Histoire des noms français de papillon I : Étienne Louis Geoffroy 1725-1810.
Rappel :.
Cette histoire repose pour l'essentiel sur trois auteurs:
- Étienne Louis Geoffroy qui publie les deux tomes de son Histoire abrégée des insectes en 1762.
- Jacques Louis Engramelle, dont les 8 volumes des Papillons d'Europe paraissent de 1779 à 1792.
- Jean-Baptiste Godart, qui n'achéve pas son Histoire Naturelle des Lépidoptères parue de 1821 à 1842 et terminée par Duponchel.
L'Histoire abrégée des insectes d' Etienne Louis Geoffroy.
1) Etienne-Louis Geoffroy.
Voir dans ce blog pour un complément Étienne-Louis Geoffroy, médecin et entomologiste français (1725-1810).
a) Une lignée d'apothicaires et de médecins.
Étienne-Louis Geoffroy appartient à une illustre famille d'apothicaires parisiens férus de botanique et de chimie : son père et son oncle, rivalisérent en compétence en matière d'histoire naturelle et de chimie et furent tout deux membres de l'Académie Royale des Sciences. Comment souligner avec assez de force que chacun de ces ancêtres furent des scientifiques qui atteignirent le plus haut niveau d'exercice de pratique, de recherche et d'enseignement de leur science, que leur réputation fut immense, qu'ils étaient en relation avec les plus grands esprits du temps ? Comment faire comprendre qu' Étienne-Louis ne fut pas "apothicaire" (comme cela figure dans ses biographies issues de Wikipédia), mais médecin et, plus spécifiquement, scientifique ? Comment souligner avec assez de conviction que son père, qui devait en tant qu'aîné reprendre l'officine familiale, se désista pour être docteur-régent et se vouer à la chimie et à l'étude scientifique des remèdes ? Comment souligner que ce père fut l'auteur (posthume) d'une "bible", sa Matière médicale, sorte de Flore médicale pour les pharmaciens et médecins qui resta une référence ? Comment illustrer l'étendue des connaissance et des relations scientifiques de l'auteur de l'Histoire des insectes ?
- Son arrière-grand-père paternel fut premier échevin de Paris (1636).
- Son grand-père paternel, Matthieu-François Geoffroy, marchand-apothicaire (rue Bourg-Tibourg) était ancien échevin et ancien consul. Ce fut, grâce à la protection prestigieuse du chancelier Michel le Tellier, l'un des apothicaires parisiens les plus considérables sous Louis XIV, et en 1690, il eut l'insigne honneur d'être appelé à Versailles par ordre du roi auprès de Madame la Dauphine, alors atteinte de la maladie qui devait l'emporter quelques mois plus tard, et de lui administrer "des extraits de quinquina en petite pilules dorées". Sa pharmacie, que le médecin et naturaliste britannique Martin Lister décrivit élogieusement en 1698, était bien vaste, décorée avec goût, et complétée par des laboratoires bien outillés. ( P. Dorveau 1931).http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pharm_0035-2349_1931_num_19_74_9919
- Son père est Étienne François Geoffroy (1672-1731). Reçu maître-es-arts le 2 août 1689, compagnon apothicaire en 1792-1793 à Montpellier auprès de Pierre Sanche, il prêta son serment d'apothicaire en 1794, mais ce fut pour décider d'entamer des études de médecine qu'il acheva en 1794. Élève dès 1699 du chimiste Guillaume Homberg à l'Académie des sciences, il en devint membre associé, puis pensionnaire en 1715. Nommé professeur de chimie au Jardin du roi en 1712 en succession de Fragon qui se démit en sa faveur, nommé professeur de médecine (en succession de Tournefort) et de pharmacie au Collège Royal, il était aussi membre de la Société Royale de Londres et responsable des relations entre l'Académie des sciences et la Royal Society, échangeant une correspondance avec Sloane. En tant que docteur-régent (équivallent de Professeur d'université), il enseignait aussi la médecine à la Faculté de Paris, et fut doyen de la faculté de 1726 à 1729. Etienne François, dit Geoffroy l'ancien pour le distinguer de son frère, est aussi l'auteur (posthume) d'un Traité de Matiére Médicale (Tractatus de materia medica de vegetabilibus exoticis sive de medicamentorum simplicium - Historiâ, virtute, delectu & usu.) qui fut traduit dans la plupart des langues européennes, et totalise 147 éditions de 1740 à 2005. Il avait reçu de son père une éducation soignée, où celui-ci organisait à cette fin "des conférences réglées, où Cassini apportait ses planisphères, le P. Sébastien Truchet, Carme, ses machines, M. Joblot* ses pierres d'aimants, où M. du Vernay** faisait des dissections, et M. Homberg des opérations de chimie" (Eloge de Geoffroy par Fontenelle). Par cette éducation d'élite, il fut l'un des chimistes les plus importants des débuts du XVIIIe siècle.Il disposait au troisième étage de sa maison de la rue des Singes d'un laboratoire pour ses recherches. L'histoire des sciences a retenu sa « Table des rapports entre les différentes substances » qu’il présenta en 1718 à l’Académie royale des sciences, devenant ainsi l’inventeur de la théorie des affinités chimiques qui constitue l’un des piliers de la chimie.
