Le portrait de Bertrand d'Argentré.
J'ai commencé par découvrir, comme une carte au trésor, dans l'Histoire de Bretagne de Bertrand d'Argentré de cette Bibliothèque Municipale, soigneusement pliée, une carte géographique. Rien de moins que l'un des 18 ou 20 exemplaires mondiaux de la toute première carte imprimée connue de la Bretagne. Datant de 1588.
J'ai découvert la vie de celui qui fut l'un des esprits les plus cultivés de Bretagne, l'un des plus attachés à défendre l'originalité, pour ne pas dire l'indépendance, de sa Province, ses privilèges et ses droits. Un héritier des Chroniqueurs bretons, dont l'exceptionnelle bibliothèque* de son hotel d'Argentré à Rennes, rue des Foulons avait enrichi le fond lui venant de son père Pierre d'Argentré, Sénéchal de Rennes, qui y était mort à soixante ans, en 1548.
Né à Vitré en 1519, sous François 1er, Bertrand d'Argentré après des études de droit à Orléans, Poitiers et Bourges fut sénéchal (chef de la Justice) de Vitré à 22 ans, puis de Rennes en 1547 en succession de son père puis président du présidial (Tribunal de justice) de Rennes de 1552 à 1589. Ce "présidial" défend ses prérogatives contre les visées du Parlement, composé pour moitié, par ordre du roi, de membres étrangers à la Bretagne.
* Cette bibliothèque lui avait coûté six mille écus d'or ; il en a dressé l'inventaire des 2943 volumes de sa main en 1582 dans un manuscrit de 95 feuillets. Ce fond passa à sa petite fille, puis fut légué aux Capucins de Rennes avant d'intégrer en 1794 la Bibliothèque Publique de Rennes. L'inventaire est disponible sur microfilm sous la cote 1M.39 à la médiathèque Les Champs Libres.
Bertrand d'Argentré et l'étude de la Très Ancienne Coutume de Bretagne (T.A.C).
Bertrand d'Argentré hérite de ses parents de deux domaines d'investigations: par sa mère, nièce de Pierre Le Baud auteur d'une Compillation des cronicques et ystoires des bretons (1480) et d'une Cronicque des roys et princes de Bretaigne armoricaine (1505), la défense d'une Histoire du peuple breton et de ses chefs, descendant des Troyens. Par son père, la défense de la Très Ancienne Coutume de Bretagne, ensemble du droit coutumier élaboré au cours des siècles.
En 1539, Pierre d'Argentré avait été nommé avec quatre autres juristes pour participer à la réforme de la Coutume de Bretagne, réforme générale en France mais rendue spécialement urgente depuis la réunion du duché au royaume ; mais, gravement malade, il ne put assister à la rédaction d'un texte qui fut, en son absence,rédigé en quinze jours avec ses 632 articles, "si fort à la haste, que MM. les réformateurs avoient eu le pied dans l'étrier, [pedem in stapia]" (B. D'Argentré) , et reprenant souvent le texte ancien. Les quatres autres commissaires étaient François Crespin, Président au Parlement de Rennes, Nicole Queslain, président des enquêtes à Paris, Martin Ruzé, conseiller au Parlement de Paris et Pierre Marec, maître des requêtes de Bretagne, tous conseillers au Parlement de Bretagne. La première rédaction de la Très Ancienne Coutume était antérieur à 1350, et peu compréhensible pour les officiers deu Parlement de Paris qui venaient tenir, comme Conseillers, le parlement des Grands Jours. Le nouveau texte prend le nom d'Ancienne Coutume et sera publié en 1568 par J. Duclos à Rennes. Sa forme est mise au goût du jour, les anciennes dispositions sont rangées dans les "titres" convenables, "sans se donner trop de libertés de corriger dans le sens" link
C'est cette Ancienne Coutume que Bertrand d'Argentré ne cessera d'étudier, en écrivant des commentaires successives, puis participant en 1580 à la rédaction de la Nouvelle Coutume.
Les Commentaires sur les trois premiers titres (des justices, des droits des Princes, et des procureurs, soit les 105 premiers articles) de l'Ancienne Coutume furent publiés en 1568 par Julien Duclos à Rennes, in-4°.
