Les vitraux du XIVe siècle de la cathédrale d'Évreux : II. Les baies 16, 18 et 20 (1308, et tympan du 3ème quart XVe siècle).
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Cet article est le deuxième d'une série sur l'apparition du jaune d'argent dans les vitraux de la cathédrale d'Évreux au XIVe siècle. Ces premiers articles montrent les vitraux avant 1330, avant cette apparition du "jaune d'Évreux" : voir l'introduction dans le premier article.
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Voir aussi :
Liste de mes 200 articles sur les vitraux :.
.— Sur les vitraux de la cathédrale d'Évreux :
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Les vitraux de la baie 15 (vers 1360-1370) de la chapelle du Rosaire de la cathédrale d'Evreux.
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Les vitraux de la baie 17 (vers 1360-1370) de la chapelle du Rosaire de la cathédrale d'Evreux.
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Les vitraux de la baie 19 (vers 1360-1370) de la chapelle du Rosaire de la cathédrale d'Evreux.
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L'arbre de Jessé (baie 0) de la cathédrale d'Évreux (1467-1469).
— Sur les fonds damassés :
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La chapelle Saint-Jacques de Merléac : la maîtresse-vitre (1402) II. La Passion.
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Les fonds damassés des vitraux (vers 1417) du chœur de la cathédrale de Quimper.
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Ce deuxième article décrit les trois baies 16, 18 et 20 qui éclairent la chapelle fondée en 1308 (selon F. Gatouillat) par le chanoine Pierre de l'Aide à la mémoire de son frère le cardinal Nicolas de l'Aide (ou Nicolas de Nonancourt). Cette chapelle porte depuis le XIXe siècle le nom de Chapelle de l'Immaculée-Conception.
Les cahiers d'enregistrement des recettes des revenus afférents aux chapelles de l'église cathédrale d'Évreux mentionnent « deux portions de chapelle sous l'invocation de saint Jacques et de saint Philippe, fondées en 1308 par Nicolas de Nonancourt, cardinal du titre de saint Laurent « Mais ce dernier décéda en 1299.
La chapelle était décrite ainsi par P.F. Lebeurier en 1868 :
La chapelle 6, percée de trois fenêtres, a également des médaillons à la base de sa clôture. Sur la porte, un bas-relief, représentant Samson chargé des deux poteaux delà porte de Gaza, est entouré de l'inscription: valvas confractis hic sanson vectib's effert sed vires ejvs dalila com'invit. Ce bas-relief parait être une allusion au nom et aux armes des Postel, ancienne famille normande qui a donné plusieurs chanoines à la cathédrale. Leur écusson, à trois trèfles posés 2 et I traversés d'un poteau mis en bande, est gravé sur plusieurs colonnettes de cette clôture. Au-dessous des colonnettes, sur une seule ligne, on lit encore cette inscription : conceptiotva DEI GENITR1X VIRGO GAUDIV' ANNVNCIAVIT IN VNIVERSO MVNDO EX TE ENI' ORTVS EST SOL JUSTICIE XPS DEVS NOSTER ; et, sur la corniche de la porte : ladem non sensit conceptvs virginis vllam. Neuf petits sujets du xive siècle sont insérés dans les vitraux: 4° S. Paul tenant un glaive par la pointe ; 2° la Sainte Vierge tenant l'enfant Jésus sur son bras gauche et un lys de la main droite-, 3° S. Pierre tenant les clefs ; 4° la Sainte Vierge ; 5° le Christ en croix ; 6° S. Jean tenant un livre ; 7° un saint évêque avec l'inscription : s. aquilinus ; 8° un autre évêque avec l'inscription : s. taurinus ; 9° un évêque donateur à genoux présentant un vitrail avec l'inscription : nicolaus cardinal. Ce doit être Nicolas de l'Aide, cardinal du titre de Saint-Laurent in Damaso, né à Nonancourt et inhumé dans la cathédrale d'Evreux, vers 1299. Cette chapelle contient encore une pierre tumulaire représentant un chanoine en habits sacerdotaux, avec l'inscription suivante, dont chaque mot est séparé par deux points : ci gist MESTRE ESTIENNE CLAVBL IADIS ARCHEDIACBE DU NVEFBOVRG ET CHANOINE DEVREVS QV1 TRESPASSA LAN DE GRACE V CCC ET XXIX LE VMSIEME IOVR DE MARS PROIES POVR LAME DE LVI AMEN
https://archive.org/details/bub_gb_TYdZAAAAYAAJ/page/n39
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Vue générale des trois baies :
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Chacune, haute de 5,20 m et large de 2,70 m comporte 3 lancettes trilobées et un tympan à 4 soufflets et 2 écoinçons .
