La légende des Dix mille martyrs
dans le Miroir historial de Vincent de Beauvais,
Livre IX, traduit par Jean de Vignay.
Voir aussi :
Plan :
- Introduction
- le texte de Jean de Vignay en français
- les différents manuscrits.
- texte imprimé : édition d'Antoine Vérard.
- Le texte en latin de Vincent de Beauvais.
- Commentaires sur cette version de la légende.
I. Introduction.
La légende des Dix mille martyrs crucifiés sur le mont Ararat sous l'empereur Adrien a été écrite par Anastase le Bibliothècaire à Rome au IXe siècle, en latin. Ce récit a été repris en France tout d'abord et essentiellement, sur un mode historique, comme l'un des faits marquants du règne de l'empereur romain Adrien, dans des Chroniques liées au pouvoir royal. Parmi les textes que nous conservons se trouve la vie et Légende de Saint-Denis, vers 1270-1285, en français, et le Speculum historiale du dominicain Vincent de Beauvais, écrit en latin en 1254. Sa traduction en français fut donnée par Jean de Vignay vers 1320-1332 sous le titre de Mireoir ou Mirouer hystorial à la demande de Jeanne de Bourgogne, reine de France et épouse de Philippe VI.
Le Speculum historiale est une chronique universelle de la Création jusqu'au milieu du XIIIe siècle. Le texte comprend également de nombreux extraits d'œuvres littéraires, philosophiques et théologiques insérées au fil du récit des événements historiques. La dernière version (dite de Douai) comprend 32 livres, le premier étant le Libellus apologeticus.
C'est dans le Livre XI, aux chapitres 88 et 89 que se trouve relatée la légende des Dix mille.
Ainsi, le texte de Vincent de Beauvais est chronologiquement la deuxième source disponible en latin, et le texte de Jean de Vignay que je transcris ici est à ma connaissance la deuxième occurrence en français de la légende.
Parmi les manuscrits du Miroir historial colligés par le site Arlima, rares sont les codex qui disposent du livre XI : je n'en ai trouvé que cinq en France (et un à la Bibliothèque de La Haye cote 128.C.1, et à Londres Lansdowne 1179).
J'ai suivi pour ma transcription le manuscrit de la bibliothèque de l'Arsenal, ARS. 5080 f. 138v-140r, qui est le plus ancien ( 1332-1335), dont le sigle est A2* ; A1, qui est le premier volume du Miroir historial, est conservé à Leyde.
*ces sigles préparent l'édition critique du Miroir historial sous la dir. de Laurent Brun et de Mattia Cavagna, Paris, Société des Anciens Textes français, en cours.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b7100627v/f284.image
II. Le texte de la Légende des Dix mille martyrs du Miroir Hystorial, Livre XI chapitre 88 et 89.
[folio 138v]
iiij. xx et viij. [chapitre 88] de la conversion des .ix. mille chevaliers et de leurs geste. hystoire plaine.
En tanz ce souffrirent mort en .i. jour .x. mille martyrs souz adrien et antonien des quiex anastaise garde des livres du siege apostolique fu veu translater les gestes du grec en Latin. Et donc les devans dis emperieres oians que les quadranis et les eufratanis se fussent commenciez rebeller il se sont corciez* contre leur anemis, et ont garniz* et asieges les chastiaus et orent en leur esfors .xvi. mille chevaliers tres fors. Et portoient les faus ymages de jupiter et de appolin par les quiex il se fioient avoir victoire. Mes comme il regardassent la multitude des anemis estre tres grande il furent ferus de pouour* que il estoient .cent milliers. et sen fuirent avec .vii. mille chevaliers tant seulement. Donc le chevetaigne* des chevaliers achacien par non et helyades leur duc retornez arriere as .ix. mille disrent venez et sacrifions a nos diex, si que par iceulz nous aions victoire de nos anemis. Les quiex sacrefians .i. bouc, ils furent espvantez par greigneur* pouour et pristrent a fuir.
