Sortir d'une épidémie de peste (1598) et sortir d'une guerre (1598 ET 1944) : le calvaire monumental (microdiorite de Logonna et kersantite, Maître de Plougastel, 1602-1604) de Plougastel-Daoulas. Deuxième partie : la plate-forme.
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Voir :
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Résumé.
Les habitants de Plougastel ont édifié en 1602-1604 un grand calvaire pour commémorer la fin d'une épidémie de peste en 1598, et la fin des guerres de la Ligue. Autour d'une niche obscure contenant saints Sébastien et Roch, recours réputé contre les épidémies, le sculpteur a placé en soubassement diverses scènes de la Vie de Jésus, dans un style non seulement hiératique (digne, stricte et dépouillé) mais aussi désincarné, comme s'il témoignait de la perte des repères identitaires et temporels propre aux traumatismes.
Va-t-il, sur la plate-forme à quatre faces, témoigner de la ré-animation d'une collectivité éprouvée et sortir de sa réserve ? Les habitants ont tenu à inscrire les noms de leurs représentants (les "fabriques") ; vont-ils y jouer leur rôle?
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LA FACE EST DE LA PLATE-FORME (SUITE).
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— La Comparution devant Anne.
Puisque la Comparution devant un grand prêtre, disons Caïphe, a déjà été présentée, les auteurs considèrent que cette deuxième scène correspond à la comparution devant Anne, autre grand prêtre et beau-père de Caïphe. C'est, en réalité, dans les évangiles, la première comparution : voir Jean 18:13. C'est là que se place le reniement de Pierre. Anne renverra Jésus devant Caïphe, le "souverain sacrificateur cette année là". Peu importe en fait.
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Le Christ, mains liées derrière le dos, est présenté par un garde à Caïphe, qui, raide comme la Justice, reste de marbre. Ou de kersantite. Nous sommes encore dans la veine "hiératique" du sculpteur.
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Mais ce qui est intéressant, c'est de voir le soldat qui derrière, nous fait un coucou avec sa main libre (en réalité, il s'apprête à donner un soufflet au Christ). Ce grand dadais nous regarde, il est présent et vivant. Derrière lui, les deux autres gardes discutent. Les tenues vestimentaires s'individualisent puisque l'un porte une tenue de soldat romain composée d'un casque, et d'une armure légère à lames. Il tient l'extrémité de la corde qui ceinture le prisonnier. Son visage grimaçant sort de la stéréotypie avec ces rides frontales et naso-labiales.
Son interlocuteur est un officier (épée au coté), Juif (chapeau conique), aux gestes animés.
Oui, nous sommes sortis du silence blanc du soubassement.
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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C'est à ce moment que je commence à imaginer les Plougastelois qui sont montés sur les planches. Je les entends, le film muet devient parlant. Ils ont en tête le texte de leur Passion en breton :
An Test: Goude e quempret ez voe dereet affet da quentaff digracc diffaeczon da annas felon da questionaff ouz e blasfemaff hac ouz e canaff cals a gouzafus palamour hep quen da caret map den louen en prenas. Pan oa oar he stat questionet mat esz deuz vn flater goude bout graet salu ha gant quil palu a scoaz hon saluer oar h guen tener precius ha guer hac en eurhas goude a deury ez stlegat gant cry da ty cayphas.
Je vous le traduis, mais il fallait d'abord entendre l'accent, et les rimes en -et, en -aff , et le rythme des vers.
"—Le Récitant : Après son arrestation, il fut mené en tout premier lieu, sana ménagement, avec brutalité, chez le cruel Anne afin d'être interrogé. Des injures qu'on lui fit, et des coups qu'il reçut, il souffrit beaucoup, seulement à cause de son amour pour l'humanité ; il la racheta pleinement.
Tandis qu'on l'interrogeait en détail sur sa condition, vint un faux-témoin qu'il avait guéri et qui frappa Notre-Seigneur du revers de la main sur sa tendre joue précieuse et chérie et il l'insulta. Ensuite, rudement, il fut traîné sous les huées chez Caïphe." (Le Berre 2011 p.186)
C'est tout autre chose maintenant que l'ambiance devient celle d'un match de catch, que nous entendons les hou ! hou !, que nous savons que le grand dadais est un ingrat, un faux-témoin (breton flater "mensonge") qui avait été guéri par Jésus.