Les trois baies adopte la disposition "en litre" à la mode depuis le milieu du XIIIe siècle, où une verrière décorative claire accueille à mi-hauteur une bande horizontale de panneaux colorés figurés. Les panneaux ornementaux en verre blanc forment un réseau géométrique de losanges et de quadrilobes. Ils sont peints à la grisaille de rinceaux de chêne ou d'autres essences, tandis que des fermaillets bleus sont centrés par des fleurs de lys jaunes. Les bordures sont bleues à fleurs de lys jaune pour la baie 18, et rouge avec des castilles jaune dans les deux autres baies.
Dans les panneaux centraux, un saint personnage occupe un édicule en brique à arc trilobé dont le gable est orné de feuilles de chêne et de glands. Plus haut, entre des pinacles, s'élèvent trois flèches ou pinacles à crochets.
La présence de ce décor à feuilles de chêne peut être sans doute considéré comme emblématique plutôt qu'ornemental, d'autant que c'était un chêne que la Vierge tenait en baie 12, et également semble-t-il en baie 14 ici.
Les verres colorés sont principalement bleus, rouges, jaunes, plus rarement verts, avec ponctuellement quelques verres lie-de-vin. Les verres rouges sont parfois hétérogènes, "flammés", mais de façon aléatoire sans exploitation de cet effet pour un rendu expressif.
Le jaune d'argent n'est pas encore utilisé dans ce début du XIVe siècle, et, de même, les fonds des niches sont unis et jamais damassés.
L'ordre des lancettes a été modifiée, car la succession habituelle des fonds rouge et bleu n'est pas respectée, la Vierge à l'Enfant n'est pas centrale (elle a été intervertie avec saint Pierre en 1868), et en baie 20 les deux saints et le donateur se succèdent sans cohérence.
Les baies ont été restaurées par Duhamel-Marette en 1894.
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La baie 16. Saint Paul, saint Pierre et la Vierge à l'Enfant.
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Saint Paul tenant par sa pointe l'épée de sa décapitation.
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Les traits du visage, le toupet frontal, le geste de ma main gauche et les plis du manteau témoignent de la maîtrise artistique du peintre.
La position des pieds, très écartée, est archaïque.
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Saint Pierre tenant sa clé et un livre.
La tête du saint a été remplacée en 1870.
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La Vierge à l'Enfant, couronnée et tenant un rameau bourgeonnant.
La Vierge couronnée et voilée est fortement déhanchée. La Mère et le Fils ne se regardent pas.
Marie tient un rameau bourgeonnant qui, par comparaison avec le chêne déracinée tenue par la Vierge de la baie 12, peut peut être se comprendre comme un rameau de chêne stylisé ; mais le rameau fleuri possède une riche symbolique mariale (virga virgo de Jessé ou verge de Joseph).
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En bas de lancette centrale : Mgr Devoucoux évêque d'Évreux agenouillé en donateur.
En bas de lancette droite : blason épiscopal et inscription.
CETTE CHAPELLE FUT RESTAURÉE PAR ILL[USTRE] ET RÉV[ÉREND] PÈRE EN DIEU MGR JEAN-SÉBASTIEN-ADOLPHE DEVOUCOUX ÉVÊQUE D'ÉVREUX DE MDCCCLVIII À MDCCCLXX.
Monseigneur Devoucoux, évêque de 1858 à sa mort en 1870, était membre de la société française d'archéologie et il présida la Société Libre de l'Eure. Il a été le donateur de la restauration de ces vitraux par Duhamel aidé de Marette, auteurs de son portrait. Il s'est fait représenter aussi sur la baie 22 de l'église Saint-Sauveur des Andelys, restaurée à ses frais par Didron. Ses armes se blasonnent comme un écartelé de gueules et d'or, à la croix ancrée de sable. Il avait fait restaurer 5 panneaux de la chapelle des Fonts (baie 42) et la verrière des Trois Maries en baie 213.
