, ni dire à quel endroit, mais je n'ai pas trouvé d'autre témoignage de cette présence. René Couffon n'en parle pas. Les photos qui précèdent les campagnes récentes de restauration montrent la niche de saint Joseph dépourvue de volet. (François Dagorn noir et blanc puis Bernard Bègne couleur, sans date)
Aucune photo de retable nord dans le diaporama de la Fondation du Patrimoine
La plus grande confusion existe. En 1915, Y. Madec décrivait autour de la niche de saint Joseph les "statuettes" des douze apôtres ; mais ceux-ci entourent aujourd'hui la niche de la Vierge.
Lors de ma visite en janvier 2012 (faible éclairage de la lumière d'hiver), j'ai pris les clichés suivants :
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La dernière campagne de restauration s'est déroulée entre 2013 et 2017 sous la direction de Marie-Suzanne de Pontaud, architecte en chef des monuments historiques, par l'entreprise LE BER de Sizun (menuiserie) et COREUM de Bieuzy (peinture) : les lieux sont transformés.
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Retable nord du chœur, chapelle Saint-Sébastien, Saint-Ségal. Photographie lavieb-aile 21 juin 2019.
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2. La peste et les saints Côme et Damien.
On sait que la chapelle Saint-Sébastien a été bâtie dans la seconde moitié du XVIe siècle pour conjurer la peste. Saint Sébastien, tout comme saint Roch, sont invoqués contre les épidémies meurtrières regroupées sous le nom de "peste". On pense que la chapelle "Saint-Côme et Saint-Damien" de Saint-Nic fut aussi construite au début du XVIe siècle pour la même raison.
En effet, les deux frères médecins étaient sollicités contre la peste :
— À Venise, dans la sacristie de la Salute : un tableau attribué soit à Giorgione, qui mourut de ce mal, soit au Titien, Le Triomphe de saint Marc, montre saint Marc entouré de saint Roch et saint Sébastien à sa droite et de saint Côme et saint Damien à sa gauche. Il glorifie la libération de Venise de la peste de 1500.
— À la chapelle de l'Ouradou à Saint-Côme d'Olt en Aveyron, contre la peste de 1586 (2600 victimes)
— La Nécropole Saint-Côme et saint Damien à Montpellier est le charnier de l'épidémie de 1348.
— En 1652, l'épidémie de peste dans la ville d'Argelès cessa le jour même de la fête de Côme et Damien le 26 septembre. Ils deviennent alors les nouveaux patrons de la paroisse.
— La même année 1652 face à la même épidémie, l'église de Serdynia (Pyrénnées-Orientales) commande à Louis Géneres un retable en l'honneur de Côme et Damien. Il sera réalisé en 1661, et doré en 1664. "Sur ce retable, Côme et Damien sont encadrés par des représentations de saint Sébastien et saint Roch, invoqués tous deux contre la peste. L’évêque d’Elne P. Benoit de Santa Maria avait demandé le 8 avril 1587 que la fête de ces saints soit solennellement célébrée dans tout le diocèse pour les remercier de leur intercession lors des épidémies. Les statues de la chapelle catalane représentent les saints en costume de l’époque où domine le bleu rehaussé d’or ; l’un à la bouche soulignée d’une moustache, tenant de sa main gauche un coffret, l’autre, dont les traits féminins contrastent avec ceux du précédent, présentant un livre ouvert. La dissemblance des traits des deux personnages est en désaccord avec les représentations usuelles des deux frères jumeaux. Le sculpteur n’a pas représenté la matula et a donné la préférence aux attributs plus nobles, boîte à onguents ou coffret réservé aux instruments, suivant ainsi la tradition italienne, florentine et vénitienne en particulier. Le retable actuel a remplacé un autre retable, de la fin du XVe siècle. " (Dousset)
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La présence des deux médecins martyrs est donc parfaitement logique dans cette chapelle, à coté des statues de saint Sébastien et de saint Roch.
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CONCLUSION.
Ma découverte inopinée d'un nouvel exemple iconographique du culte des saints Côme et Damien en Finistère, dans le proche voisinage de la chapelle qui leur est dédiée à Saint-Nic, est une surprise qui me procure ce si agréable chatouillement pétulant de l'esprit . C'est encore une fois une confirmation de la stéréotypie des traits iconographiques, tant vestimentaires que par les attributs représentés, et de l'importance de l'urinal, témoin de celle de l'uroscopie dans la médecine du temps . Le lien, ici évident, avec les épidémies de peste incite à en voir la valeur dans les sanctuaires où il n'est pas aussi clairement attesté.
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Il est peut-être trop solidement établi que Côme et Damien sont les saints patrons des médecins (et plus tard des apothicaires), ce qui incite à restreindre leur culte à un secteur professionnel et à oublier qu'il furent d'abord et surtout invoqués, non pas par les médecins, mais par les malades, ou par les communautés éprouvés par les menaces sanitaires.
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Il resterait à bénéficier d'une meilleure information et une meilleure documentation, disponible en ligne et accessible au public plutôt que confiné dans les dossiers des services de l'Etat, sur le suivi dans le temps de ces éléments mobiliers : date où ils ont été mentionnés dans les inventaires, état avant les restaurations, importance des restaurations nécessaires et techniques employés, indices relevés. Paradoxalement, c'est aujourd'hui par l'intermédiaire des journalistes que des bribes d'informations nous parviennent (cf. articles de Ouest-France). Ces informations sont nécessaires en Histoire de l'Art.
