Petite épigraphie des chapelles et églises du Finistère:
Église Saint-Thurien à Plogonnec, I :
Un N rétrograde,
des mentions de construction,
et d'autres gourmandises.
Mise à jour 1er mars 2021.
Fabrice dans le clocher de Grianta :"Tous les souvenirs de son enfance vinrent en foule assiéger sa pensée ; Et cette journée passée en prison dans un clocher fut peut-être la plus heureuse de sa vie"
Stendhal, La Chartreuse de Parme.
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Voir sur Plogonnec :
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Eglise Saint-Thurien à Plogonnec: N rétrograde et mentions de construction.
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1500 : Les vitraux de Plogonnec IV : Vitrail de la Résurrection.
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1520 : Le vitrail de la Passion (Maîtresse-vitre, vers 1520) de l'église Saint-Thurien de Plogonnec (29).
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Vierges allaitantes X : La chapelle St-Denis de Seznec à Plogonnec.
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L'Église Saint Thurien à Plogonnec (entre Quimper, Locronan et Douarnenez) n'est pas avare en inscriptions lapidaires, et de zélés épigraphes, comme le chanoine Jean-Marie Abgrall (1846-1926), fondateur du Bulletin diocésain d'histoire et d'archéologie BDAH ou le chanoine Henri Pérennès, qui fut vice-président de la Société Archéologique du Finistère SAF, y relevèrent respectivement 9 et 13 inscriptions ( J.M Abgrall, Inscriptions gravées sur les églises et monuments du Finistère, BSAF T.43 :74-75, 1916) ( H. Pérennès, Notices sur les paroisses du diocèse de Quimper et de Léon, BDHA 1940 pp 130-171).
C'est dire s'ils ont déjà réalisé tout le travail, et qu'il suffit au promeneur de lever les yeux pour découvrir l'inscription, puis de se reporter à leurs publications.
Mais ce qu'ils n'ont pu faire, c'est rendre par leurs traductions les particularités de l'épigraphie : la forme des lettres, les abréviations, le caractère archaïque du graphisme, en un mot, tout le "grain" et la chair de ces inscriptions ; et c'est le privilège du photographe amateur de compléter humblement leur oeuvre.
Commençons par un N rétrograde : depuis que je me suis mis à leur recherche après en avoir découvert mes premiers exemples à Camaret, j'en ai trouvé de très nombreux exemples sur les murs des chapelles, sans comprendre la raison de leur présence aléatoire, ou plutôt en comprenant que ce particularisme n'a pas de raison ; qu'il ne correspond pas à un usage délibéré et signifiant ; mais qu'il accompagne sans-doute le début de la diffusion de l'imprimerie et de l'écriture du français en caractères romains, lorsque les lettrés avaient reçu une formation en latin, et que les artisans ne baignaient pas, comme nous, dans un environnement de l'écriture et des lettres, mais se formaient par transmission orale.
Parmi les lettres de l'alphabet, certaines lettres (majuscules) ne varient pas en les écrivant de droite à gauche : les A, H, I, M, O, T, U, V, W, X.
D'autres possèdent une forme qui permet à un artisan mal assuré de retrouver dans quel sens il doit les écrire en utilisant son bon sens : en orientant leur partie ronde ou leur partie ouverte dans le sens de l'écriture, vers la droite. C'est le cas du B, C, D, E, F, G, K, P, R.
Il reste les lettres J, N, Q, S, Y, Z. La lettre Q est fréquemment inversée en épigraphie médiévale et du XV-XVIème siècle, notamment le lettre "q" en minuscule comme un "p" rétrograde. Les inversions de S, de N, et de Z sont également fréquentes ; quand au J, il est souvent transcrit par un I.