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LA BAIE 18 : LE CALVAIRE (LA VIERGE, LE CHRIST EN CROIX ET SAINT JEAN).
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La Vierge.
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La posture est déhanchée à l'extrême. Elle a les pieds posés sur un rocher.
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Le Christ en croix.
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Saint Jean tenant son évangile.
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LA BAIE 20 : SAINT AQUILIN, SAINT TAURIN ET LE CARDINAL NICOLAS DE L'AIDE EN DONATEUR.
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Saint Aquilin, proto-évêque d'Évreux.
Inscription S. AQUILINUS.
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Saint Taurin, proto-évêque d'Évreux.
Inscription S. TAURINUS.
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Le donateur : le cardinal Nicolas de l'Aide présentant un vitrail.
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Inscription NICOLAUS CARDINAL.
Nicolas L'Aide ou de Nonancourt, né à Nonancourt et mort le 22 ou 23 septembre 1299 à Rome a été chancelier de l'université de Paris de 1284 à 1288 et doyen du chapitre de Notre-Dame de Paris de 1288 à 1294, puis a été établi cardinal au titre de San-Marcello par Célestin V en 1294, puis nommé au titulus de San Lorenzo di Damasio l'année suivante.
Une épitaphe en vers qui se lisait jadis dans la cathédrale d'Evreux et dont le texte nous a été conservé par Le Brasseur et par Gaignières indiquait : »
"Haec praesens fossa Nicolai continet ossa,
Qui pius et prudens extitit atque studens.
Mitram cardineam Romana gessit in urbe
Et pileum rubeum. Dans multae dogmata turbae
In pravos mores naturae Theologia,
Hujus erant flores una cum Philosophia.
Editus est illa quae Nonancuria villa
Fertur, ubi cura vigili fecit bona plura.
M, c bis, x novies, nono, septembre timendo,
Finiit iste dies sub Mauritio moriendo.
Auxilium dictus, multis dedit ipse juvamen,
Sed nunquam fictus ; requiem sibi det Deus ! Amen."
Son frère, chanoine à Évreux, est connu sous le nom de Pierre L'Aide ou Layde (magister Petrus Layde).
Le cardinal Nicolas l'Aide, de Nonancourt, dont la cathédrale d'Evreux avait recueilli les restes, avait donc terminé sa carrière en 1299, le jour de la Saint-Maurice, c'est-à-dire le 22 septembre. Plusieurs obituaires confirment la date qui est assignée à la mort de Nicolas de Nonancourt par l'inscription de la cathédrale d'Evreux. Nous savons, en effet, que le chapitre d'Evreux célébrait chaque année, le 24 septembre, l'anniversaire de maître Pierre l'Aide et de son frère « sire Nicolas, prêtre cardinal du titre de Saint-Laurent « in Damaso ». A Rouen, c'était le 23 septembre que les chanoines priaient pour l'âme du « révérend père Nicolas de « Nonancourt, cardinal ». Le chapitre de Paris avait enregistré au 8 septembre l'obit de « sire Nicolas, prêtre cardinal « du titre de Saint-Laurent in Damaso ».
https://fr.qwertyu.wiki/wiki/Nicolas_de_Nonancourt
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Le motif du donateur tenant la maquette du vitrail qu'il offre se retrouve en baie 14 avec le comte Louis d'Évreux, ou en baie 207 avec Raoul de Ferrières.
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Le tympan.
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La vitrerie géométrique ponctuée de soleils ondés date du 3ème quart du XVe siècle , et de la restauration du XIXe siècle.
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SOURCES ET LIENS.
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— Histoire des évêques d'Évreux : avec des notes et des armoiries / par M. A. Chassant,... et M. G.-E. Sauvage,..1846.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k95305k/f101.item
—BONNENFANT (Georges),1939, Notre-Dame d’Evreux (Paris: H. Laurens, 1939), 43-44, pl. 16;
— BOUDOT ( Marcel), 1966,“Les verrières de la cathédrale d’Evreux: Cinq siècles d’histoire,” Nouvelles de l’Eure 27 (1966), 28-29.
— BOUSQUET (Jacques et Philippe), 2019, Donateurs avec la Madone, le cas de la cathédrale d'Evreux, site artiflexinopere.
https://artifexinopere.com/?p=17412
— FOSSEY Jules 1898, Monographie de la cathédrale d'Evreux par l'abbé Jules Fossey,... Illustrations de M. Paulin Carbonnier,...