Et donc langre nostre seigneur acouri devant la face d'eulz ensemblance denfant et dist aiceulz. Pourquoy vous a pris pouour sacrefians a vos diex, et vous contraint fuir. Croiez Jhesucrist filz de dieu, immortel roy, et iceli se combatra pour vous. Et si comme il leur eust dit ce et autres choses il prisrent conseil que il esprouvassent la reson de l enfant, eulz se escrierent tous ensemble disans. En toi nostre sire Jhesucrist croions nous et ce que cest jouvencel nous a demoustre prameton nous faire en ton nom. Adonc les anemis [folio 139r] assaillanz iceulz et langre portant aide as siens tous les anemis dechairent en la bataille. Plusieurs perirent en .i. lac pres de la. les autres moururent en trebuchant a terre. Et l'angre demena les siens el haut de la montagne d ararath qui est loing alexandrie par .v. cens estas. cest a savoir huitiesme partie d un mille. Glorefiant soy en la poste* de dieu. Et l angre soiant el milieu de eulz les ciex furent aouver et .vii. angres sont descendus entre eulz ensaignant les et disant. Vous estes benois qui avez creu en dieu vif. Dedans tiers jour vous serez quis et serez menez devant les roys. Ne les doutez* pas quer diex est avec vous. Et ces choses dites, il s en sont disparus des ieux d iceulz. Et iceulz corrigiez par pouour confessoient leur pechiez a haute voix.
Et .iii. jours apres aucunz furent envoiez des emperieres pour querre les, et ils parvindrent en la montaigne ou ils estoient. Et iceulz oient que il glorefioient dieu et cognirent que il estoient crestiens. La quel chose comme il le rapportassent as emperieres eulz furent courrouciez par tres grant douleur, et misrent cendre sur leur teste et pleurant par .v. jours se tindrent de boire et de mengier. Et apres ce il escriptrent .v. espitres a .v. roys, ce fu au roi saporin, a maxime, a adrien, a tyberien, et a .1. autre maxime, requerans qu il veinnent a eulz savoir que estoit a faire de ces hommes. Et donc ces roys assemblanz granz esfors vindrent et ofrirent premierement sacrefices as ydoles. Et apres ce eulz repaissant leur cors entremisrent trouver les nouveaux chevaliers Jhesucrist. Et aucunz envoiez la monterent en la montaigne en laquele les sains chevaliers habitoient ourans. Et si comme il virent iceulz venant a eulz achacien dist as autres que il se levassent et donnassent leur œuvre adorer contre lesfors du deable. Et aceulz les chies enchus et les genous flechiz ovris a dieu et rendans li graces et loenges une voiz est venue du ciel disant. J'ai oi ce que vous avez requis. Ne doutez pas ceux qui occiront les cors. Je vostre seigneur sui avec vous confortant vous. Et eulz oians ceste chose se sont esioiz* en notre seigneur. Et les chevaliers de ces roys venant a eulz distrent. Les roys et les emperieres nous ont envoiez a vous que venez a eulz. Et donc tous descendans de la montagne se estent devant les roys et avoient entiere esperance en jhesucrist notre seigneur. Et les rois regardant iceulz pleurerent.
[folio 139r]
iiii. xx et ix. [chapitre 89] De la passion de iceulz avec les .x. millier. hystoire plene.
A [lettrine] Adrien vraiement leur demanda la cause et la maniere par quoy il avoient cru en dieu. et le benoit achacien dist et raconta la chose par ordre. Et donc adrien forsene dit. Et pour ce que vous tous avez creez en crist, sans doute vous soustendrez les poines de celi. Et il commanda iceulz despitans les menaces estre acraventez* de pierres. Et si comme l en les lapidoit les pierres retornoient contre les faces des lapidans. Et apres ce l emperiere les commanda estre tormentez. Et si comme ils estoient tormentez 1 cousin de achacien qui avoit non drachonariu et helyades distrent preiez pour nous hommes sainz que les tormens que nous soufron sont gries; Au quel achacien dist perseverez freres en ceste confession quer qu ara ci persevere sera sauf. Et si comme il eust oure, terre mote est faite grant, et maintenant les mains des tormenteurs sont acontraities.
Et certes en lost du roy maxime estoit illec .1. mestre des chevaliers theodorus par non qui avoit mil chevaliers, lequel feru de pouour par ce miracle se escria Notres sire dieu du ciel et de la terre qui laide de ta misericorde tu as donnée a .ix. mille chevaliers, daignes nombrer nous pecheurs avec tes sains martyrs. Et en ce disant et hastant sa voix en ce signe il sen ala lier ses chevaliers avec les sains. Et ainsi dieu omnipotent acompli le fruit de sa vigne par le nombre de .x. mille chevaliers. Et maxime le roy dit aus emperieres Ha : emperieres combien seufre je grant perte et grant injure pour vous; Auquel adrien dist. O roy, il te convient soufrir pesiblement. Cli qui ma hoste mon estoi si ta soustrait le tien. Et maxime retore devers les sainz dist Oiez moy vous .x. mille hommes. Je vous amoneste que vous sacrefiez et eschviez mon ire que vous ne peussiez mauvesement. Auquel achacien dist. Forsenerie* de puce ne vaut rien contre teste de torel. Nous avons dieu vif, il ne nous chaut de toy.
