Lorsque Montaigne se retira à l'age de 37 ans dans son château pour y écrire ses Essais, il fit graver une médaille représentant une balance aux plateaux équilibrés avec la devise qui devait constituer le trébuchet de ses pensées face aux déchaînements des passions, des intolérances et des convictions acharnées de ses contemporains enflammés par les Guerres de religions : "Que sais-je?". Pour Montaigne, penser c'est peser, et soumettre sa pensée à la balance, c'est la soumettre au doute.
On trouve dans les Essais des références aux abeilles, "qui pillottent deçà delà les fleurs", mais non à la libellule, et pourtant il suffit de contempler une libellule posée sur la tige d'un jonc pour y voir la plus belle métaphore de l'équilibre :
Car elles sont l'incarnation de leur étymologie : le mot latin libra a désigné d'abord, comme le mot grec litra qui a donné litre, une unité de poids, origine de la Livre anglaise, the pound . Puis le mot a désigné non le poids, mais la balance,et la constellation de la Balance,entre Vierge et Scorpion, est toujours nommée Librae en astrologie. Le mot a ensuite désigné l'acte de peser lui-même, puis enfin l'acte de mettre à niveau, et a donné notre terme niveler, et surtout -pour mon propos- par le latin aequi-librum, le mot équilibre .
Enfin le mot libellule vient du mot libella, le niveau, dérivé de libra.
(sources : dictionnaire étymologique Robert )
J'aime laisser ces mots tourbillonner autour du mot libellule lorsque je les observe : balance, niveau, équilibre.
elles n'en sont que plus légères, plus aériennes, plus adroites, posées sur les plantes avec la grâce d'un funambule jouant de son balancier là-haut dans le ciel : l'esprit même de Michel de Montaigne.