La Vierge couchée : occurence dans les Nativités enluminées des Livres d'Heures manuscrits conservés à la Médiathèque de Rennes.
Aucune photographie ne m'est personnelle, elles proviennent toutes de la Médiathèque Les Champs Libres, par téléchargement des pages disponibles ici :http://www.bibliotheque-rennesmetropole.fr/actualite-des-collections/tresors/les-collections-numerisees/
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Les images sont dues à Central Studio.
I. Livre d'Heures à l'usage de Dol.
Nativité, Livre d'Heure à l'usage de Dol, XVe siècle, artiste inconnu, miniature mi-page, Rennes Ms 0028, folio f.61.
La Vierge, enveloppée dans son manteau bleu qui recouvre sa tête, est allongée sur un lit tendu de rouge, adossée à des coussins, et à demi-tournée vers la gauche ; l'Enfant-Jèsus, au nimbe crucifère, nu à coté de sa mère, se tourne vers saint Joseph en lui tendant les bras. Celui-ci est, pour une fois, plus éveillé et moins mélancolique que d'habitude et il ébauche même un geste vers le couple mère-fils ; il reste néanmoins en retrait, séparé de la dyade par la diagonale rouge du lit, isolé dans le vert d'un pré aux fleurs stylisées, devant un paravent d'osier qui le sépare de l'âne et du bœuf. Son bonnet jaune indique son judaïsme. Un bassin et une cruche témoignent du fait que l'accouchement vient d'avoir lieu. Le vrai Père a pris l'aspect d'une pluie de rayons solaires dont il inonde avec bienveillance la scène.
Le début du Psaume de David Deus in aduitorium meum intende vient à la suite d'une lettrine D enluminée.
II. Livre d'Heures de la famille d'Epinay.
Nativité, Livre d'Heures de la famille d'Epinay, 1430-1450, miniature mi-page, artiste inconnu, Rennes MS0033, folio F.65. BIB2007.1030-016.
Le Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, Départements — Tome XXIV. Rennes, donne de ce manuscrit la description suivante : 190 feuillets (plus un feuillet liminaire A en papier)... Quatorze grandes miniatures à pleine page — Au verso du feuillet de garde 1, on lit, en caractères majuscules lapidaires : AN 1603. A MADAME : LA : MARQUISE : DE : VAUCOULLEUR : SES : HEVIRES : ENLVMINÉES : APPARTIENNENT : DONNÉES : PAR SON : FIDEL : MARY : CHARLES : DESPINAY : MARQUIS DE VAUCOULLEUR, SEIGNEUR D'YVEGNAC, PLUMAUGAT, LACHÈSE. JHESUS MARIA. (La Bibliothèque de Rennes possède un livre d'heures, imprimé par Gillet Hardouin en 1503, provenant de la même famille, et où on lit, folio 7, cette note marginale : « Ce quinziesme octobre 1600, hault et puissant mesyre Charles Despinay, marquis de Vaucoulleur, espoussa... Marye de Chachanay, à Duretal. Dieu leur doint des enfans. » C'est à cette Marie de Chachanay que le manuscrit fut offert en 1603. L'écusson de la famille d'Épinay, d'argent, au lion coupé de gueules et de sinople, est peint aux folio 27 ro , 28 ro , 52 vo , 64 vo , 71 ro , 101 ro ; ces armes figurent également dans un canton d'un écu peint à la fin du manuscrit, accompagnées des monogrammes et (double lambda). — Le premier feuillet de garde A, en papier, porte, au recto, l'inscription : « Dom Jan Mevel, recteur, prestre digne. 1673 »
Dimensions : 184 × 128 mm
Reliure : Reliure maroquin rouge, estampillée au dos et sur les plats, en lettres d'or, au double monogramme, alternant dans des losanges à cordelières. Coins et fermoirs en cuivre.
Je ne parviens pas à retrouver des informations précises sur cette famille bretonne d'Epinay ou d'Espinay, dont un membre, Robert, fut Grand maître d'Hôtel de Bretagne à la cour du duc François Ier en 1448. Des monogrammes entrelacent les lettres V et A, les lettres doublées LL (lambda) avec AA. Je ne saurais même pas si la protectrice de Rousseau, Louise d' Epinay, en fait partie !
L'enluminure surmonte la citation partielle du Psaume 70 (69) Deus in adiutorium meum intende, Domine ad adiuvandum me festina; confundantur et revereantur qui quaerunt animam meam," Qu’ils soient honteux et confus, ceux qui en veulent à ma vie ! Qu’ils reculent et rougissent, ceux qui désirent ma perte !"