Ce raisonnement me conduit à penser que ces lettres rétrogrades ne correspondent qu'à une difficulté d'apprentissage de l'écriture dans les "nouveaux" caractères d'imprimerie dits "humanistes" créés par Garamont et Manuce, les "garaldes" au milieu du XVIème siècle, pendant la période de transition entre anciens caractères gothiques manuscrits ou des incunables et "nouvelle écriture". Une étude plus systématique de la chronologie de cette inversion des lettres serait nécessaire, mais la grande majorité des travaux d'épigraphie corrigent l'inversion sans la signaler, comme ils "corrigent" le V en U.
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L'inscription se trouve sur un cartouche de la façade du clocher, au dessus du porche ouest et de la statue de Saint Thurien (ou Thuriau):
Jean-Marie Abgrall la cite ainsi : M. YVES : CVZON . F . DE . KEIACOB .
Henri Pérennès la donne comme : M . YVES : CVZON . F . DE . KERIACOB.
On voit que sans données photographiques, on ne peut se fier aveuglément aux épigraphistes chevronnés, en matière de ponctuation ou d'exactitude littérale, puisque le deux points n'est pas correctement placé, que le nom KIACOB est corrigé et complété au lieu d'être transcrit littéralement, puis interprété.
Je lis : M : YVES : CVZON : P. DE : KIACOB (avec le N de CVZON rétrograde)
Je traduis : Messire YVES CUZON P. DE KERJACOB.
L'inscription est faite de lettres capitales sans empattement, épaisses, régulières, harmonieuses, la ponctuation se fait par des points ronds, le support est une pierre de grain fin (granit ?) taillée en en une croix rectangulaire dont la forme est soulignée par un encadrement épais. L'ensemble est élégant.
Grâce aux généalogistes (notamment le forum Généalogistes du Finistère), nous pouvons retrouver un Yves Cuzon, né ca 1585, époux de Jeanne Provost (déces 1654) et père de Catherine Cuzon (1617-1672), décédée à Kerjacob, Plogonnec.
Kerjacob est une ferme de Plogonnec ; il existe aujourd'hui une route de Kerjacob bihan et une route de Kerjacob bras ( petit et grand); les textes antérieurs mentionnent un Kerjacob uhella et izella (du haut et du bas). Pierre Raoul était seigneur de Kerjacob en 1544.
Je pourrais proposer pour l'initiale P. qui précède ce nom de lieu : Propriétaire de Kerjacob ? ?
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En restant sur le clocher, nous trouvons encore :
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Version J.M. Abgrall : H. LE . PORHEL : E:R . GVENN . FF . 1657.
Pour H. Pérennès : H. LE PORHEL : E : R : GVENN : F.F. 1657
Je lis : H. LE PORHIEL ET R. GVENN FF 1667 ou 1657
Je traduis H. Le PORHIEL et R. GUENN Fabriciens 1667
Si la pierre semble ce granit homogène à grain fin de l'inscription précédente, et si sa taille rectangulaire ornée de deux demi-cercles aux extrémités est soignée, par contre la calligraphie n'a pas de charme, pour être trop fine, trop mécanique peut-être, presque administrative ; est-ce qu'elle est tracée en creux, plutôt qu'en ronde-bosse comme la précédente? J'aime néanmoins la hampe du second "R", et l'ambiguïté du troisième chiffre, un six bien conforme au style générale, ou un 5 anguleux, archaïque, qu'on attendrait plutôt cent ans plus tôt.
S'il est possible de retrouver un Hervé Le Porhiel, décédé le 6 août 1669 à Keroriou, Plogonnec, époux de Catherine Le Guellec, je n'ai pas retrouvé de sieur H. Guenn, et ce patronyme n'est pas retrouvé non plus.
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Sur la tourelle nord, nous trouvons :
Cette inscription presque trop lisible ( refaite?) indique:
- pour J.M Abgrall : D. CHARLES . KRIOV. PRESTRE
- Pur H. Pérennès : D : CHARLES : KRIOV PBRE
- Je lis : D CHARLES KRIOV PB'RE
- Je traduis : Discret Charles Kerriou, prêtre
La pierre semble encore la même, d'un grain sombre et dense, taillée en simple rectangle soulignée d'un encadrement, et les lettres capitales droites, sans empattement pour la plupart, sont suffisamment épaisses pour être bien proportionnées. On admire un A avec traverse chevronnée. Mais la disposition des mots est maladroite, laissant cet espace vide à gauche des lignes inférieures.