Et c'est tout autre chose lorsque nous apprenons que le garde qui présente Jésus à Caïphe se dénomme Dragon (ça veut tout dire) et que nous l'entendons dire (chacun reconnaît la voix de Jo Kervella, le marchand de poisson qui joue ce rôle) :
—Dragon : "Monseigneur Anne, comme vous le voyez, le grand charlatan [dans le public : hou, hou !] vient comparaître devant vous. Examinez son cas sur-le-champ."
[Anne l'interroge.]
— Jésus : Je n'ai en vérité rien prêché secrètement à personne. Au contraire, c'est tout à fait publiquement qu'à la synagogue et dans votre ville j'ai toujours pris la parole, incontestablement chacun le sait en cette cité"
Et l'officier Juif qui se tient à gauche, nous comprenons que c'est Malchus, le serviteur du grand prêtre, et le voilà qui donne sa réplique (c'est Vigouroux, le bedeau) :
"—Malchus : Dis-donc, imposteur, c'est comme ça que tu réponds au pontife ? Attends un peu ! Pour ta sotte réponse tu vas avoir droit illico à une gifle." Vlan ! Paf !
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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Changement de plateau :
LA FACE NORD DE LA PLATE-FORME.
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La Flagellation et le Couronnement d'épines. 15 personnages.
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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La Flagellation.
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À gauche (car ça commence à gauche), Jakez, le fils à Dédé Le Gall, qu'on surnomme Lost Krank (queue de crabe) est monté sur scène avec son père. Ils font les bourreaux, Dantart an tirant et son compère Bruyant.
Jakez a repéré sa belle amie Marig an Ajou et lui dit un p'tit bonjour avec son faisceau de genêt. "Tiens ton rôle" bougonne le papa, ça va être à toi."
—Bruyant : Stagomp ennhaf dezrouomp de fustaf affo. (Mettons-nous y, commençons à les fouetter !)
— Dantart : Gant ma scourgez en deuezo Dalet a me sco a tro mat! (Il va tâter de mon fouet, Tenez ! L'ai-je-bien administré ?)
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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À droite, le bourreau porte le turban retenant un mouchoir qui couvre la nuque : c'est le dress-code des artistes pour le désigner comme Juif. Mais sa tunique et ses chausses à taillades sont celles des soldats du XVIe siècle.
À gauche, la tenue est celle des seigneurs Renaissance, avec le bonnet à bords relevés, les cheveux bouclés, la tunique et les chausses plissées.
Il y a donc apparition sous le burin du sculpteur des vêtements des habitants de Plougastel : ils peuvent s'y reconnaître, ou même, se voir représentés jouant le Mystère de la Passion, adoptant quelques accessoires orientalistes (turban) pour mieux jouer leur rôle. Ils ne sont pas venus comme ça, ils se sont mis beaux, mais dans les armoires, ils n'ont trouvé que les habits d'avant la guerre. Un peu démodés mais beaux.
Le meunier Alain Le Goff, qui est musclé, a fait le Jésus.
Et puis, à droite, on a toujours celui qui se penche pour être sur la photo.
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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Ensuite, ils jouent le Couronnement d'épines.
Mais c'est cette fois Guillaume Calvez (qui n'a pas encore de poil au menton), le vieux Jacques Lagathu et Jean Thomas, le cordonnier moustachu, qui feront les bourreaux.
— Bruyant : Ne croyez-vous pas qu'il lui faut une belle robe, afin qu'il soit vêtu de pourpre ?
— Dantart : C'est tout à fait certain ! La voici ; elle ne vaut plus rien !
— Dragon : Donnons-lui aussi un sceptre ; ce roseau, par exemple !
Et le petit Xavier Le Du, qui n'est pas bien beau, s'agenouille en lui tirant la langue : "Dieu vous sauve, Aliboron, assurément roi des Juifs!"
— Dantart "Mettons-lui donc sur la tête une couronne fait avec une ronce qu'on tresserait, bien serrée tout autour."
— Gadifer : "Voilà une grande couronne d'épines, placez là en force sur son crâne, qu'elle perce carrément les os sans ménagements ; ça lui fera passer son rhume" (hac a toullo fresq e esquern Hep espern maz disifferno.)
— Dragon : "Faisons tous cercle autour de lui ; nous allons maintenant le couronner, et lui rendre l'hommage dû à son rang.
— Bruyant : "Tenez ! cette couronne est rude et acérée, et elle sied à votre visage ; Je suis sûr qu'elle va maintenant vous transpercer.
— Dantart : "Appuie avec ce bâton. Voilà comme ça ! On va lui écraser le crâne." (Trad. Y. Le Berre)
Et ainsi de suite, une réplique entraînant la suivante, dans le grand plaisir d'épater la galerie en improvisant sa répartie. Ah, ils se donnent du plaisir. Pensez ! Depuis le temps !