Et donc commanda maxime forsenant grant multitude de clous agus estre fais en maniere de chauchetrepes* et estre repanduz par .xx. estas de terre. Si que lost de notre seigneur jhesucrist alast desus a nues plantes. Mes les angres de nostre seigneur aloient devant conqueillant* les clous en .1. tas que il ne se fichassent as piez de iceulz. Maxime vraiement commandant que ceulz souffrissent mort a lessample de crist et les menistres aourirent les costes iceulz a tres agus rosiaus et mistrent es testes de chescun couronnes d espines. Et en la parfin la sentence donnee il furent crucefiez el mont ararath . Et donc dist s: helaides, achacien primat deulz que il exposast a eulz crucefiez aucune chose de la foy. Et si comme il leur eust expose la foy de la sainte trinite et de l incarnation du fils dieu, a la septiesme heure du jour la terre trembla et les pierres sont fendues, et iceulz sains espandirent prieres et oroisons pour ceulz qui a devocion et a jeune celebroient la memoire de leur passion, et tous respondans Amen. Une voix est venue du ciel disante que l oroison d eulz estoient oie.
Et adonc environ la neuviesme heure du jour les ames des saints furent transportees au palais celestiex, et les ciex sont aouvers et en resplendi lumiere sus les cors sains. Maintenant la lumière ayant envoie, nostre seigneur vint du ciel en terre avironne* des sains ausi comme par queroles* et il estoit el milieu deulz disant esioissant soy les [folio 140r] sains avironnes de si grant confort. Et derechief la montaigne fremi et trembla toute. Et tantost les cors fichiez es croiz furent deslies et enterrez es sepulcre par la main des anges, et furent mis chascuns en son propre lieu. "
Glossaire :
- corcies : pour courrouciez (Ms NAF 15941).
- garnis : verbe garnir, "fortifier" (pour un château) (Godefroy).
- esfors : "force armée, troupe" (Godefroy).
- il furent feru de pouour : de la forme intransitive du verbe férir, "atteindre, frapper".
- le chevetaigne : "chef, capitaine" (Godefroy).
- greigneur : forme de graignor, adj. "plus grand" (Godefroy).
- la poste de dieu : Godefroy force 4, s.f. " gré, convenance, volonté".
- douter : "craindre, redouter" (Godefroy)
- esioiz : verbe (s') esjoier : "se réjouir." (Godefroy).
- acraventez : acravanter, "écraser, briser, assommer, accabler" (Godefroy)
- Forsenerie : "état, acte, sentiment de forcené" (Godefroy)
- chauchetrepe : les DMF donne pour chausse-trappe" la définition suivante :"[T-L : chauchetrepe ; GD : chaussetrape ; GDC : chaussetrappe1 ; FEW II-1, 65b : calcare ; TLF V, 626a : chausse-trappe] I. -"Chardon étoilé, centaurée" II. -ARM. "Pièce de fer, consistant en une sorte d'étoile à quatre points, servant de piège (en partic. fichée en terre et destinée à entraver la marche de chevaux)". Godefroy indique " valériane celtique".
- conqueillant : "cueillant" ; attesté dans le poème (Ovide moralisé ?) "Souvent se regarde et remire , Et par grant entente s'atire, Et vest d'escarlate ou de vert. Si se couche sus l'erbe vert, Et vait conqueillant des florettes".
- avironne : avironer, "entourer" (Godefroy).
- queroles [A1], karoles [Or2], quereles [Imp. Vérard] le terme traduit le latin choreis : Godefroy donne les formes carole, carolle, karole, quarole, kerole, querole et qerole "danse, branle", avec des exemples religieux comme St Bernard, loez nostre signor en tabor et en kerolle.