Voir Bernard Joly 2012.
* Louis JOBLOT,(1645-1724) est connu pour ses Observations d'histoire naturelle faites avec le microscope sur un grand nombre d'insectes, et sur les animalcules, deux tomes, 1755. Impliqué dans la théorie de la vie, il doit être inclus, après Redi et Leeuwenhoek, dans la liste des chercheurs qui ont réfuté la doctrine de la génération spontanée. Joblet s'intéressa aussi à la physique et spécialement au magnétisme. En 1701, il construit le premier aimant artificiel, à l'aide de fines rayures de fer aimanté, un arrangement qui est habituellement attribué à Pierre Lemaire (1740).
**Joseph-Guichard Du Verney, ou Duverney, ( 1648 - 1730, est un médecin français connu pour ses travaux d'anatomie.
***Guillaume Homberg ( 1652 – 1715 ) était un chimiste hollandais qui a beaucoup travaillé dans l'Académie Royale des Sciences où il a collaboré avec Étienne-François Geoffroy et Louis Lémery. Il a découvert l'acide borique, et une espèce de chlorure de calcium phosphorescent.
- Son oncle Claude Joseph Geoffroy (1685-1752), dit Geoffroy le Cadet pour le distinguer de son frère aîné, fut un pharmacien réputé également, qui rédigea pas moins de soxante mémoires pour l'Académie des sciences, tant en botanique ou en histoire naturelle qu'en chimie et en pharmacie. Selon Wikipédia, "Geoffroy suit les cours de Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708). Entre 1704 et 1705, il accomplit dans le midi de la France un voyage dont il rapporte une riche collection de plantes et de graines. En 1708, il reprend la pharmacie de son père après la mort de ce dernier. En 1731, il est nommé inspecteur de la pharmacie de l'Hôtel-Dieu et échevin. Il devient élève botaniste à l'Académie des sciences le 23 mars 1707, associé botaniste le 14 mai 1711, puis associé chimiste le 7 décembre 1715, enfin pensionnaire chimiste le 14 mai 1723. Le 9 juin 1715, il est nommé Fellow de la Société royale de Londres. Il fait paraître un grand nombre de mémoires dans les Recueils de l’Académie des sciences. Il est membre de la Faculté de médecine de Paris et de l'Académie des sciences." Il possédait un cabinet d'histoire naturelle réputé, et dont les collections, après la mort prématurée de son fils Claude-François (1729-1753), revinrent à son neveu Étienne-Louis Geoffroy qui en établi en 1753 le Catalogue raisonné des minéraux, coquilles et autres curiosités naturelles contenues dans le cabinet de feu M. Geoffroy. On y trouve, outre la collection de bézoards "la plus belle et la plus complète qui soit à Paris", et la collection de coquillages, des tableaux contenant des papillons sous verre, français ou étrangers, et dont je remarque que le jeune (23 ans) Étienne-Louis n'utilise aucun nom spécifique pour les désigner.