Henri Pérennès donne dans sa publication, parmi les prêtres et curés, Charles Kerriou, 1620-1639 et 1658, et précise qu'il signe plusieurs fois en 1639 "prêtre indigne".
Dans cette inscription, le dernier mot est énigmatique, puisqu'il ne correspond pas à "prêtre" en raison de la lettre "B". L'apostrophe abréviative au dessus du "R" est nette, mais je ne la comprends pas.
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Sur la façade sud du clocher, au bas de la tourelle:
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- J.M. Abgrall : JACQ : ET . FRANC . LE . DOARE . DE . BOTEFELEC . FF . 1688
- H. Pérennès : JACQ : ET : FRANC : LE : DOARE : DE : BOTEFELLEC : FF : 1658
-Je lis :
IACQS ET FRAN:
LE DOARE DE
BOTEFELEC FF.
1638
avec un Q en forme de P rétrograde.
- Je traduis : JACQUES ET FRANCOIS LE DOARE DE BOTEFELEC FABRICIENS 1638.
Taillé sur une pierre d'angle de la tourelle, le support est de forme rectangulaire simple mais souligné d'un encadrement qui prend une forme plus complexe pour centrer élégamment la date dans le registre inférieur. Les détails notables de la calligraphie sont le I perlé de IACQ et le 1 de 1638 tracé comme un I perlé ( une lettre perlée est centrée par une perle, un point rond) ; Les deux derniers chiffres de la date (38, 58 ou 88) sont joliment tracés pour que la partie supérieure vienne épouser la rectitude de la ligne d'écriture sus-jacente. Mais surtout, étonnamment méconnu de nos deux chanoines, il faut remarquer la présence du point-virgule après IACQ , ponctuation que je rencontre pour la première fois en lapidaire dans ma minuscule expérience.
Je m'étonne aussi des difficultés de transcription des deux passionnés d'archéologie, dont les deux relevés diffèrent, ce qui prouve que Pérennès ne s'est pas contenté de copier Abgrall, et il corrige celui-ci qui avait attribuer deux L à BOTEFELEC ; mais les deux copistes voient un C venir compléter le FRAN, les deux lisent différemment la date, et la ponctuation des deux relevés est parfaitement erronée.
La généalogie d'André Chatalic, en ligne, indique un François Le Doaré Sosa 7928, né le 22 mars 1605 et décédé le 01 mars 1672 à Botéfelec : il a épousé Jacquette Le Guillou dont il eut un fils, Jacques Le Doaré, né le 05 novembre 1634 à Plogonnec, décédé le 24 mars 1696 à Plogonnec, époux de Marie Seznec.
Selon ces données, qui semble bien concerner nos fabriciens, la date de 1658 semble la seule plausible, donnant raison à Pérennès.
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Toujours sur la façade sud du clocher, au dessus de la précédente inscription, on trouve :
- Pour J.M Abgrall : M . LE . HENAFF . F _ GVILL . LE . HENAF E . Y . GVEZENEC . F . 1660
- Selon H. Pérennès : M . LE . HENAFF . E. GVILL . LE HENAFF . E . Y . GVEZENNEG . F . 1660
- Je lis : (M) LE HENAFF : GVIL LE : HENAF ET : Y : GVEZENEC : F : F : 1660
- Je traduis : M. LE HENAFF : GUIL(LAUME) LE HENAFF ET Y(VES) : GUEZENEC FABRICIENS 1660.
L'inscription est tracée en lettres capitales hormis le Y , creusées dans le support rectangulaire à la bordure sculptée.
