Oberthür et les noms vernaculaires :
étude zoonymique de la Faune Entomologique armoricaine de Charles Oberthür et Constant Houlbert 1912-1921.
Prologue.
Je me propose d'étudier l'usage qui est fait des noms vernaculaires de papillons de jour (Rhopalocères) dans un ouvrage de lépidoptérologie au début du XXe siècle, afin de mieux rendre compte de l'usage vernaculaire dans les milieux spécialisés français de cette période, et de replacer le constat qui en sera fait dans une vision plus globale de l'histoire des noms français de papillons depuis leurs créations avec Geoffroy (1762), Engramelle (1779) et Godart (1823), jusqu'à Gérard Luquet (1983) et les publications du XXIe siècle.
Résumé :
La liste des espèces citées dans cet ouvrage avec leur zoonymes (noms propres) fait apparaître un usage inconstant et mal discipliné du nom vernaculaire. Seuls deux auteurs français sont cités, Geoffroy et Engramelle, mais le nom n'est pas toujours fidèle à leur créateur. Pour désigner les espèces dans le texte, il est fait couramment appel au nom scientifique sous une forme abrégée et pseudo-francisée par la précession d'un article (Les Athalia, etc.). La mention du nom français semble même improvisé, comme si chaque auteur choisissait d'extraire de la littérature ou de sa mémoire les noms de certaines espèces, comme une illustration plaisante, une concession au domaine vulgaire, et de s'affranchir de cette vignette "couleur locale" s'il est moins inspiré.
On mesure alors le chemin parcouru sous l'influence de Gérard Luquet (1983), les Guides et Atlas européens, nationaux ou régionaux mentionnant désormais de manière systématique et coordonnée le, ou les zoonymes vernaculaires validés par l'INPN du Muséum, et, depuis peu, les accompagnant d'un commentaire "étymologique", selon l'usage inapproprié mais courant.
snv = sans nom vernaculaire.
Papilio machaon : Le grand Porte-Queue de Geoffroy.
P. Podalirius : Le Flambé de Geoffroy.
Aporia crataegi : le Gazé de Geoffroy.
Pieris napae : le Papillon blanc veiné de vert de Geoffroy.
P. Daplidice : Le Papillon blanc marbré de vert, Ernst.
P. Brassicae : Le Grand papillon blanc du Chou, Geoffroy.
P. Rapae, Le Petit papillon du Chou, Geoffroy.
Euchloé belia. : snv.
Euchloé ou Anthocharis Cardamines L'Aurore de Geoffroy.
Leptidia sinapis, Le papillon blanc de lait de Ernst
Colias edusa, le Souci de Geoffroy.
Colias hyale snv ; La Coliade soufrée.
Gonopteryx rhamni Le Papillon citron de Geoffroy.
Apatura iris : Mars changeant « par les anciens auteurs ». Le Grand Mars changeant p. 78.
Apatura ilia Le Petit Mars Changeant p. 80.
Limenitis populi Le Grand Silvain p. 83.
Limenitis sybilla Le Petit Silvain p. 84.
Limenitis camilla, Le Sylvain azuré p. 86
Pyrameis atalanta le Vulcain.
Pyrameis cardui la Belle Dame p. 91
Vanessa io, snv puis Paon du jour p. 98, hors du paragraphe qui lui est consacré.
Vanessa antiopa, la Vanesse Antiope, p. 96.
Vanessa urticae, la Vanesse petite Tortue p. 98.
Vanessa polychloros, La Grande Tortue p. 100
Polygonia P.C album, Robert-le-Diable ou Gamma.
Melitaea cinxia, snv.
Melitaea Phoebe, snv.
Melitaea Didyma. "Le Damier première espèce, ainsi que l'appelle le P. Engramelle".
Melitaea athalia, Le Damier d'Engramelle.
Melitaea Aurelia, snv.
Melitaea parthenie, snv (La Parthenie)
Melitaea Artemis, snv.
Melitaea Dictynna
Argynnis Pandora, snv.
Argynnis Paphia, "L'Argynne Tabac d'Espagne, (Geoffroy, tome 2 page 42)".
Argynnis Aglaja, Le Nacré, ainsi que l'appelle le P. Engramelle.
Argynnis Adyppe, Le Grand Nacré.
Argynnis Lathonia, le Petit Nacré.
Argynnis Dia, la Petite Violette.
Argynnis Euphrosyne. Note 1 : « C'est cette particularité qui a fait donner à cette espèce le nom de Collier argenté par Geoffroy. Mais il est certain que le nom convient aussi bien aux argynnis Selene et Dia. »
Argynnis Selene. Le Grand collier argenté page 136.
Melanargia galathea. « Le Demi-deuil, comme l'appelle Geoffroy ».p. 139.
Satyrus Circe, snv.
Satyrus, Fauna, snv.
Satyrus Dryas : "Le Grand Nègre des bois, ainsi que l'appelle Geoffroy" p. 148.
Satyrus Arethusa : « Le Petit Agreste, ainsi que l'appelle le P ; Engramelle »
Satyrus Briseis : « Le Satyre Hermite, nom que le P ; Engramelle donne à Briseis ».
Satyrus Hermione : Le Grand Sylvandre.
Satyrus Semele, Le Satyre agreste.
Pararge Achine (Dejanire) : "les auteurs anciens avaient donné à cette espèce le nom de Bacchante".