En 1570 parut à Rennes l'Advis sur les partages des nobles, Julien Duclos, in-4°.
Le troisième ouvrage sur la Coutume fut imprimé en 1576 à Rennes chez Julien Duclos : Commentaires sur les Appropriances, Bannies et Prescriptions, in-f°.
En 1580 paraît son commentaire sur les Donations, qualifié de "son chef d'œuvre" par Hévin, à Paris chez Dupuys, in folio.
C'est en cette année 1580 qu'il fut l'un des cinq commissaires employés à la réformation de la Coutume, qui eût lieu le 15 octobre aux États de Ploermel, avec R. de Bourgneuf, P. Brullon, B. Glé et Alixant.
En 1584, Bertrand d'Argentré publie chez Jacques Dupuys à Paris son Aitiologie, ou notes sur la Coutume réformée.
Ses autres commentaires furent publiés de manière posthume : Commentarii ad praecipuos juris britannici titulos, Parisii, 1605 sur les titres des mariages, des bastards, des successions et des partages.
En 1605 puis 1608 est donnée par son fils Charles une édition complète de ces commentaires : Commentarii in patrias britonum leges, in lucem editi cûra et studio Caroli d'Argentré filii. Ce texte est réédité en 1613 et 1614, puis par Nicolas Buon en 1621, associé aux privilèges de Bretagne, à la Coutume de 1580, à l'Aitiologie, l'Advis sur le partage des nobles, le traité de Laudimiis et six consultations. La traduction de l'Ancienne Coutume est due à Nicolas Buon. Cette OPERA a été rééditée à Paris en 1628, 1640 (5ème édition, Veuve de Nicolas Buon), 1646, 1660, 1661 (7ème édition, Jacob d'Allun,Paris) et à Bruxelles, Amsterdam/Anvers par Petrum Bellerum en 1664.
Ce sont ces dernières éditions posthumes qui possèdent le portrait de Bertrand d'Argentré. J'ai été déjà trop long, je le montre illico :
C'est une gravure sur cuivre dont l'auteur se manifeste sur le texte écrit en dessous :
Effigies .viri clariss. Bertr. D'Argentré quondam Redonens. praesidies. Tho. de Leu. fecit Anno .1604. mens. Decemb.
"Portrait de l'illustre Bertrand d'Argentré, jadis Président (du présidial) de Rennes. Tho(mas) de Leu le fit l'année 1604, au mois de décembre."
Thomas de Leu ou Leeuw ou Le Leup (1560-1612) est un graveur français d'origine néerlandaise (Audenarde). Il fit ses débuts à Anvers, influencé tout d'abord par les Wierix. Il travailla surtout à Paris, à partir de 1576, chez Jean Rabel. C'est un des plus importants graveurs de portraits de son temps, et le plus célèbre avec Gaultier. Il est le gendre de Antoine Caron, l'un des principaux peintres de la 2e école de Fontainebleau, et de ce fait beau-frère des graveurs en taille douce Léonard Gaultier et Jaspar Isaac. Il est également le beau-père de Claude Vignon.
Voir par exemple :
La première impression en taille douce (en creux) fut réalisée en 1488 par Michelet Topie de Pymont. L'engouement des portraits en taille douce à partir de la seconde partie du XVIe siècle est dû d'abord à l'introduction de cette technique par les graveurs flamands qui fuirent Anvers après le sac de cette ville en 1576 par les troupes espagnoles mal payées et mutinées ; bien que trois fois plus onéreuses que la gravure sur bois ( les plaques de cuivre permettent quelques centaines d'épreuves avant d'être regravées alors que les plaques de bois en autorisent jusqu'à plusieurs milliers, et peuvent être imprimées avec la même presse que le texte), les gravures au burin (ou à la pointe sêche) sont appréciées pour leur délicatesse d'éxécution, premettant un meilleur rendu des modelés par le dégradé des ombres et des lumières. Le déclin économique de l'édition dans les années 1580 explique aussi que beaucoup de graveurs sur bois désertent leur traditionnel quartier parisien autour de la rue Montorgueil ou se reconvertissent.