— GATOUILLAT (Françoise), 2019, "French 14-th-century stained glass and other arts", in Investigations in Medieval Stained Glass, Materials, Methods and Expressions, Brill ed., pages 374-385
— GATOUILLAT (Françoise), 2001, "Les vitraux de la cathédrale d'Évreux", in CALLIAS-BEY, M., CHAUSSÉ, V., GATOUILLAT, F., HÉROLD, M., Les vitraux de Haute-Normandie, Corpus Vitrearum France, Recensement des vitraux anciens vol. VI, Ed du CNRS / Monum ed. du patrimoine. Paris, pages 143-161.
—GAVET Philippe, Si l'art m'était conté. La cathédrale d'Évreux.
http://www.philippe-gavet.fr/05/36/index.html
–GOSSE-KISCHINEWSKI ( Annick ) et Françoise Gatouillat, La cathédrale d’Evreux, Evreux, Hérissey, 1997.
–GOSSE-KISCHINEWSKI ( Annick ), HENRY (Virginie), 2016, Unité Départementale de l'Architecture et du Patrimoine de l'Eure (DRAC Normandie) Connaissance n°07
http://www.eure.gouv.fr/content/download/18041/123811/file/ESSENTIEL_CONNAISSANCE_07%20Historique%20complet%20de%20la%20Cath%C3%A9drale%20d'Evreux.pdf
— KURMANN-SCHWARZ (Brigitte), LAUTIER (Claudine), 2009, « Le vitrail médiéval en Europe : dix ans d’une recherche foisonnante », Perspective [En ligne], 1 | 2009, mis en ligne le 21 février 2018, consulté le 01 novembre 2019.
https://journals.openedition.org/perspective/1841#tocto2n3
— LAFOND (Jean), 1953, "Le vitrail en Normandie de 1250 à 1300", Bulletin Monumental Année 1953 111-4 pp. 317-358
https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1953_num_111_4_3745
— LEBEURIER (P-F.), 1868, Description de la Cathédrale d'Evreux accompagnée d'une vue générale et d'un plan géométrique, Huet ed., Evreux 1868
https://archive.org/details/bub_gb_TYdZAAAAYAAJ
https://archive.org/details/bub_gb_TYdZAAAAYAAJ/page/n29
— LILLICH (Meredith Parsons), 1986, “European Stained Glass around 1300: The Introduction of Silver Stain,” Europäische Kunst um 1300 6, Akten des XXV. Internationalen Kongresses für Kunstgeschichte, Gerhard Schmidt and Elizabeth Liskar, eds. (Wien, Köln and Graz: Hermann Böhlaus Nachf., 1986).
https://www.researchgate.net/publication/324314671_European_Stained_Glass_around_1300_The_Introduction_of_Silver_Stain
— LILLICH (Meredith Parsons), 1992, "Heraldry and Patronage in the Lost Windows of Saint-Nicaise de Reims.", L'Art et les revolutions, 27e Congres international d'histoire de l'art, vol. 8 (Strasbourg: 1992), pp. 71-102.
https://www.academia.edu/36414224/_Heraldry_and_Patronage_in_the_Lost_Windows_of_Saint-Nicaise_de_Reims_
— LAUTIER (Claudine), 2000, Les débuts du jaune d'argent dans l'art du vitrail ou le jaune d'argent à la manière d'Antoine de Pise, Bulletin Monumental Année 2000 158-2 pp. 89-107
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— Monuments historiques, Notre-Dame-d'Evreux
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http://www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Evreux/Evreux-Notre-Dame.htm
https://www.patrimoine-histoire.fr/Patrimoine/Evreux/Evreux-NotreDame_v8.htm
— http://www.evreux-histoire.com/evreux-3-1-0.html#icono2
ENLUMINURES.
Jean Pucelle :
—Les Heures (1324-1328) de Jeanne d'Évreux, reine de Navarre (1329-1349)
https://www.metmuseum.org/art/collection/search/70010733
— Le bréviaire de Belleville : Breviarium ad usum fratrum Predicatorum dit Bréviaire de Belleville. Ce manuscrit destiné à suivre les prières durant la célébration de la messe comprend deux volumes, l'un destiné aux prières pendant l'été (volume 1), l'autre pendant l'hiver (volume 2).
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8447295h