III. Les manuscrits disponibles.
1. Tableau général des manuscrits français disponibles à la consultation.
Cote | ARS 5080 | NAF 15941 | BNF Fr 313 | Fr.50 | Fr. 309 |
Sigle | A2 | B1c | Or2 | N1 | G2 |
Date | 1332-1335 | 1350-1339 | 1396 | 1463 | 1455 |
Lieu | Paris | Paris | |||
Materiau | P(archemin) | P | P | velin | Velin |
Pages | 418 et sv. | 119ff. | 392 et sv. | ||
Taille | 380 x 270 | 325 x 225 | 400 x 280 | ||
pages légende | 138v-140r | 27v-28v | ff 142r-143r | f 382v et 383r | f92v |
enluminures légendes | 2 | 1 | 1 | ||
artiste |
Richard de Verdun, Mahiet, M. de Cambrai |
Maître du Livre du Sacre. |
Maïtre de la Mort Perrin Remiet |
G. Vrelant. | |
propriétaires | Jean II le Bon | Jean de Berry | Louis duc d'Orléans | ||
2. Le manuscrit Arsenal 5080 (de 1332-1335).
Bibliothèque de l'Arsenal, Ms-5080 réserve
En ligne sur Gallica http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b7100627v/f282.image
Parchemin, 42 lignes, 2 colonnes. Initiales ornées en or et couleur. Titres rouges.
Description : Le Speculum historiale de Vincent de Beauvais a été traduit par Jean de Vignay à la demande de la reine Jeanne de Bourgogne, vers 1332-1333. Ce volume est le second d'une série de quatre dont seuls les deux premiers ont été conservés. Ils étaient destinés au fils de Jeanne, Jean, futur roi Jean II le Bon. Le premier, aujourd'hui à Leyde, University library, Ms. Voss. GGF3A, porte l'ex-libris autographe effacé de Jean, duc de Normandie et de Guyenne. A appartenu à Jean II le Bon , alors duc de Guyenne et de Normandie, au roi Charles V puis à Charles VI , et à partir de 1413, à Louis de Bavière , frère de la reine Isabeau. Il est ensuite passé aux Augustins déchaussés de Lyon , puis au baron d'Heiss , enfin au marquis de Paulmy.
L'écriture gothique (textura) est très agréable à lire.
Les 450 enluminures occupent parfois la largeur entière de la page, comme ici, , et d'autres la largeur d'une colonne. elles sont attribuées à Richard de Verdun (dit le maître de la Bible de Papeleu), gendre et successeur de Maître Honoré à Paris à son décès en 1312/13, et à ses assistants. On reconnaît aussi les mains du maître de Cambrai et de Mahiet (identifié à un clerc normand, Mathieu Levavasseur actif à Paris v 1330-1350 où il dirigeait vraisemblablement un important atelier ; on lui connaît une vingtaine de manuscrits dont la Vie de saint-Louis de Joinville ).
les Enluminures :
Il s'agit de deux miniatures faisant toute la largeur de la page et de deux initiales E et A ornées. Comme toutes les enluminures, elles disposent des personnages de profil ou de trois-quart sur un fond homogène souvent carrelé, et elles emploient toujours les mêmes couleurs, bleu, rouge et or, blanc et mauve.
Enluminure folio 138v.
Dans le même cadre bleu et or frappé aux angles de glands, deux fonds de même couleur lie-de-vin mais carrelés différemment (en carreaux ou en losanges) délimitent deux scènes de la légende : à gauche, l'ange s'adresse aux chevaliers alors que ceux-ci offrent en sacrifice un bouc à Apollon. Quatre chevaliers sont visibles, en cotte d'arme et tunique, épée en baudrier ; l'un d'eux porte un écu bandé d'argent et d'azur : on peut penser aux armes à bandes d'or et d'azur de la Bourgogne, mais ces armoiries sont à priori ici de fantaisie. Le voisin de ce porteur d'écu présente un curieux couvre-chef.
L'autre scène montre un roi tenant une épée et donnant un ordre à un soldat debout et armé ; les saints martyrs, qui sont désormais revêtus de tuniques parfois recouvertes d'un manteau, n'ont cure des menaces, tournent le dos au roi pour adorer Dieu qui apparaît dans les nuées, à droite. Cela évoque la scène où Achace déclare au roi Maxime que la colère d'une puce ne peut rien contre la tête d'un taureau, et refuse avec ses hommes d'adorer les idoles.
Folio 139r :
Même cadre, même division en deux scènes de la composition par la différence des motifs du fond. Le roi Maxime ordonne à gauche la lapidation des saints, mais les pierres reviennent frapper le visage des bourreaux. A droite, un seul bourreau (coiffé de ce qui s'apparente à la coiffure des juifs des autres enluminures) presse avec son bâton les saints à s'engager nu-pieds sur le chemin parsemé de chausse-trappes, ce qu'ils font en contemplant le visage divin qui apparaît dans les nuées alors que les anges ramassent les clous tripodes.
