L'église de Locronan : la statue ( calcaire polychrome, XVIe siècle) de Notre-Dame de la Délivrance.
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— Voir sur Locronan :
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La maîtresse-vitre de la Passion (1476-1479) de l'église Saint-Ronan de Locronan.
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La baie 0 (début XVIe siècle) de la chapelle du Pénity à Locronan. Sainte Catherine et saint Paul.
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Le Noli me tangere et le Repas d'Emmaüs du Pénity de Locronan.
Les chapelles :
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Les vitraux de Manessier, chapelle N-D de Bonne-Nouvelle à Locronan
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Les vitraux de Jean Bazaine, chapelle de Ty ar Zonj à Locronan.
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Vierges allaitantes IX : Chapelle de Bonne-Nouvelle à Locronan.
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Voir les œuvres en tuffeau de ce blog :
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Le cénotaphe de Thomas James dans l'ancienne cathédrale de Dol par Jean et Antoine Juste en 1507.
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Le retable de la chapelle Notre-Dame de La Houssaye à Pontivy (56).
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L'abbaye du Relec à Plounéour-Ménez : la statue de Notre-Dame du Relec.
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PRÉSENTATION.
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Au cinquième pilier sud de l'église de Locronan se cache dans la pénombre relative une statue remarquable, celles de Notre-Dame de la Délivrance. Cette dénomination était réservée aux Vierges invoquées pour l'élargissement des captifs, mais surtout pour l'aboutissement d'une grossesse.
Henri Waquet écrivait en 1919 « Le mobilier de l'église principale ne comporte aucune œuvre d'art d'une valeur exceptionnelle. » C'était mettre la barre à une hauteur peu accessible. Les chanoines Abgrall et Pérennès, à l'œil pourtant très averti, ne la mentionnent pas en 1925.
Il est rare qu'un touriste franchisse les obstacles visant à le décourager de se détourner ainsi de la pratique du culte, tels que les rangs de chaise, l'absence d'éclairage dédiée ou d' une signalétique appropriée voire, ne rêvons pas, d'un cartel didactique. Et en 1997, l'abbé Castel, qui le premier se préoccupa de l'étudier, remarqua vite que les visiteurs de l'été ne s'approchait qu'intrigués par le spectacle d'un prêtre jugé sur une échelle.
Car il faudrait bien un escabeau pour déchiffrer le très riche matériel épigraphique et héraldique qu'offre cette statue.
Que fait ici cette statue ? Comment se fait-il que son blason épiscopal soit resté inattribué (alors que les armoiries des évêques de Cornouailles ou des abbés du diocèse sont bien connus) ? Comment ne pas errer en des recherches inutiles. Donnons ici une information capitale.
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Un don et une installation datant de 1909.
Ce serait (Debidour in Dilasser p. 577) un don de madame Lemonnier vers 1909.
Madame Marie-Louise Lemonnier, (Rennes, 1840-Nantes 1924) fille de l'avoué et sculpteur rennais René Toulmouche, avait épousé en 1885 Mr Paul-Hippolyte Lemonnier (1836-1894), ingénieur des mines :
Puis, au décès de son mari, elle se rendit "par hasard" de Nantes où elle demeurait à Guengat puis à Locronan, où, sous l'influence d'une injonction soudaine, elle fit en 1903 un don de 10000 F pour la restauration de l'église (le conseil municipal versant 1000 frs, la fabrique 1000 frs et le recteur 1000frs), créa coup sur coup l'école des filles "Sainte-Anne" (1912), l'école des garçons, une maison pour les maîtres, un théâtre à la demande de Guillaume Hémon, puis, ayant peut-être épuisé les possibilités locales, fit construire une station de sauvetage en mer à Primelin (d'où son Canot "Paul Lemonnier"), une digue à Loctudy, une école de pêche et de navigation à Groix, un orphelinat de la marine à Pornic, un laboratoire de chimie à l'école de médecine de Nantes avant de léguer des œuvres d'art aux musées de Quimper et de Rennes.
*René Toulmouche, avoué près la Cour Royale de Rennes, sculpteur, membre de la Société d'Archéologie, ami de Souvestre.
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DESCRIPTION.
Cette statue en petite nature en calcaire monolithique polychrome mesure 98 cm de haut, 34 cm de large et 18 cm de profondeur. Elle été restaurée et repeinte par les Monuments historiques au XXe siècle mais n'est pas classée. Elle daterait du quatrième quart du XVe siècle et proviendrait du Maine-et-Loire.
La Vierge est couronnée (bandeau réticulé, fleurons brisés); ses cheveux bruns tombent librement derrière ses épaules. on retient de son visage un peu épais ou carré le regard pensif qui ne fixe pas l'enfant, le nez droit et long, la bouche très fine et petite et le menton pointu ; le front et les sourcils sont épilés.
