La carte de Bretagne
de Christophe Tassin (1634).
(Je rappelle que, Montaigne au petit pied, mes articles sont des Essais, des tentatives de mettre en ligne ce que j'aurais souhaité y trouver ; que mes bonnes intentions ne me confère pas la compétence nécessaire, et que le canevas que voici attend les critiques et les compléments.)
Les premières cartes pouvaient provenir de trois groupes d'utilisateurs : les marins, avec leurs portulans ; les marchands ambulants, attentifs aux routes et aux villages qui les bordaient ; et enfin les militaires. La première carte de Bretagne de 1588 provenait des marins du Conquet. Avec Tassin, voilà les militaires.
Source : Claude Brezinski et Mireille Pastoureau: Les armées ont toujours eu besoin de cartes, et les campagnes militaires en suscitent la réalisation. On s'adressa d'abord à des peintres, qui dessinaient des vues panoramiques, sans échelles, à but artistique, puis au XVIe siècle les rois de France recrutent des ingénieurs italiens capables de dresser des plans exacts des fortifications, à échelle constante. En 1600, Sully est nommé Surintendant des Fortifications et en 1604 un Service des Fortifications est créé par Henri IV, qui n'aime rien tant, à part la galanterie, que de regarder les cartes chorographiques (décrivant une contrée et ses lieux remarquables). Une réforme en profondeur est menée, où la cartographie est un outils de choix. Chaque province frontalière est ainsi dotée d'un Ingénieur du roi assisté d'un "conducteur de desseins". Ils sont douze sous Henri IV et, sous l'effet du retour de la paix civile et de la reprise en main du royaume par les forces armées, ils devinrent bientôt cinquante sous Louis XIII. Alors que le centre du pays avait surtout retenu l'attention des monarques du XVIe siècle, le XVIIe siècle mit l'accent sur le renforcement des frontières extérieures. La tâche des ingénieurs militaires consistait à prévoir et à surveiller les travaux des fortifications des places de position stratégique pour l'unité et la défense du royaume; ces fortifications avaient été négligées pendant le XVIe siècle tant qu'elles étaient à la charge des villes et que manquaient les techniciens qualifiés. des ingénieurs italiens étaient certes recrutés épisodiquement mais ils jouaient plutôt le rôle d'experts itinérants. Un corps d'officier locaux mais étroitement surveillés fut créé pour concevoir ou améliorer l'infrastructure de certaines régions, notamment du sud-est : architecture, routes, ponts, canaux. la cartographie accompagnait toutes les activités de l'armée : préparatifs des sièges et des attaques, renforcement des fortifications en place, cartographie des "routes d'étapes" nécessaires aux déplacements des milliers d'hommes d'armées qui, ne combattant que six mois sur douze, devaient aller et revenir de leurs quartiers d'hiver, et repérer le terrain pour assurer le cantonnement et le ravitaillement sur les lieux de conflit. Ces ingénieurs du roi réalisèrent un grand nombre de plans et de cartes totalement inédites. Certains d'entre eux acceptèrent les propositions d'éditeurs parisiens de publier en partie ces précieux documents, et de les vendre à un public de plus en plus friand, ou aux officiers, qui devaient se procurer à leurs frais les cartes dont ils avaient besoin. Dés la fin du XVIe siècle, Claude de Chatillon fut l'un des premiers à céder aux sollicitations des marchands d'images. Après sa mort, Jean Boisseau réunit ses vues de ville et d'édifices pour "La Topographie françoise" de 1641.
I. Christophe Tassin.
C'est à la demande de Richelieu que Tassin, alors commissaire ordinaire des guerres, se voit chargé de faire paraître son atlas des Cartes générales de toutes les provinces de France, dans le cadre d'une politique de réduction des rebelles protestants soutenus par l'Angleterre et de défense contre la menace espagnole. Les Cartes générales des Costes, dédiées à Richelieu, sont dans le même temps destinées à lever les plans de tous les points de la côte pouvant être le lieu de débarquement des forces anglaises.