- La publication posthume de la Matière Médicale d'Étienne-François Geoffroy. "Il [Etienne-François Geoffroy] avait entrepris de dicter à ses élèves une histoire complète de la matière médicale. Le médecin de la marine Étienne Chardon de Courcelles, correspondant de l'Académie des sciences, né à Reims en 1741, mort en 1780, recueillit tout ce qui avait été donné en seances publiques par l'illustre doyen, et le publia en 3 volumes in_8° à Paris sous le titre de Traité de matière médicale, ou Histoire des médicaments simples, de leur vertu, de leur excellence et de leur usage (tractatus de materia medica, etc...°. Dans le tome premier il est traité des fossiles, dans le second des végétaux exotiques, dans le troisième des végétaux indigènes. Antoine Bergier traduisit cet ouvrage estimable du latin en français, et le publia en 7 volumes un_12, de 1741 à 1743 ; puis il le compléta, en 1750, par 3 volumes in-12, pour ce qui était des végétaux, avec l'aide de Bernard de Jussieu, depuis la Mélisse jusqu'au Xyris. D'autres auteurs se chargèrent d'y ajouter une partie zoologique. Le docteur et professeur de médecine Jean Goulin y annexa en 1770 une table générale alphabétique, et l'académicien Garsault, qui était non-seulement distingué en hippiatrie et en anatomie, mais encore habile pour le dessin, y joignit en 1764 les figures des plantes d'usage en médecine, exécutées d'après nature par lui-même, et gravées par quatre des plus remarquables artistes de son temps ; le travail de Garsault, comme complément de Geoffroy, se compose de 730 planches in-8°, contenant 719 plantes et 134 animaux, et d'une Description abrégée de ces mêmes planches qui furent ensuite adaptées au Dictionnaire raisonné universel, appelé subséquemment Dictionnaire des plantes usuelles, par Delabeyrie et Goulin (1733 et 1793). La Matière médicale de Geoffroy méritait la longue renommée dont elle a joui, et peut être encore consultée avec fruit. Le voyageur et botaniste Jacquin a donné le nom de Geoffroea à un genre de plantes légumineuses exotiques, dont l'une, originaire de Surinam, a une écorce réputée bon vermifuge. Précis de l'histoire de la botanique pour servir de complément à l'étude du Règne Végétal, par L.G. Paris 1871."
b) Un ancêtre maternel : le chirurgien Jean Devaux.
L'arrière grand-père maternel d' Étienne-Louis Geoffroy est Jean Devaux (1649-1729), chirurgien, ancien prévôt du collège royal de chirurgie. Fils de Jean Devaux (mort en 1695) qui était lui-même chirurgien et doyen de la compagnie des chirurgiens parisiens, il est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages, dont, en 1722, un Traité complet de Chirurgie en 3 volumes et un Traité des Accouchements.
c) Notre auteur, Etienne Louis Geoffroy, est né le 12 octobre 1725 à Paris, et mort en 1810 à Chartreuve, près de Soissons. Docteur en médecine comme son père, il fut l'un des praticiens les plus renommés de son temps, comme docteur-régent de la faculté de médecine de Paris, correspondant de l'Académie des Sciences et de l'Institut, et conseiller du roi. Dans le domaine médical, il écrivit en 1778 un Mémoire sur les bandages propres à retenir les hernies et en 1800 un Manuel de médecine pratique, mais il se signala surtout par son Hygieine, sive Ars sanitatem conservandi, poema de 1771, où, comme l'écrit Joseph-Marie Quérard dans La France Litteraire de 1829, il réunit le double mérite de l'élégance et de l'exactitude en chantant en beaux vers l'art utile et négligé de conserver la santé, ce qui en fait, pour le critique," la première bonne hygiéne qu'on ait publiée en France". Le poéme hygiénique fut traduit dès 1774 par Delaunay, puis en 1839 par Lequenne-Cousin.
Il trouva le temps de produire une Dissertation sur l'organe de l'ouïe 1° de l'homme, 2° des reptiles et 3° des poissons,( Amsterdam et Paris, 1778, in 8°), http://catalog.hathitrust.org/Record/009549684 en reprenant une publication de 1755 qu'il avait confié au Recueil des Savants étrangers. Ces recherches dépassent, selon J.M.Quérard, celles de Camper et de Vicq d'Azyr, et "suffiraient pour démontrer que l'anatomie des brutes répand une vive lumière sur celle de l'homme."
