La Légende des Dix mille martyrs dans La Légende Dorée et les Vies de saints additionnelles.
Voir aussi :
1. Rappel : La Légende Dorée (Wikipédia).
La Légende dorée (Legenda aurea en latin) est un ouvrage rédigé en latin entre 1261 et 1266 par Jacques de Voragine, dominicain et archevêque de Gênes, qui raconte la vie d'environ 150 saints ou groupes de saints, saintes et martyrs chrétiens, et certains épisodes de l'année liturgique, commémorant notamment la vie du Christ et de la Vierge.
Jacques de Voragine a puisé dans tous les textes classiques de la littérature religieuse du Moyen Âge, et en particulier les évangiles apocryphes de Jacques, de Nicodème, le Speculum historiale de Vincent de Beauvais, les œuvres des Pères latins Grégoire de Tours, saint Augustin, saint Jérôme et les Vitæ Patrum, Jean Cassien et de Pères grecs déjà traduits en latin comme saint Jean Chrysostome. Il s'est efforcé de ne pas recourir aux légendes de saints locaux.
Initialement intitulée Legenda sanctorum alias Lombardica hystoria, qui signifie littéralement «Ce qui doit être lu des saints ou histoire de la Lombardie », elle comporte outre les vies de saints, environ 40 % de son contenu consacré aux explications des fêtes religieuses principales, qui renvoient à la vie du Christ.
Le livre est divisé en 5 parties et 178 chapitres, organisés à la fois selon l'ordre du calendrier liturgique (de l'Avent à la fin novembre) et des âges de la grâce ou du salut : temps de la rénovation (5 chapitres), le temps de la réconciliation et de la pérégrination (25 chapitres), le temps de la déviation (21 chapitres), le temps de la réconciliation (20 chapitres), le temps de la pérégrination (107 chapitres).
L'abrégé d'histoire de l'Europe qu'il donne, commençant au vie siècle avec l'arrivée des Lombards, lui vaut également le nom d'Historia lombardica (Histoire lombarde).
Cet ouvrage connaît dès sa création, vers 1261-1266, un succès considérable. Le plus ancien manuscrit conservé, datant de 1282, se trouve aujourd'hui à la Bayerische Staatsbibliothek de Munich. Très rapidement, La Légende dorée devient, avec la Bible et le psautier, une des œuvres les plus lues, les plus copiées mais peut-être aussi les plus augmentées : aux xive et xve siècles, il n'est pas rare d'en trouver des copies contenant pas moins de 400 histoires. On estime qu'il en existe plus de 1 000 manuscrits, du plus simple au plus enluminé. L'arrivée de l'imprimerie accroît encore sa diffusion.
2. La Légende Dorée et la légende des Dix mille martyrs.
La version originelle de la Légende Dorée, celle de Jacques de Voragine, ne parle pas des Dix mille martyrs ou de saint Acace, alors qu'elle a puisé ses sources dans le Speculum historiale de Vincent de Beauvais qui la mentionne. Cette absence n'est certainement pas fortuite, et il reviendrait à des critiques d'en étudier les raisons : on sait, notamment que les bases de la légende avaient été remises en cause.
Une autre remarque est qu'initialement, la Légende Dorée s'inscrit, avec son titre et sa partie consacrée à l'Histoire des Lombards, dans une perspective historique et non purement hagiographique : en ce sens, elle s'inscrit en filiation avec les Chroniques et le Speculum historiale de Vincent de Beauvais.
Il existe 1050 manuscrits conservés du texte latin, et il est impossible de les consulter tous pour vérifier l'absence de la Légende des Dix mille. Les premières traductions en français, celle de Jean de Vignay pour Jeanne de Bourgogne (au plus tard en 1348) et dont un beau manuscrit est conservé à Rennes (ms 266, de 1395-1403), ou celle du Pseudo-Belet, sont fidèles au texte originel et n'y font pas allusion.
Comme l'indique le texte d'introduction, les 178 ou 179 chapitres et les récits des 150 saints initiaux se virent complétés au XIV et XVe siècles par des chapitres et des hagiographies complémentaires, et c'est parmi celle-ci que peut se rechercher la mention de la légende des Dix mille martyrs. Le dernier chapitre de Jacques de Voragine étant consacré à "La Dédicace de l'Eglise", c'est à la suite de ce dernier chapitre que nous trouverons l'histoire des compagnons de saint Acace.