Les enquêtes généalogiques indiquent Yves Guezennec (v. 1595-10.07.1651), père de Barbe Guézennec ( 10.05.1620-06.06.1689), laquelle épouse Guillaume Le Hénaff, cultivateur, ( 02.02.1622-11. 12.1670), tous nés et décédés à Plogonnec.
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Restons, comme Fabrice dans la tour Farnèse, dans le clocher pour y donner cours à nos pulsions scopiques : "Dans cette solitude aérienne, on est ici à mille lieues au dessus des petitesses et des méchancetés" (Stendhal, La Chartreuse de Parme). Nous sommes ici sur la galerie :
- J.M Abgrall : BERNARD. AMER : GVILL . OPIC . 1661
- H. Pérennès : BERNARD : MENGUY : CORNIC : F : 1661
- Je lis : (J) : BERNARD': KAMER'. GVIL CORNIC F : F 1661
- Je traduis : (JEAN) : BERNARD KERAMER GUILLAUME CORNIC FABRICIENS 1661.
L'inscription en deux blocs insérés dans la construction de la galerie, sans encadrement, est faite de lettres capitales en plein, et de chiffres en creux. A noter les lettres conjointes ME.
Keramer est le nom d'une ferme et/ou un toponyme de Plogonnec, longtemps habité par une famille Bernard. Il est attesté comme Keramer sur la carte Cassini de 1750, ou necore comme "village de Keramer", et est devenu actuellement le Lotissement de Keramel, englobé dans le bourg.
Jean Bernard : né le 18 août 1628 à Plogonnec, décédé le 19 septembre 1684 à Keramer.
Époux de Jeanne Douellou (dcd 1690) dont il eut un fils, Guillaume Bernard (1666-1710 à Keramer) qui épouse en 1689...Marie Cornic.
Guillaume Cornic ( dcd 01-02-1683 à Plogonnec bourg) eut avec Françoise Pezron un fils, Jean Cornic.
Jean Cornic (16 avril 1647-18 octobre 1688) eut de son mariage avec Catherine Le Grand une fille, Marie Cornic : née le 07 février 1669 et décédée le 16 septembre 1744 à Keramer, Plogonnec.
On en conclut que les deux fabriciens Jean Bernard et Guillaume Cornic étaient de familles alliées, ce qui se conclue par le mariage du fils de l'un (Guillaume Bernard) avec la petite fille de l'autre,( Marie Cornic).
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Mes remerciement à Guy Kerrien qui m'a transmis les 2 photographies suivantes et orienté vers le couple Jean Nihouarn/Jeanne Le Goff.
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On trouve encore, sur le linteau de la chambre des cloches, l'inscription :
I : NIHOVARN : DE : KGANABHE
FABRIQ : ET : I : NIHOVARN : F.
1659.
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La transcription donne : "I. Nihouarn de Kerganabhe fabricien et I. Nihouarn Fabricien l'an 1659".
Les généalogistes identifient ici Jean (Iañ) Nihouarn (1621-1676) domicilié à Kerganapé comme cela est précisé sur l'acte de décès. Il avait épousé Jeanne Le Goff (1626-1706), elle aussi décédée à Kerganapé. Son père Jean Nihouarn dit "Le Vieil" (Kerganapé v. 1590-1650) était décédé à la date de cette inscription.
Ce couple eut 6 enfants entre 1649 (date probable de leur mariage) et 1662 : Vincent, Jean, Yves, Pierre, René et Louise.
Le second fabricien, homonyme du premier, pourrait être Jean (1651-1666), fils de Jean, marié le 23 novembre 1665 (à 14 ans !) avec Marie PEZRON.
Son frère Yves (1654-1722) était maréchal ferrand ; il eut comme parrain de naissance et de mariage son oncle messire Yves Le Nihouarn, prêtre. Il décéda également à Kerganapé.