Lui aussi étendit sa curiosité aux différents domaines de l'histoire naturelle (l'étude de la botanique et de la chimie étant de toute façon incluse dans les études de pharmacie), et il réunit en son domicile du Marais rue des Singes un Cabinet de curiosité d'une grande richesse en insectes et papillons. Le Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris s'enorgueillit encore aujourd' hui de conserver parmi les 20 millions de spécimens d'insectes, et comme sa collection la plus ancienne datant de 1780, la collection d'Etienne-Louis Geoffroy, très riche en types primaires, et en excellent état de conservation.
Ce Cabinet d'Histoire Naturelle avait été hérité de son oncle, qui avait privilégié la minéralogie et la conchyliologie, comme en témoigne l'inventaire que dressa Etienne-Louis alors agé de 28 ans , en 1753 :Catalogue raisonné des minéraux, coquilles et autres curiosités naturelles contenues dans le cabinet de feu M. Geoffroy (Paris : H.-L. Guérin et L.-F. Delatour). En 1767, il rédigera son propre travail sur le sujet, le Traité sommaire des coquilles, tant fluviales que terrestres, qui se trouvent aux environs de Paris (Paris : J.-B.-G. Musier fils).
II. L'Histoire abrégée des insectes.
L' ouvrage principal de Geoffroy est son Histoire abrégée des insectes qui se trouvent aux environs de Paris, dans laquelle ces animaux sont rangés suivant un ordre méthodique, publiée chez Durand à Paris en 1762, dans lequel il n'indique pas de noms latins ; ceux-ci seront proposés par Antoine-François Fourcroy (1755-1809) dans Entomologia parisiensis en 1785, un ouvrage qui se contente de reprendre celui de son prédecesseur en latin avec la mention du nom binominal linnéen.
Les deux volumes sont datés de 1762 pour la première édition, mais on trouve des éditions de 1764, et celle de 1779 "revue, corrigée, et augmentée d'un supplément considérable", ou une édition de 1800.
Nous avons vu que ce travail était basé sur la collection personnelle et familiale de Geoffroy ; mais il s'est appuyé sur d'autres sources, comme la collection d'un certain M. de Plessis, "gentilhomme de Champagne". Ce serait un inventaire des espèces que l'on peut rencontrer lors de promenades dans un rayon de deux ou trois lieues autour de Paris, et le Bois de Boulogne semble la destination principale des naturalistes, mais il est évident que la participation de correspondants de province a procuré à Geoffroy un recrutement spatial plus large.
Geoffroy propose six ordres d'insectes : les coléoptères, les hémiptères, les tétraptères à ailes farineuses, les tétraptères à ailes nues, les diptères et les aptères.
Les papillons sont traités dans le volume 2, ce sont les "tétraptères à ailes farineuses". Geoffroy explique rapidement que cette "farine" quue les ailes laissent sur les doigts qui manipulent les ailes de ces insectes est faite d'écailles, et nous retrouvons dans le titre de cette section l'équivallent du mot "lépidoptère", ailes à écailles.
Cette publication décrit et nomme pour la première fois un grand nombre d'insectes, mais l'absence de la mention binominale linnéenne prive Geoffroy de son droit à être considéré comme auteur dans nombre de cas, où c'est la publication de 1785 par Fourcroy qui est valide. Or, la même année,O.F. Müller publiait Entomostraca seu insecta testacea dans lequel il reprend . De même, en 1764, Müller avait publié Fauna insectorium Fridrichsdalinacontenant un tableau reprenant, mis en paralléle avec les genres de Linné, les noms génériques de Geoffroy et ses descriptions, ce qui lui a octroyé le titre d'auteur générique des descriptions de son collègue français.
Selon I.M. Kerzhner (Bull. Zool. Nomenc. 48(2) juin 1991), Geoffroy a crée 59 nouveaux genres dont 16 admis (en 1991) sur la Liste Officielle de nomenclature. Depuis, parmi les lépidoptères, la paternité du genre Pterophorus lui a été reconnu. Il est aussi l'auteur du nom spécifique du Souci, Colias croceus.
Mais notre propos porte sur les noms français :
1) les Rhopalocères.