En 1401-1402, un auteur (identifié à Jean Bolein) composa des Festes Nouvelles d'après le Speculum historiale de Vincent de Beauvais ; ce complément fut alors placé par les éditeurs à la suite de la Légende Dorée, et les manuscrits et livres imprimés ainsi formés sont très nombreux : voir la liste qu'en donne le site Arlima ici
Mais si je consulte, dans cette liste, le manuscrit BNF français 243, je ne trouve, dans la table des 42 fêtes nouvelles, aucune mention des dix mille crucifiés. Rien non plus dans BNF français 242, dans Rothschild 2020 (Lyon 1517) qui mentionne 9 fêtes nouvelles, etc...
C'est donc plutôt le hasard qui me permet de trouver les textes suivants, dans le désordre de leur découverte:
1.Légende Dorée de Jacques de Voragine, exemplaire de la Bibliothèque universitaire de Lund (Suède).
Manuscrit médiéval 19 ,parchemin en latin, daté de la fin du XIV/ début XVe siècle, originaire de Poméranie, 245mm x 175mm, ff.258. Cote Olim: B. N. Mscr. 4:to N:o 37.
http://laurentius.ub.lu.se/volumes/Mh_19/detailed/
Les feuillets qui nous concernent sont les folio 247r et 247v.
Incipit : Passio et memoria ....X. milia militu memoria.
2. Légende Dorée de Jacques de Voragine exemplaire de Darmstadt.
Universitäts- und Landesbibliothek Darmstadt Cote ISTC ij00104000
Legenda aurea sanctorum, sive Lombardica historia, Strasbourg 1481, 362 p. chap CLXXVIII page 315,
Le folio étudié est paginé au n° 315 : Il vient juste après le chapitre 177 consacré à la Dédicace de l'église, et après une rubrique indiquant Sequuntur quedam legende a quibusdam aliis superaddite. Et primo de decem milibus martirum. C'est donc lui qui vient en tête des Légendes additionnelles.
L' incipit est : CLXXVIII Passio et memoria decem milium martirum veneratur et colitur decima kalendas Iulii, qui omnes una die pro Christi nomine passi sunt sub adriano imperator aliisque sex regibus qui ei venerunt in adiutorium.
La finale est : Domine deus memento nostri in hoc patibulo crucis et sucipe petitionem nostra et ea quae a te poscimus.
http://tudigit.ulb.tu-darmstadt.de/show/inc-iv-152/0627?sid=57ec45fff93235af16009a2a02729add
3. La Légende Dorée de Jacques de Voragine conservée à la Bibliothèque Universitaire d'Heidelberg.
Heidelberg Universitätsbibliothek : Elsässische legenda aurea Cod. Pal. germ. 144. nommée la Légende dorée alsacienne, signée et datée de 1419 par un colophon : Anno domini millesimo quadragentisimo xix etc. Johannes Ziegler (f. 412v.).
http://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/cpg144
Le texte écrit en vieil allemand ou plutôt en dialecte alsacien avec des enluminures de l'"atelier alsacien de 1418" est bien difficile à appréhender pour moi ; une première partie est nommée Sommerteil (partie d'été) et l'autre, à partir du folio 248 est nommée Winterteil, partie d'hiver et qu'il est complété par les légendes additionnelles. Mais ce qui est ici particulier, c'est qu'il ne reprend pas le bref texte latin des deux exemples précédents, mais qu'il donne, du folio 397r au folio 401r, un texte de huit pages narrant l'ensemble de la légende qui occupe le chapitre LXXIIII .
Les éditions de la Légende dorée devinrent propres à chaque région (en mentionnant, comme dans les Propres des diocèses, tel ou tel saint) ; la version strasbourgeoise a été établie dès 1350.
Il est d'autant plus intéressant pour ma recherche qu'il débute par une enluminure pleine page qui montre (comme dans le Livre d'heures d'Anne de Bretagne) les martyrs transpercés par les branches épineuses d'un acacia, selon l'étymologie en jeu de mot du nom d'Acacius, le chef des Dix mille martyrs.
