La Petite Tortue Aglais urticae (Linnaeus, 1758).
J'avais observé ses chenilles en nid grouillant sur les tiges d'ortie le 28 avril :
Puisun mois plus tard, c'est une chenille solitaire d'une taille plus conséquente que je découvre: En effet, les chenilles de Petite Tortue (comme celle du Paon-du-jour) se rassemblent après l'éclosion des oeufs en un nid communautaire, tissent une toile de soie, et y passent les quatre premiers stades de leur développement, avant de se séparer lors du dernier stade.
Le 31 mai, à Pontavennec (Saint-Renan), à une trentaine de mètres des orties qui les ont nourries, je vois deu Petites Tortues (un couple ? les deux sexes sont identiques) qui volent joyeusement, viennent se poser dans la prairie tout juste fauchée, puisse décider pour une petite station sur une feuille de ronce, et rester désormais bien indifférentes à l'égard de l'ortie.
Lorsqu'elles se posent au sol, elles gardent d'abord les ailes fermées, ce qui permet d'observer le verso sombre qui ressemble à celui des autres Vanesses , les Robert-le-diable, les Paon-du-jour, le Vulcain ou la Belle-Dame :
Puis elles s'entrouvent timidement ...
Et puis elles se décident à déployer leur éventail : quel spectacle !
Elles se nomment Petite Tortue parce qu'elles sont plus petites d'un centimètre que leur grande soeur la Grande Tortue ; et de même que celle-ci se nomme aussi Grand Renard, elle adopte le nom de Petit Renard, qui est la traduction du nom vernaculaire allemand de Kleiner Fuchs. Les anglais préfèrent Small Tortoiseshell, la petite carapace de tortue. Et nous pouvons aussi la désigner sous le zoonyme de Vanesse de l'Ortie.
Le nom scientifique Aglais urticae (Linnaeus, 1758)se traduirait presque par La Splendeur de l'Ortie, puisque Aglaé est, avec Euphrosyne et Thalie, l'une des trois Grâces, celle qui est Plus que Belle, Splendide.
Une ténébreuse affaire.
Dans les années 2003-2009, les populations de Petite Tortue déclinèrent, en France et Outre-Manche, et on s'en inquiéta. On incrimina alors une Tachinide, une de ces mouches que j'ai pu découvrir à propos de mon observation de la Petite Tachinide La Petite Tachinide Ectophasia crassipennis à Crozon. On se souvient que ces tachinides sont des parasitoides qui se développent au dépens de différents insectes.
La coupable désignée est une exoristine, Sturmia bella (Meigen, 1824) qui parasite divers Vanesses : elle pond des oeufs microscopiques sur les feuilles d'orties, et ces oeufs sont ingérés par les chenilles de Petite Tortue, de Vulcain, de Paon du jour ou de Robert-le-diable. Les larves de Sturmia éclosent et se développent dans l'intestin, qu'elles perforent pour aller se nourrir des organes non-vitaux de la chenille-hôte, puis, lorsqu'elles atteignent le terme de leur développement, elles s'attaquent aux organes vitaux et déchirent la peau de la chenille, d'ailleurs déjà dans son cocon. Une fois à l'air libre, elles se métamorphosent.
Sturmia bella était inconnue en Angleterre jusqu'en 1998, et cette intrusion n'a pas été appréciée par nos voisins, qui n'ont pas l'habitude d'être envahis, et sont sourcilleux sur l'arrivée sur leurs sols d'animaux étrangers. Aussi une étude a-t-elle été menée par une équipe de chercheurs de l' Université d'Oxford, avec des données de l'UK Butterfly Monitoring Scheme : des chenilles de Petite Tortue et de Paon-du-jour ont été recueillis dans plus de cinquante sites du sud de la Grande-Bretagne et les parasites y ont été recherchés. La publication de résultats préliminaires par Lewis.O & Hamer N. http://users.ox.ac.uk/~zool0376/Sturmia_bella_report_May09.pdf
Ils établissent que :
• Aglais urticae a subi un déclin important atteignant -50% par rapport aux chiffres antérieurs à 1988 dans le sud de l'Angleterre, mais aussi de 38% au nord et en Ecosse..
• Inachis Io a mieux résisté, avec une diminution de -2%
• Sturmia bella est retrouvé dans 30% des larves.
• Sur les 888 chenilles d' Aglais, 18% avaient succombé à l'attaque de Sturmia bella: cette tachinide est désormais LE parasitoide d' Aglais urticae, devant toutes les autres espèces de tachinides, Phobocampe confusa et Cotesia spp.
. Seuls 3%des Inachis io étaient affectés. Sur les stations où Sturmia est présente, elle tue 61% des chenilles.
• Sturmia bella est surtout virulente en fin d'été.
Le phénomène fait penser à la fameuse extinction des colonies d'abeille : même incertitude sur la cause, même complexité des phénomènes qui interagissent, même diversité des théories proposées, même incrimination des facteurs climatiques (réchauffement) et environnementaux.
Quelque soit la durée et les causes de ce déclin, il a le mérite de souligner le jeu des interactions entre la plante-hôte, les tachinides, les autres parasites, et le papillon.D'une description du papillon, on accède aux dimensions écologiques de sa présence autour de nous.