Christophe Tassin, va utiliser ou mettre au service du public le savoir acquis au service du roi en publiant les cartes et plans de ville du royaume, et en devenant opur un temps éditeur et libraire. Ingénieur géographe du roi en 1631, il obtient le privilège de dix ans de faire " imprimer, vendre et débiter par qui bon lui semblera les cartes générales et particulières de France et des Royaumes". Ce privilège était d'habitude obtenu par les libraires. Il s'associa peu après avec cinq libraires parisiens, Melchior Tavernier, Jean Messager, Martin Gobert, Michel Van Lochom et Sébastien Cramoisy qui lui apportèrent leurs capitaux et leur savoit-faire. En trois ans de 1633 à 1635, il fit paraître toute son œuvre gravée de neuf atlas tout en proposant les cartes séparément à la feuille, puis vendit son privilège. En 1644, il vendit la totalité de ses planches de cuivre gravées et de sa presse à imprimer à deux autres éditeurs d'images, Antoine de Fer et Nicolas Berey.
Ses ouvrages sont des œuvres de grande vulgarisation à l' usage des voyageurs et des militaires. Imprimés sur des presses privées, ils tirent leur substance des travaux effectués par les ingénieurs des armées : les limites régionales des cartes sont celles des circonscriptions militaires, les villes y sont montrées du point de vue de leur défense et les planches s'attachent, dans les plans de ville, à en montrer les fortifications.
Il n'est pas breton, et son travail a une dimension nationale et non régionale : comme Bouguereau en 1594, il veut proposer un jeu complet des cartes du territoire français. Et, comme il n'a certainement pas dressé lui-même l'ensemble de ses cartes, il a utilisé ses compétences à rassembler les documents existants, à les corriger et les améliorer, et à les compléter. Pourtant, pour M. Pastoureau à propos des Plans de ville, l'ordre rigoureux de la succession des planches, l'enchaînement régulier à l'intérieur d'une même région des cartes générales, des plans de ville et des vues de profil, comme l'homogénéité de la facture des planches, jamais signées, plaide en faveur de la "paternité" de Tassin, au moins pour la facture finale.
Il publia neuf atlas : des Côtes, des provinces avec le plan des villes, etc... :
1. Cartes générale et particulières de toutes les costes de France, tant de la mer océane que méditerranée où sont remarquées toutes les isles, golphes, ports havres, rades bayes, bancs, escueils et rochers plus consédérables, avec les ancharges et profondeurs nécessaires... / Paris : S. Cramoisy , 1634: 69 cartes ; formats divers. Voir gallica :Carte générale de toutes les côtes de France
1a. Le même, Tabulæ omnium Galliæ littorum & portuum, qui in oceano & mediterraneo visuntur. Par le sieur Tassin geographe ordinaire de sa Majesté. / A Paris, chez Michel Vanlochom, ruë sainct Jacques à la Rose, blanche. M. DC. XXXVI.
2. Les cartes generales de toutes les provinces de France royaumes et provinces de l'Europe. Reveües corrigées & augmentées par le S[ieu]r Tassin geographe ordinaire de sa Magesté / [Paris] , 1637 [i.e. 1646?] .
Voir infra
3. Plans et profilz des principales villes et lieux considérables de France, ensemble les cartes générales de chascune province et les particulières de chasque gouvernement d'icelles, mis au jour par le Sr Tassin...Par le Sieur Tassin géographe ordinaire de sa majesté [-seconde partie]. / A Paris, chez Melchior Tavernier, en l'Isle du Palais, au coin de la ruë Harlay, à la Roze rouge. M. DC. XXXIV (1634).
3a Idem, / A Paris, Sebastien Cramoisy, 1634
3b; Idem 1636.
3c idem Melchior Tavernier (N. Bercy pour le tome II), 1638-1644. 2 volumes in-4 oblong de 39 pp.ch., 4 ff.gr., pl. 2 à 45, 2 ff.gr., 52 pl., 27 pl., 28 pl., 27 pl., 18 pl., 1 f. de table, 16 pl.
Pour le tome I ; 44 pp.ch., 1 carte, 3 ff.gr., pl. 2 à 22, 40 pl., 19 pl., 4 pl., 2 ff., 46 pl., 7 pl., 23 pl., 26 pl., 2 pl., 2 ff., 17 pl., 18 pl. .
