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3 novembre 2011 4 03 /11 /novembre /2011 20:22


        Petite épigraphie lapidaire des églises et chapelles du Finistère ;

Où on recherche les tituli, les N rétrogrades et toute curiosité amusante.

                  II : L'Église Saint-Audoën à Rosnoën.


   La commune de Rosnoën domine l'estuaire de l'Aulne, au sud, et la rivière du Faou au nord. On peut l'intégrer fonctionnellement à la Rade de Brest, notamment par son acces maritime aux carriéres de microgranite de Kersanton et à celles de pierre de Logonna. 

  Son nom vient du breton Roz, "colline", et Lohen, nom de saint.

L' église doit son nom à Saint Ouen, dont Audoën est une forme rare. Elle date du VXI-XVIIè siècle et fut restaurée au XIXème. Elle marie superbement la pierre blonde de Logonna avec le gis sombre de Kersanton, répondant ainsi à travers la Rade aux chapelles et églises de Rocamadour à Camaret  de Saint-Sauveur au Faou et de Saint-Sébastien à Saint-Ségal.

I. Inscriptions lapidaires.

1°) La pierre de construction 1562

L'inscription la plus évidente est celle qui se présente dés que l'on arrive par l'entrée Ouest:


rosnoen 3011cc

  

  On y lit en belle écriture gothique : "lan 1562 le 31 de may fut fu(n)de f Tanguy fabricq(ue)".

   Les éléments remarquables sont:

- la pierre, microgranite de Kersanton. Le manoir des Salles à Rosnoën possédait au XVIIe siècle une carrière de kersantite ; la pierre arrivait à bord de navires qui accostait à une cale en contre-bas de l'église.

- l'utilisation de l'écriture gothique. Celle-ci est déjà supplantée en France dans l'imprimerie par l'écriture "humaniste" après les travaux de Geoffroy Tory (1530) et surtout par les créations de Claude Garamond qui grave en 1540 les "grecs du roi", caractères en cursive grecque, rejoignant les caractères d'Aldo Manuce à Venise en 1501 (caractères italiques) 

- le titulus ou tilde sur le u de "fu(n)de" pour mentionner l'omission du "n".

- le "e" suscrit à la fin de "fabricq(ue) en forme d'abréviation de "ue".

- l'orthographe de "fabricque". Selon le Trésor de la Langue Française, le mot apparaît dans notre langue en 1364 pour qualifier le travail du forgeron, puis en 1386-87 avec le sens utilisé dans cette inscription de " conseil chargé d'administrer les fonds et les revenus affectés à l'entretien, à la construction d'une église". Les membres de ce conseil se nomment "fabriciens", mais aussi "fabriques". Je retrouve l'orthographe "fabricque" en 1493 dans le Testament de Pierre Plume à Chartres ( L.FR ROUX, 1860, Second fragment...), dans une ordonnance de Charles VIII de 1495, et dans divers documents : l'usage en semble répandu.

- l'orthographe de "may" : Si l'orthographe "mai" est attestée en 1100 dans la Chanson de Roland (ço est en mai, al premer jur d'ested), la forme may est signalée en 1532 dans la Chronique de Bretagne dans l'expression "planter le may". Les Amours de Ronsard sont datées du 24 May 1553.

- l'élément qui n'est pas le moins remarquable est la beauté sobre, claire, parfaitement lisible de l'écriture gothique, dont les fûts droits  aux empattements modestes sont animés par la souplesse des lettres y, f, d, g, et par le brio de la seule majuscule du texte, le T de Tanguy.

2°) Le vantail de la porte Ouest.


rosnoen 3014c

Je déchiffre : H: HOI SIL & I: GEFF LES FABRIQUE LAN 1700.

  Les éléments remarquables me semblent être :

- la belle durée de conservation d'un élément de menuiserie.

- l'écriture en lettres romaines. 