C'est l'un des premiers papillons à sortir d'hibernation. J'ai vu les premiers cette année le 25 avril au marais de Sougeal, mais on peut l'observer dés les premiers jours chauds de février. Si le soleil n'est pas suffisant, il se réchauffe en faisant vibrer ses ailes, et cette friction rapide élève assez leur température pour lui permettre de voler. Il recherche le nectar sur la plupart des fleurs disponibles, maispendant l'après-midi, le mâle stationne sur son territoire autour d'un buisson d'ortie, posé sur les feuilles ou sur le sol en attendant le passage d'une femelle. Que celle-ci se pointe, et voilà que se déroule un curieux manège : le mâle vient se placer derrière la belle demoiselle et se met à tambouriner avec ses antennes sur les ailes postérieures de sa partenaire, si vigoureusement qu'il produit un son perceptible par nos oreilles. La femelle s'envole un peu, suivie du mâle, joue l'indifférente-qui-n'est-pas-complètement-insensible et le message est reçu 5/5 par le mâle qui recommence à frapper le rythme du Boléro de Ravel . Cela peut durer plusieurs heures sans qu'aucun ne se lasse, même s'il faut aller reprendre un peu d'énergie solaire de temps à autre en étendant grand les ailes. Finalement, en fin de soirée, madame invitera le mâle à la poursuivre dans le labyrinthe de la végétation et, si il parvient à ne pas se faire semer, les deux amants s'accoupleront : on assure que leur étreinte dure toute la nuit,que seul le chant de l'alouette annonciateur de l'aube peut convaincre le Romèo des lépidoptères à s'éclipser, et que sous les chaumes on entend ce dialogue de tambourinaire :
AGLAE
Wilt thou be gone? it is not yet near day:
It was the nightingale, and not the lark,
That pierced the fearful hollow of thine ear;
Nightly she sings on yon pomegranate-tree:
Believe me, love, it was the nightingale.
LEPIDO
It was the lark, the herald of the morn,
No nightingale: look, love, what envious streaks
Do lace the severing clouds in yonder east:
Night's candles are burnt out, and jocund day
Stands tiptoe on the misty mountain tops.
I must be gone and live, or stay and die.
AGLAE
Yon light is not day-light, I know it, I:
It is some meteor that the sun exhales,
To be to thee this night a torch-bearer,
And light thee on thy way to Mantua:
Therefore stay yet; thou need'st not to be gone.
LEPIDO
Let me be ta'en, let me be put to death;
I am content, so thou wilt have itso.
I'll say yon grey is not the morning's eye,
'Tis but the pale reflex of Cynthia's brow;
Nor that is not the lark, whose notes do beat
The vaulty heaven so high above our heads:
I have more care to stay than will to go:
Come, death, and welcome! Juliet wills itso.
How is't, my soul? let's talk; it is not day.
AGLAE
It is, it is: hie hence, be gone, away!
It is the larkthat sings so out of tune,
Straining harsh discords and unpleasing sharps.
Some say the lark makes sweet division;
This doth not so, for she divideth us:
Some say the lark and loathed toad change eyes,
O, now I would they had changed voices too!
Since arm from arm that voice doth us affray,
Hunting thee hence with hunt's-up to the day,
O, now be gone; more light and light it grows.
LEPIDO
More light and light; more dark and dark our woes!
(Shakespeare, Romeo et Juliette, ActeIII, scène 5) Mais pour les renseignements sur le comportement des deux amants, j'ai copié servilement ceci : http://www.ukbutterflies.co.uk/species.php?species=urticae
Sur le plan de la zoonymie, les espèces du genre Nymphalis présentent une petite particularité à laquelle je n'avais pas prêté attention : ils sont divisés en sous-genre.
Linné avait divisé ses Nymphalis en Gemmati et en Phalerati. Il a décrit la Petite Tortue sous le nom protonymique de Papilio (Nymphalis) urticae (n° 114) parmi les Phalerati à la page 477 de son Systema Naturae de 1758
Le genre Nymphalis a été décrit en 1780 par Jan Krzystof Kluk (1739-1796), naturaliste polonais Hist. nat. pocz. gospod. 4: 86.
L'annèe suivante il a été divisé en sept sous-genres :
• sous-genre Nymphalis Kurk, 1780 avec notre Grande Tortue Nymphalis polychloros, mais aussi N.californica et N. xanthomelas
• sous-genre Aglais Dalman, 1816,décrit dans K. svenska VetenskAkad. Handl., Stockholm 1816 (1): 56, et comprenant outre la Petite Tortue Aglais urticae Aglais ichnusa (considérée comme une sous-espèce) et 4 espèces.
• sous-genre Inachis Hübner, 1819 : c'est celui d'Inachis io, le Paon-du-jour.
• sous-genre Polygonia Hübner, 1819, où on trouve Robert-le-diable Polygonia-c-album, et treize autres espèces.
• sous-genre Euvanessa Scudder, 1889, comprenant le Morio Euvanessa antiopa, et R. cyanomelas.
• sous-genre Kaniska Moore, 1899, comprenant Nymphalis canace
• sous-genre Roddia Koshunov, 1995 où trouve place Roddia l-album la Vanesse du peuplier ou Tortue faux-gamma.
Ceci explique que la Petite Tortue ne porte pas le nom de genre en premier terme de la dénomination binominale, même si l'appellation Nymphalis urticae est peut-être plus conforme (c'est la dénomination qu'emploie Funet ). Encyclopedia of Life semble considerer Aglais comme un genre à part entière.