Par ailleurs, le pouvoir royal fait appel depuis Henri III (1574-1589) à ces portraits gravés pour diffuser une "image du bon roi" facile à placarder à l'intérieur des maisons. La revue Nouvelles d l'Estampe montre ainsi dans son dernier numéro 2012 comment, lors du mariage à Lyon de Henri IV et Marie de Médicis en 1600, cinq portraits furent gravés par Jacques Fornazeris et associés à des quatrains pour participer à la pompe et la publicité de l'évenement. Cette mode royale s'étend à la Cour, puis à la noblesse de Province, comme en témoigne le portrait d'Argentré. Cela fut favorisé par la parution de Vrais Pourtraits et vies des hommes illustres d'André Thevet à Paris en 1574.
Le portrait est daté de 1604, alors que d'Argentré est décédé en janvier 1590. Mais Miorcec signale que d'Argentré s'était fait peindre en 1579 en sa soixantième année et que cela a inspiré le portrait que l'on voit.
On observe à la fois les traits du personnage lui-même, la prestance de son maintien, l'assurance de son regard, la taille soigneuse de la barbe, on s'attarde sur le court toupet retombant sur la calvitie frontale, on s'interroge sur la dilatation sinueuse des veines du front (artérite de Horton ?), puis on admire le travail du burin qui déploit son art dans les moires du satin de la veste, dans les minutieux détails (au rendu bien flamand) du velours du pourpoint.
Prosper Jean Levot écrit dans Biographie bretonne :
"Bertrand d'Argentré étrait d'une taille au dessous de la moyenne, d'une figure grave et d'une physionomie qui peignait la vivacité de son esprit et la fermeté de son caractère. Il avait le teint brun et la barbe et les cheveux noirs même dans sa vieillesse"
A gauche, ce sont les armoiries de la famille d'Argentré, d'argent à la croix pattée et alaisée de gueules (G. de Genouillac, recueil d'armoiries). Le casque est traversé par une lance, et surmonté de la croix pattée. En dessous de l'écusson se voit deux rameaux (olivier, laurier ?) partant d'un médaillon contenant un monogramme complexe dans lequel on peut dicerner les lettres T, A, O, par exemple.
L'inscription italique Anno Æ . t 60. reste aussi énigmatique pour moi.
A droite figure l'emblème de Bertrand d'Argentré, un vase enflammé et la devise LAMPEITE .KAITE, "je brille et je brûle".
Je l'ai dit, la mode est d'associer ces portraits à des quatrains, des épigrammes, des compliments grecs ou latins. Charles d'Argentré, dans ce Tombeau en l'hommage de son père, fait les choses comme il faut.
Trois courtes citations se succèdent :
Haec hominis non tam facies, quam numinis Aequi est
Cui se tota Themis iunxit, & haec peperit.
Parcite, municipum fessi sartagine legum,
Haec ARGENTRÆI scriptio nempe satis.
N. Richelet, Paris.
Os habitumque vides ARGENTRÆI cernis opusque :
Igneus in vigor ingeniis Astrææque medulla
Fed. Morel, Professor Regius.
Du docte ARGENTRÉ l'Image icy tu voix,
Dont Themis inspiroit l'esprit, l'ame et la voix :
Et qui de ses bretons consacre à la mémoire
En l'Argent de son nom, et les Loys, et l'Histoire.
Y. Fyot.
Les premiers vers sont de Nicolas Richelet, avocat au Parlement de Paris, dont on connaît son édition commentée des œuvres de Ronsard publiés en 1623.
Le deuxième auteur, Fédéric Morel, est décrit ainsi par Data BNF :
Autre(s) graphie(s) : Morello, Federico. Imprimeur-libraire ; imprimeur ordinaire du Roi (1581-1602). Fils aîné de l'imprimeur-libraire parisien Fédéric I Morel, succède à son père comme imprimeur du Roi en 1581, mais ne suit pas le roi à Tours pendant la Ligue. Cède les "Grecs du Roi" à Étienne Prevosteau en 1587. En 1586, épouse la fille de Léger Du Chesne, professeur d'éloquence au Collège royal, dont il obtient la chaire la même année. En 1602, laisse la direction de l'imprimerie à son fils Fédéric III Morel. Se consacre alors entièrement à sa chaire de grec et à ses travaux d'érudition. Ses propres textes ont été publiés par son officine ou par d'autres imprimeurs-libraires : Abel L'Angelier, Gabriel Buon, Lucas Breyer ou Jean Libert. A travaillé en association avec Sébastien Nivelle, Guillaume Bichon, Guillaume Chaudière, Rolin Thierry et avec les deux autres imprimeurs ordinaires du Roi.
