La Mise au tombeau de l'église de Rosporden (29).
Le haut-relief à neuf personnages de la Mise au tombeau intégré dans le coffre de l'autel de l'église Notre-Dame de Rosporden est l'œuvre d'art la plus intéressante de cet édifice. Réalisé en bois polychrome, il est daté de la fin du XVe siècle ou (Couffon) du XVIe siècle.
Comme toute sculpture abritée derrière une vitre plus ou moins propre mais qui réfléchit tous les reflets des vitres du chœur ou l'oculus du pignon ouest, sa photographie n'est pas aisée.
Nous voyons neuf personnages, de gauche à droite deux saintes femmes, puis Joseph d'Arimathie soutenant la tête du Christ, la Vierge se penchant vers son Fils, saint Jean (imberbe) prêt à soutenir la Mère du Christ si elle défaille, un personnage à identifier (cf infra), et Nicodème qui soutient les pieds du Christ. Enfin la personne à genoux, le corps projeté en avant par le chagrin, presque ensevelie par son manteau, est Marie-Madeleine, terrassée par la perte indicible de celui auquel elle avait voué sa vie, et qu'elle suivait depuis sa conversion.
Le visiteur trouve dans l'église un pannonceau lui donnant les indications suivantes :
L'église de Rosporden possède une « Mise au tombeau » que l'on peut dater de la fin du XVe siècle. C'est la dernière période de l'âge gothique qui est encore en Bretagne, le Moyen-Âge, auquel se rattache visiblement cette œuvre remarquable. La Mise au tombeau de Rosporden serait donc un mémorial, un souvenir laissé par les Rospordinois d'un « Mystère » joué par eux devant l'église. Les personnages du groupe sont les Rospordinois qui remplirent les rôles des acteurs et qui furent aussi les donateurs de cette œuvre d'art.
La mise au tombeau de Rosporden présente encore un autre intérêt artistique. Dans ses études sur l'art religieux, Émile Male cite deux autres du même genre. On y reconnaît en effet, à la place occupée par Madeleine, une œuvre de l'école flamande. La traditions française la mettait de l'autre coté du tombeau, au pieds de Notre Seigneur. Elle a été restaurée de 1978 à 1981 et remise en place fin 1981.
On peut rapprocher ces lignes des renseignements procurés par l'article Mise au tombeau de Wikipédia (consulté le 1er avril 2014) : Wikipédia: article Mise au tombeau :
Le xve siècle voit se développer des représentations assez stéréotypées, où le corps du Christ est allongé sur son linceul que tiennent Nicodème (aux pieds) et Joseph d'Arimathie (à la tête du Christ). La Vierge, saint Jean et une ou plusieurs saintes femmes, parfois des soldats, assistent à la scène ou y participent. Ces nombreuses Mise au tombeau sculptées conservées dans les églises sont souvent désignées par le nom de « Saint-Sépulcre » ou simplement le « Sépulcre ».
Jusqu'au xve siècle, les Mises au tombeau d'Europe du nord, comme les mises en scène des Mystères, habillent les personnages de vêtements contemporains. Même les centurions romains sont en armure médiévale. En Italie d'abord apparaissent des vêtements à l'antique, par exemple dans une Mise au tombeau d’Andrea Mantegna qui date d'environ 1470-1475, au burin et à la pointe sèche, conservée à la National Gallery of Art de Washington. Ce sera bientôt le cas dans toute l'Europe, comme en témoigne la Mise au tombeau de Jean de Joigny qui combine la mise en scène traditionnelle des sépulcres avec les draperies et les lignes sinueuses de l'art maniériste.
1. Le commentaire sur la place qu'occupe ici Marie-Madeleine demande à être précisé ; il est pourtant repris par le site Topic-Topos : "L'inspiration flamande se reconnaît par la position de sainte Marie Madeleine, qui est agenouillée devant le Tombeau, alors que la tradition française la place, avec les autres femmes, aux pieds du Christ." Marie-Madeleine est pourtant bien placée "aux pieds du Christ" (le lien qui unit Madeleine, et sa chevelure, avec les pieds de Jésus est indissoluble), mais elle est placée entre le spectateur et le tombeau, ce qui représente une difficulté à laquelle la plupart des artistes ne se confronte pas. Elle est éplorée, les deux mains jointes, vêtue exactement de la même façon que la Vierge d'un manteau bleu recouvrant sa tête. Son attribut principal, le flacon d'aromates, est absent.
Cette place en avant-scène s'observe, par exemple, ici :
Mise au tombeau du Christ dans le livre d'Heures de Marie de Bourgogne (1477) Wikipédia
On l'observe aussi au Relecq-Kerhuon (29), à Saint-Pierre de Solesmes (Sarthe).