Sous l'épais manteau rouge du Christ, Hervé Le Moal proteste de temps en temps : doucement quand même !
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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À coté d'eux, un garçon s'est approché avec une cruche et une cuvette.
"Qu'est-ce que tu fais là, petit ! Tu joue dans la Comparution devant Pilate, le studio à coté !"
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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La Comparution devant Pilate.
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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Au dessus du contrefort : Christ aux outrages.
La scène trouve naturellement place en surélévation de la plate-forme. Jésus, assis, les yeux bandés, les bras liés, toujours revêtu du manteau de pourpre, reçoit les moqueries et les gifles des gardes et des bourreaux.
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Je coupe la bande-son, qui n'est pas pour vos chastes oreilles.
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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LA FACE OUEST DE LA PLATE-FORME.
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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Le Diable tenant des pains. La Tentation au Désert.
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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Nouvelle Comparution.
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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La Sortie du Tombeau.
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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Jésus face aux Docteurs de la Loi.
Finalement, le réalisateur de ce Mystère est d'avant-garde, car il a découvert la technique de flashback, et il nous fait revivre une scène qui, dans une technique narrative linéaire complètement dépassée aujourd'hui, viendrait après la Circoncision. Dans l'évangile de Luc, c'est le chapitre 2.
Jésus, âgé de 12 ans, tient la dragée haute aux Docteurs de la Loi du Temple de Jérusalem. Il porte cette tunique à deux boutons que nous avons vu sur (presque) tous les protagonistes du soubassement, mais par contre l'un des docteurs est bien en phase avec les nouvelles règles qui régissent la plate-forme : des habits contemporains, plaisants, le temps confiné c'est fini ! Il porte le bonnet carré des docteurs du XVIe siècle en France (et non le bonnet conique hébraïque), et son manteau est impeccablement coupé, tout comme sa barbe. La scène se passe aujourd'hui !
Du coup, nous retrouvons ici des éléments de l'iconographie de saint Yves patron des avocats, comme le rouleau de papier dans la main et, surtout, le geste d'énonciation et d'argumentation, index sur le pouce (contact pulpo-pulpaire pollici-digital, quoi!).
Voir ici :
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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La Descente du Christ aux Limbes.
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Entre le Vendredi Saint et le jour de Pâques, le Christ descend aux Limbes où sont enfermés les âmes de tous les morts d'avant sa Résurrection, et il les libère. Traditionnellement, il ouvre une porte ou la gueule d'un Leviathan, et tend la main à Adam et Ève qui sont les premiers à y être entrés.
Ici, portant le manteau rouge et l'étendard de sa victoire sur le Mort, il accompagne deux personnages de petite taille. Dont sans doute Adam. Mais où est passée Ève ?
Dans la scène voisine, le Léviathan, ou la bouche des Enfers, attisée par des diablotins, ouvre une large gueule et, sous les cris horrifiés d'un démon, laisse échapper ses proies.
Parmi celles-ci, une femme, qu'un autre démon tente de retenir. Ce serait, pour moi, Ève.
Mais les guides aiment raconter qu'il s'agit de Katell Gollet, une servante pervertie qui avait cachée ses péchés en confession : le diable la retient ici aux Enfers. Ce qui est bien plus séduisant, mais impossible, puisque la confession n'existait pas avant Jésus-Christ...
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Voir sur ce thème des Limbes, et l'illustration des démons attisant le feu tandis que les âmes sortent:
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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LA FACE SUD DE LA PLATE-FORME.
Quatorze personnages... et un cheval.
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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C'est Marie-Jo Le Gall qui joue an Veronic. Elle prend une voix triste mais elle est toute contente de jouer ce rôle, d'autant qu'elle a peint elle-même le visage sur un drap brodé ; et c'est celui de son père, qui est mort de la peste il y a 4 ans; il avait quoi ? Même pas quarante-cinq.
— La Véronique
"Hélas ! c'est bien Jésus que je vois Passant par cette rue ; On le conduit au terrible supplice (dan maru garu du : "à la rude mort noire"). L'angoisse le fait transpirer ; Je vais aller tout de suite essuyer . Délicatement et affectueusement, si je puis arriver jusqu'à lui."
Marie-Jo respire un grand coup, lève le linge qui se déroule, et lève les yeux aux Cieux comme une vraie tragédienne.
E facc diuin ha luminer
Dam maestr crist mab doe ma croer
Seder gant an couricher man.