Chacune des 17 parties est précédée d'un titre gravé dans de beaux cartouches et d'une table des planches gravée, parfois numérotée comme les planches.
Le tome I rassemble les provinces du nord : Picardie, Bretagne, Champagne, Normandie, Ile-de-France, Lorraine, Brie ; le tome II les provinces du sud : Bourgogne, Dauphiné, Provence, principauté d'Orange et contat Venaissin, Languedoc, Foix et Béarn, Guyenne, Poitou, Pays de Loire, Beauce.
(Seconde partie). [Bourgogne, Dauphiné, Provence, Comtat et Oranges, Languedoc, Guyenne, Poictou, Rivière de Loire, Beauce et Castinois] / Paris : chez N. Berey , 1638
3c. Id. N. de Fer, 1644
3d id. Seconde partie, Paris : Berey , 1652
4. Cartes générales des provinces de France et d'Espagne., reveuës, corrigées et augmentées par le sieur Tassin [in-4° oblong (16 cm sur 21); 26 p.; 68 cartes; titre gravé à encadrement], Paris, Sébastien Cramoisy [et: Melchior Tavernier; et: M. Gobert; et: M. Van Lochom (précédé d’un planisphère signé: ″P. Bertius″, portant l’adresse: ″Paris, Melchior Tavernier, 1628″)], 1633.
Le site corpusetampois.com en dresse sous le nom de Nicolas Tassin un recensement plus complet.
France, par le Sr Tassin, géographe ordinaire de sa majesté, 1638, 9 flles, 48 x 35 cm :
II. L'Atlas de 1634.
Il est très difficile, lorsqu'on n'est pas spécialisé en cartographie ancienne et qu'on n'a pas accès aux bibliothèques éloignées, de trouver des informations précises sur les cartes éditées par Christophe Tassin (d'autant qu'il est parfois nommé à tort Nicolas Tassin). Les atlas dont elles sont issues ont vu leur reliure brisée afin de vendre au détail les cartes qu'ils contenaient, entraînant une dispersion nuisible à leur inventaire. L'auteur de référence est Mireille Pastoureau* (avec Franck Lestringant) , Les atlas français, XVI-XVIIe siècles. Répertoire bibliographique et étude, Paris, Bibliothèque Nationale, Département des cartes et plans, 1984,VIII-695 p. : ill. ; 31 cm, mais son ouvrage n'est disponible dans ma région bretonne qu'à la B.U de Nantes.
* Mireille Pastoureau, intègra l'École des chartes en 1968. De 1972 à 1993, elle fut conservateur au département des cartes et plans de la Bibliothèque nationale et devient docteur en histoire. Depuis 1993, elle dirige la bibliothèque de l’Institut de France. Elle est également l'auteur de l'article Les atlas imprimés avant 1700 in Imago Mundi,vol 32, 1980, 45-72.
Je trouve néanmoins, sur le catalogue de ventes aux enchères Drouot, la notice suivante, qui semble correspondre à l'atlas qui m'interesse.
"TASSIN, Ch.