Elle est vêtue d'un lourd manteau bleu proche de la chape, fermé par un mors à deux agrafes. Sous ce manteau, la robe verte est tenue par deux larges bretelles dessinant un décolleté carré. Les manches blanches, visibles aux poignets, ne sont pas très larges. Sous la taille, la robe est blanc écru, et ses plis cassés recouvrent partiellement le sol. Des fleurs de lys ont été peintes (postérieurement ?), en or sur la robe et en noir sur le manteau.
Les chaussures noires sont à bouts ronds.
L'Enfant est nu, recouvert partiellement par le manteau maternel, son visage rappelle celui de sa mère. Il tend une banderole. Un soleil noir radiant est peint sur sa poitrine.
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Notre Dame de la Délivrance, calcaire polychrome, fin XVe siècle, église de Locronan. Photographie lavieb-aile.
Notre Dame de la Délivrance, calcaire polychrome, fin XVe siècle, église de Locronan. Photographie lavieb-aile.
Notre Dame de la Délivrance, calcaire polychrome, fin XVe siècle, église de Locronan. Photographie lavieb-aile.
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LE CORPUS DES SEPT INSCRIPTIONS.
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La statue offre à l'amateur non seulement l'inscription de son socle, la désignant, mais aussi sur les galons, l'étole de l'Enfant et autres supports six inscriptions religieuses.
Elles sont toutes gravées en relief et emploient des lettres perlées. Y.-P. Castel parle de « lettres fleuronnées » et « qui, sans éliminer le gothique, a été introduit dès le début du XVIe siècle » et il renvoie à l'inscription de 1536 de l'église de Rumengol au Faou ; mais nous pourrions citer celle de la sacristie de 1544 de l'église du Faou, celle de Saint-Nic en 1561.
- http://www.lavieb-aile.com/2016/11/les-dix-inscriptions-lapidaires-de-l-eglise-saint-sauveur-du-faou-29.html
- http://www.lavieb-aile.com/2018/06/l-eglise-saint-nicaise-a-saint-nic-inscriptions-lapidaires-de-datations-et-nominatives.html
L'inscription de fondation de l'hôpital Saint-Julien de Landerneau (1521).
L'inscription de fondation du pont de Landerneau en 1510 :
On les placera aussi en parallèle avec d'autres exemples épigraphiques de Basse-Bretagne, souvent lors de fondation d' édifices religieux :
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Les inscriptions lapidaires de l'église saint-Sauveur du Faou (29). (1544-1680)
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Eglise Saint-Thurien à Plogonnec: N rétrograde et mentions de construction.
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Visite de la chapelle de Rocamadour et de l'église Saint-Rémy à Camaret. Petite étude des inscriptions lapidaires des églises de Camaret sur Mer : tildes et N rétrograde (Inscription de fondation de 1527 ; 1610-1683)
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Le retable de la Déploration (1517) de l'église de Pencran (29). (inscription de 1517)
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La chapelle Saint-Trémeur à Plougastel. Inscription de fondation 1581
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La baie n° 1 de l'église de Brennilis. Inscription de fondation 1485.
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Les crossettes et l'inscription gothique de l'église de Pont-Christ à La Roche-Maurice. (1533)
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L'inscription du socle.
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NTE NOSTRE DAME DE LA DELIVR[ANCE].
Les trois lettres NTE ne reçoivent pas d'explication. Il ne semble pas qu'elles soient la fin d'un mot (entente, etc).
Le socle est manifestement brisé sur son coté droit, amputant la finale de DELIVRANCE, mais la tranche a été repeinte à l'or.
Les lettres sont perlées sur ls fûts droits (N ; T ; M ; R ), elles sont dotées de larges empattements (T, S, A ;E) lorsque les fûts ne sont pas empattés et bifides. Le A est doté d'une traverse supérieure. Le D est une onciale. La diagonale du N est courbe. Il n'y a ni signe de ponctuation, ni élision, ni signe abréviatif.
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Notre Dame de la Délivrance, calcaire polychrome, fin XVe siècle, église de Locronan. Photographie lavieb-aile.
Notre Dame de la Délivrance, calcaire polychrome, fin XVe siècle, église de Locronan. Photographie lavieb-aile.
Notre Dame de la Délivrance, calcaire polychrome, fin XVe siècle, église de Locronan. Photographie lavieb-aile.
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L' inscription de la banderole.
L'Enfant-Jésus tient une banderole portant l'inscription EGO SVM ALPHA ET O[MEGA], « Je suis l'Alpha et l'Oméga. Cette citation de l'Apocalypse désigne le Christ comme début et fin de toute chose.
Le H de ALPHA est incomplet, lié vers le A.
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Notre Dame de la Délivrance, calcaire polychrome, fin XVe siècle, église de Locronan. Photographie lavieb-aile.