- l'esperluette ou signe & , jadis la 27è lettre de notre alphabet, qui résulte de la ligature des lettres de la conjonction de coordination "et" et en possède la signification. La perluette, esperluète, fut très utilisée par les moines copistes médiévaux.

- le sens abscons (pour moi) des premiers termes : faut-il lire H.Hoisil comme un patronyme, ou bien H:HO signifie-t-il Honnête Homme, selon un usage répandu?

- le mot FABRIQUE ne possède pas un "R" bien identifiable, et la lettre Q et réalisée comme un P rétrograde. Ce dernier point est néanmoins très souvent rencontré.

- Et, bien-sûr, le N rétrograde que je m'amuse à dénicher et qui m'attendait ici sur ce vantail.

Voir : Visite de Camaret et de ses inscriptions lapidaires ; tildes et N rétrograde .

3°) Le contrefort sud-est de l'abside 

 

rosnoen 3037c

  C'est l'abbé J.M. Abgrall (1846-1926), l'historien du patrimoine religieux du Finistère, qui en déchiffra le texte (Inscriptions gravées et sculptées sur les églises et monuments du Finistère, Bull. Soc. Arch. Finis. 1916, 3-47) : 

Y. Quelfellec . fab. Ce pingnon fut parachevé lan mil cix cent quatre, le 8 juillet.

 J'aurai l'impudence de corriger l'honorable chanoine pour lire 

 y queffuelec fab Le pingnon fut (? "parachevé" ne me semble pas confirmé)  lan m : cix cent quatre le 8è le juillet.

La pierre est en kersantite ; l'écriture gothique est moins lisible que sur l'inscription de 1562 mais les caractères sont arrondis et sans empattements. 

4°) Pierre tombale de l'intérieur de l'église : 

rosnoen 3018c

 

Bien-sûr, c'est l'esperluette que j'admire en premier ; et puis les "deux-points". Je note l'omission de "er" dans le nom Kerléan.

  Cette dalle ,  avec une deuxième dont l'inscription n'est pas lisible mais qui lui est intriquée, sont celles de Marie de Kerlean dame du Parc et Coetnes  et de Gabriel le Veyer, et cet ensemble funéraire en kersantite (?) fut réalisé pour les propriétaires de la Seigneurie du Parc à Rosnoën ; elles sont datées de 1724 et de 1725 et portent les blasons Coetnes et le Veyer (Le Veyer "porte d'or à trois Merlettes de sable").

  Gabriel le Veyer est dit "Seigneur du Parc, de Coëténez et du Ster", époux de Marie-Perronelle de Kerléan.

  La famille du Parc de Rosnoën est de la lignée de Maurice du Parc, l'un des champions du Combat des Trente au chêne de la Lande de Mi-Voix en 1351. Elle arme "d'azur au léopard d'or, au lambel de gueules", reprenant les armes des vicomtes du Faou, brisées d'un lambel.

Le gisant d' Yves le Bervet du Parc (1579-1641), sculpté par Roland Doré lui-même  pour la chapelle Saint-Eutrope en Plougonven est visible au Musée Départemental de Quimper ; mais est-ce la même famille ?:

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  En 1830, le Manoir du Parc était habité par les frères de Pompéry, Théophile, Henri (maire de Rosnoën) et Edouard, qui apportèrent aux Bas-bretons les lumières du Progrès en matière agricole par l'utilisation des engrais marins et l'assolement quadriennal : c'est en leur honneur qu'une statue aux seins généreux, allégorie de l'Agriculture, trône au centre de la Place principale du Faou. Elle a été sculptée par Mathurin Moreau, et inaugurée lors du comice agicole du 16 septembre 1884 :

le-faou 4367c

le-faou 4366c

 