Enfin Y. Fyot pourrait correspondre à Yves Fyot, sieur de la Rivière, conseiller du roi, trésorier et receveur général des Finances en Bretagne, pour la seigneurie de la Rivière (en 1625). On retrouve un épigramme de cet auteur dans l'Histoire d'Argentré, 2ème édition de 1588.
Le volume comprend au fil des pages beaucoup d'autres éloges et versifications.
Ce portrait étant ainsi présenté, il semble nécessaire de découvrir le livre dans lequel il se trouve.
Les Commentarii d'Argentré à la Bibliothèque de Brest.
Edition de 1664 sur Google Books ici
La Bibliothèque dispose de trois exemplaires présentés ainsi:
Cote : RES FB A42 - f Commentarii in consuetudines ducatus Britanniae aliique tractatus varii [in lucem edidi cura et studio V. C Caroli d'Argentré] ; [Suivi de] Coustumes générales du pays et duché de Bretagne, réformées en l'an 1580. Aitiologia, sive ratiocinatio de reformandis causius / auctore B. d'Argentré...: Parisiis : Nicolaum Buon, 1628 Description physique: 2 parties en un vol., [2 bl-22] p.-2472 col. [-70-1-1 bl.-18-] 120 [-7] p. : portrait grav. sur cuivre par Thomas de Leu, t. grav. sur cuivre par L. Gaultier, fig., marque typogr. aux p. de t. ; 35 cm Rel. XVIIè s. veau brun Auteur collectif: Argentré, Caroli d' (ed. scientifique) Leu, Thomas de (ill.) Gaultier, L. (ill.)
Cote : RES FB A43 - f. Commentarii in consuetudines ducatus Britanniae aliique tractatus varii ; [Suivi de] Coustumes générales du pays et duché de Bretagne, réformées en l'an 1580. Aitiologia, sive ratiocinatio de reformandis causius / auctore B. d'Argentre... Paris : Nicolas Buon, 1628 Description physique: 2 parties en un vol., [8 bl.-17-1 bl.-4] p.-2472 col [-70-1-1 bl.-18] 120 [-7-3 bl.] p. : portr. gr. sur cuivre par Thomas de Leu., fig., marque typogr. à la 2è p. de t. ; 34 cm Mq. 1ère p. de t. Notes mss. en début de vol. Rel. basane blonde racinée
Cote : RES FB A44 - f V. C. B. d'Argentré,... Commentarii in patrias Britonum leges seu... consuetudines antiquissimi ducatus Britanniae (in lucem editi cura Caroli d'Argentré). Coustumes générales du pays et duché de Bretagne, réformées en l'an mil cinq cents quatre vingts. Aitilogia, sive Ratiocinatio de reformandi causis, auctore B. d'Argentré : Parisiis : apud N. Buon, 1608, 2 parties en 1 vol. in-fol. Rel. XVIIe s veau fauve Auteur collectif: Argentré, Charles d' (ed. scientifique).
J'ai examiné les deux exemplaires FB A42 et A43 disposant du fameux portrait. Celui qui est reproduit ici provient de l'exemplaire RES FB A42.
Exemplaire RES FB A42 :
reliure en veau brun, dos à six nerfs, caissons ornés de motifs floraux dorés, titre ARGENTRÉ BRITTANIAE
Composition de l'ouvrage :
- première page de titre
- Titre-frontispice
- Amplessimo Britanniae senatui carolus argentraeus VSLM : [dédicace ]
- Nicolas Buon Huius operis typographus optimo (3f.) [epître du libraire au lecteur]
- A M. Charles d'Argentré conseiller deu Roy et Président es Enquestes du Parlement,
- Versifications : Y. Fyot puis épigramme de Philippe d'Argentré, petit-fils de B.A, vers grecs et latins de G. Crittoni, Prof. Regis, et de Nicolas Bordionius et de Lvd de Cresolles.
- Versifications : texte grec, In Carolum..., Ad EUNDEM par Lud. de Cresolles, Brito e societate Iesu.