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L'inscription du mors de chape.
Elle est également facile à lire : MATER DEI. Elle se poursuit sur la bordure repliée à droite du manteau MEMENTO MEI , « Mère de Dieu, souviens-toi de moi ».
Je l'ai étudié ici :
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Notre Dame de la Délivrance, calcaire polychrome, fin XVe siècle, église de Locronan. Photographie lavieb-aile.
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L'inscription du galon du manteau.
Elle commence à l'arrière de l'Enfant sur l'ourlet du manteau de la Vierge MARIA, se continue sur la bordure de la chape retenue par la main de Marie : DEI ORA PRO NOIS. Soit MARIA [MATER] DEI ORA PRO NOBIS, « Marie mère de Dieu priez pour nous »
L'inscription des replis du liseré inférieur gauche du manteau se perd dans un feston : AVE [A]NCILLA TRINI[TATIS], « Salut, servante de la Trinité ». Deux lettres, peintes et non sculptées en partie cachées sous le blason, ne sont pas compréhensibles.
Inscription du galon de droite.
MA[TER] DEI « Mère de Dieu » et CELI REG[INA], « Reine des cieux ».
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Notre Dame de la Délivrance, calcaire polychrome, fin XVe siècle, église de Locronan. Photographie lavieb-aile.
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Le blason.
Son titulaire n'a pas été identifié. Il n'est pas à rechercher dans les armoriaux bretons si la provenance est exogène.
La crosse en pal indique un évêque, un abbé ou une abbesse. L'écartelé en 1 et 4 de sinople plein et en 2 et 3 fascé d'or et d'azur de six pièces est traversé par une bande de gueules à trois merlettes d'or brochant sur le tout. Si la statue a été repeinte après effacement des couleurs, les émaux du blasonnement sont peut-être une source d'égarement.
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Notre Dame de la Délivrance, calcaire polychrome, fin XVe siècle, église de Locronan. Photographie lavieb-aile.
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La broche de l'épaule gauche de la Vierge sous l'agrafe du fermail.
Elle forme un monogramme à deux lettres superposées C (ou G ) et I (ou L, T) qui pourraient renvoyer aux initiales du donateur.
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Notre Dame de la Délivrance, calcaire polychrome, fin XVe siècle, église de Locronan. Photographie lavieb-aile.
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SOURCES ET LIENS.
— ABGRALL (Jean-Marie), PÉRÉNNES (Henri), 1925, Notice sur Locronan. Bull. dioc. Archit. Archéol. Quimper, pages 131-143.
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/4a4d765983806659ef1eeb10debc7f76.pdf
— CASTEL (Yves-Pascal), 1997, Locronan, statue de Notre Dame de la Délivrance, article pour le Progrès ou Courrier du Léon du 11 octobre 1997.
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/4bd11cf3b114f13d9b7e05c3f7fe3118.jpg
— BOCCARD (Michèle), 2009, "Locronan, église Saint-Ronan", Congrès Archéologique de France, 165ème session (Finistère, 2007), Paris, Société Française d'archéologie pages 185-189.
https://www.academia.edu/26540787/_Locronan_%C3%A9glise_Saint-Ronan_Congr%C3%A8s_Arch%C3%A9ologique_de_France_165%C3%A8me_session_Finist%C3%A8re_2007_Paris_SFA_2009_p._185-189
— COUFFON (René), LE BRAS (Alfred), 1988, Répertoire des églises : paroisse de LOCRONAN, Collections numérisées – Diocèse de Quimper et Léon
http://diocese-quimper.fr/bibliotheque/files/original/55a0099976c148cb034b4323cf0497e5.pdf
— DEBIDOUR (V.H), 1953, La sculpture bretonne, Plihon, Rennes.
— DILASSER (Maurice), 1979, M. Dilasser : Un pays de Cornouaille, Locronan et sa région (Paris, 1979) ;
— DILASSER (Maurice), 1981,Locronan (Rennes, 1981)
— LE SEAC'H (Emmanuelle), 2014, Sculpteurs sur pierre en Basse-Bretagne, les ateliers du XVe au XVIIe siècle, 1 vol. (407 p.) - 1 disque optique numérique (CD-ROM) : ill. en coul. ; 29 cm ; coul. ; 12 cm; Note : Index. - Notes bibliogr., bibliogr. p. 373-395. Rennes : Presses universitaires de Rennes , 2014. Éditeur scientifique : Jean-Yves Éveillard, Dominique Le Page, François Roudaut.
— WAQUET (Henri), 1919, "Locronan", Congrès archéologique Brest-Vannes, p. 554-576.
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k35688p/f675.image
— WAQUET (Henri), Locronan ; Images de Bretagne, ed. Jos le Doaré
http://bibliotheque.idbe-bzh.org/data/cle_148/Locronan__.pdf