L' Agélène labyrinthique.
Lieu : L' Aber, Crozon.
Date : 15 juin 2011.
La famille des Agelenidae regroupe des araignées nommées araignées à toile en entonnoir, parce qu'elles tissent un abri tubulaire d'où s'étend une petite collerette de soie ou une nappe qui converge en entonnoir vers l'entrée afin de guider les proies. On y trouve les Tégénaires et les Agélénidés. Parmi les 500 espèces de cette famille, une trentaine vivent en Europe Centrale, dont l'une d'entre elles qui a connu en 2011 la gloire d'être élue par l'European Society of Arachnologie Araignée Européenne de l'année : c'est l' Agélène labyrinthique, Agelena labyrinthica (Clerk, 1757).
La détermination de cette famille se fait par l'examen des filières postérieures, bisegmentées et proéminentes, plus longues que les antèrieures, formées de deux articles (c'est vrai de toutes les Agélénidés) , mais, chez A. labyrinthica, avec un deuxième segment deux fois plus long que le premier : ces critères sont peu utiles au photographe ou à l'observateur qui ne voit de cette espèce qui reste le plus souvent à l'affût devant l'entrée de son repaire, que la tête et le thorax, et l'abdomen en enfilade. Peut-être pourra-t-il observer les yeux (huit au total comme la plupart des araignées) et constater que la rangée postérieure et la rangée antérieure forment deux arcs concaves vers l'arrière. Ou bien encore discerner sur le tarse des premières paires de pattes les quatre fines soies sensorielles nommées trichobothries.
Voilà qui m'intéresse, les trichobothries, et en bon élève du Pr. Lavieb, je ne laisse pas passer l'occasion de déguster un nom pareil ! Tricho, c'est facile, cela veut dire "poil" en grec, mais -bothrie ? Je vais passer par "bothriocéphale" (un vers intestinal) pour trouver la signification de bothrionen grec ancien : "petite cavitè" , ce qui est conforme à la définition de ce terme. Les trichobothries sont en effet, selon J.M.Roberts, " de longues soies presqueverticale d'une patte sortant d'une petite cavité en cupule. Elles détectent les vibrations et les courants de l'air." La disposition perpendiculaire à l'axe de la patte, et sur sa face supérieure, participe à l'efficacité. Si les araignées n'ont pas d'organe de l'ouïe, les trichobothries sont des détecteurs d'ondes sonores qui permettent à celles qui en disposent de percevoir la moindre vibration de l'air, pour déclencher un réflexe de capture lorsqu'un insecte fait vibrer l'air par ses ailes. ( Et elles perçoivent très bien mes pas qui font vibrer le sol ). Très mobiles sur la membrane du fond de la cupule, elles réagissent à des compressions de 0,1nm résultant d'inclinaisons de la soie de 0,01° ! ( Weener et Gering, Biologie et Physiologie animale), ce qui correspond, en terme d'énergie, à celle d'un quantum de lumière, ou 10-19 Joules. En outre, ces soies sensorielles sont reliées à des fibres nerveuses géantes assurant une vitesse de propagation élevée. Le temps de réaction de l'agélène, qui est évalué à 160 msec; peut lui permettre d'attraper les insectes au vol ! Bien-sûr, cela en marche que pour des vibrations de basse fréquence, à faible distance.
Ces trichobothries interviennent aussi dans la reproduction, car ils vont permettre aux deux partenaires de s'entendre. En effet, à la mi-juillet, le mâle s'approche de la toile et se livre avec ses pédipalpes à un tambourinage sur l'air de "tu veux ou tu veux pas? ". Entre les deux procédés de communication (stridulation ou percussion) disponibles, ils ont choisi le tam-tam, mais loin d'un "toc-toc c'est moi", c'est un message complexe, comparable aux chants d'oiseaux, avec une fréquence de base et des modulations de fréquence et d'amplitude qui renseignent la femelle sur son prétendant, et déclenchent peut-être le comportement de soumission nécessaire.
Pour venir jusqu'au gîte de sa bien-aimée, le mâle a suivi la piste des fils que la femelle a laissé derrière elle lorsqu'elle explorait les environs.
Les trichobothries ne sont pas tout, il y a encore les organes en fente simple ( s'ils sont isolés) ou organes lyriformes ( s'ils sont groupés), des sortes de jauge de contrainte réparties sur toute la cuticule et qui informent sur la déformation de la carapace et sur la pesanteur.
Ces capteurs permettent de décider de dresser sa tente à tel endroit parce qu'il est une voie de passage de nombreux insectes (en langage de trichobothrie : parce qu' il y a une forte densité de vibrations stimulantes), mais durant l'été, la faune entomologique se modifie, et les bons coins deviennent des déserts : les études montrent que les agélènes changent de camp tous les mois, et utilisent leur baguette de sourcier trichobothricale pour trouver le futur emplacement. Mais si une campeuse a déjà étendu ses fils? Elle émet alors des vibrations par le fil de soie, l'intruse répond pour faire voir de quoi elle est capable, et la gagnante de ce concours vibratoire possède le terrain (avec un avantage pour la première occupante).
Les araignées fileuses, à la différence des araignées sauteuses, ont une vue médiocre malgré leurs huit yeux. Mais les yeux antérieurs médians perçoivent la lumière polarisée.
Si on la nomme labyrinthicaet non entonnoirica, c'est que son piège en entonnoir est complété par un réseau de fils qui dressent un vrai labyrinthe tridimensionnel dans la végétation, une grand filet de soie sèche qui intercepte les insectes et les conduit vers la nappe horizontale. Mais cet épithète de labyrinthica qualifie surtout le dédale souterrain au fond duquel la femelle construit un cocon de 50 à 130 oeufs.
Voilà ce que je parviens à voir ce cette méfiante : je devine quand-même le motif en feuille, ou en arête de poisson, de l'abdomen.
Le meilleur moyen d'observer l'Agélène est asans-doute d'attendre qu'elle tombe amoureuse : la voilà qui s'enhardit, qui navigue sur la toile ... et voilà surtout le mâle qui, après l'accouplement, installe ses pénates chez madame et accroche son hamac sur la terrasse pour un bain de soleil :
La femelle, laissant voir le motif foliaire, ou en arête de poisson, de l'abdomen:
Ici, le mâle, contemplant ses gants de boxe ( ses pédipalpes) aux bulbes copulateurs généreux : il va pouvoir les raccrocher au vestiaire. Son sperme a été stocké par la femelle dans son ovothèque, avant d'être utilisé lorsqu'elle sera décidée à pondre ses oeufs, et il est peu probable qu'elle décide (cela arrive pourtant, se disent-ils tous) de vouloir chanter Alleluia in copula.
Il se croit chez lui désormais, mais dans le meilleur des cas il va vivre une lune de miel de quelques semaines de coexistence paisible avec la dame, puis il va mourir de sa belle mort, car la vie d'un mâle d'araignée est brève. Mais à la moindre anicroche, une réflexion désagréable sur les travaux de dentelle, une remarque sur une maille filée, il se fera croquer par sa belle sans pouvoir la prendre, la belle.
Une vue approchée des pédipalpes :