La lettre A ornée du folio 139v : cette initiale peinte reprend les glands des cadres précédents, avec un rinceau central de feuilles de vignes.
Les initiales filigranées et prolongées d'antennes du folio 140r reprennent un style extrèmement chargé voire exubérant caractéristique de cette ornementation. Depuis les premières pages, les lettres sont alternativement rouges (dans un réseau gris) et bleues (dans une résille rouge-pâle ou mauve).
On constate aussi la mention "hue de florence", en rubrique, à la fin de certains paragraphes du chapitres 90, alors que d'autres s'achèvent par "le livre des évêques" "eusebe es croniques", ou "helymany". Il s'agit des sources que l'auteur a ainsi indiqué, mais hélas, ces sources ne sont pas précisées pour la légende des Dix mille. Quoiqu'il en soit, je me suis interrogé sur ce Hue de Florence avant de découvrir (Hist. litt. de la France) qu'il s'agit de l'erreur d'un copiste qui a transcrit ainsi, au XIIe siècle, dans sa translation de l'Historia Regis Francorum, le nom Hugo Floriacensis, ou Hugo de Fleury, c'est à dire Hugues de Sainte-Marie, moine de l'abbaye bénédictine de Fleury au XI-XIIe siècle et auteur de Libellus de regia potestate et sacerdotali dignitati, Vita sancti Sacerdotis, Historia ecclesiastica, Liber modernorum regum et Miracula sancti Benedicti. (Source Arlima). C'est l'Historia ecclesiastica qui sert de source à Vincent de Beauvais (149 fois dans le Speculum historial selon le site Atilf)
3. Le manuscrit BNF Nouvelles acquisitions françaises 15941 (de 1350-1399).
En ligne sur Gallica http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8449688c/f63.image.
Enluminures
Elles sont attribuées au Maître du Livre du Sacre de Charles V, celui qui a réalisé, dans les Grandes Chroniques de France de Charles V, la miniature f.389 et la miniature 480v.
Folio 27v :
La miniature occupe la largeur d'une colonne de texte et la hauteur de quinze lignes d'écriture. Elle reprend des caractères déjà observées sur le Ms Ars 5080 : cadre orné de glands (ou feuilles trilobées), fond homogène et carrelé ; personnages de profil ; faible nombre des couleurs (bleu, rouge, mauve, or, gris-vert) ; majuscule ornée située imédiatement en-dessous. Elle reprend même assez fidélement la composition de la moitié droite du folio 139r, avec le roi de sa partie gauche.
Le manuscrit BNF français 313 ( de 1396).
En ligne sur Gallica :http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84557843/f289.image
Les illustrations sont de Perrin [Pierre] Remiet (1350-1430), connu notamment pour son illustration, en 1393, du ms. Français 823 (Pèlerinage de la vie humaine de Guillaume de Digulleville), du Rational de Guillaume Durand Ms Fr.176 en 1380-1390, du Français 20029 (Livret de la fragilité humaine d’Eustache Deschamps et qui a réalisé aussi selon F. Avril les enluminures de la seconde partie des Grandes Chroniques de France de Charles V (. f. 5v, 85v, 122v, 149, 166v, 182, 200, etc...). Michaël Camille l'a surnommé "le Maître de la mort" pour "sa compulsion à rendre visible la mort".
Le folio 142r est orné, sur une seule colonne et sur une hauteur de 12 lignes, d'un dessin à la plume ombrée représentant l'ange "ensemblance d"enfant" apparaissant, en haut d'un rocher, aux chevaliers. Elle est placée juste au dessus du titre en rubrique De la conversion des .ix. mille chevaliers et de leurs gestes, et d'une lettre initiale E vignetée, (5 lignes) marquant le début de chapitre. On voit aussi le bout de ligne bleu et rouge qui termine le chapitre précédent, et, en bas à droite, un pied-de-mouche bleu (alternance bleu-rouge dans le texte). On remarque un mot erroné barré, le copiste ayant lu "il s'estoit" au lieu de "il se sont".
Le manuscrit BNF Français 50 ( de 1463).
En ligne sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9059535d/f377.image
L'enluminure du folio 382v.
C'est, parmi celles que nous découvrons ici, celle qui s'en tient le mieux au texte. C'est aussi la première qui, par la perspective et la profondeur, peut montrer d'avantage de personnages. Les saints comparaissent devant six rois dont le premier tient un glaive. Le septième roi est figuré à genoux devant les deux idoles, représentant théoriquement Jupiter et Apollon. Le bouc offert par les chevaliers est bien là.