En 2000, Tristan Lafranchis évalue le nombre de papillons diurnes de France, Belgique et Luxembourg à 247 espèces (237 à 265) dans son ouvrage Les Papillons de jour, Biotope éditeur, ce qui représente un total de plus de 320 zoonymes français. Etienne Louis Geoffroy en décrivit 48, J. Engramelle en décrit 136 mais il se donne comme cadre l'Europe et non la France, et J.B. Godart en propose 94 espèces.
Ainsi Geoffroy baptisa-t-il le cinquième de notre faune de rhopalocères. 38 de ces zoonymes sont toujours en usage, parmi les plus courants : Morio, Paon-du-jour, Grande et Petite Tortue, Robert-le-diable, Vulcain, Belle-dame, Tabac d'espagne, Grand et Petit Nacré, Collier argenté, Damier, Silène, Tristan, Bacchante, Tircis, Myrtil, Satyre, Amaryllis, Procris, Céphale, Flambé, Mars, Argus bleu, Demi-Argus, Argus brun, Argus myope, Argus vert, Bronzé, Miroir, Bande noire, Plein-chant, Grisette, Gazé, Aurore, Demi-deuil, Citron, Souci.
Les noms que la postérité a retenu sont ceux qui résultent d'un vrai travail de création, ancré dans notre langue et notre culture, mélangeant le nom de baptème arbitraire issu de la littérature pastorale ou antique, le nom métaphorique, le qualificatif descriptif poétisé.
Ceux qui ont été remplacé sont ceux qui étaient trop simplement descriptifs : Le Grand papillon à queue du fenouil (le Machaon), le Porte-queue bleu strié, le Grand papillon blanc du chou (Piéride du chou), le Papillon blanc veiné de vert...
Si, comme je l'ai indiqué, certains sont inspirés des zoonymes de langue anglaise, ils sont minoritaires ( j'en compte trois). De même, Geoffroy n' a pas repris la dénomination latine, et n' a pas copié Linné et les zoonymes issus de sources mythologiques grecques.
2) Les Hétérocères.
Geoffroy en détaille 126, ainsi que 54 teignes.
Si on ajoute à ces 228 zoonymes tous ceux que Geoffroy crée pour désigner les autres insectes, on réalise que notre vocabulaire français lui doit plus de mille vocables sans-doute : quelles statues, quelles rues, place ou avenues, quelles écoles, quel timbre à son éffigie viennent rendre hommage à ce travail, je l'ignore.
3) Le " Discours préliminaire" : l'èloge de la Méthode.
Le premier tome de l'Histoire abrégée des insectes débute par un préambule de 21 pages fort précieux pour découvrir les intentions de son auteur et apprécier l'importance de ses lectures, puisque ce Discours préliminaire expose d'abord les publications de ses prédécesseurs : on ne trouve chez Aristote et Pline que généralités fabuleuses ou fautives. Mouffet manque de méthode te de carractère, et ses gravures en bois sont grossières. Aldrovande compile, et Jonston recopie Mouffet et Aldrovande. "Raj" (que nous nommons Ray) est plus exacte mais sans méthode de classement. Puis sont venus ceux qui ont étudié les structures internes , les manoeuvres et les moeurs des insectes, détruisant les erreurs des anciens, tel Rhedi, Swammerdam, Malphighi, Vallisnieri et Réaumur qui donne "une suite de faits interessants observés par un naturaliste qui savait très bien voir.". Mais ces commencements de méthode sont trop superficiels et trop peu systématiques. Il y a ceux qui dépeignent les insectes de l'extérieur sans en connaître les caractéres exacts. Ou ceux qui ont vu leurs moeurs, mais sans les décrire. Et ceux qui associent les deux approches le font sans rigueur : "Il n'y a point de caractères pour distinguer leurs insectes, leurs ouvrages enfin manquent de méthode, vice essentiel surtout en Histoire Naturelle."
Geoffroy salue en Linné le premier à avoir donné un ouvrage mé-tho-dique en zoologie et à se consacrer à cette science avec "esprit d'ordre , de clarté et de méthode".
Ce médecin et pharmacien, deux domaines qui reposent alors sur la botanique, souhaite que l'on aborde la zoologie avec le même souci de systématique que pour identifier une plante à partir de ces caractères : "A l'aide d'un ordre méthodique, nous pratiquerons la même chose sur les insectes, comme je le ferai voir dans la suite de cet ouvrage, et l'on pourra trouver le nom d'un insecte inconnu auparavant".