2. Un autre détail a été souligné par le chanoine Abgrall dans les Notices rédigées pour le Bulletin diocésain d'histoire et d'Archéologie ou pour la Société Archéologique du Finistère ; il concerne la coiffure de la seconde Sainte Femme, à l'arrière-plan : il la rapproche de celle d'une femme portant une lanterne dans le retable de Kerdévot, celle de l'une des Saintes-Femmes de la descente de croix de Quilinen. de celle de sainte Barbe de Guengat et des Piéta du Pénity de la chapelle de Bonne-Nouvelle de Locronan. Il oublie celle de sainte Marthe de l'église Saint-Nonna de Penmarc'h, ou celle des femmes des sablières de Notre-Dame de Quimperlé. Décrivant la photophore de Kerdévot, il écrit : "Sa tête est couverte d'une coiffure semblable à un turban, retenue par un ruban formant mentonnière, noué sur le sommet du chef et retombant sur le dos."
Ce "ruban formant mentonnière" est nommé Touret ou barbette, et il peut retenir une coiffe à corne, un turban ou balzo, ou devenir un bandage austère semblable à une guimpe. Comme il a également retenu mon attention, j'en donnerai les images suivantes :
Les femmes qui sont présentes autour du saint Sépulcre sont désignées sous le nom de "saintes femmes", mais elles portent parfois aussi le nom de Marie Salomé la Myrophore, femme de Zébédée et mère de Jacques et de Jean de Zébédée, ou de Marie Cléophas, sœur de la Vierge et la mère de saint Jacques-le-Mineur. En effet, l'évangile de Jean 19, 25, signale sa présence au pied de la croix : "Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cl[é]opas, et Marie de Magdala". On trouve aussi autour du tombeau sainte Véronique, présentant son voile.
Au premier plan, la sainte femme (Cléophas ou Salomé) porte une robe mauve à décolleté carré, aux manches courtes évasées par un plissé, un tablier d'étoffe d'or ; selon la mode, elle arrondit le ventre et le projette en avant en un élégant arc convexe. Sa coiffe est un balzo dont le bourrelet est entouré de tissu blanc à ligne dorée, porté très en arrière, presque vertical, et maintenu sur les cheveux par une coiffe dégageant le front soigneusement épilé.
Au second plan, sa collègue porte un somptueux manteau de satin doré, une robe au même décolleté carré que sa voisine qui s'ouvre sur une chemise fine au col en V, et, surtout, une toque couleur brique formée de deux parties : un fond arrondi, centré par un bouton sommital, et une couronne à laquelle est fixée la mentonnière (barbette* ?), ici plus large en haut et s'affinant sous le menton.
* la barbette est (CNRTL) "une guimpe, sorte de mentonnière attachée sur la tête, couvrant le col et encadrant le visage que portaient les religieuses, les femmes âgées et les veuves." Cette description austère d'une pièce d'étoffe destinée à cacher les chairs et les cheveux ne semble pas convenir à l'accessoire de mode que nous voyons ici.
Mes exemples : cliquez pour agrandir.
Sainte Barbe, Guengat (fin XVe). Sainte Marthe, Penmarc'h (XVIe?). 2 femmes des sablières de Quimperlé (1430).
L'église de Guengat II : Statues, sablières et inscriptions.
L'église Saint-Nonna à Penmarc'h : bannières et statues.
3. Le chaperon et ses métamorphoses.
Je m'intéresse maintenant aux deux hommes de droite : Nicodème est au pied du caveau, mais qui est le personnage barbu ? Si on se reporte à la Mise au tombeau de la crypte de sainte-Croix de Quimperlé, qui réunit autour du Christ en plus des personnages habituels Gamaliel et Abibon, il peut s'agir d'un de ces deux noms. Saint Gamaliel, rabbin et docteur de la loi et Saint Abibon ou Abibas son fils étaient fêtés le même jour que saint Nicodème dans les martyrologes, car leurs corps avaient été découverts à Capharmagale avec celui de Saint-Étienne. La tradition chrétienne (Clément, Recognitiones, 1, 65) prête à Gamaliel une conversion secrète au christianisme avec un de ses fils Abibas/Abibon/Diboan. Tous deux auraient été baptisés en même temps queNicodème par les apôtres Pierre et Jean.
La tradition chrétienne garde le souvenir de l'apparition de Gamaliel au prêtre Lucien, curé de Cafargamala (Kfar-Gamala) le vendredi 3 août 415, le rabbi indiquant où se trouvait sa relique qui aurait été alors retrouvée dans le même tombeau que celle de son fils Abibas, ainsi que saint Étienne et saint Nicodème. Saint Étienne reposerait depuis à Pise en Italie. Une représentation de cette tradition figure sur des tapisseries conservées au Musée national du Moyen Âge à Paris.