Le fils d'Yves (le maréchal ferrand) Jean Nihouarn (1676-1744) est né et décédé à Kerganapé : son oncle Jean Nihouarn le plus âgé (1621-1676) est témoin de sa naissance. Il sera maréchale [ferrand], enseigne et greffier de Plogonnec, épousera Marie Seznec puis Marie Le Grand et décèdera à Kerganapé.
https://gw.geneanet.org/ckerjosse?lang=fr&pz=claude&nz=kerjosse&p=jean&n=nihouarn&oc=13
Kerganapé est un lieu-dit à 1 km au sud-est du bourg. La carte de Cassini le mentionne avec la graphie Kerganappe. À une altitude de 110m, il domine le vallon d'un ruisseau qui ira se jeter dans le Steïr. Les cartes montrent cinq ou six bâtiments.
Le ruisseau porte le nom de Kerganape, et celui-ci alimentait, 2 km en aval, le moulin de Meil Butel, à turbine horizontale (roue pirouette, à godets), présent à la fin du XVIIIe (Cassini) et reconstruit en 1869 (date inscrite sur la porte).
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Selon Albert Deshayes, Nihouarn trouve son origine en saint Ehouarne (Euhoiarn, Ehuarn), ermite du XI e siècle et disciple de saint Félix de Rhuys. Voir Lanyhorn en Cornwall et Lanniouarn en Plouarzel. Le nom devient Yhouarn en 1477 à Plouzané, et, par agglutination, Nihouarn et Nivouarn. Il se décompose en eu- et -huarn, "fer".
Le toponyme Kerganapé (ou Kerganabhe selon la graphie de l'inscription) est étudié par A. Deshayes, cette fois dans son Dictionnaire des noms de lieux bretons, à la page 143 . Après le préfixe ker- "hameau, habitation", on s'attend à trouver un nom de personne, mais c'est un qualificatif de plante cultivé qui est présent, celui de Kanab "chanvre". On trouve ainsi Kerganaban en Édern, (Kercanaben en 1611), ou Kerganabren en Milizac, (Kercanaben en 1687), et Kercanaben en 1495 en Plourin-Ploudalmézeau.
À Plounéour-Lanvern, un lieu-dit Canapé correspond à un ancien rouissoir de chanvre (poull-kanab).
À Goulien (Cap Sizun), un toponyme Gouar Kanape est commenté ainsi par l'OFIS : "Nom composé de Gouar, forme locale d'un terme qui veut dire "ruisseau" (Voir Ar C'houar Gozh pour le sens détaillé de ce terme). Le déterminant est un nom à part entière, Kanape (qui figure dans le nom d'une pointe côtière et d'une crique), toponyme que l'on trouve ailleurs en Bretagne. On s'accorde généralement à dire que ce nom est une altération de Kanabeg, "chanvrière" (de Kanab, "chanvre" et du suffixe -eg, qui en marque l'abondance en l'endroit). Le chanvre était couramment cultivé autrefois et, en plus de l'habillement, était utilisé à des fins industrielles pour la voilerie et la corderie."
Kanab a formé kanabeg "chenevière" dans Ganabroc en Landéda, et ... dans Kerganapé en Plogonnec, id. en 1657. L' ancien suffixe -eg, qui marque une collection d'une même nature (cf. balaneg, maeneg, kelenneg...).
On trouve aussi dans les actes paroissiaux la graphie Kerganeppé et Kerganappé.
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Donc ce lieu-dit désigne une chenevière. Pour les paysans bretons, le chanvre est la plante que chaque agriculteur peut semer, récolter et utiliser pour ses besoins propres (vêtements, cordes). Le chanvre y est donc omniprésent mais en petites quantités, souvent à proximité de la maison. On le fait rouir et on le tisse . L'abbé Favé écrivait en 1895 (Bull. SAF. p. 36) que "à proximité de Quimper, on voyait à proximité des maisons beaucoup de chenevières liors ar c'hanab des courtils de chanvre. Comme en Basse-Normandie chaque maison pauvre ou riche avait son clos à chenevière." Le chanvre est la matière de l'habillement en en particulier du berlinge.
