L'arbre de Jessé de l'église de Saint-Aignan.
Voir dans ce blog lavieb-aile des articles consacrés aux Arbres de Jessé de Bretagne:
Les sculptures :
- Guimaec (29) Anne trinitaire de l'église de Guimaëc.
- Priziac, Chapelle St-Nicolas (56) : Chapelle St Nicolas en Priziac.
- Arbre sculpté de Locquirec : L'Arbre de Jessé sculpté de l'église de Locquirec.
- Sculpture de Saint-Aignan : XVIe siècle. L' arbre de Jessé de l'église de Saint-Aignan (56).
- Sculpture de Trédrez (22) : 1520 L' arbre de Jessé de l'église de Trédrez (22).
- Sculpture de Saint-Thégonnec (29) : 1610 L'arbre de Jessé de l'église Notre-Dame de Saint-Thégonnec.
- Sculpture de Cleguérec (56) :1594 L'arbre de Jessé de la chapelle de La Trinité à Cléguerec (56).
- Bas-relief de Priziac (56) : XVIe siècle Chapelle St Nicolas en Priziac. .
Et les vitraux :
- Vitrail de Kerfeunten (29) 1528-1530 Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de la Sainte-Trinité à Kerfeunteun :
- Vitrail de Confort-Meilars (29) c.1530 Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de Confort-Meilars.
- Vitrail de La Ferrière L'arbre de Jessé de l'église de La Ferrière. : 1551.
- Vitrail de Beignon : L'arbre de Jessé de l'église de Beignon. : 1540-1550
- Vitrail de Moulins (35) : c.1560. L' arbre de Jessé de l'église de Moulins (35).
- Vitrail des Iffs Baie 12 milieu XVIe. Les vitraux de l'église des Iffs ( seconde partie : les chapelles).
- Vitrail de Saint-Mériadec (56) : 1550 Le vitrail de la Passion de l'église Saint-Mériadec en Stival (56) .
- Vitrail de l'église de Gouesnou ( 1972) par Jacques Le Chevallier : L'arbre de Jessé de l'église de Gouesnou . .
- L'Arbre de Jessé très stylisé de Saint-Jean-du-Doigt : Les vitraux de Louis-René Petit à Saint-Jean-du-Doigt (29).
- L'arbre de Jessé de Malestroit 1530-1540: Le vitrail de l'arbre de Jessé de l'église de Malestroit.: .
- Vitrail de N.D de Lansalaün à Paule : 1528 : Le vitrail de l'arbre de Jessé de la chapelle N.D. de Lansalaün à Paule.
- Vitrail par Chauvel à Notre-Dame de Vitré : c.1868-1870 : Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Notre-Dame de Vitré.
- Vitrail de l'arbre de Jessé de Moncontour : c.1530-1540 : Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église de Moncontour.
- Vitrail de l'église Saint-Armel de Ploermel : c.1550. Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Saint-Armel de Ploermel.
Et en comparaison avec les œuvres bretonnes :
- Vitrail de l'arbre de Jessé de Saint-Denis (1144), le premier vitrail sur ce thème. Le vitrail de l'arbre de Jessé de la basilique de Saint-Denis.
- Vitrail de l'arbre de Jessé de Chartres : (1150) Le vitrail de l'arbre de Jessé de la cathédrale de Chartres.
- Le vitrail de l'Arbre de Jessé de l'église Saint-Pierre de Chartres.
- Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale de Soissons (1212)
- Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale du Mans (1235) : Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale du Mans.
- Le vitrail de la cathédrale de Beauvais (1240) Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale de Beauvais.
- Le vitrail de la cathédrale d'Amiens (1242) : Le vitrail de l'Arbre de Jessé de la cathédrale d'Amiens.
- Vitrail de l'Arbre de Jessé de Notre-Dame-du-Touchet (Manche) : Le vitrail de l'arbre de Jessé de Notre-Dame du Touchet.
- Sculpture de l'Arbre de Jessé de Burgos (Espagne), (c.1483) : L'arbre de Jessé de la cathédrale de Burgos.