Pararge Aegeria, snv.
Pararge Maera : snv.
Pararge Megoera : snv.
Aphantopus Huperanthus : "Le Satyre Tristan, ainsi que l'appelle Geoffroy".
Epinephele Janira : snv (une note rappelle les noms donnés par Geoffroy, Myrtil et Corydon)
Epinephele Tithonus : snv.
Coenonympha Oedipus : snv.
Coenonympha Pamphilus : snv.
Coenonympha arcanius : snv.
Nemeobius lucina ; snv.
Thecla W-Album, le Porte-Queue brun d' Engramelle.
Thecla Ilicis, le Porte-Queue brun à taches fauves.
Thecla acaciae : le Polyommate de l'Acacia.
Thecla pruni, le Porte-Queue brun à lignes blanches d'Engramelle.
Callophrys rubi : l'Argus vert d'Engramelle.
Zephyrus betulae, le Porte-Queue à bandes fauves.
Zephirus quercus, le Polyommate du chêne.
Chrysophanus Phlaeas : l'Argus bronzé d'Engramelle.
Chrysophanus Xanthe : l'Argus myope d'Engramelle.
Lampides boeticus : Le Porte-Queue bleu strié d'Engramelle.
Everes argiades, le Petit Porte-Queue d'Engramelle.
Lycaena armoricana, l'Argus armoricain.
Lycaena aegon, l'Argus bleu.
Lycaena baton, l'Argus bleu violet.
Lycaena Astrarche, snv.
Lycaena Icarus (Alexis), l'Argus bleu d'Engramelle.
Lycaena Bellargus, l'Argus bleu céleste.
Lycaena Corydon, L'Argus bleu nacré d'Engramelle.
Lycaena Minima (Alcus) : snv.
Lycaena Semiargus : le Demi-Argus d'Engramelle.
Lycaena Cyllarus : l'Argus bleu à bandes sombres.
Lycaena Alcon, : Argus de la Gentiane.
Lycaena Arion : snv.
Cyaniris argiolus : l'Argus bleu à bandes brunes.
Heteropterus Morpheus : l'Hespérie Miroir p. 234.
Pamphila Paelemon : « que les anciens entomologistes français désignaient plus volontiers sous le nom d'Échiquier » (p. 236).
Adopaea lineola : snv.
Adopaea Thaumas : snv .
Adopaea Actaeon : snv.
Augiades Comma : Hesperia Comma .
Augiades Sylvanus : Hesperia Sylvanus.
Calcharodus Alceae : snv.
Calcharodus Alteae : snv.
Hesperia Carthami : snv.
Hesperia Sao : snv.
Hesperia Serratulae : snv.
Hesperia Alveus : Syrichtus.
Hesperia Armoricana : « M. Charles Oberthür pense que c'est la Fritillaire de Godart ».
Hesperia Cirsi : snv.
Hesperia Malvae : « le Syrichtus Malvae ».
Thanaos tages : snv
Étude.
— Nombre d'espèces : 101.
— Nombre de nom vernaculaire : 65. (65,6%).
— Auteurs cités : Geoffroy (14 espèces), Ernst, peintre des planches d'Engramelle (2), Engramelle (13), Godart (1 fois). Plusieurs périphrases telles que "les anciens entomologistes", les auteurs anciens". Une seule mention bibliographique pour le Tabac d'Espagne.
— Emplacement de la mention du nom :
- Dans la légende de l'illustration : les onze premières espèces.
- A la suite de la première mention du nom d'espèce : une fois.
- Dans le cours du texte : le plus habituellement.
- Hors du paragraphe : une fois.
- En note de bas-de-page : Une fois ("Myrtil et Corydon").
— Typographie :
- Sans italiques : les onze premières espèces.
- En italique : régulièrement après ces onze premières espèces.
- Sans italique à l'occasion.
Conclusion.
Après la riche période 1762-1849 — Geoffroy en 1762, Engramelle en 1779, et à un moindre titre Godart en 1819-1821 repris pare Duponchel en 1849— , les années 1850-1985 ont été une période d'abandon de l'usage des noms vernaculaires par les lépidoptéristes français, alors qu'il n'en allait pas de même chez les auteurs anglosaxons. Un exemple frappant est l'étude des écrits de Francis Hemming, secrétaire de l'ICZN, qui utilise, entre 1929 et 1960, les noms vernaculaires anglais dans ses études taxonomiques en faisant même souvent abstraction du nom scientifique. Dans cette traversée du désert, Oberthür se révèle malgré tout suffisamment averti et connaisseur des noms vernaculaires créés par ses prédécesseurs pour les citer à l'occasion. Mais il les place souvent entre parenthèses, comme un a parte anecdotique colorant ses propos par une note indigène, et jamais par usage méthodique et principal. Il semblerait que, comme les petits paysans bretons de son époque, qui étaient punis lorsqu'ils employaient leur langue, ou comme un homme de province gêné de son accent face à des parisiens, il éprouve une certaine honte, et ne dévoile le jardin secret des noms qui lui sont familiers qu'en plaçant sa main devant sa bouche.
Grâce à lui, néanmoins, les noms de Geoffroy et d'Engramelle, tout imprégnés de la culture littéraire raffinée du XVIIIe siècle, revivent un peu avant de disparaître, pour beaucoup d'entre eux.