Les cartes generales de toutes les provinces de France royaumes et provinces de l'Europe. Revues corrigées & augmentées par le S[ieu]r Tassin geographe ordinaire de sa Magesté. Paris, 1637 [1643]. In-folio de (1) f. de titre et 52 cartes. Vélin ivoire (reliure de l'époque). Cartes en très belle impression. . Recueil de cartes de Tassin illustré de 52 cartes numérotées anciennement à la plume au verso: 1 à 52 (dont 1 constituée de 3 cartes jointes, ce qui indique que ce recueil factice est complet en soi. En effet, comme le précise Pastoureau, la composition des atlas par Tassin varie d'un exemplaire à l'autre. L'atlas comprend 40 cartes de France, 1 de Luxembourg, 3 de Belgique et des Pays-Bas, 3 d'Allemagne, 1 de Bohême/Hongrie, 1 de Suisse et 3 d'Italie dont la "Seigneurie de Gênes, Comté de Nice et partie de l'isle de Corsse". Cet atlas se compose d'un noyau de 24 (sur 26 publiées par Tassin) cartes numérotées dans la planche qui ont été conçues pour faire chacune l'objet d'une seule feuille: la Lorraine cependant, (cartes [26] à [29] numérotées 23 à 26) est une carte en quatre feuilles. Tassin en inséra d'autres, qui lui permettaient de grossir son recueil: on trouve ainsi les côtes de Provence en trois feuilles. Les autres cartes ne sont pas numérotées et leurs titres sont imprimés dans des cartouches amovibles. Contenu: L'Empire françois chez Melchior Tavernier, 1637 (non répertoriée par Pastoureau)/ Carte d'Auvergne, 1643 (non répertoriée par Pastoureau)/ Carte generale de Picardie et Artois/ Carte generale de Champagne/ Carte du duché de Bourgogne/ Carte de Bresse/ Carte du Lionnois Forest et Beauvielois/ Carte de Dauphiné/ Carte de Provence/ Carte du Languedoc/ Carte generale de Guyenne/ Carte generale de Poictou Xaintonge.../ Carte de Bretagne [donc numéro 12]/ Carte de Normandie/ Carte de l'Isle de France et Brie/ Duché d'Aumalle.../ Vermandois Tierasche.../ Carte du Vexin, Beauvoisis.../ Boulonnois, Pontieu Artois.../ Hainault, Cambresis.../ Carte du Maine/ Carte du duché d'Anjou/ Carte de Touraine/ Carte de Limosin/ Carte de Berry/ Carte du duché d'Orléans/ Carte du Nivernois/ [Carte des duchez de Lorraine et de Bar] (4 cartes)/ Carte particulière des costes de Provence (3 cartes)/ Description du cap de la Croix.../ Golphe de Grimaut/ Carte generale des dix sept provinces des Pays Bas/ Carte des comtez de Flandres.../ Carte des duchés de Luxembourg/ Carte de Hollande/ Carte des duchés de Gueldre et Clêves/ Description du fort de Schincke.../ La haute Elsace, carte de la basse Elsace, Palatinat du Rhein (3 cartes montées légérement rognées en bas)/ Carte des Palatinats du Rhein et de Bavières/ Carte des royaumes de Bohême et Hongrie/ Carte de la basse Allemagne Westphalie.../ Carte des duchés de Saxe Meklembourg.../ Carte de la Franchecomté et du duché de Montbeliart/ Carte generale des treze cantons de Suisse.../ Carte de la duché de Milan/ Seigneurie de Gênes Comté de Nice/ Carte des duchez de Mantoue, Ferrare... Cet atlas contient des cartes homogènes par leur facture mais aucune ne porte le nom de Tassin. Seul le titre de l'ouvrage nous révèle son auteur. Tassin ne cache pas son rôle de compilateur, puisque ces cartes sont dites seulement "revues, corrigées et augmentées" par lui. La carte de "L'Empire françois" publiée chez M. Tavernier semble bien être l'"oeuvre" de Tassin (copiée d'une carte hollandaise) car d'une part, il est précisé dans le cartouche "cette carte est nouvellement corrigée et augmantée des noms des fleuves qui y estoient obmis comme aussy dans les frontières les noms des Villes en Flamant et Allemant y sont mis en François...", d'autre part le cartouche est caractéristique de Tassin. La carte "Carte d'Auvergne" datée 1643, semble elle aussi, caractéristique de Tassin; elle indique que le recueil a été composé en 1643 ou après. - Pastoureau, conf. Tassin II B "
D'après Monique Pelletier p. 21, l'Atlas de Tassin, dont les cartes générales sont encore marquées par la Charte de France de de La Guillotière* puise dans trois sources principales : des cartes du siècle précédent issu de l'atlas de Bouguereau, des cartes élaborées par des ingénieurs du roi ou des maîtres de logis, et des matériaux plus récents provenant aussi des ingénieurs du roi.
*François de la Guillotière (15..-1594) réalisa une Carte gravée sur bois qui ne sera publiée qu'en 1613, puis rééditée plusieurs fois jusqu'en 1640. Voir Gallica pour l'édition de 1620 chez Jean Leclerc.
III. Rappel des cartes précedents celle-ci.
1588 : Carte incluse dans l'Histoire de Bretaigne de Bertrand d'Argenté. Graveur anonyme.