- Le vitrail de la cathédrale de Reims par Marc Chagall (1974)
"Il sortira un rejeton de la tige de Jessé et un surgeon naîtra de sa racine. Et l'esprit du Seigneur se reposera en lui". C'est cette prophètie d'Isaïe 11,1-2 que les artistes médiévaux vont combiner avec la généalogie de Jésus telle qu'elle apparaît dans les évangiles synoptiques (Matthieu 1,1 et Luc 3, 23-38) pour représenter Jessé, le père du roi David donnant naissance à un arbre sur les branches duquel sont installés les douze rois de Juda avant de culminer dans le Christ.
Sur les verrières des cathédrales (celle de St Denis inaugura l'iconographie) ou des églises, sur leur portail, dans les Livres d'Heures, sur les hauts et bas-reliefs de pierre ou de bois, Jessé sera debout, assis ou couché et souvent assoupi comme s'il contemplait en songe sa descendance. Les prophète Isaïe et Jérémie (pour sa prophétie "En ce temps-là je susciterai dans la race de David un rejeton, héros de la justice", Jérémie 33, 15) l'accompagneront souvent, les douze rois, souvent en réduction, s'installeront sur les branches, conduisant soit au Christ, soit à la Vierge tenant l'Enfant. Des anges ou des colombes seront placés autour d'eux.
Parmi les 34 exemples iconographiques que le Dr Louis le Thomas (1) a relevé en Bretagne ( dont 13 vitraux, 2 niches, 15 haut-reliefs), trois thémes se dégagent :
- Le thème christique, où le Christ trône au sommet de la ramure
- Le thème marial (1), où c'est la Vierge qui culmine, tenant l'Enfant dans ses bras,
- Le thème marial (2), où la Vierge à l'Enfant, debout, est au centre, encadrée par deux rameaux latéraux sur lesquels sont placés les deux groupes de six rois de Juda.
En Bretagne, les arbres de Jessé en vitrail comportent en majorité Jessé assis ou plus rarement debout, alors que Jessé est couché dans l'ensemble des haut-reliefs. Parmi les quinze haut-reliefs, treize introduisent la figure d'une démone, cornue, à la poitrine dénudée, tenant une pomme, et allongée . Ce sont ceux de Cléguerec, Duault, Guimaëc, Loc-Envel, Locquirec, Ploerdut, Plounevezel, Plourin-Morlaix, St-Aignan, St-Thégonnec (niche), St-Tugdual, St-Yvi et Tredrez. La totalité de ces arbres bretons sont du XVIe siécle, hormis 5 arbres datant du XVIIe.
I. L'arbre de Jessé.
Il figure dans le groupe "marial (2)" et comporte 19 personnages Deux anges, la vierge et l'Enfant, 12 rois, Isaïe, Jessé, une démone.
La Vierge à l'Enfant :
Son visage, très humain et expressif, est couvert par un voile et encadré par deux nattes.
Elle est vêtue d'un manteau bleu frappé de quatre-feuille d'or, à la doublure blanche peut-être en hermine, dont le pan droit est maintenu par une attache sous le poignet gauche. Au dessous, elle porte une robe dorée au décolleté rectangulaire et au corselet très ajusté, cintré par une ceinture. Elle tient un livre entre le coude droit et le tronc.
Elle est chaussée de souliers fermés de cuir rouge, et elle est placée sur un massif végétal, sorte de figuier, de bourgeon originel ou d'involucre aux brachtées stylisées.
L'enfant, qui n'est plus un nourrisson mais un garçon bien éveillé aux beaux cheveux bouclés et vêtu d'une courte tunique jaune d'or, se tourne vers la gauche et amorce le geste de bénédiction, alors qu'il tient un globe terrestre (ou du moins une boule bleue) dans la main gauche.
Jessé et la démone :
Sous les pieds de la Vierge se voit le tronc de l'arbre, qui se divise vite en trois branches princeps, les branches latérales des rois de Juda et la branche centrale. Ce tronc naît par de courtes racines de la poitrine de Jessé, lequel, couché, la tête à longue barbe soutenue par la main droite accoudée, regarde (ses yeux sont ouverts) d'un air pensif vers le sol, alors que sa main gauche laisse presque échapper le livre où est inscrit RADIX JESSÉ, l'Arbre de Jessé. Il porte, sous un manteau rouge à quatre-feuille d'or retenu par un fermoir, une robe vert foncé.