Le socle de la statue est en granit de l'Aber Ildut dont on reconnaît les orthoses roses et les "crapauds" sombres : 

le-faou 4363c

  Tout porterait à croire que Gustave Flaubert s'est servi de ces trois frères comme modèle pour le pharmacien Homais, "correspondant du Fanal de Rouen", membre "de la société agronomique de Rouen, section d'agriculture, classe de pomologie" et spectateur admiratif des Comices Agricoles dans Madame Bovary, personnage qui, s'il n'eut pas eu de frère fortuné pour faire dresser une statue en son honneur sur la Grand-Place d'Yonville, reçut la croix d'honneur. N'apprenons-nous pas par Wikipédia que Théophile de Pompery collabora à un journal républicain, le Phare de la Loire, qu'il devint conseiller général du Faou et président du Comice agricole? Ne lisons-nous pas sous la plume du comte de Gourcy que "MM de Pompery sont parvenus à transformer les pauvres fermiers Bas-bretons en excellents cultivateurs, ayant adopté un assolement alterné", qu'ils sont parvenus à réunir au Comice du Faou jusqu'à soixante juments, qu'ils prodiguent à ces braves gens des leçons d'agriculture en breton, "saisissant toutes les occasions pour instruire ces bons bretons" avec le même zéle, les mêmes convictions que Homais pour chasser les mendiants de sa commune et redresser les pieds-bots,pardon, les "strephopodes". 


 5)° Pierres de construction, placées à l'intérieur de l'église, mur Ouest.


 .rosnoen 3025c

rosnoen 3022c

  

Je déchiffre : M.I.BOULART RECTr / 1674

                   V:& D : MIre F ;LUGVERN Rr ; MIres I. BAUGUION I; CREVEN ; CURES

ce qui se traduit simplement par Messire I. Boulart, recteur, 1674.

  Les lettres V&D en début de la deuxiéme inscription m'aurait dérouté si je ne les avais pas rencontré sur la chaire à précher de Locronan (voir cet article), avec le sens VEN. ET DISC., et si je n'avais pas reconnu dans cette abréviation la formule courante "vénérable et discret" qui précède couramment la mention de noms des membres du clergé, curés, vicaires ou recteurs. Nous lisons donc Vénérable et discret Messire F. Luguern, Recteur : Messires I. Bauguion  I. Creven, curés.

  Le forum Les généalogistes du Finistère mentionnent dans l'ascendance de Marie Guermeur son oncle François Luguern, né le 19-12-1662 à Rosnoën de Tanguy Luguern et Marie Mallegol, recteur à Rosnoën et décédé le 16-04-1732. Notons que ses parrain et marraine étaient François et Catherine Le Veyer, patronyme que nous venons de rencontrer comme Seigneurs du Parc.

Le même fil de discussion mentionne Jean Creven, prêtre à Rosnoën puis recteur à Sizun, fils de Françoise Mallegol et Charles Creven (mariées en 1630).

 Un Bulletin diocésain d'histoire de 1907 mentionne "Jan Bauguion curé de Rosnoên 1685-1717".


 5°) Le titulus du rétable 

           rosnoen 3028c  

Le retable architecturé du maître-autel date de 1713 ; il serait l'oeuvre du menuisier et sculpteur Pierre Costiou, du Faou. Sous le regard et la bénédiction de Dieu le Père, assisté de son fidèle Saint-Esprit, deux niches latèrales reçoivent les sattues de Saint Audoën et d'un apôtre. La niche sud est surmontée de l'inscription Mãr, le titulus valant sans-doute abréviation pour Maria.

II. Autres curiosités. 

1°) Statue de Saint Roch.

rosnoen 3017c

Statue de bois recouvert de peinture polychrome et doré, du XVIIè, représentant Saint Roch, bourdon à la main, bourse à la ceinture, montrant le bubon de peste de sa cuisse droite tandis qu'un chien lui apporte dans sa gueule un pain. 