1588 : Galle, in Epitome du théâtre du monde d'Ortélius (7,2 x 10,1 cm et 7,4 x 10,1 cm)
1594 : Copie de cette carte par le graveur Gabriel Tavernier dans le Théatre françoys publié à Tours par Maurice Bouguereau. (34,5 x 46,3cm)
1598 : carte par Pierre Bertius, Caert Thresoor du hollandais Barent Langenes (8 x 12 cm)
1601 : carte gravée par Amboise et Ferdinand Arsenius dans l'Epitome du théâtre du monde d'Ortelius par Michel Coigniet de 1601. (8x12 cm)
1602 : idem, deuxième état.
1603 : Carte gravée par Sigismond Latomus (8,8 x 11 cm)
1616 : carte par Pierre Bertius in Tabula geographicum.(9,4 x 13,5 cm).
1619 : Reprise de la carte d'Argentré copiée par Tavernier, dans le Théâtre géographique du Royaume de France de Jean Le Clerc.
1630 : Carte par Hardy dans l'Atlantis Maioris de Jan Jansson puis en 1631 dans Theatrum universae Galliae. (37,5 x 50)
On notera le petit format des cartes, hormis celle d'Argenté et ses copies, et celle de Hardy.
IV. La carte de Bretagne.
Claude Gaudillat présente trois cartes de Bretagne de Christophe Tassin :
1) CARTE DE BRETAIGNE, Tassin dite "au monstre" de 1633. 10,5 x 15 cm
Atlas : Cartes générales des provinces de France et d'Espagne. "De nombreux éditeurs ont repris cette carte dont Nicolas Berey en 1644 et 1648. Elle porte en haut et à droite le n° 9. le titre Carte de Bretaigne figure dans un cartouche en bas à gauche avec un drapé et un monstre ; l'échelle de dix lieues se trouve en haut à gauche, dans un ruban. Neuf bateaux et une rose des vents au sud de Quimper. 116 toponymes env.
Elle est incluse dans la réédition de Terra Incognita 1993 dont je vais parler.
2) CARTE DE BRETAIGNE, Tassin dite "au cygne" de 1634. 10,5 x 15 cm.
Atlas : les Plans et Profils de toutes les principales villes et lieux considérables de France, 1634.
Cette carte se trouve dans un chapitre intitulé "Plans et Profils des principales villes de la province de Bretaigne". Elle porte le n° 3 en haut à droite sous "Normandie". Le titre est trainé par un cygne. Echelle de dix lieues présentées dans un rectangle en haut à gauche. Un seul bateau sous l'échelle. la rose des vents se trouve à l'ouest de la Bretagne. 120 toponymes env.
Les éditions Terra Incognita ont publié en 1993 dans une pochette à l'italienne un fac-similé des 26 gravures de cet atlas concernant la Bretagne, et 3 variantes des Cartes générales de 1633 avec une Notice historique de 8 pages de Mireille Pastoureau, conservatrice au Département des Cartes et Plans de la Bibliothèque Nationale. C'est la reproduction de l'atlas conservé à la Bibliothèque Municipale de rennes cote 52168 (et 52166 pour l'atlas de 1633).
3. CARTE DE BRETAGNE, Tassin de 1634, 36,5 x 51,7 cm.
C'est cette dernière que je présente ici, sous forme d'une photographie de l'exemplaire que détient la bibliothèque du CRBC de Brest sous la cote CA 00004. Celle-ci est cataloguée avec une notice indiquant " 41 x 58,5 cm, noir et blanc (reproduction ?)".
Elle diffère des deux précédentes par sa taille, qui est légerement supérieure à celle de Bouguereau (35 x 46 cm). On notera que le nom de la province est Bretagne et non Bretaigne.
Elle est issue de l'atlas Les Cartes générales de toutes les provinces de France, in.fol. 1634. Théâtre géographique du royaume de France, Melchior Tavernier.
Description:
Claude Gaudillat en décrit trois états :
— Premier état : avec neuf bateaux et "n°12" en haut à droite.
— Deuxième état : sans le n°12.
— Troisième état : avec coordonnées géographiques et sept bateaux effacés.
Celle-ci porte le n°12, et neuf bateaux, elle est "du premier état". Elle est imprimée sur un papier de couleur saumon clair.