Ach iesu glan croet an bet
Seul a anquen hac a penet
A gouzafuer oar an bet man.
"La face divine et rayonnante, De mon maître, le Christ, le fils de Dieu, mon créateur, Avec ce linge, respectueusement, Ô Jésus saint, créateur de l'univers,Que de peines et de tourments Vous aurez subis ici-bas !"
C'est beau ! Dans le public, son amie Marité Merdy essuie ses larmes dans son tablier.
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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Juste après elle, ceux qui jouent Jean et Marie font leur entrée. Jean soutient la Vierge. Ils gardent les yeux baissés.
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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Sur cette photo, je vois clairement trois larmes couler des yeux des trois personnages. Or, le sculpteur, notre Maître de Plougastel, n'a pu apprendre cela que chez Bastien Prigent, dont c'est l'une des caractéristiques stylistiques majeures. C'est pour moi la preuve qu'avant d'être Maître, il a été apprenti à Landerneau chez les Prigent.
Nous retrouverons ces larmes ailleurs.
Un autre caractéristique des Prigent, c'est le voile "en coque", dont la toile raide fait des plis en pince. Comme ici.
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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Le Portement de Croix.
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Tous les jeunes voulaient y participer. On a pris les plus beaux (pour leurs moustaches) et les riches ( pour leur garde-robe aux chausses à crevés comme à Quimper). Ils ont conservé leurs chapeaux ronds.
Deux veneurs encadrent la procession, avec leur épieu et leur trompe : un à l'avant, l'autre à l'arrière.
Un costaud a été requis pour aider discrètement le Christ à porter la croix ; c'est Jehan Guergoz, dit Monot : le forgeron. Car il faut de la force pour soulever la croix toute en chêne. Il porte un costume de centurion romain. Et celui qui fait le Simon de Cyrène, c'est Guillaume Calvé, de Sainte-Christine, le fossoyeur. Qui a eu beaucoup de travail avec cette épidémie.
Broustail, le maître-maçon, est en train de faire l'andouille en prenant la pose, armé de son fouet, avec ses camarades, devant le public qui l'acclame. Sa réplique "au naturel", qui lui vaut ce succès, explique la position de sa jambe :
—Dalet a treux an quil bilen
Da crisquif certen hoz penet
Querzet .
"Prends ça dans les cul, maraud, ça te fera encore plus mal ! Avance !" (trad. Y. Le Berre)
Et son collègue surenchérit :
— Sus sus hastet na fellet tro. "Allez, allez, dépêche-toi, ne traîne pas !"
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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En tête, le cortège est mené à la baguette par un tambour (c'est bien-sûr le garde-champêtre) et par un cavalier. Ce dernier, coiffé du bonnet conique et drapé d'un manteau d'officier, est peut-être un réemploi du Centenier, car il lève la tête vers le sommet de la croix et tend le doigt comme celui qui s'écrie "Cet homme était vraiment le Fils de Dieu".
Observez la minutie des détails vestimentaires. C'en est bien fini de la grise uniformité de la frise du soubassement et de la dissolution identitaire qu'elle signifiait. Chaque costume est différent, et haut en couleurs. Ici les crevés, là les rangées de boutons, là les chapeaux ronds et là les bonnets plats ou les casques.
La vie est revenue !
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Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
Calvaire monumental (kersantite, 1602-1604, Maître de Plougastel), Plougastel. Photographie lavieb-aile.
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Conclusion.
Qu'en pensez-vous ? N'assistons-nous pas, sur la plate-forme, à un spectacle qui a perdu, dans un joyeux désordre narratif, toute sévérité sacrée, et dont les acteurs, loin de s'absorber dans le chagrin de la Passion, se préoccupent plutôt de se montrer au public dans une pose avantageuse ?
Ne dirait-on pas que le sculpteur a abandonné son registre de lugubres fantômes assoupis (plutôt commémoratif de l'épidémie) pour prendre comme modèle chacune des personnalités d'un village soucieux de retrouver sa fierté, son "orgueil" breton ?
Et peut-on placer sous le signe du baroque, de la théâtralisation spéculaire des existences, cette érection d'un monument qui reste encore aujourd'hui l'emblème d'une "résilience" effrontée après une série de catastrophes déstructurantes ?
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SOURCES ET LIENS.
Cf article Ier.
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—LE BERRE (Yves), 2011, La Passion et la Résurrection bretonnes de 1530, texte établis et traduits du breton par Yves le Berre d'après l'édition d'Eozen Quillivéré. centre de Recherche Bretonne et Celtique Brest.