Mais si on poursuit la lecture de l'article de l'abbé Favé, ses Notes sur l'aspect extérieur d'une ferme cornouaillaise 1635-1789, on est ému de trouver mention d'un Jean Nihouarn qui, selon des actes de 1737, vivait à Kerganappé et y possédait une forge :
"Il y avait généralement dans les fermes de quelqu'importance « un établi de charpentier » avec les outils les plus usuels de ce métier ; et parfois une forge particulière, comme nous l'avons vu par l'acte de démission de Jean NIHOUARN de Kerganappé, en Plogonnec, qui fait condition de pouvoir travailler à la forge du village, à sa convenance et quand il le voudra ".
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Les études des pollens (L. Gaudin) indiquent ceci :
"Durant le Moyen-Age, la culture du chanvre va se faire plus fréquente (les occurrences de Cannabis/Humulus sont identifiées dans 50 à 70% des études de palynologie). [les pollens de chanvre ne sont pas distinguables de ceux du houblon].Elle atteint un maximum à l’époque moderne avec des occurrences dans 80% des études. Contrairement au lin, le chanvre est moins exigeant en qualité des sols. Il est donc repéré sur l’ensemble du Massif armoricain . Le XVIe siècle est l’âge d’or des toiles de chanvre : plus grossières mais plus solides que les toiles de lin, elles servent à fabriquer des sacs pour emballer les marchandises et des voiles de bateaux. Elles sont tissées surtout en Haute-Bretagne (notamment autour de Vitré) et à l’autre extrémité de la péninsule à Locronan (Tanguy et Lagree, 2002). Le chanvre est cultivé dans les zones humides telles que les zones alluviales."
Enfin, il était intéressant d'interroger la microtoponymie telle qu'elle apparaitrait sur le cadastre napoléonien. Les noms font-ils allusion au chanvre et à son travail autour du vallon ? Trouve-t-on des Poull Kanab (= “mare à rouir le chanvre ”) et des Kanab-eg (= “chenevière ) ?
Guy Kerrien y a jeté un coup d'œil :
"Je me suis penché sur le cadastre de 1830 et le relevé des propriétés : à Kerganapé, Kernévez, Kerjoré, Kergaradec, Kerantous, Kervotret, Kerléan il y a bien des courtils nommés "Liors canap". Je ne suis pas allé au-delà de la section B, mais je pense que cela suffit à montrer l'importance de la culture et du travail du chanvre à Plogonnec, jusqu'à nommer un village en son honneur. La proximité de très nombreux ruisseaux a certainement permis de développer cette activité."
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Voir
F. Falc’hun, Une enquête toponymique en Bretagne celtique : le cadastre de la Basse-Bretagne Revue internationale d'onomastique Année 1948 2-3-4 pp. 161-173 https://www.persee.fr/docAsPDF/rio_0995-872x_1948_num_2_3_1053.pdf
Voir les feuilles du cadastre : Section B4 de Saint-Eloy . Tableau indicatif des propriétés foncières /P/03P/3P170. Voir les parcelles 1199-1200 appartenant à Yves Nihouarn.
https://recherche.archives.finistere.fr/viewer/viewer/medias/collections/P/03P/3P170/FRAD029_3P170_01_08.jpg
https://recherche.archives.finistere.fr/document/FRAD029_00000003P#tt2-186
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Descendons du clocher pour entrer par le porche sud : au dessus du porche se trouve un cadran solaire daté de 1807 avec l'inscription IEAN LE GRAND. Nous avons vu que c'était là un patronyme de la paroisse avec Catherine le Grand, épouse de Jean Cornic.
Sous ce cadran se trouve cette inscription :
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-J.M Abgrall : H. KERNALEGVEN . FAB . 1581
-H. Pérennès : H. KERNALEGUEN . FAB . 1581
-Je lis difficilement : H KNALEG ...A. : 1581
- Je traduis H. K(ER)NALEGUEN FABRICIEN : 1581.