Sa posture songeuse presque abattue et mélancolique et tournée vers le bas contraste avec celle qui se tient tête-bêche, au dessus de lui, la tête relevée : la démone cornue aux longs cheveux sombres et dénoués, au torse nu athlétique, au regard décidé et malin semble viser une cible, alors qu'elle tient une superbe pomme rouge dans la main gauche. Accoudée en symétrie avec Jessé sur les pieds même du vénérable ancêtre, elle s'accroche à l'arbre d'une main aux quatre doigts qui trahissent sa nature monstrueuse. Et en y regardant de près l'on voit que ce bras de cauchemar, sur lequel s'enroule la queue annelée et squameuse de la femme-serpent, sort de la gueule d'une bête aux crocs acérés, aux babines et aux oreilles rouges.
Les seins de la démone ont bénéficié d'interventions de plastie mammaire : dans certains groupes, c'est pour en limiter le volume ; ici, on a souligné le dessin des mamelons, mais Louis Le Thomas décrivait en 1963 le "torse dénudé, magnifiquement galbé, en torsion légère ; mamelles discoïdes, retouchées". Cet auteur, qui pouvait déjà en 1955 prétendre à "vingt ans de campagnes photographiques et d'études d'art populaires " des saints bretons est un homme de terrain qui sait donner à sa plume une élégante emphase lorsqu'il écrit plus loin, à propos de l'ensemble des "démones bretonnes" : Il commence par écrire que leur présence "relève en effet d'une gynécomorphie du Serpent de la Tentation", ou que leur buste a été "traité avec une verve évidemment complaisante et un réalisme particulièrement suggestif", décrivant leur attribut principal, des mamelles orthomorphes, discoïdes, d'un galbe partout exagéré" (p. 60) avant de conclure dans un Résumé Critique :
"Elles sont des répliques originales du Serpent de la Tentation, figuré par ailleurs avec buste anthropomorphe féminisé. Étude inespéré du nu féminin, cette figuration naturaliste attribue aux démones des mamelles discoïdes, par contraste avec celles des diablesses -et même des diables- affligées par ailleurs "d'affreuses mamelles pendantes". Au point que, partout ou presque, des retouches persévérantes ont amenuisé des attributs que, moins exigeant, certain personnage moliéresque se contentait de faire "couvrir" par Dorine"
La queue de ces créatures n'est pas oubliée par Louis Le Thomas, docteur es sciences et formé aux archétypes jungiens, qui les aborde avec le même esprit scientifique mâtiné de fascination: elles sont, explique-t-il, lorsqu'elles accompagnent le thème de l'Immaculée Conception, soit de typé "Nereïde", à queue de poisson, soit de type Echidna à queue de serpent, mais les démones bretonnes des arbres de Jessé ne sont jamais du signe du poisson, mais toujours des Démones ophioures dont celle de Saint-Aignan est l'exemple le plus typique et le plus remarquable" (p. 71), avec ses noeuds où il voit une résurgence du vieil archétype des "dieux lieurs".
Si donc cette femme-serpent maléfique relève la tête, elle n'en n'est pas moins maîtrisée et soumise par la Vierge qui affirme sa royauté sur le monde, et la prépondérance de sa force génératrice : face à la duplicité et la séduction stérile, La Mère, c'est Marie.
Le Prophète Isaïe : Ecce virgo concepiet et pariet filium. Isai.
Citation d'Isaïe 7, 14 : Ecce virgo concepiet et pariet filium et vocabitur nomen Emmanuel,
"Une vierge concevra, et elle enfantera un fils qui sera nommé Emmanuel"
La statue du prophète Isaïe a été, curieusement, placée à droite alors qu'elle était à l'origine, et en toute logique concernant sa posture, placée à droite (illustration p. 54 de l'article de Le Thomas, Bull. S.A.F. 1963).
Les rois : en deux théories parallèles encadrant la Vierge :
Le groupe de gauche :
Ils portent ce genre de costume de rois d'opérette qui est le costume de seigneurs à la période Renaissance : des fraises assez courtes ornent les cous, des crevés fendent les manches, certains vêtements sont mi-partis, les armures, plutôt d'apparat depuis qu'elles ne protégent plus vraiment des armes à feu, ne couvrent que le tronc alors que les jambes sont habillées de chausses. Les rois sont tous équipés d'un sceptre et coiffés d'une couronne, parfois sur un turban. Certains sont imberbes.