Face aux rois, Acace expose sa foi, encouragé par un ange.
Folio 183.
L'identité du souverain est précisée par une inscription : c'est l'empereur Adrien, qui ordonne les différents supplices : la lapidation, avec le retour d'une pierre dans l'œil d'un tortionnaire ; la marche sur les chausse-trappes, avec les anges qui les ramassent ; et, sans-doute, mais avec un écart par rapport au texte, l'utilisation de roseaux acérés enfoncés dans le flanc des martyrs.
Le manuscrit BNF français 309 (de 1455).
En ligne sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90599455/f96.image
Le folio 92v :
il porte un dessin rehaussé de Guillaume Vrelant ; c'est la première représentation des martyrs crucifiés, dans laquelle on voit un ange recueillir dans des calices le sang de leur passion pour créer un parallèle avec celle du Christ. A gauche l'empereur Adrien et un autre roi sont représentés.
IV. La première édition imprimée.
La première édition du Miroir historial dans la traduction de Jean de Vignay fut celle d'Antoine Vérard en 1495-1496 sous le titre le premier volume de Vincent Miroir historial. La Bibliothèque de Troyes en conserve le volume 2 contenant le livre XI qui nous intéresse, et ce volume est accessible en ligne. On consultera le B.M Inc 17 folio 135v-136r, page 149.
Le texte est très proche de celui de A2 (Ars 5080) que j'ai retranscris.
V. Le texte de Vincent de Beauvais en latin.
Je me suis contenté ici d'un copier-coller de l'édition en ligne du manuscrit Douai B.M. 797 que propose le site des Bases Textuelles de l'Atelier Vincent de Beauvais Centre de médiévistique Jean Schneider (ERL 7229).
DE CONVERSIONE IX MILIUM MILITUM LXXXVIII.
Actor ---
Preterea sub Adriano et Antonino passi sunt una die, decem milia martyrum, quorum gesta videtur Anastasius apostolice sedis bibliotecarius transtulisse de greco in latinum eloquium.
--- Ex gestis eorum (Acacius)
Igitur prefati imperatores audito quod Gadareni et Eufratenses rebellare cepissent, irati contra hostes castra metati sunt, habentes in exercitu suo IX VII idest XVI milia militum robustorum, id est sedecim milia, symulachra quoque Iovis et Apollinis, quibus adipisci se posse victoriam confidebant. Sed cum cernerent hostium multitudinem permaximam, erant enim centena milia, timore percussi cum septem tantum militibus, fugam arripiunt. Tunc primicerius nomine Achacius, et Heliades dux conversi ad novem milia dixerunt: Venite et sacrificemus diis nostris, ut per eos de hostibus nostris triumphemus. Quibus hedum unum sacrificantibus abundantiori formidine consternati sunt, ita ut impetum fuge arriperent. Tunc angelus domini in specie adolescentis ante facies eorum occurrit et dixit eis: Cur sacrificantes diis vos pavor invasit, et fugere compulit? Credite Ihesum christum dei filium immortalem regem, et ipse pugnabit pro vobis. Cum hec et alia dixisset, inito consilio ut rationem adolescentis probarent, omnes exclamaverunt dicentes: In te Ihesu domine credimus, et ea que nobis iste iuvenis reseravit in tuo nomine nos facturos esse promittimus. Tunc hostes impetum facientes, angelo suis auxilium ferente, cuncti deciderunt, multique in lacu proximo perierunt, alii vero precipitio interierunt. Angelus autem domini deduxit sanctos in verticem montis Ararath, qui distat ab Alexandria quasi stadiis quingentis, gloriantes in potentia dei. Sedente angelo in medio eorum, aperti sunt celi, et descenderunt inter ipsos septem angeli docentes eos atque dicentes: Beati estis qui credidistis deo viventi. Post tertium diem queremini, et in conspectu regum deducemini. Ne timeatis eos quia deus vobiscum est. Hiis dictis ab oculis eorum ablati sunt. At illi timore correpti magna voce peccata sua confitebantur. Post tres dies missi quidam ab imperatoribus ad perquirendum eos, pervenerunt ad montem in quo erant. Et audientes eos glorificare deum agnoverunt quod christiani essent. Quod cum imperatoribus renunciassent, illi nimio dolore consternati, super capita sua cinerem imposuerunt, et quinque diebus lugentes a cibo et potu abstinuerunt. Post hec scripserunt epistolam quinque regibus, scilicet Sapori, Maximo, Adriano, Tyberiano et alii Maximo ut ad se venirent, et quid super huiusmodi hominibus agendum esset secum pertractarent. Tunc illi congregantes exercitum magnum venerunt, et primo quidem ydolis victimas immolaverunt. Post hec reficientes corpora, novos *Christi milites perquirere satagebant. Missi itaque quidam montis verticem conscenderunt, in quo sancti deum colebant exorantes. Quos illi ubi venientes ad se conspexerunt, Achacius dixit ceteris ut furgerent et contra diaboli exercitum, orationi operam darent. Illis itaque cervices inclinantibus, et poplite flexo deum orantibus, eique laudes et gratias referentibus, vox e celo lapsa est dicens: Audivi que petistis. Ne paveatis eos qui occidunt corpus, ego enim dominus vobiscum sum confortans vos. Hec audientes gavisi sunt in domino. Aad quos accedentes milites regum dixerunt: Miserunt nos imperatores et reges ad vos ut veniatis ad eos. Tunc omnes de monte descendentes, in conspectu regum steterunt, spem integram habentes in Christo domino. Videntes autem eos reges lacrimati sunt.