Quoiqu'il en soit, ce qui m'intéresse ici, c'est d'approfondir ma découverte toute récente de ce que c'est qu'un chaperon, un guleron, une patte et une cornette.
Il n'est pas exagéré de dire que le chaperon a été, à travers ses divers et complexes avatars, la coiffure portée dans toute l'Europe occidentale du Moyen-Âge jusqu'à la fin du XVe siècle (qui correspond à notre retable). Il est omniprésent dans la peinture flamande, mais, lorsqu'on a appris à le reconnaître, on le retrouve aussi dans chaque chapelle et église, réservant la surprise de sa trouvaille dans un détail de sculpture, au sommet d'une sablière, sur un vitrail ou uns statue, et jusque sous la forme de l'épitoge des avocats.
On le trouve d'abord comme une capuche, qui s'enfile par la tête, couvre les épaules par une cape aux bords crantés ou fendus, et couvre aussi la tête qui n'apparaît que par l'orifice central qui entoure le visage. C'est la capuche qui a donné aux moines le nom de Capucins, cappucino en italien. Pendant tout le Moyen-Âge, c'est le couvre-chef des paysans et des gens du peuple des deux sexes, chaud, protecteur contre le vent et la pluie. Si Mère-Grand vous en a taillé un dans une belle étoffe rouge cerise, on vous nomme "le Chaperon Rouge".
Mais si le quidam rabat le capuchon, il pend derrière son dos comme une poche. On trouva amusant de laisser cette capuche s'hypertrophier en une longue trompe, une corne traînant jusqu'aux reins, voire d'avantage. Ou bien, l'ouverture verticale de la capuche, qui entourait le visage, fut utilisée pour être posée sur le crâne, horizontalement, comme un bandeau. Mais que faire alors du cône de tissu, allongé en cornette ? Chacun pouvait soit l'enrouler en écharpe, soit le plier au dessus de la tête comme un turban, soit le passer dans sa ceinture.
Étalé sous forme d'un patron de couturière, le chaperon (petite chape) prend la forme suivante : (source : A. Harmand 1929)
On lui décrit alors trois parties : la pointe du capuchon prolongée en tuyau, c'est la cornette. La partie qui couvrait les épaules comme une courte pèlerine, une chape, c'est la goule, la goulée, le guleron (c'est pareil) ou la "patte". Le trou pour la tête, c'est la visagière. On comprendra mieux en allant voir chez Hemiole.com.
C'est donc après avoir utilisé le trou visagier à l'envers et l'avoir transformé en serre-tête que cet accessoire n'a plus ressemblé du tout à un capuchon, mais s'est transformé en ce chapeau innommable, sans queue ni tête, qui hante la peinture flamande (ou italienne, et française) :
Mieux encore, on se mit à l'ôter de sa tête, pour en garnir son épaule : la cornette le retenait devant, et la visagière (dont le revers s'est transformé en bourrelet) ainsi que ce qui restait de la cape frangée nommée guleron ou patte pend comme un sac vide derrière l'épaule. C'est du dernier chic.
Observons la coiffure de nos deux personnages : "Abibas" porte ce qui ressemble à n'importe quel chapeau, mais sa nature de chaperon se trahit par le guleron, porté sur l'épaule droite, et par la cornette si longue qu'il en fait revenir avec la main droite un repli sous son coude gauche afin qu'elle ne traîne pas. Quand à Nicodème ( il est à l'origine de notre adjectif "nigaud"), il laisse son guleron tomber de son galurin comme un Tartarin coinçant son mouchoir sous son béret pour se protéger du soleil.
Il me reste à soumettre ces improvisations au feu de vos observations rectificatives et de vos sages critiques.
Sources et liens :
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COUFFON, René, LE BARS, Alfred. Diocèse de Quimper et de Léon. Nouveau répertoire des églises et chapelles. Quimper : Association Diocésaine, 1988, p. 375. En ligne :http://catholique-quimper.cef.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf-Couffon/ROSPORDE.pdf
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Jean-Marie Abgrall bulletin de 1894 de la Société Archéologique du Finistère, et Bulletin diocésaine d'histoire et d'archéologie 1917
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http://septentrionalia.blogspot.fr/
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http://www.hunza.pro/article-art-religieux-les-mises-au-tombeau-68301447.html
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Article Wikipédia Chaperon (headgear)
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Les mots du chaperon chez hemiole.com
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Le Chaperon chez Lerozier.free.