Le titre Carte de Bretagne se trouve dans un cartouche constitué par la gueule de deux monstres ; celui du haut a une tête de batracien et une coquille cannelée à la manière de Saint-Jacques. L'autre a une tête de diable cornu, et un corps en coquille d'où émergent des griffes acérées. Lesdites "coquilles" apparaissent, sur d'autres cartouches, comme les ailes à membrures de sortes de chauves-souris.
Cliquez pour agrandir.
L'échelle "de 10 lieües" est en bas à gauche dans un autre cartouche associant la coquille avec quelques feuilles et fruits. On remarque aussi la belle rose des vents, et la diversité des gréements représentés : un ou deux-mâts, voiles carrées ou latines, tirant une salve de canon, montrant son tableau arrière et remorquant son canot, etc... Je regrette l'absence de quelques cétacés soufflants, qui sont peut-être réservées aux cartes marines.
Le nom du graveur est indiqué en bas et à droite, avec une date : Tavernier 1620.
Il s'agit non pas de Gabriel Tavernier, qui avait copié en 1594 la carte de Bretagne de d'Argentré pour Bouguereau, mais de Melchior Tavernier (Anvers, 1594 - Paris, 1665), graveur et libraire français. Il est le fils de Gabriel II Tavernier, graveur et marchand d'estampes à Paris. Il suit son apprentissage chez Thomas de Leu et en 1621, date où Abraham Bosse signe chez lui un contrat d’apprentissage, Melchior Tavernier est établi avec son frère Gabriel à Paris, sur le pont Marchant. En 1618, il est nommé graveur et imprimeur en taille-douce du Roi. En 1622, il s’installe dans l’île de la Cité, où il demeure d’abord rue du Harlay puis, dès 1627, il s’installe à l'enseigne de l’Épi d’or, en face du quai de la Mégisserie. Son fonds de commerce est racheté en 1644 par le libraire Pierre Mariette qui l'utilisa pour son propre Théâtre géographique de 1650. Il est à l'origine du développement de la cartographie française, travaillant notamment de 1632 à 1644 environ avec Nicolas Sanson et publiant en 1637 et 1638 un Théâtre géographique du royaume de France in fol., parchemin.
Cette date Tavernier 1620, si elle est fiable, indique que la carte a été gravée 14 ans avant son édition.
Il est curieux de voir les liens des Tavernier avec la cartographie en général, et la carte de Bretagne en particulier : son père Gabriel II Tavernier (Anvers 1520?-Paris 1619) graveur, topographe, architecte, graveur sur cuivre dans l’atelier de Plantin à Anvers, éditeur d’Ortelius, et qui est le graveur de toutes les cartes du Théâtre francois de Maurice Bouguereau, demeurait chez Jacques Du Puys en 1590 , lequel avait publié en 1588 la carte d'Argentré...
Ecritures : Les toponymes sont signalés par des vignettes poinçonnées faites, pour la plus courante, d'un cercle adossé à un symbole de maison; parfois des traits verticaux en émergent, un autre modèle s'étend latéralement en trois bâtiments. L'ensemble est beaucoup plus discret que la carte d'Argentré et tend vers l'abstraction. Tous les noms sont écrits horizontalement, sauf ceux qui, sur la côte, s'inscrivent sur l'espace marin (sur la carte d'Argentré, les fleuves, et les noms ajoutés après-coup, se plaçaient en oblique ; ici, seule la Loire et la Vilaine sont nommées). La typographie des toponymes est duelle : italique pour la plupart des localités, caractères romains pour les villes (pour la pointe du Finistère : Brest, St. Renen, Landerneau, Daoulas, Le Fou Crodon, Audierne, Pol David, Douuarnenest, Penmarch (correction par r suscrit)) . Les inscriptions en lettres majuscules qui se plaçaient en diagonale sur la carte d'Argentré pour indiquer la Basse et la Haute-Bretagne, et la mer océane, ont toutes disparu, n'étant plus utilisées que pour indiquer, à l'estrème droite, la NORMANDIE et le BAS POICTOU. De même, la frontière entre Haute et Basse-Bretagne a disparu également, ainsi que toute délimitation : pas de frontière à l'intérieur du royaume...
