La Piéride du chou
Pieris brassicae (Linnaeus, 1758).
Observer une Piéride du chou n'est pas un exploit, tant l'espèce est des plus communes, aimant l'homme, ses choux et ses jardins. Mais ce grand papillon blanc possède un vol puissant (c'est un grand migrateur) et ce qui peut paraître bête comme chou, le prendre en photo, s'était avéré plus difficile que prévu : jusqu'ici, j'avais fait chou blanc.
Mais aujourd'hui, 21 avril, voilà mon affaire : une femelle (qu'on reconnaît à ses deux points blancs, le mâle c'est un point c'est tout), attendait, comme chaque breton, le retour du soleil après une bonne averse et s'était garée sur une feuille. Je pouvais à loisir réviser mes critères d'identification du livre de Tristan Lafranchis: "Généralement grand. Tache apicale en forme de faux du dessus de l'aile antérieure."
Elle était grande, elle était blanche, et la tache d'encre avait la forme d'un croissant : pas d'erreur. Par scrupule, je vérifiai que la corne du croissant avait la même longueur le long de la marge que le long de la côte : à vue d'antenne, c'est ça.
Une observation plus attentive remarque une troisième tache noire, en forme de ligne ou de strie discale sur l'aile antérieure.
Le dessous des ailes est blanc, couvert d'un semis de points noirs. Les yeux sont bleu-vert également ponctués de noir. Notez la ligne jaune qui souligne le bord de l'aile.
Cette femelle est d'une sollicitude infinie, et elle a vite compris que j'attendais qu'elle aille s'installer sur le pissenlit voisin. Justement, on y servait les rafraîchissements, dont elle fit joyeuse bombance. Et grand gueuleton. Large ripaille. Mémorable bringue. Et doux plaisir de table.
Zoonymie
Nom scientifique :
- Pieris : Franz von Paula Schrank, 1801 Fauna Boica 2 (1) : 152,161. C'est le piéride du chou que Schrank prend comme type spécifique, en s'appuyant sur le Papilio brassicae de Linnae.
Les Piérides, c'est ainsi que sont parfois nommées les muses, parce qu'elles étaient supposées vivre sur le mont Pierus, près du mont Olympe, et parce qu'elles avaient emprunté ce nom à leurs concurrentes, fille de Pierus, roi de Macédoine.
En botanique, c'est aussi le nom de genre donné par David Don à l'Andromède.
- Brassicae : (Linnaeus, 1758) désigne le genre de la plante-hôte, Brassica, laquelle a d'ailleurs été nommée par Linné en se contentant d'utiliser le nom latin brassica, ae, f, "chou". C'est le Chou potager Brassica oleracea qui est la plante hôte, avec le Colza Brassica napus, la Ravenelle Raphanus raphanistrum, et la Grande capucine Tropaeolum majus.. Le protonyme utilisé par Linné était Papilio brassicae ( Systema Naturae ed.10, 1758, 1, p. 467-468). Il donne en référence 11 auteurs, de Moffet à Wilkes en passant par Réaumur.
Nom vernaculaire :
- Le grand papillon blanc du chou, Etienne Louis Geoffroy, Histoire abrégée des insectes qui se trouvent aux environs de Paris, tome II, p. 68-69, 1762 qui cite Linné 1758, Moffet, Réaumur et les autres mais ne mentionne aucun zoonyme français antérieur. Geoffroy a inversé mâle et femelle, attribuant les points noirs de l'une à son conjoint, ce dont chacun se goberge. C'est mesquin.
- Le grand papillon du chou, Engramelle et Ernst, Papillons d'Europe peints d'après nature, Paris, 1779 p. 207, n°49, fig. 102,.
- La Pièride du chou, Jean-Baptiste Godart, Histoire naturelle des Lépidoptères tome 1, Paris :Crevot, 1823 p. 50 n° VI, Illustration (femelle) planche 2 ter fig.1 par Vauthier (Peinture et dessin) et Lanvin, graveur.
Le nom proposé par Geoffroy est en réalité emprunté par traduction aux auteurs anglais qui ont été les premiers à nommer ce papillon décrit par Moffet en 1634. C'est Michaël .A. Salmon (The Aurelian Legacy, 2000) qui a colligé toutes les publications nécessaires, jusqu'à éplucher la moindre feuille de chou, pour donner la liste suivante :
- The Greater White Cabbage-Butterfly (Petiver, 1703), soit "le grand papillon blanc du chou".