- Portrait et éloges versifiées
- V.C. Bertrandi Argentraei Redonensis Provincae Praesidi, Elogium Auctore Scaevola Sammarthano queastore Franciae, (3f.)
- Eloge en latin signe DD
- Typographus lectori
- In antiquae gentis argenteae...Fr. Thorius Bellion
- privilège du Roy 27 janvier 1621 signé RENOVARD
- Index titulorum Juris Britannici commentarius (2f.) Pagination par colonnes (2 par f.).
- Deuxième page de titre avec marque typographique de Nicolas Buon.
- opus, pp. 2471
- Index rerum verborum
- page de titre : Coutume générale du pays et Duché de Bretagne
- Lectori
- Versifications Ad Britanniam (S.S.S fecit) et Sonnet d'Y. Fryot.
- Les Privilèges, Franchises et Libertez des pays et Duché de Bretagne (9 ff.).
- Index des Tiltres contenus en ce Livre coustumier, suivi de Au Lecteur.
- Coustumes générales des pays et Duché de Bretagne en l'an 1580.
- Des Droicts du prince et Aultres Seigneurs & des Aides coustumières.
- De Laudimiis tractatus.
- Table des matières
Première page de titre, f.1r :
V.C. B.D'ARGENTRÉ COMMENTARII IN CONSVETVDINES DVCATVS BRITANNIÆ. ALIIQVE TRACTATVS VARII Quarta Editio ememdatissima, plerisque in locis aucta.
"Commentaire de la Coutume du Duché de Bretagne et autres traités variés. Quatrième édition extrémement corrigée et augmentée dans de nombreux endroits."
La marque typographique de Nicolas Buon.
Elle porte la devise OMNIA MEA MECUM PORTO, "J'emporte avec moi tous mes biens" : cette sentence, citée par Cicéron dans Paradoxes I, 8, ou par Sénèque avant d'être reprise par Henri Estienne au XVIe siècle dans le Dialogue du nouveau langage françois italianisé est la traduction d'une phrase du philosophe Bias de Priène ; il la prononça en grec, mais la phrase grecque n'est pas facile à trouver. Bias est l'un des sept sages de la Grèce antique. Sauriez-vous réciter la liste de leur nom? Lavieb-aile est là pour ça. Ce sont Thalès de Milet Ἐγγύα, πάρα δ᾽ ἄτα. « Ne te porte jamais caution. » Solon d'Athènes Μηδὲν ἄγαν. « Rien de trop. » Chilon de Sparte Γνῶθι σεαυτόν. « Connais-toi toi-même. » Pittacos de Mytilène Γίγνωσκε καιρόν. « Reconnais l'occasion favorable. » Bias de Priène Οἱ πλεῖστοι κακοί. « La plupart des hommes sont mauvais.» (sur sa statue de la villa Hadriana) Cléobule de Lindos Μέτρον ἄριστον. « La modération est le plus grand bien. » Périandre de Corinthe « Prudence en toute chose. ». Avec ces sept maximes, vous êtes armés pour tout affronter, mieux qu'un couteau suisse , utilisant Cléobule, Pittacos ou Chilon selon la situation.
Notre Bias était avocat et orateur, mais ne défendait que les causes justes. Laissant la métaphysique à d'autres (mais qu'est-ce que la metaphysique, si ce n'est le bouquin du dessus de la pile), il se bornait à élaborer de bons préceptes de morales, dont il donnait l'exemple par sa pratique. Sage parmi les sages, il ecrivit néanmoins un poème de 2.000 vers consacré à l’examen des moyens de rendre l’Ionie heureuse.
Il savait conseiller ses proches avec lucidité: « Il faut vivre avec ses amis comme si on devait un jour les avoir pour ennemis », Haïssez vos ennemis avec modération, car il peut se faire qu’ils deviennent vos amis dans la suite ».
Un jour que Cyrus II roi des Perses assiègeait, à l'embouchure du méandre, la cité de Priène et qu'on avait autorisé les civils à sortir en emmenant sur son dos sses biens les plus précieux, il étonna les gardes en faction en sortant les mains vides. Quoi, pas de regret, aucun objet à sauver ? C'est alors que l'amoureux de la sagesse répondit en montrant son front : Omnia mea mecum porto.