Je regrette l'état dégradé et envahi de lichens de cette inscription d'un bloc de granit rectangulaire à encadrement, car les lettres visibles sont pleines d'élégance, mêlant un A capitale à traverse chevronnée et doté d'un appendice droit avec un E en onciale, un L oncial , un beau K doté également d'un appendice droit et dont le jambage inférieur est prolongé et barré pour signifier l'abréviation de K(ER).
Le patronyme Kernaleguen est attesté à Plogonnec depuis un Joanis Kernaleguen (sd) puis Yvon Kernaleguen né le 2 avril 1612 à Plogonnec. Corentin Kernaleguen fut recteur de Plogonnec de 1804 à 1805. Le "H" du début de l'inscription est vraisemblablement l'initiale du prénom .
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Post-scriptum 2021 : Daniel Kernalegenn me signale qu'on trouve déjà un Kernaleguen en 1426 à Saint-Pierre : "À l'époque, la ferme s'appelait Langoueledig mais la ferme la plus proche s'appelait, et s'appelle toujours, Kernaleguen".
Je recherche sur les cartes IGN/Cassini et je découvre, comme indiqué, le toponyme Kernaléguen /Kervaléguen à 2,5 km à l'ouest du bourg, et au sud de la chapelle Saint-Pierre et du manoir du Névet.
Albert Deshayes indique (Dict. noms de famille bretons p.377) : "Kernaléguen (Kernaleguen 1581) attesté dans le canton de Briec et à proximité, est vraisemblablement issu de lieux-dits en Châteauneuf-du-Faou ou à Crozon ; un troisième lieu, situé à Elliant, était noté Garshalleguen en 1679. Le composant -naléguen est à lire an haleguenn, "le saule".
Une saulaie suppose un milieu humide, et effectivement, la carte d'Etat-Major situe Kernaléguen à peine au dessus d'un ruisseau coloré en bleu, et dont on suit le cours jusqu'à un étang et un moulin à sa confluence avec le Rau du Ris.
Quant au Langoueledig voisin, il renvoie, affublé d'un modeste diminutif, à -goueled "fond, partie inférieure", issu du moyen-breton goelet "fond" correspondant au gallois Gwaelod, "partie basse". Vraiment humide donc...
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Il nous reste à rentre dans l'église où nous attendent deux plaques réalisées sur de belles et grandes pierres en garnit d'un grain moyen jaune-brun et gris. Elles sont trop bien conservées, trop soignées dans l'ouvrage orné de demi-globes de leurs contours et d'une calligraphie trop académique, trop livresque et ostentatoire pour qu'on ne réalise pas immédiatement que ce sont des oeuvres récentes, à la Viollet-le-Duc ; cela n'entame en rien le plaisir que procure du beau travail, et les indications gardent tout leur intérêt
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H. Pérennès a relevé : M. RENE SEZNEC RECTEUR
Je lis également M RENE SEZNEC RECTEUR
René Seznec ( 2 mai 1641 à Plogonnec-30. 09. 1709) fut recteur à Plogonnec de 1643 à 1697. Il fut aussi recteur de Guengat. Dans l'église, H.Pérennès a pu relever sur la niche de la statue de St Maudez la mention M.R.SEZNEC :R: 1656. J.M. Abgrall le nomme "le bon recteur Seznec"
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-H. Pérennès a relevé : Y SEZNEC KRADILY . F . LAN 1666
- Je lis : Y: SEZNEC : KRADILY : F : L'AN : 1656:
- Je traduis : Y(ves) SEZNEC K(er)ADILY Fabricien l'AN 1656.
On remarque la ponctuation par trois-points ; les lettres conjointes NE ; l'étonnant point sur le I de la date I656 ; et le joli chiffre 5, qui a induit Pérennès en erreur.
Les généalogistes mentionnent:
- Yvon Seznec, v.1624- 20.11.1673, époux de Catherine Guilloux.
- Yves Seznec, 1609-1669, époux de Blanche Tanguy.