On voit ainsi que nous n'avons pas affaire à un promeneur oisif récoltant les papillons et autres insectes lors de promenades parisiennes, comme le titre pouvait le faire croire, mais à un scientifique parfaitement averti de l'évolution de la zoologie et ambitieux d'y participer selon l'esprit de Linné. D'ailleurs, une Table des auteurs fait suite au préambule, et ce sont 80 références qui y sont citès : les lectures de Geoffroy sont vastes, et cosmopolites.
On se souvient peut-être de la façon dont Réaumur avait souffert des railleries de Buffon considèrant avec mépris ses travaux sur les "mouches". Geoffroy semble y faire allusion en écrivant avec humeur ceci :
" D'autres mépriseront un Ouvrage qui ne traite que des insectes et s'applaudiront secrètement dans la sphère étroite de leur petit génie lorsqu'ils se seront égayés sur l'auteur en le traitant de disséqueur de mouches, nom dont une espèce de petits philosophes a déjà décoré l'un des Naturalistes qui a fait le plus d'honneur à notre nation. N'envions point aux derniers le plaisir de s'applaudir eux-mêmes. Laissons les mépriser ce qu'ils ne connaissent pas, et n'en admirons pas moins l'Auteur de la Nature, qui développant les plus grands ressorts de la puissance dans le plus vil insecte, s'est plu à confondre l'orgueil et la vanité de l'homme".
Docteur Geoffroy, c'est fort bien dit.
4) Quelques noms de papillon.
Le Paon du jour
C'est son numéro deux, nommé " Le paon de jour ou l'oeil de paon".
Geoffroy n'a pas inventé ce nom, mentionné chez Réaumur en français, et initialement chez Goedart en latin : oculus pavonis.
Engramelle le reprend sous la forme " Paon du jour", en citant d'ailleurs Geoffroy de façon fautive en donnant " paon du jour ou l'oeil du paon".
Le Trésor de la Langue française donne les formes paon de jour, et paon-de-jour, mais non paon du jour, qui est pourtant utilisée le plus souvent , par exemple par T. Lafranchis qui écrit Le Paon-du-jour.
Chez Gérard de Nerval , on trouve :
Et le Paon-de-Jour qui porte
Sur chaque aile un oeil de feu !
n° 16 : le Tircis.
J'ai déjà consacré un article à la zoonymie du Tircis 22 mars : premier Tircis à Crozon.
et je rappelle que ce nom est un hommage rendu à la poésie de Virgile et au Thyrsis de la septiéme Églogue de ses Bucoliques, mais aussi à la littérature pastorale du seiziéme au dix-huitiéme siècle et à Tircis, l'amant bucolique.
C'est l'occasion de mentionner la page de titre de l'Histoire abrégée des insectes :
...puisque les deux tomes portent cette citation extraite des Géorgiques de Virgile "admiranta tibi levium spectacula rerum" (je te ferai admirer le spectacle des petites choses), phrase que j'avais moi-même mis en exergue d'un de mes articles avant de la découvrir chez Geoffroy. Notre auteur ne peut pas exprimer plus clairement son admiration pour le poète latin.
Le Corydon
C'est le papillon qui vient juste après le Tircis, en toute logique puisque Corydon est le berger qui, dans la septiéme Églogue de Virgile, affronte Thyrsis dans un duel poètique. Mais qui connaît encore un papillon portant ce nom? Plus personne, car celui que Geoffroy désigne ainsi n'est autre que le mâle de Maniola jurtina, le Myrtil.
On pardonnera à Geoffroy d'avoir décrit comme deux espèces les deux sexes lorsqu'on saura que Linné avait également décrit le mâle sous le nom de Papilio janira, et la femelle sous celui de Papilio justina.
Il existe pourtant un lycéne, Lysandra coridon (Poda, 1761), qui fut aussi nommé Polyommate corydon, Lycaena corydon, c'est notre Argus bleu-nacré.
Le Myrtil.
Avec le Myrtil, Geoffroy choisit de nous laisser avec les bergers d'Arcadie, cette région mythique de Grèce où un Age d'or permet aux bergers et aux bergères de jouer de la flûte, de composer des odes et de se faire souffrir les mille tourments délicieux de l'amour pastoral.