- the Great Female Cabbage-Butterfly (Petiver, 1717)
- The Great White Butterfly (Albin, 1720)
- The Large White Garden Butterfly , ou The Large Garden White Butterfly (Wilkes, 1747-49 ; Lewin, 1795; Donotan, 1808 ; Humphreys & Westwood, 1841 ; Wood, 1853 ; W.E. Kirby (1), 1906 ; Newman & Leeds (3), 1913 ; Heslop, 1959)
- The Great White Cabbage Butterfly ( Berkenhout, 1769 ; Stepnes, 1856)
- The Large White (Haworth, 1803 ; Jermyn, 1824 ; Morris, 1853 ; South, 1906 ; Newman & Leeds (1), 1913)
- The Large Cabbage (Samouelle, 1819)
- The Large White Cabbage Butterfly (Brown, 1832 ; Newman & Leeds (2), 1913)
- The Cabbage (Rennie, 1832)
- The Great White (var.) (Wood, 1852)
- The Large Cabbage White Butterfly ( W. f. Kirby, 1896 ; W. E. Kirby (2), 1906)
On voit avec quel sérieux et quelle minutie Salmon a su se consacrer à la zoonymie vernaculaire anglosaxonne, et le travail qu'il nous reste à accomplir.
Venons-en aux prémisses et parlons des chenilles. Une publication française qu'il faut citer, c'est celle de J.A. Boisduval, P. Rambur, A. Graslin 1832, Collection historique et iconographiques des chenilles Papillonides Pl. 4 fig 1, 2, et 3. Mais l'intéret pour les chenilles était souvent plus important que pour les imagos chez tous les auteurs de la fin du XVIIIe, et on peut lire une bonne description de leur développement chez Engramelle, op. cité : link
Les oeufs ayant été pondus sur les feuilles de chou, les chenilles "éclosent au bout de quinze jours, et vivent en société jusqu'à leur transformation. Leur corps ets traversé par des rayes de diverses couleurs. Il y en a trois jaunes, une sur le dos, et une de chaque coté du ventre. L'intervalle entre ces rayes est rempli par d'autres d'un fond bleuâtre. Elles sont chargées de taches ou de points noirs formé par des tubercules, du centre de chacun desquels il part un poil. Elles ont seize pattes. La voracité de ces chenilles est extrème, et chaque jour elles mangent plus du double de leur poids. Elles préfèrent les choux à toute autre nourriture, mais vivent aussi, comme toutes celles de leur famille, sur les autres plantes crucifères. Elle ne touchent jamais aux feuilles des arbres, et mourraient plutôt de faim.
"Leur démarche est lente. Trois semaines leur suffisent ordinairement pour prendre leur entier accroissement. Lorsqu'elles y sont parvenues, c'est-à-dire au commencement de Septembre pour les plus hâtives, et au mois de décembre pour les plus tardives, elles vont à d'assez grandes distances chercher quelques murs pour s'y transformer. Plusieurs s'y attachent à plat la tête en haut ou un peu incliné ; mais la plupart cherchent le dessous des corniches, et rentrent même dans l'intérieur des bâtiments.
" Avant de se transformer en chrysalides, elle tapissent de leur soie la place où elles veulent se fixer, et s'y attachent avec un lien entre le cinquième et le sixième anneau."
On sait depuis Réaumur (1734) combien ces chenilles sont fréquemment la proie "des vermisseaux de mouches ichneumones" qui filent des cocons de soie jaune : Réaumur l'ingénieux avait songé à en exploiter le fil. Il s'agit d'Apantales glomerulus et de Microgaster granulatus. En Australie, le parasite Cotesia glomeratus l'a éradiqueé de ce continent.
Observé sur le mur de la maison, à Crozon le 11 novembre 2011 ; j'ai basculé l'image pour le confort de nos cerveaux.
A maturité, elles mesurent 5 cm et pèsent 600 mg.
J'ai montré récemment la chrysalide, je la replace ici : Pour la décrire, je cède le micro à Boisduval et collègues, op. cité : "La chrysalide a l'extrémité plus pointue que celle de la Crataegi [le Gazé]. Elle est d'un gris pâle, agréablement émaillé de noir, lavée sur la partie antérieure des anneaux et sur la poitrine de blanc un peu jaunâtre, et marquée ça et là de quelques petites taches rousses." link
Pieris brassicae est une espèce multivoltine, qui donne sur une année 2 à 4 générations. Chez les premières, la chrysalide va éclore en moins de quinze jours, et seules les dernières, celles de l'hiver, bloquent leur métamorphose selon le processus nommé diapause. Les mécanismes de cette diapause sont très étudiés ; le principal déclencheur est la diminution de la longueur des jours, la variation de la photopériode. Le signal est perçu par la chenille, et mémorisé : les sucres seront transformés en forme de réserve (glycogène) et en substance antigel (glycerol). Puis, l'exposition au froid, suivi plus tard du réchauffement de l'atmosphère, déclneche la sortie de diapause.
Métamorphosée au début de l'hiver, elles hivernent à l'état nymphal et éclosent en avril-mai.
J'ai observé celle-ci le trois avril ; le sept, il ne restait plus qu'une cuticule vide.
Sources et liens.
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— Bestimmungshilfe für die in Europa nachgewiesenen Schmetterlingsarten :http://www.lepiforum.de