L'église Saint-Pierre de Plonevez-du-Faou
L'inscription gothique.
Sous le porche sud, qui est fermé par des grilles, on remarque sur le mur du fond cette belle inscription à l'écriture soignée et aux creux rehaussés de peinture noire (entreprise Grison, 1980). Sa lisibilité est remarquable, et je m'attends à en trouver le relevé et la traduction sous la plume de tous les chanoines si attachés à notre patrimoine religieux, à commencer par Jean-Marie Abgrall qui a consacré à l'épigraphie des églises du Finistère une belle étude dans son Bullletin diocésain.
Mais les informations ne sont pas légions, et ce qui semblait devoir intriguer le premier visiteur venu ne semble pas avoir fait couler beaucoup d'encre. Je me livre donc à en exercice personnel : Je lirais :
Plebs . m'oz . ecce . nova . may . f~udoz . qoz . Certa . M: c~u : qiñqentis . dñj . currrntibz . annis
1. La seconde ligne :
Il n'est pas difficile de reconnaître l'abréviation de la formule d'usage domini currentibus annis, "en l'année du Seigneur", qui suit donc la date. On en déduit que M : c~u : quingentis, dont les termes sont séparés par le double point à la différence des autres, correspond à cette date. Il existe un motet nommé Mille quingentis : ce requiem de Jacob Obrecht pour son père Wilhem débute effectivement par une datation, Mille quingentis verum bis sex minus annis, "Mille cinq cent moins deux fois six ans" pour 1488 si je calcule bien. Je disposerais donc du sens de la deuxième ligne, en l'an du Seigneur mille avec cinq cent, ou : "en l'an du Seigneur 1500". Puisque cette deuxième ligne est riche en tilde et abréviations, je vais néanmoins vérifier mot à mot si ma "traduction" respecte la présence de ces signes abréviatifs:
M : c~u: qiñgentis : le tilde ~ remplace le m dans "cum" et remplace le u de "quingentis" :mille cum quingentis Mille et cinq cent.
dñj : d(omi)ni : du Seigneur
currrntibß : currentibus : dative et ablative de currens, "en courant", dans le cours de.
annis : année.
Domini currentibus annis, formule habituelle pour "En l'an du Seigneur"...
-A noter, outre l'emploi du tilde, celui de l'abréviation qui ressemble à un z à la fin de currentibz. Dans l'écriture médiévale, la terminaison en -us peut être transcrite par un signe en forme de 9, à l'exception de la finale en -bus qui se transcrit habituellement par un point-virgule ; . Ce z serait-il une forme graphique du point-virgule ?
- J'admire les ornementations des jambages des lettres qui se placent en début et en fin de mot, et leur accentuation emphatique en début et fin de ligne.
2. Je peux m'attaquer à la première ligne :
Plebs. :"peuple", désigne la paroisse primitive "plou". On pense immédiatement au toponyme Plonevez, plou-nevez, ou plebs nova, d'autant que le mot nova survient plus loin.
m'o2. le genitif pluriel -orum ou -arum s'abrège par un dessin du r en forme de 2, coupé par une barre. Nous pouvons lire m'orum ; l'accent est peut-être là pour un e suscrit ce qui donnerait "meorum", les miens.
ecce. : voici, voilà, ainsi.
nova : nouvelle ; (ecce nova est le début d'une phrase de l'Apocalypse, ecce nova facio omnia)
may : faut-il lire maii ? et traduire "du mois de mai" ?
f~udo2 : fundorum : genitif pluriel de fundus,i, m "les biens fonciers, propriétés, domaines"
q°z : quo...
Certa. le r est barré : abréviation de er, donc Cererta ?
Cette ligne ne livre pas son sens, mais je peux détailler les éléments épigraphiques :
- pas de réglure, pas de cadre
- Ponctuation : un point sépare chaque mot. (archaïque)
-
- : un deux-point sépare les trois termes de la date
-
- régularité des lettres (nova) qui se confondent au point de gêner la lecture dans currentibus et annis. Néanmoins l'écriture reste claire.
- régularité des espacements
- lettres ornées : P de Plebs, M de la date, m de meorum, d de fundorunt, d de domini, s de annis
- pas de lettres conjointes
- jambage inférieur bifide du q de qinquegentis et du q de qos,
L'écriture gothique décompose les courbes en une série de droites en introduisant des brisures;
elle commence au début du XIVe, s'étend sur tout le XVe et cède progressivement la place à
l'écriture humaniste au XVIe.
II. Où je découvre des éléments de réponse.
Celui qui cherche finit par trouver : je découvre la notice des monuments historiques, qui
propose le relevé suivant : PLEBS MEO ECCE NOVA MAII FUDS GOS CERTA M CU QUINGENTIS
DNI CURRENTIBUS ANNIS
Je suis déçu de ne pas trouver de traduction, mais aussi de constater le caractère rapide de la translation qui ne tient aucun compte des signes abréviatifs.
Puis je trouve l'article suivant : Yves-Pascal Castel Tanguy Daniel , Plonevez du Faou, Église
Saint-Pierre, inscription sous le porche sud, 1500, Bull. Société Archéol. Finist. CXXX, 2001 pp
163-164.
Les auteurs signalent successivement :
- que Henri Waquet a qualifié l'inscription "d'illisible",
- M. Charpy la dit écrite " en mauvais latin, incomplète et illisible",
- René Couffon s'abstient même de la mentionner dans son Nouveau répertoire des églises
- l'abbé Feutren en a tenté en lecture en 1985, reprise en 1987.
L'abbé Feutren propose ceci : PLEBS. MEORUM. ECCE. NOVA. MAII. FUNDORUM. QUOQUE.
SEXTA.M. CUM QUINGENTIS. DOMINI. CURRENTIBUS. ANNIS.
Les auteurs, particulièrement compétents dans le domaine de l'art religieux, en donnent la
tentative de traduction suivante : "Peuple (paroisse) de mes
domaines (mes bénéfices ecclésiastiques), voici quelque chose de neuf (une fondation nouvelle),
le sixième jour de mai, mil, avec cinq cent années du seigneur qui courent (qui s'écoulent)."
Ce texte a le mérite d'être l'une des premières traductions données, en 2001, à une inscription
pourtant spectaculairement mise en évidence en cette église; il respecte le sens de chacun des
mots, dans une traduction soigneusement littérale. Néanmoins, n'étant pas latiniste, je m'étonne
que l'on puisse traduire par "le sixième jour de mai" les mots maii et sexta qui sont séparés par
fundorunt quoque. Ne faudrait-il pas sextus dies ?
Dans leur conclusion, les auteurs, pas tout-à-fait satisfaits, suggèrent que les mots meorum et
fundorum ne sont pas obligatoirement exacts, et que les abréviations correspondent peut-être à
d'autres mots.
Je me pose la même question pour maii et pour sexta. Mais depuis 2001, aucun épigraphiste et
aucun médiévaliste ne semble être venu approcher la lanterne de la Science du porche sud de
Plonevez-du-Faou.
Il reste la date de 1500, qui est considérée comme la date de construction de ce
porche sud . C'est la partie la plus ancienne, le clocher à dôme et lanternon datant du XVIIe et
l'église ayant été reconstruite en 1838.
III. Où je donne ma langue au chat :
Plonevez-du-Faou, chapelle St Herbot, calvaire.
Sources consultées :
Michel Parisse, Manuel de paléographie médiévale, Picard 2006.
Robert Favreau, épigraphie médiévale, Brepols 1997.