XI CHAP 89
DE PASSIONE EORUM CUM DECIMO MILLENARIO LXXXIX.
--- Ex gestis eorum (Acacius)
Adrianus vero causam vel modum quo derelinquentes deos in crucifixum credidissent interrogavit, et beatus Achacius ex ordine rem enarravit. Tunc Adrianus furibundus ait: Quia vos omnes Christo creditis, proculdubio penam illius sustinebitis. At illis minas eius contempnentibus, iussit eos lapidibus obrui. Qui cum lapidarentur, lapides in facies lapidantium vertebantur. Post hec imperator iussit eos flagellari. Qui cum cederentur, dixit quidam eorum nomine Drachonarius, germanus Achacii et Heliadis: Orate pro nobis viri sancti, quia gravia sunt tormenta que patimur. Cui dicit Achacius: Perseverate fratres in hac confessione, quia qui perseveraverit, hic salvus erit. Cumque orassent, factus est terremotus et mox arefacte sunt manus flagellantium. Erat autem ibidem in exercitu regis Maximi, magister quidam militum nomine Theodorus, habens sub se mille milites. Qui huius miraculi stupore percussus exclamavit: Domine deus celi et terre, qui opem misericordie tue novem militibus contulisti, dignare nos connumerare peccatores cum sanctis martyribus tuis. Hec dicens et vocem in signum sustollens cum suis mille ad sanctos dei transtulit se. Sicque deus omnipotens palmitum decem milium numero complevit vineam suam. Maximus itaque dixit: O imperatores quantam pro vobis patior iniuriam. Cui Adrianus ait: Patienter ferre te oporter o rex. Qui enim exercitum meum abstulit, et tuum ademit. Maximus autem conversus ad sanctos ait: Audite me decem mille viri. Hortor vos ut sacrificetis, et iram meam effugiatis ne male pereatis. Cui dixit Achacius: Furor pullicinus non prevalet adversus cervicem taurinam, deum habentes vivum nil tui curamus. Tunc Maximus furens iussit multitudinem clavorum trigonorum accutissimorum fieri, et spargi per stadia viginti, ut exercitus dei super eos nudis plantis incederet. At angeli a deo missi ante eos incedebant, coacervantes clavos in cumulum unum, ne pedibus eorum infigerentur. Maximo vero iubente ut ad instar Christi paterentur, ministri accutissimis clavis, eorum latera aperuerunt, et in capitibus singulorum coronas spineas posuerunt. Tandem data sententia in monte Ararath crucifixi sunt. Tunc sanctus Elyades primicerio Achacio dixit ut exponeret crucifixis de fide aliquid. Qui cum fidem sancte trinitatis et verbi incarnati exposuisset, hora VIIa die, terra mota est, et petre scisse sunt, et sancti pro hiis qui memoriam passionis eorum cum ieiunio et silentio celebrarent orationem fuderunt. Et respondentibus omnibus amen, facta est vox de celo dicens orationem eorum esse exauditam. Igitur circa horam nonam anime sanctorum ad celi palatia translate sunt, et aperti sunt celi, et lumen micuit tunc supra corpora sancta. Mox etenim dominus premisso lumine celi, affuit in terris, stipatus rite choreis, sanctorum medio prestans in vertice montis. Letantur sancti tanto solamine septi. Rursus mons fremuit, concussus fonditus omnis, et stipiti fixa mox soluunt. Manibus angelicis sinuatur terra sepulchris et cuncti propriis conduntur monte locellis."