Le libraire Nicolas Buon (15..-1628) a repris cette maxime de Bias de son père Gabriel Buon (15..-1592), lequel la tenait de Maurice de la Porte (1524-1548) et de sa veuve, décédée en 1588. Gabriel avait en effet repris de cette femme libraire le fond, l'adresse Au Clos Bruneau, à l'Image Saint-Claude, la devise et les marques typographiques qu'il utilisa de 1558 à 1587. L'une de ces marques représente "un homme chargé d'une valise à la porte d'une maison" (sic, A.J.Bernard). Nicolas Buon, successeur de son père employa à son tour les marques de son père qu'il fit regraver sous plusieurs formes au XVIe siècle.
Sur la marque, l'homme qui sort, non pas d'une maison, mais d'une porte des murailles de la ville, ne porte bien-sûr pas de valise : fièrement drapé dans sa toge, il regarde -le devrait-il ?- derrière lui, et se tourne avec dédain vers ceux qui peinent sous le fardeau de leurs biens indispensables ( Mon vœu pour 2013 : n'ajoutez plus rien !).
Tout dans la tête, rien dans les livres : mauvaise réclame pour un libraire, mais belle philosophie du coeur léger, des mains vides et du détachement. A conseiller (pour les autres.)
L'adresse du libraire. (voir image précédente).
PARISIIS / Apvd NICOLAVM BVON, viâ Iacobâ, sub signo D. Claudii, & Hominis Sylvestris.
M.DCXXVIII.
CVM PRIVILEGIO REGIS.
"Paris, chez Nicolas Buon, rue Saint-Jacques sous l'enseigne de Saint-Claude et de l'Homme Sylvestre."
J'ai déjà dit que Gabriel puis sa veuve (1597), puis son fils Nicolas Buon avaient repris l'enseigne "de Saint-Claude". Nicolas Buon, actif à Paris de 1598 à 1628*, indique dans ses livres "Au Mont Saint-Hilaire", "Rue Saint-Jacques, près les Mathurins", et "à l'enseigne /à l'Image Saint-Claude".
*On trouve en 1627-1640, "Veuve de Nicolas Buon".
Dans Garamond.culture.fr un site que j'apprécie beaucoup se trouve le plan de Paris sur lequel sont reportés tous les libraires de 1540. On trouve alors dans la rue Saint-Jacques, "pres les Mathurins", André Berthelin, à l'image Saint-Claude , et un peu plus loin, en traversant la rue des Mathurins, parmi une quinzaine de confrères, Nicolas Gilles, à l'enseigne de l'homme sauvage. En 1581, c'est le libraire Guillaume Chaudière qui donne son adresse "Rue Saint-Jacques, à l'enseigne du Temps et de l'homme sauvage".
Notice sur Nicolas Buon.
Nicolas Buon, fils de Gabriel Buon (libraire-juré depuis 1558) et de Jeanne Rondel, ne semble pas avoir été libraire-imprimeur, mais avoir fait imprimé ses livres (par exemple par Denis Binet). Sa fille Marie Buon épousé Barthélémy Massé, libraire, puis Claude Sonnius, libraire le 2 mai 1624 et fils de Jean Sonnius, libraire.
Son père exerçait son métier au Mont-Saint-Hilaire dans ce quartier Saint-Hilaire situé juste au nord du quartier Saint-Jacques et qui regroupa jusqu'à 14 libraires.
Il fut agréé libraire-juré en 1600.
Aprés l'adoption le 9 juillet 1618 du Premier réglement général sur l'imprimerie et la librairie, qui stipule qu'une chambre syndicale représentative soit constituée, il est nommé dès la première élection, le 17 juillet 1618, avec quatre autres membres.