A l'origine, selon Pausanias (Pausanias ou le voyage historique en Grèce, traduit en français par l' abbé Geyon en 1781, Livre VIII, la plaine de Phénéon),Myrtil, ou Myrtilos n'a rien d'un berger, mais ce fils d' Hermes est l'écuyer d' Oenomaüs, roi de Pise en Élide. Les lecteurs d'Apollodore ou de Properce, ou seulement de Wikipédia connaîssent l'histoire de ce roi à qui un oracle avait prédit qu'il serait tué par son gendre, et qui était si peu préssé de donner sa fille Hippodamie en mariage qu'il avait fixé aux prétendants une condition : le vaincre sur un parcours hippique qu'il était sûr de remporter: L'un de ses atouts, c'était bien-sûr l'adroit Myrtilos :"Il conduisait les chevaux avec tant d'adresse que sur la fin de la course son maître Onemaüs atteignait toujours ceux qui, pour avoir Hippodamie osaient entre en lice avec lui, et aussitôt il les perçait de son javelot. Myrtil lui-même devint amoureux de la princesse, et n'osant pas diputer contre son maître, continua ses fonctions d'écuyer, mais on dit qu'il trahit Onemaüs en faveur de Pelops après avoir fait prometter à celui-ci qu'il le laisserait jouir d'Hippodamie durant une nuit. Pelops ensuite sommé de lui tenir sa promesse fut si indigné de son audace qu'il le jeta de son navire dans la mer. on ajoute que son corps poussé par les flots sur le rivage fut recueilli par les Phénéates qui lui donnérent sépulture." Pausanias ne précise pas que c'est en dévissant l'une des roues du char que le cocher donna la victoire à Pélops, ni qu'il avait éxigé outre une nuit d'amour la moitié du royaume de Pelops, ni enfin qu'il mourût en maudissant sa lignée, ce qui est capital puisque ce sont ces imprècations funestes contre Pélops qui sont à l'origine de tous les malheurs des Atrides.
Mais de cette tragique histoire, les versificateurs français (ou italiens) n'ont retenu qu'une chose : le tombeau de Myrtil se trouve en Arcadie, donc c'est un berger, beau de surcroit ( on lit partout :"le beau Myrtil"), et amoureux forcément. Vous prenez votre lyre, vous troussez un poème, il y faut un berger : ce sera Tircis, ou ce sera Myrtil. Voyez Molière, dans la première entrée de ballet des Amants Magnifiques où Myrtil est amoureux de Climène, ou dans sa pièce (non achevée) Myrtil et Mélicerte, où des bergers aux noms de tous les jours, Lycarsis, Eroxéne, Daphnis, Mopse, Nicandre, Acante ou Tyréne entourent l'amoureux de service. Ou bien Florian, grand auteur de poésie pastorale, écrit Myrtil et Chloé.
Ou encore Battisti Guarini écrit Le Berger fidèle, Il Pastor Fido, Myrtil y est amoureux d'Amaryllis, le chevalier Pellegrin adapte l'oeuvre en français et la pièce est jouée par les Comèdiens Français.
André Gide lui-même introduisit un Myrtil parmi les personnages des Nourritures Terrestres à coté de Ménalde et de Nathanaél dans ce roman nostalgique de l'Arcadie.
Mais à ces bergers énamourés et précieux, à ce Myrtil de porcelaine, je prèfére celui de l'Églogue désenchantée de M. Le Brun (Les Quatre saisons du Parnasse, 1806) :
L'homme se paît d'illusions légères
Même éveillés, hélas ! nous rêvons tous ;
Témoins en sont églogues mensongères.
Qui ne croirait que vos destins sont doux,
Petits moutons, chantés par vos bergères.
Vous paissez l'herbe ; on vous défend des loups.
Sous sa houlette une Phyllis vous range ;
Le beau Myrtil en est presque jaloux.
Oui, mais un soir,las ! tombès sous leurs coups,
Avec Phylis le beau Myrtil vous mange.