VI. Commentaires sur cette version de la Légende.
1. Onomastique.
Dans le texte latin, les noms de personne Athanasii / Anastasii, Adrianus, Antoninus, Anastasius, Achacius, Heliades ou Elyades, Sapori, Maximo, Adriano, Tyberiano, Drachonarius et Theodorus, et les noms de lieu gadareni, euphratenses, ararath, alexandria, sont comparables à ceux du texte d'Anastase (ou du moins de la version conservée par les Bollandistes et du manuscrit du Vatican) qui sont Adrianus, Antoninus, Achatius/ Acacius, Eliades, ,Sapori, Maximo, Adriano, Tiberiano, Maximiano, Drachorius, Theodorus, et Gadareni / Gadarenos, Eufratenses / Euphratesios,, Ararath, Alexandriaca.
Jean de Vignay, et ses transcripteurs et copistes, les ont donc traduit par Anastaise, Adrien, Antonien, Achacien, Helyades/ Eliades, Saporin, Maxime, Adrien, Tyberien, autre Maxime, Drachonariu, , Theodorus, Quadranis, Eufratanis, Ararath et Alexandrie. Ces formes sont globalement conservées dans les différents manuscrits et dans l'édition de Vérard.
2. Le contenu de la légende.
Par rapport au texte initial, très fidèlement traduit par les moines de l'abbaye de Saint-Denis, on constate que Vincent de Beauvais a supprimé toutes les répétitions qui amenaient à reprendre plusieurs fois le même récit lorsque Acace racontait à Adrien ce qui lui était arrivé, ou que l'empereur l'écrivait à son tour aux rois. Ces répétitions desservaient le texte, et pouvait en être alléger sans tort.
D'autres parties ont été amputées, pour ne retenir que le squelette des faits au dépens de références théologiques : référence au psaume de David dans l'introduction, à l'intervention des anges de Dieu contre l'armée de Senacherib; allusion à l'hérésie des "manichéens" arméniens ; mais surtout, suppression d'un élément sans-doute crucial pour Anastase et la Papauté du IXe siècle, l'exposé du dogme trinitaire dans la confession de foi (ici réduite au minimum) des martyrs. Il manque aussi le détail des martyrs nourris par "le pain des anges".
Le roi Sapor ne prend plus la parole dans le texte de Vincent de Beauvais.
Enfin, le parallélisme entre la passion des Dix mille et celle du Christ dans une parodie (aux yeux des empereurs et rois) et une sainte Imitation (aux yeux des martyrs) n'est plus soulignée avec autant de force. La baptême par le sang des martyrs (une onction réalisée avec le sang qui s'écoule de leur flanc transpercé) n'est pas signalé, malgré la force de ce symbole.
Il y a, derrière ces modifications et réductions du texte, des volontés théologiques et politiques qu'il s'agirait d'interpréter.
3. Devenir de la légende.
Ce Miroir historial représente la dernière version manuscrite de la Légende des Dix mille martyrs en français dans sa veine historique. Nous trouverons désormais :
- quelques manuscrits relevant de la veine religieuse : deux prières du XVe siècle retrouvées par Pierre Rezeau ; la précieuse légende versifiée du milieu du XVe siècle dans le Doctrinal de Sapience conservé à Besançon La légende des Dix mille martyrs dans le Doctrinal de sapience de Besançon. ; le Grand Livre d'Heures d'Anne de Bretagne La Légende des dix mille martyrs dans les Livres d'Heures et autres livres. . Les versions de la Légende Dorée comprenant, dès le début du XVe siècle, le récit hagiographique des Dix mille martyrs ne sont pas rédigées en français.
- des ouvrages imprimés.
Le prochain récit de la légende, en français, dans un ouvrage historique se trouvera dans un livre imprimé : après une brève mention dans la Mer des Histoires imprimée par Pierre Le Rouge en 1488-89, elle figurera dans les Grandes Croniques de Bretaigne d'Alain Bouchart, en 1514. Légende des Dix mille martyrs : la version des Grandes Croniques de Bretaigne de 1514. C'est là notre prochain maillon sur la trace des origines du reliquaire et du retable de l'église de Crozon.