La crèche est un enclos entouré d'une palissade d'osier, dans lequel un toit de chaume est supporté par quatre madriers. Joseph, l'air pensif, s'appuie sur une canne; la Vierge, vêtue d'une tunique rouge et de son manteau bleu qui la couvre sous la taille, est tournée sur le coté gauche vers son Fils, placé tête bêche, nu mais la tête cerné par une auréole crucifère, tendant les bras vers sa mère. Il est encadré par l'âne et le bœuf. Deux bergers, dans l'herbe tendre, lèvent les bras en signe d'émerveillement. Ces bergers sont repris à l'identique dans un médaillon de la marge, sous deux cigognes (ou hérons), mais aussi plus bas, dans un champ, tenant chacun un instrument aratoire, près d'un paon : on suppose, bien qu'ils lui tournent le dos, qu'ils répondent aux injonctions de l'ange aux ailes ocellées qui leur fait coucou en haut et à gauche. On trouve encore dans la marge des fraises des bois, des fleurs de bleuets, des acanthes, des sortes de faînes.
III . Livre d'Heures de Béatrice de Rieux, XIVe siècle.
La Nativité, Livre d'Heures de Béatrice de Rieux, XVe siècle, artiste inconnu, 1390. MS2044 folio F.57v. BIB 20080827-004.
Le manuscrit Horae secundum usum Namnetensem vel Dolensem, France (Tours), ca 1390-1400, latin et français, parchemin 186x128 cm, 262 ff, 16 peintures, a été exécuté pour Béatrice de rieux, fille de jean de Rieux, Maréchal de France et seigneur d'Issé, et de Jeanne de Rochefort. Elle épousa Jean de Rougé, seigneur du Theil de Bretagne, puis, devenu veuve en 1417, elle se retira à Issé.
Ses armoiries, d'azur à neuf besants d'or, figurent sur la robe de la commanditaire, sur l'enluminure du folio 189v où elle est agenouillée devant la Vierge.
Sur un fond à damier bleu, rouge et or semblable au fond de la Nativité précédente, la Vierge est allongée sur le coté droit, le visage appuyé sur la main droite, selon un schéma très habituel pour le thème des Vierges couchées ; elle porte une chemise rouge et le manteau bleu qui couvre la tête, cachant les cheveux. Elle tourne le dos à l'Enfant qui, langé, nimbé, se repose (un oeil ouvert) sur un haut berceau rectangulaire. L'âne et le bœuf veillent sur lui Une fois de plus, Joseph porte la canne, la barbe, le chapeau ou bonnet juif, et, toujours placé en écart, il médite. Les postures sont figées, et celle de la Vierge, notamment, évoque les représentations analogues des tympans des cathédrales (Chartres, Sens).
IV. Livre d'Heures du XVe siècle.
Adoration des bergers, Livre d'Heure du début du XVe siècle, produit en Bretagne, artiste inconnu. MS0029, Folio F.47.
Cette scène diffère légèrement car il ne s'agit plus d'une Nativité, mais d'une Adoration des Bergers. Le Psaume est toujours le même, Deus in abuitorium, Ps 70.
La Vierge est à demi-assise dans un vrai lit, dans de bons draps recouvert d'une couverture rouge frappée de motifs d'or, et ce lit semble trouver place dans la chambre d'un château ou d'une chapelle médiévale au style gothique, sous un riche dais, un ciel de lit rouge et or. Mais, curieusement, on a introduit ici deux animaux, l'âne et le bœuf, et on a dressé une palissade d'osier tressé pour que cela ressemble à une pauvre étable de campagne.
Personne ne s'y trompe, et la Vierge aux cheveux longs est habillée d'une robe bleue bien ajustée à ses formes, bien cintrée à la taille ; elle montre à l'Enfant le Livre, celui qu'il lui reste à accomplir, mais dont ils connaissent tous les deux les lignes ; c'est d'ailleurs un livre où, en palimpseste, se déchiffre l'Ancien Testament et ses préfigurations du temps à venir.
L'Enfant a beau être nu, il est déjà très averti de cela, et il désigne à sa mère les bergers venus l'adorer, et que l'étoile envoyé par son Père a guidé jusqu'à eux ; et il les bénit, d'un geste assuré.
Ce sont des bergers, mais bien vêtus d'une robe longue et d'une chape qui réchauffe leurs épaules ; leurs cheveux sont coupés à la mode du temps, raie médiane, nuque dégagée. L'un d'eux n'a pas quitté sa serfouette.
Saint Joseph porte un costume assez identique, mais sa tête chenue est recouverte d'un capuchon. Sa canne en T et sa barbe grise en pointe ne le rajeunissent vraiment pas, et il est un peu ailleurs, regardant le bœuf qu'il caresse distraitement. J'éprouve pour lui une sympathie secrète et un peu apitoyée.
En conclusion, on découvre dans ces Nativités aux Vierges allongées du post-partum de nombreux points communs qui définissent un type iconographique, mais chaque scène est différente, sans stéréotypie, et l'une marque son originalité avec le Livre, l'autre avec l'allaitement, l'autre peint la pluie d'or de la Volonté divine, mais, dans tout les cas, le miracle d'une naissance virginale et sans conception laisse le pauvre Joseph ahuri, abasourdi, frappé de stupeur. C'est trop fort pour lui, ça le dépasse.