Le contour du littoral est haché mais les fleuves ne sont pas filés; la mer n'est plus marquée par des pointillés. Les forêts sont indiquées par une marque spongiforme identique dans tous les cas. Les reliefs sont rarement indiqués, par des lignes courbes. Dans l'ensemble, la carte est dépouillée, et cette sobriété facilite sa lecture.
Pourtant, les indications sont plus nombreuses que sur la carte de 1588 : si je compte les toponymes du bord de côte de l'Aberwrach jusqu'à l'île Tudy, j'obtiens 62 toponymes, contre seulement 28 sur la carte d'Argentré. Du Conquet à Brest, les noms de Plougonvelin, St-Ive, Neven, Plousanetz, St-Pierre, Recouvrence apparaissent. En presqu'île de Crozon, où seuls étaient mentionnés Landevennec, Crozon et Camaret, on trouve Dinol (Dinéault), St Vic (St-Nic), Talgruc (Telgruc), Poultric (Poulmic), Roscave (Roscanvel), l'isle longue, Morgat, Labert (l'Aber). Les repères marins sont également mieux dénommés, et du Four à Sein, on trouve désormais Les Noires, Trielen, Letiry, Les Peseaux, la Pointe de la Chèvre, Vieille Basse, et, au sud de Sein, Le Chat.
Curieusement, ces noms de lieux sont très différents de ceux que porte la carte générale de Bretagne "au cygne" de Tassin publiée la même année en petit format dans l'Atlas des Plans de ville, et de celle "au monstre" de 1633 : pour la même zone, on trouve alors surtout des noms d'îles et îlots ( Le Chien blanc, Le Chien Noir, Le feuit, Isle douessant (doublon), Les magornes, Laminihi, Les Hillettes, Baye de Doernane, Isle de Sanetz, lestor, La seiche), et seulement les noms de villes et villages suivant : Pourehaille [Portsal ?], Le Conquest, Brest, Landerneau, Lasquenot [Le Faou ?], Crodon, St René du bois [Locronan], Audierne et Pontlabe. Le tracé cartographique accumule lui-même les erreurs grossières, alors que les cartes de détail (par exemple carte n°15, GOVVERNEMENT de Brest) possédent la même précision de contour, et donnent les mêmes toponymes que celle-ci.
Il persiste sur la carte étudiée de nombreuses erreurs : fautes d'orthographe des noms, dont seule une lecture qualifiée (comme celle que Jean-Pierre Pinot avait donnée de la carte de Bouguereau) pourrait faire la part des variations d'usage toponymique et de l'inscription fautive, mais, quoiqu'on constate des corrections attestant d'une relecture (j'ai signalé Penma(r)ch), il est peu probable qu'un breton ait corrigé les épreuves. Mais je pense plutôt aux erreurs topographiques : quelques exemples seulement :
— Inversion des noms de Houat et de Heydit (Hoedic) : c'est Houat qui, ici, se retrouve proche des Cardinaux. (faute et non erreur, puisque la dénomination est correcte sur les cartes de 1633 et 1634 du même Tassin)
— disproportion de l'île de Beugor (Bangor) au sud de Belle-île.
— Erreur de localisation de Port-Navalo placé trop à l'intérieur des terres et non à l'entrée du Golfe du Morbihan.
— L'île de Raden (Raguenez) est placée trop à l'est, entre l'estuaire de l'Aven et du Belon et l'entrée de Mouelan (Moelan), alors qu'elle se trouve entre l'Aven et la pointe de Trévignon.
— Les îles Glénans, qui ne sont pas nommées, sont placées trop au nord de Penmarc'h,
— Le tracé général de la côte sud de la Bretagne est ici quasi horizontal, plaçant le Croisic à la même latitude que Penmarc'h.
— Déformation de la presqu'île de Crozon.
— Erreur de tracé de la côte au sud de Paimpol.
Je place en fin d'article la carte d'Argentré, pour faciliter les compararaisons.
DESCRIPTION DU PAYS ARMORIQUE A PRESENT BRETAIGNE, in Histoire de Bretaigne de Bertrand d'Argentré, 1588.