Il est amusant de constater que le nom de myrtilles (vaccinum myrtillus) s'est écrit jadis au masculin, par exemple chez Chateaubriant, et que le Larousse du XXéme siècle signale quatre orthographes : Myrtille, Mirtille, Myrtil ou Mirtil. Ou que les mots myrte et myrtille ont désigné aussi bien le myrte que la myrtille.
Lorsque Godart en 1823 désigne le Myrtil de Geoffroy sous le zoonyme de Satyre Myrtile (Hist. Nat. Lépidoptères vol. 1 p. 151 n° 50), il ne commet pas une faute de sens, mais utilise seulement une variante orthographique.
L' Amaryllis, n° 20
Geoffroy continue à exploiter la veine de la poèsie précieuse avec cette espèce, Pyronia tithonus, mais cette fois-ci avec un nom de bergère, la belle et indifférente Amaryllis que Virgile présente dans ses Bucoliques. Mais un site superbe propose une étude exaustive de cette beauté, c'est : http://www.amaryllidaceae.org/ethno/amaryllis.htm
Avec ce papillon s'arrète cette série des noms inspirés de Virgile et des bergers d'Arcadie.
Liste des 48 noms de rhopalocères créés par Étienne Louis Geoffroy (les majuscules sont de moi) : je donne en gras les noms toujours en usage :
1. Le Morio
2. Le Paon de Jour
3. La Grande tortue.
4. La Petite tortue.
5. Le Gamma ou Robert-le-diable.
6. Le Vulcain.
7. La Belle-dame.
8. Le Tabac d'Espagne.
9. Le Grand nacré.
10. Le Petit nacré.
11. Le Collier argentè
12. Le Damier.
13. Le Silène.
14. Le Tristan
15. La Bacchante
16. Le Tircis
17. Le Corydon
18. Le Myrtil.
19. Le Satyre.
20 L' Amaryllis
21. Le Procris.
22 Le Céphale
23. Le Grand papillon à queue, du fenouil.
24. Le Flambé.
25. Le Porte-queue bleu striè
26. Le Porte-queue bleu à une bande blanche
27. Le Porte-queue fauve à deux bandes blanches.
28. Le Porte-queue brun à deux taches blanches;
29. Le Mars
30. L' Argus bleu
31. Le Demi-argus
32. L' Argus brun
33. L'Argus myope.
34. L' Argus vert ou l'Argus aveugle
35. Le Bronzé.
36. Le Miroir.
37. La Bande noire.
38. Le Plein-chant.
39. Le Papillon grisette.
40. Le grand papillon blanc du chou.
41. Le Petit papillon blanc du chou.
42. Le Papillon blanc veiné de vert.
43 Le Gazé.
44. L'Aurore.
45. Le Deuil.
46. Le Demi-deuil.
47. Le Citron.
48. Le Souci.
Sources.
- Paul Dorveaux , Apothicaires membres de l'Académie Royale des Sciences : IV. Gilles-François Boulduc ; V. Etienne-François Geoffroy , Revue d'histoire de la pharmacie 1931 Volume 19 Numéro 74 pp. 113-126
:http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pharm_0035-2349_1931_num_19_74_9919
- Bernard Joly, « Etienne-François Geoffroy, entre la Royal Society et l’Académie royale des sciences : ni Newton, ni Descartes », Methodos [En ligne], 12 | 2012, mis en ligne le 22 février 2012, consulté le 05 septembre 2013. URL : http://methodos.revues.org/2855 ; DOI : 10.4000/methodos.2855
- Fontenelle, Eloge de Geoffroy, in Oeuvres.
- Claude-Pierre Goujet Etienne-François Geoffroy, La notice historique des lecteurs & professeurs royaux en médecine ...1758.
-
François Gustave Planchon, Dynasties d'apothicaires Parisiens : I. les Geoffroy ,Masson et Cie, ed., 1899 - 16 pages.
Isabelle Robin-Romero, Notice biographique sur Etienne-François Geoffroy, BIU-Santé.
GEOFFROY Etienne-François, GARSAULT, Les figures des plantes et animaux d'usage en medecine, décrits dans la Matiere Medicale de Mr. Geoffroy Medecin / Dessinés d'après nature par Mr. de Garsault. - T. 1, Plantes exotiques. - Paris, [1764]. -En ligne, Bibl. Göttingen GDZ.