On peut lire le titre, Von den zehen tusent martelern. Cette formulation est retrouvée dans un Calendrier allemand du XIVe siècle (Zeitschrift für Deutsches Altertum und Deutsche Literatur, Volume 6 p. 358) selon la formule Zehen tusent martelern tag pour le 22 juin, et avec une variante Zehen tusent ritter und marteler dans Die älteste Teutsche sowol allgemeine als insonderheit Elsassische und ... Par Jacob Twinger (von Koenigshofen), 1698.
Puis le texte lui-même débute, pour ce que j'en déchiffre, comme le texte latin d'Anastase par une mention des empereurs Adrien et Antonin : ..den ziten, de adrianus und anthoninus dem rompsche rieh...und die adriani und die von Euphrates do das ..die kaiser do das...
Cela évoque le début du texte que le philologue tchèque Leopold Zatočil a transcrit et qui est le suivant : In den geziten, do Adrianus und Anthoninus, die bößen keiser, das römsche rieh regierten, warent zwai lant oder Wolker, genant Gaderen und ... ( , Die Legende von den 10000 Rittern nach altdeutschen und mittelniederländischen Texten nebst einer alttschechischen Versbearbeitung und dem lateinischen Original, in Germanistische Studien und Texte I: Beiträge zur deutschen und niederländischen Philologie des Spätmittelalters Leopold Zatočil Universita J.E. Purkyné, 1968 - 288 pages). Autrement dit, la traduction en néerlandais (?) du texte latin d'Anastase le Bibliothécaire.
"L'Atelier alsacien de 1418", (Die elsässiche Werkstatt von 1418) a été défini par Hans Wegener en 1927 (Beschreibendes Verzeichnis der deutschen Bilder-Handschriften des späten Mittelalters in der Heidelberger Universitäts-Bibliothek, Leipzig, 1927) pour désigner les auteurs d'un groupe de 19 manuscrits (dont 7 à Heidelberg), tous écrit sur le même papier porteur du même filigrane, tous écrits en dialecte alsacien, dont certains sont datés de 1418 (mais l'atelier est actif de 1418 à 1430) réalisés à Strasbourg (dont les armoiries se voient sur certains habits et bâtiments) ou à Colmar. Les écrivains (Johannes Ziegler qui signe cette Légende dorée, Hans Coler, Thomas Vogel) travaillaient sans-doute à la copie rétribuée pour l'atelier. Les artistes sont restés anonymes, mais on distingue cet atelier de celui, pourtant proche de Diebold Lauber car le papier en est différent. Leurs illustrations sont, pense-t-on, le travail des trois groupes d'illustrateurs et d'enlumineurs : la manuscrit Cod. Pal. germ. 144 est attribué au groupe C. (Source : Bibliothèque d'Heidelberg )
L'illustration folio 397 de 21,5 x24,5 x24 cm est tracée à la plume et coloriée de trois couleurs seulement, vert pâle des arbres, rose-parme du sang (appliqué grossièrement en coulées autour des plaies) et jaune des pagnes et des nimbes. Deux des quatre martyrs portent des couronnes d'épines.
4. Legenda aurea d'Augsburg.
Incunablepar Gunther Zainer, 1471-1472.
Partie 2, Sommerteil du 27 IV 1472,
Cote M11402 folio 58aß Zehntausend Märtyrer (Da Adrianus und Antonius des reichs gewaltig waren
5. Legenda aurea de Cologne.
Incunable de Ludwig von Reichen, 1482 Niederdeutsch Köln.
M11405 folio 237bß Zehntausen martyrer, in vurleden tziden was eyn furste geheissen Achacius.
6. Legenda aurea d'Augsburg.
Incunable, Augsburg, par Johannes Bämler, 18-X-1477.
Cote M11357 P.2 folio 124b. Zehn tausend Märtyrer
7. Légende Dorée de La Haye, Bibliothèque royale Cod 133 B17.
Den Haag/'s-Gravenhage, König. Bibl Cod 133 B 17 : Manuscrit de 1463 de 235 feuillets de parchemin et papier rédigés en moyen allemand.
«Südmittelniederländische Legenda Aurea» (GH12) Bl-15rb 16ra: Zehntausend märtyrer.