La couleur dominante est le rouge, symbole de royauté, puis l'or; puis viennent le vert, le bleu (avec parcimonie car c'est la couleur du fond), le marron des barbes, le rose des chairs,
Le roi David :
est reconnu par la lyre sur laquelle il composa les 150 psaumes du Livre des Louanges. Sa couronne est...particulière.
Le roi Salomon :
Les rois Roboam et Asias :
Les rois Asa et ...
Les rois de droite :
Le roi Manassé : (ou "Manassés")
Ce fils d'Ézéchias est décrit par le Second Livre des Rois comme particulièrement impie, réintroduisant le culte de Baal et Ashera ou celui des astres.
Sa présence est quasi constante sur une arbre de Jessé, mais ne va pas sans paradoxe puisque, selon la tradition et les écrits apocryphes, il condamna le prophète Isaïe (qui exerça lors des régnes d'Oziaz, Achaz, Ézechias, et qui est représenté ici avec sa prophétie) à être scié en deux dans un tronc...d'arbre où il s'était réfugié (Hb 11, 37). L'âme d'Isaïe est ravie au ciel juste avant son supplice afin qu'il ne souffre pas, c'est l'Ascension d'Isaïe. L'assasin figure donc dans l'arbre dont sa victime avait annoncé la croissance.
Il est l'un des rares à porter des éléments à frange, soit sous forme de glands à l'extrémité des pointes du pectoral, soit le long de son manteau rouge. Mais son voisin porte des piéces de vêtement identiques.
Les rois ... et Ezechiaz :
Le roi Joatham :
On admire comme chaque personnage est différent : la barbe-fleuve de Joatham est spectaculaire, ainsi que les spalières de son armure en forme de gueule ouverte.
Le roi Achaz :
On note la présence d'une boucle d'oreille en or : j'ai déjà étudié comment celle-ci pouvait être vue, à l'époque, comme un signe de judeité : Éloge de l'omission : Le titulus dans l'Annonciation d'Ambrogio Lorenzetti.
Le roi Ozias :
Les trois anges portant la couronne et les phylactères :
Ils sont en tenue de chevalier Renaissance comme les rois, avec une armure ou une tunique couleur de métal argenté et des pièces de protection d'épaule et de bassin au dessus de longues robes. Les couleurs dominantes restent le rouge et l'or.
Le phylactére porte le texte suivant :
AVE MARIS STELLA DEI MATER ALMA AT AVE SEMPER VIRGO FELIX CELI PORTA SUMENS ILLUD AVE
Ce sont les vers non rimés du premier quatrain, et le premier vers du second quatrain de l'Ave maris Stella, prière qui en contient sept et qui date au moins du IXe siècle:
Salut, étoile de la mer,
Mère nourricière de Dieu
Et toujours vierge,
Bienheureuse porte du ciel.
En recevant cet Ave
(de la bouche de Gabriel
et en changeant le nom d'Éve
établis-nous dans la paix.)
Le qualificatif d'"étoile de la mer" est issu du prénom hébreux Maryam décomposé en Mar yam, en hébreu "goutte de mer", traduit en latin par stilla maris, devenu par glissement sémantique stella maris, "étoile de la mer". On trouve souvent en réference 1, Rois, 18,45, mais ce texte qui parle d'un " nuage qui s'élève de la mer, qui est comme la paume de la main d'un homme" que le prophète Elie annonce à Achab afin qu'il parte sans tarder, ne contient pas l"expression "stilla maris".
Il est intéressant de lire la fin du quatrain où Marie "change le nom d'Éve" (mutans Evae nomem) qui joue sur l'inversion Ave/Eva à propos de cette sculpture où Marie domine la Mauvaise Éve croqueuse de la pomme du péché.
(1) : Louis Le Thomas, Les Arbres de Jessé Bretons, Bull. Soc. Arch. Finist. 1962 : 163-197 et 1963 : 35-72.