Jean de la Caille indique :"Nicolas Buon, fils de Gabriel, fit imprimer par Denis Binet Chroniques et Annales de France par Nicol. Gilles in folio en 1600 et avec Robert Fouët Epitome disputationum [...] in octavo 4 volumes en 1603 ; la Coutume d'Orléans par Duret in quarto en 1609, Abelardi opera in quarto en 1616 [ Œuvres complètes d'Abélard avec la première édition des Lettres d'Héloïse et Abelard]. Il a ausii fait imprimer plusieurs éditions de la Coutume de Bretagne commentée par d'Argentré, sçavoir une en 1608, 1619 et 1628. Cette dernière édition est la meilleure édition de toutes celles que l'on ait imprimées jusqu'à présent, à cause qu'elle est plus ample. Annales ecclesiastici vet. et novi testamenti auct. Saliano, in folio six volumes en 1619. Arret de Papon in quarto 1621, Excerpta et tragediis & comaediis graecis...in octavo en 1628, plusieurs traductions de l'Ecriture Sainte par Guilbert in octavo en 1627. Il s'est acquis une grande réputation par la grande quantité de livres qu'il a publié & par les usages réformez, pour l'impression desquels et autres ouvrages considérables il était associé en plusieurs Compagnies.[...] Il épousa en première noce Blanche Chaudière [ grande famille de libraire] et en seconde noce Marie Drouyn, desquels il eut quelques enfants, dont un a esté notaire au Chastelet de Paris. Il fut enterré à Saint-Benoist."
Il faut aussi signaler l'édition, en 1623, des Œuvres de Pierre de Ronsard, la quatorzième collective et la septième posthume. Edité par Claude Garnier, d'après les travaux de Jean Galland, et de Philippe Galland, ce monument littéraire est orné de nombreux portraits gravés par Léonard Gaultier et Thomas de Leu. Nicolas Buon est LE libraire de Ronsard.
Venant juste après le titre précédent, le Titre-frontispice est gravé sur cuivre par Léonard Gaultier. C'est, bien-sûr, un cadre type, personnalisé en plaçant les armoiries de la Bretagne présentées par les deux Victoires dont l'une porte sur sa trompette un fanion aux armes de d'Argentré et l'autre l'emblème de Bertrand d'Argentré, une flamme.
Au dessus des deux chapiteaux, les métopes recoivent deux D entrelacés en miroir.
Les deux Allégories sont la Paix (rameau d'olivier) et la Justice (Glaive et balance).
Le titre est différent de la page précédente :
V.C B. D'ARGENTRÉ REDONENSIS PROVINCIÆ PRÆSIDIS COMMENTARII IN PATRIAS BRITONVM leges, seu Consuetudines generales antiquissime Ducatus Britanniae. IN LVCEM EDITI CVRA ET studio V.C. CAROLI D'ARGENTRÉ B.F. & in Senatu Armorico Praesidi &c.
EDITIO QVARTA EMENDATISSIMA, plerisque in locis multum aucta ex auctoris...
"B. d'Argentré Président du Présidial de Rennes : Commentaires sur les lois et tres anciennes coutume générale du pays breton et Duché de Bretagne. Edité à la lumière des travaux et des soins de Charles d'Argentré B.F etc..."
Je m'interesserai surtout à sa partie inférieure :
Sous la colonne de gauche, on voit un saint évêque bénissant un enfant : c'est saint Claude, correspondant à l'Image Saint-Claude que nous avons vu. Elle est accompagnée de la mention Cum privilegio regis 1628. De l'autre coté, c'est l' "homme sauvage" de l'autre enseigne.
Dans le médaillon central se trouve inscrit à nouveau les coordonnées du Libraire. Mais au dessous se trouve son chiffre, un "quatre de chiffre" dont la hampe à double traverse sert d'appui et de fut aux deux lettres initiales du libraire. La devise Omnia mea ... n'y figure pas, comme si, dans cette gravure réalisée à son nom plutôt que de reprendre les bois gravés de son père, Nicolas renonçait à l'ancienne devise.
On remarque que le personnage n'est pas dénommé "homme sauvage", mais "homme sylvestre", ou homme des bois. Couvert de poil et armé d'une massue, c'est plus qu'un homme pré-historique, un homme-animal ou homme- sauvage dont Merlin est un avatar.
Sur la base du pilier figure l'inscription L. Gaultier incidit, "taillé par L. Gaultier".
a) sur le terme "incidit" : le verbe incido signifie "tailler, inciser" et "graver, buriner". Les graveurs sur bois étaient nommés incisor lignorum à la fin du XVe siècle, alors que les "faiseurs d'images de papier, ou imagiers en papier, peintres en bois", dessinaient le motif sur le bloc de bois qui est taillé par un artisan nommé "tailleur d'histoires".