8. Legenda aurea sanctorum sive Lombardica historia.
Edition en latin de Theodore Graesse 1845 édition Leipzig et Dresden 1846, réed. Breslau 1890, Vratislava 1890. Google Books
Jacobi a Voragine Legenda aurea vulgo Historia Lombardica dicta. Ad optimorum librorum fidem recensuit Dr. Th. Graesse, Dresdae et Lipsiae, impensis librariae Arnoldianae, 1846, x + 958 p. 1re éd.: [GB]; 2e éd.: [IA]; 3e éd.: [IA]
Réimpr.: Editio secunda, Lipsiae, impensis librariae Arnoldianae, 1850; Editio tertia, Vratislaviae, apud Guilelmum Koebner, 1890; Osnabrück, Zeller, 1965; 1969.
Entre le 16e siècle et le renouveau du XIXe siècle, le succès éditorial de la Légende Dorée chuta drastiquement sous l'effet des attaques des protestants et des critiques de catholiques qui estimaient que la version de Jacques de Voragine était moins fidèle que les anciennes sources hagiographiques; d'autre part, le terme de Légende devenait suspect.
Dans cette édition, "la meilleure édition latine malgré ses erreurs jusqu'à celle de Giovanni Paolo Maggioni en 1998" (C. Kleinhenz), la légende des dix mille occupe le chapitre 178, comme dans l'exemplaire de Darmstadt, juste après le chapitre 177 de la Dédicace de l'Eglise. Elle reprend d'ailleurs littéralement le texte de l'édition de Strasbourg de 1481.
"Sequuntur quaedam legendae a quibusdam aliis superadditae.
CAP. CLXXXVIII.
De Decem millibus martirum."
"Passio et memoria decem millium martirum veneratur et colitur X Calendas Julias. Qui omnes una die pro Christi nomine passi sunt sub Hadriano imperatore aliisque VI regibus, qui venerunt ad adjutorium. Hi sancti martires, cum ab imperatore ad sacrificandum ydolis compellerentur dixerunt : sacrifium vivum et immaculatum offerimus nosmet ipsos domino nostro Jesu Christo, qui pro humano genere nasci dignatus est et descendere de coelis, multis malis affligi, et ad ultimum voluit etiam pro nobis crucifigi, quem tu, miser, ignoras. Tunc iratus imperator jussit eos diu torqueri et ad ultimum crucifigi et omnia tormenta, quae passus est dominus noster Jesus Christus, forti animo et fide firmissima pro domino sustinuerunt. Locus igitur, ubi passi sunt beati martires mons est magnus est vocatur Arrahe [aliis Ararat legunt] et distat Alexandra civitate CCCCC quasi stadis. A quibus autem passi sunt, fuerunt exercitus regum, qui illi venerant in adjutorium, XXX milia. Hora vero sexta illins diei terrae motus factus est magnus, petrae scissae sunt, sol obscuratus est et omnia signa, quae in passione domini visa fuerant, ecce ibi visa sunt. Tunc sancti martires fundentes orationem ad dominum dixerunt : domine deum, memento nostri in hoc patibulo crucis et suscipe petitionem nostram et ea, quae a te exposcimus, nobis concedere digneris, ut quicumque memoriam nostri corde et ore cum jejunio et devotione celebraverunt mereantur a te assequi fructuosam mercedem, tribuendo iis sanitatem corporum, medicamen animae, et in domibus eorum et foris bonorum omnium ubertatem concede. Et si in proelio fuerint, non iis nocere praevaleant inimici visibiles et invisibiles te expugnant, sed, sicut placet tibi, armis tuis eos protege diesque unius diei nostri passionis unuus poenitentiarum annum compleat observantibus se devoto corde. Et hoc, dominator domine, a te poscimus, dissipa omnem occupationem et omnem immundum spiritum omnemque infirmitatem eorum expelle, quia gloriosum et laudabile est nomen tuum per omnia saecula saeculorum. Et respondentibus omnibus amen facta est vox de coelo dicens : quae petiistis, dilectissimi mei, scitote vos impetrasse. Gaudete quoque et laetamini, quia orationes vestrae coram Christo et immortali rege veraciter sunt exauditae. Et hic dictis in confessione emiserunt spiritum veraciter percepturi praemia regni coelorum. "
On en trouvera la traduction dans le texte suivant.
9. La Légende Dorée dans son édition moderne par Gustave Brunet en 1843.
La Légende Dorée, traduite du latin et précédée d'une notice historique et bibliographique par M.G.B. [Gustave Brunet] , deuxième série, Paris, Librairie Charles Gosselin rue Jacob 30, 1843. (deux volumes, 395 p).