Le manoir de Keradily est une propriété de la famille Seznec, et Guillaume Seznec y décéda le 6 mai 1690, son fils Yves Seznec(21.02.1644-3.10.1728) étant témoin du déces. En 1845, un nouveau manoir fut édifié par Guillaume Louboutin et Marie-Jeanne Seznec avec les matériaux de l'ancienne bâtisse.
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SOURCES ET LIENS.
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—ABGRALL (Jean-Marie), 1916, , « Inscriptions gravées sur les églises et monuments du Finistère (suite) », in Bulletin de la Société archéologique du Finistère, 1916, 43 : 65-102.
https://societe-archeologique.du-finistere.org/bulletin_article/saf1916_0122_0159.html
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2077197/f135.item.zoom#
"Plogonnec. - Eglise paroissiale; patron, saint Turiau.
Au dessus de la porte ouest, deux vers latins, dont le premier est un vrai tour de force, sans être du meilleur goût: .
TV. TVRIAVE . TVAM TVRRIM . TEMPLVMQVE . TVERE
NE NOCEANT ILLIS TELA TRISVLCA ._ JOVIS
« Saint Turiau , protégez votre tour et votre église,Préservez-les de la foudre (des traits à trois pointes de Jupiter. )
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Même façade:
M . YVES : CVZON . F . DE . KEIACOB
M . RENE . SEZNEC RECTEVR . 1657. C'est sans doute l'auteur des deux fameux vers latins :
H . LE PORHEL : E : R . GVENN . FF . 1657
D. CHARLES. KRIOV PRESTRE.
Porche :
H. KERNALEGVEN . FAB. 1581.
Tourelle sud du clocher :
JACQ : ET . F RAN C . LE DOARE DE BOTEFELEC . FF , 1688.
Au haut de la même tourelle :
M . LE HENAF F - GVILL . LE HENAF. E .Y . GVEZENEC . F .
1660.
Galerie, coté sud :
BERNARD. AMER : GVILL . OPIC . 1661.
— COUFFON (René), LE BARS (Alfred), 1988, Plogonnec, in Répertoire des églises et chapelles du diocèse
https://www.diocese-quimper.fr/wp-content/uploads/2021/01/PLOGONNE.pdf
"Le clocher, de silhouette très originale, comprend une tour rectangulaire accostée de deux tourelles octogonales amorties, comme le beffroi, par un dôme à côtes. Nombreuses inscriptions sur le pignon ouest de la tour. Dans le tympan du portail, sous la statue de saint Thuriau : "I H S. M A / TV. TVRIANE. TVAM / TVRRIM. TEMPLVM. TVERE / NE. NOCEANT. ILLIS. TELA. / TRISVLCA. IOVIS AMEN."
- Dans le porche ouest : "Y:SEZNEC:KRADILY:F:LAN :1656" (côté nord) et "M.RENE SEZNEC.RECTEVR". - Sur la frise du même portail : "M. RENE. SEZNEC / RECTEVR. 1657",
- et sur le contrefort de droite : "... F. F. 1657",
- Sous la galerie : "M. YVES. CVZON. P. DE. KIACOB."
- Sur la tourelle sud : "IACQ. ET. FRAN / LE DOARE DE BOTEFELEC. F. F. 1658."
et "M. LE HENAFF. P. GVIL. LE. HENAF ET Y. GVEZENEC. F. F. 1660."
- Sur la balustrade : "Y. BERNARD. KRAVER. GVIL. CORNIC. F. F. 1661."
- Sur le linteau de la chambre des cloches : "I. NIHOVARN. DE. KGANABHE / FABRIQ. ET. I. NIHOVARN. F. 1659."
- Sur la tourelle nord : "D. CHARLES. / KRIOV / PBRE."
-Le porche sud porte, sous un cadran solaire, l'inscription : "H. KNALEGVEN. F. AN. 1581."
— PÉRENNÈS (Henri), 1940, Notice sur Plogonnec, BDHA
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