Le "graveur" ne désigne au début du XVIe siècle que l'employé de l'orfèvre qui grave au burin le métal. Pour s'en distinguer, les graveurs d'estampes du milieu du XVe prennent le nom de"graveurs sur cuivre", in aes incidebat. C'est ce nom de "graveur sur lames de cuivre" que portent dans les années 1585-1588 Thomas de Leu et Léonard Gaultier. Le terme de "taille douce" apparaît ou se diffuse vers 1580, et Thomas de leu et Léonard Gaultier se font appeller "graveurs en taille douce" à partir de 1594. (Source : Jean Adhémar)
b) Léonard Gaultier (1561-c1635. Actif de 1576 à sa mort).
Dessinateur, graveur et illustrateur, c'est, avec Thomas de Leu, le portraitiste le plus réputé de son temps. Il est le fils d'un orfèvre de Paris, soulignant la parenté entre le métier de graveur de pièces d'orfévrerie et celui de graveur d'estampes. Il s'installa à partir de 1599 ... rue Saint-Jacques, à l'enseigne de la Fleur du Lys d'or. On le dit gendre d'Antoine Caron, et, comme tel, beau-frère de Thomas de Leu.
On voit donc à l'occassion de ce simple volume comment s'entrecroisent les fils des relations familiales et de voisinage entre les différents professionnels du livre, regroupés autour de la rue Saint-Jacques.
Aussi Nicolas Buon assure-t-il, comme libraire, un rôle de coordinateur : c'est lui, sans-doute, qui propose à Charles d'Argentré les artistes et graveurs. C'est lui qui, par les éditions qu'il a déjà mené, peut solliciter les auteurs habitueés à composer des épigrammes et des éloges. C'est sans-doute lui aussi qui s'occupe de loger le commanditaire du livre lors de ses séjours parisiens, puisque dans un Privilège, on découvre que Charles d'Argentré demeure rue Saint-Jacques. C'est enfin lui qui rédige plusieurs pages de présentation et d'introduction, et c'est même lui qui traduit du latin l'Ancienne Coutume.
D'une façon générale, Nicolas Buon joua un rôle important d'intermédiaire de premier plan dans le monde des Lettres, "contribuant à lancer en France certains textes célèbres dans leur pays d'origine en les faisant traduire". H.J. Martin; Livre, pouvoir et société, 1969.
Il nous reste à découvrir diverses ornementations, comme ce cul-de-lampe :
L'éditeur égaye son texte par les initiales historiées, sans-doute puisées dans le fond ancien, et sans rapport avec le texte. Cet angelot s'accoude sur la traverse du A, sous un dais arpenté par les escargots tandis que des sortes de hérons se perchent sur les rinceaux.
Pas de rapport entre le texte et la lettrine ? Sans-doute, lorsque l'on découvre cette lettre C au thème scatologique, qui débute l'éloge composé par "Scaevola Sammarthano".
L'auteur de cet éloge ainsi bafoué est Scévole de Sainte-Marthe, l'auteur de La manière de nourrir les enfants à la mamelle.
Gaucher II, dit Scévole de Sainte-Marthe, né le 2 février 1536 à Loudun où il est mort le 29 mars 1623, est un poète français issu d'une grande famille d'humanistes et d'érudits français. Il demeure le produit parfait de la floraison intellectuelle de la fin du xvie siècle. Poète et administrateur, il fut capitaine et maire de Poitiers (1579-15801) puis trésorier de France dans la même généralité – ses vers furent très prisés par Pierre de Ronsard et Étienne Pasquier ; son éloquence auprès d'Henri IV le rendit célèbre
La deuxième page de titre :
L'exemplaire RES FB A43 :
Une plume anonyme a reproduit " l'avis de Hévin, extrait de l'avertissement d'Hévin, à la tête des plaidoyers de M. ..., édition de 1684. Il faut mettre, dit-il, de la différence entre ses ouvrages, ce que ne font pas la plupart de ceux qui les lisent, qui trouvant toutes ses œuvres ramassées dans un seul volume, s'imaginent qu'elles ont eu également ses derniers soins et qu'elles sont de même valeur. je me sens obligé d'avertir le public...!... " etc...