Traducteur : Pierre-Gustave Brunet (1806-1896). Je n'ai pas trouvé l'indication du texte latin qu'a traduit G. Brunet.
En ligne sur Gallica p. 193
"La commémoration de la passion des dix mille martyrs se fait le dixième jour des kalendes de juillet : ils souffrirent tous la mort pour Jésus-Christ le même jour sous le règne de l'empereur Adrien. Ayant reçu l'ordre de sacrifier aux idoles, les saints martyrs dirent: "Nous nous offrons nous-mêmes comme un vivant sacrifice à Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui a bien voulu naître pour le genre humain, descendre du ciel, souffrir beaucoup de maux, et enfin être crucifié pour nous, ce que tu as le malheur d'ignorer." L'empereur, irrité, ordonna qu'ils fussent longuement tourmentés et enfin crucifiés. Ils supportèrent avec un courage inébranlable et la foi la plus ferme tous les tourments qu'avait endurés Notre-Seigneur. L'endroit où souffrirent ces saints martyrs est une grande montagne qui s'appelle Ararat et est éloignée d'Alexandrie d'environ cinq cent stades. A la sixième heure du jour, il se fit un grand tremblement de terre ; les rochers se fendirent, le soleil fut obscurci, et l'on revit tous les signes qui s'étaient manifestés lors de la passion de Notre-Seigneur. Alors les saints martyrs se mettant en prières, dirent à Dieu : Seigneur, souvenez-vous de nous sur le gibet de la croix et accueillez notre prière, et accordez la grâce que quiconque célèbre dévotement votre mémoire de cœur et de bouche en jeûnant en reçoive la récompense en se voyant accorder la santé du corps et la guérison de l'âme, et donnez-leur abondance de biens dans leur maison au dedans et au dehors. Et s'ils se trouvent dans les combats, protégez-les, Seigneur, afin que les armes des ennemis visibles et invisibles ne puissent leur nuire, et qu'il soit dans votre grand plaisir de leur faire remporter la victoire ; et délivrez ceux qui compléteront une année de pénitence en jeûnant le jour de notre commémoration ; délivrez-les, Seigneur, du pouvoir des démons et guérissez toutes leurs maladies, car votre nom est glorieux et louable dans tous les siècles des siècles." Et tous les martyrs ayant répondu Amen, on entendit une voix qui disait : "Sachez, mes biens-aimés, que vous avez obtenu ce que vous avez demandé. Réjouissez-vous, car vos prières ont été exaucées devant Jésus-Christ et devant le Roi immortel" Et lorsque cela eut été dit, les martyrs rendirent l'esprit en confessant le Seigneur, et ils allèrent prendre possession des récompense du royaume des cieux. Ainsi soit-il. "
On trouve là une légende amputée de toute sa partie narrative et de sa démonstration théologique pour ne retenir que la part dévote et rejoindre les mentions des martyrologes. On la comparera au texte d'Anastase et à la première traduction française de 1170 pour en juger : Les Dix mille martyrs dans le manuscrit Fr. 696 La Vie et passion de Saint-Denis : confrontation avec le texte latin d'Anastase.
Mon point de vue, que je reprendrais ailleurs, est que l'on voit se constituer une veine historique, qui présente la légende des Dix mille martyrs comme un fait historique du régne d'Adrien et de l'avénement du christianisme à travers les persécutions (texte d'Anastase, de Saint-Denis, de Vincent de Beauvais et de la Grande Cronique de Bretaigne) : cette veine est destinée aux rois et reines ou à une élite de clercs et de seigneurs très liées à la cour. Elle vise à fonder le pouvoir royal, qui s'établit par la possession de reliques et par la sépulture auprès de celles-ci, ou à confirmer des dogmes théologiques.
Par ailleurs se développe une veine liturgique ou hagiographique, soucieuse de fonder sur des textes une pratique dévotionnelle, pour le clergé, ou de lire l'assurance des bénéfices attachés à ce culte (indulgences et protections), pour les fidèles : c'est là où se placent les légendes additionnelles de la Légende Dorée, les Acta Sanctorum, les prières des Livres d'Heures, Bréviaires, Missels et antiphonaires.