   C'est l'iconographie traditionnelle de ce saint qui aurait vécu de 1340 à 1379 , ce Roch de Montpellier dont l'hagiographie raconte qu'après avoir distribué ses biens aux pauvres, il partit en pélerinage à Rome et soigna, grace aux connaissances acquises à la célèbre École de médecine de Montpellier et à l'usage de la lancette (bistouri), les "bubons" ou ganglions infectés de la peste bubonique. Rappellons que la Peste Noire a sévit en Europe de 1347 à 1352 en frappant trois à cinq personnes sur dix.

  Le bon Saint Roch finit par attraper la maladie, et se retira dans une forêt pour ne contaminer personne, secouru par un chien miraculeux qui dérobait pour lui un morceau de pain à la table de son maître : on le nomma Roquet, ou Saint Roquet, et c'est l'origine de notre "roquet".

  Le culte de Saint Roch est extrémement répandu dans le monde entier : patron des pélerins, des chirurgiens, des apothicaires, des tailleurs de pierre et de nombreuses confréries ou corporations, il fut invoqué contre toutes les épidémies, qu'elles frappent l'homme comme le bétail, ou la vigne. 

  La peste a atteint la Bretagne, où elle fut signalée à Quimper en 1348, 1412, 1480, 1533, 1564 et 1565, 1586, 1594 et 1595, 1636,1757 et 1758, mais aussi à Plougastel-daoulas en 1598 et à Pluescat et Cleder en 1627 et 1628 (source : Wikipédia): c'est dire que la protection de Saint Roch pouvait être sollicitée en Finistère au XVIe et XVIIe siècles.

  

2°) Statue de Saint Audoën

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3°) statue géminée de Roland Doré :

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   Elle provient du calvaire de Rosnoën démantelé en 1895 et a été sculptée par le maître sculpteur de Landerneau Roland Doré en 1644 ; elle est actuellement placé à l'est du chevet de l'église où elle encadre, avec une pieta et une autre statue, le monument aux morts. Elle est en kersantite, et représente une sainte femme et un saint évêque bénissant. J'admire le drapé de la sainte, et le témoignage qu'il apporte sur le vêtement du XVIIe.

4°) les gargouilles coté est.

 

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5°) Le Porche sud : Saint Yves ?

 

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  Au sommet du pignon se trouve cette tête d'un homme moustachu, coiffée d'un bonnet.

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   Rien n'indique qui est ici représenté, mais je propose d'y reconnaître Saint Yves en rapprochant ces traits d'autres représentations du saint : 

Ainsi à Guimiliau on trouve une statue en pierre du saint moustachu, également coiffé du bonnet carré et tenant à la main une bourse:

DSCN0378c

A l'interieur de l'église de Guimiliau la statue de bois le montre en robe d'avocat sur la soutane, tenant en main des rôles de proces et de l'autre la barrette, comme surpris en pleine plaidoirie: et là encore, la lèvre supérieure s'orne d'une moustache qui semble, avec la bourse, la barrette, la sacoche et la robe d'avocat, appartenir à la liste des attributs du saint.

DSCN0406c

 

6°) Porche sud :La statue de Saint Rosnoën :

c'est un monolithe de pierre de kersanton qui, selon l'inventaire général du patrimoine culturel a été sculptée en milieu du 16e siécle par Bastien et Henri Prigent, auteurs de plusieurs calvaires.

rosnoen 3101

7°)  Le cadran solaire du clocher :

Ce cadran d'ardoise est en mauvais état et la partie supérieure du motif gravé est partiellement effacée. J'y discerne pourtant une date (16..) et le dessin dédoublé d'un animal dressé dont les pattes antérieures maintiennent un cadre.

 

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  Ce cadran ressemble à d'autres, qui sont beaucoup mieux conservés et qui aident à interpréter le motif de Rosnoën:

Cadran solaire du clocher d'Irvillac :

irvillac 3217c

Cadran solaire de Landerneau :


landerneau 3233

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Published by jean-yves cordier

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  • : Le blog de jean-yves cordier
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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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