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ANNEXE : ARTICLES OUEST-FRANCE 2015 et 2017
Une réunion a eu lieu la semaine dernière dans la chapelle Saint-Sébastien. Le retable principal avait retrouvé sa place fin octobre 2014, après une restauration de l'entreprise Le Ber qui a nécessité 1 400 heures de travail pour réparer certains éléments et effectuer un traitement insecticide.
L'entreprise Coreum a ensuite pris le relais pour rénover les peintures et réaliser la polychromie. Elle a présenté son travail à Virginie Foutel, adjointe au patrimoine, à Christine Jablonski, de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac), et à Isabelle Kergadennec, responsable du mobilier classé au sein du conseil général.
Et les résultats sont assez impressionnants. Après 1 100 heures de travail, les couleurs retrouvées redonnent vie à ce superbe ensemble qui ne laissera pas les visiteurs indifférents. La dernière étape va pouvoir suivre. Le vernissage sera effectué courant février. Selon Vincent Cherel, de la société Coreum, « le résultat en sera encore amélioré. Le vernis apportera de la profondeur aux peintures, de la vivacité. »
Pour André Le Gall, le maire, présent lors de cette réunion, une décision s'impose. « Je vais demander l'ouverture la chapelle lors du pardon de juillet. Il faut que les habitants de la commune voient ce que nous avons fait de leurs impôts. »
Un article de Ouest-France du 16 septembre 2017 nous donne de précieuses informations :
"Depuis 2013, la chapelle Saint-Sébastien fait l’objet de travaux. Ceux-ci ont permis de faire de nombreuses découvertes, comme des peintures d’origine, des sculptures ou même des ossements.
Les retables de la chapelle Saint-Sébastien sont nationalement reconnus, parmi les premiers mobiliers d’église bretonne à être classés aux Monuments historiques en 1914, la même année que les enclos de Guimiliau et Saint-Thégonnec. Cette datation montre l’intérêt de cet édifice.
Décision prise en 2010
Dès octobre 2010, le choix fut fait par la municipalité de rénover l’ensemble des retables dont l’état était préoccupant et avait, plusieurs fois déjà, fait l’objet de récolements de la part de Ia Drac (Direction régionale des affaires culturelles).
Des sculptures tenues par de la colle
Une première étude détaillée, permettant un diagnostic pointu des désordres structurels de l’ensemble des retables, fut réalisée. Il fut édifiant :
certaines parties des sculptures et panneaux ne tenaient plus que par l’usage de colle et de papier mâché, placés au XIXe siècle.
450 000 euros de travaux
La rénovation s’imposait, et la restauration débutait en novembre 2013. En raison du montant des travaux, 450 000 € dont 55 000 € à la charge de la commune, ils se déroulèrent en trois phases : d’abord le retable du maître-autel, puis celle du retable nord, et enfin celle du retable sud.
L'objet de cours aux Beaux-Arts
Cette dernière phase se termine, l’entreprise Le Ber, de Sizun, spécialisée en menuiserie d’art et sculptures, et l’atelier Coréum, pour la polychromie, sont parvenues à restaurer la splendeur de ce mobilier qui, à l’école des Beaux-Arts du Louvre, fait l’objet de six heures de cours lors de l’étude de la polychromie bretonne.
De nombreuses surprises
Les surprises furent nombreuses lors de ces travaux. D’abord, lors du démontage des retables, la découverte des peintures d’origine, datant du début des années 1700, et d’éléments mobiliaires, comme les niches servant au rangement des burettes, et qui étaient tombées dans l’oubli. Les peintures, bien que maintenant recouvertes par les boiseries, ont fait l’objet d’une attention particulière et sont désormais sauvegardées.
Retour d'éléments volés
Autre découverte, celle d’un crâne et de quelques ossements, cachés derrière le retable Sud. L’identité du défunt de même que la raison de leur placement en cet endroit, sont, et resteront très probablement un mystère. Autre événement heureux, la découverte de certaines sculptures dérobées il y a une trentaine d’années, sur internet et chez un brocanteur. Toutes ont maintenant réintégré leurs emplacements. Pour éviter que de tels désagréments ne se reproduisent, la municipalité réfléchit à un système de protection de la chapelle."
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SOURCES ET LIENS.
— CASTEL (Yves-Pascal), LECLERC, (Guy), s.d, La chapelle Saint-Sébastien , son calvaire, ses retables, ed. Commune de Saint-Ségal.
— DUHEM, (Sophie), 1997. Les sablières sculptées en Bretagne. Images, ouvriers du bois et culture paroissiale au temps de la prospérité bretonne (XVe-XVIIe s.). Collection Arts et Société. Presses universitaires de Rennes, 1997.
— COUFFON, René, LE BARS, Alfred. Diocèse de Quimper et de Léon. Nouveau répertoire des églises et chapelles. Quimper : Association Diocésaine, 1988. p. 418-419
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/0ffd39bdf24d89d00ff35b034d2685b0.pdf
— INVENTAIRE GENERAL Région Bretagne (Service de l'Inventaire du patrimoine culturel), enquête 2009.
http://patrimoine.bzh/gertrude-diffusion/dossier/chapelle-saint-sebastien-saint-sebastien-saint-segal/3161081b-4d98-4287-a98a-4abeed58a9dc
— MADEC (Yves), 1915, Saint-Sébastien en Saint-Ségal
https://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/fc72b7a373375935ed358e8dbd9c8cd4.pdf
— DOUSSET Jean-Claude), Puységur Christian. Saint Côme et saint Damien de Serdinya. [R 71. Culte et iconographie des saints Côme et Damien] . In: Revue d'histoire de la pharmacie, 95e année, N. 360, 2008. pp. 533-536; http://www.persee.fr/doc/pharm_0035-2349_2008_num_95_360_21993