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15 mai 2014 4 15 /05 /mai /2014 11:10

Le vitrail de la Baie 9 de l'Arbre de Jessé de la cathédrale Saint-Julien du Mans (XIIIe siècle).

 

Voir, sur la cathédrale, dans ce blog :

 

 

Voir dans ce blog lavieb-aile des articles consacré aux Arbres de Jessé de Bretagne:  

Et les vitraux : 

Et en comparaison avec les œuvres bretonnes :

 

 

Introduction.

    La cathédrale du Mans offre au visiteurs deux vitraux de l'Arbre de Jessé : la lancette de droite de la baie 9 dans la chapelle de la Vierge, datée de 1230-1240, et la baie 110. Cet article traite de la baie 9. C'est un travail d'amateur.

 

Sur les 11 baies de deux lancettes de la chapelle de la Vierge de la Cathédrale Saint-Julien du Mans, seules 5 lancettes ont gardé leurs verres anciens, et celle de l'Arbre de Jessé est la seule à avoir conservé sa place d'origine. La baie porte le numéro 9, et la lancette est celle de droite. Celle de gauche consacrée à Adam et Ève est du XIXe siècle. La baie mesure 5,50 x 2,70 m.

Les points forts :

  • La mise en parallèle avec les Arbres de Jessé de Saint-Denis et Chartres.
  • L'inscription au dessus de Jessé que j'attribue à Hildebert de Lavardin.
  • Le choix des prophètes.
  • La stylistique.

La lancette datée ca 1235 est composée de 21 panneaux organisés en six registres principaux : elle présente la généalogie menant de Jessé à La Vierge et à Jésus par l'intermédiaire de trois rois de Juda entourés de prophètes. Pour les photographier en amateur, j'ai été  gêné par l'éclairage intérieur de la chapelle.

               arbre-de-jesse 1664c

 

 

            arbre-de-jesse 1668c     

 

 

 

                   arbre-de-jesse 1670c

 

0. Panneaux 1, 2, 3

(numérotation selon Godlevskaya) : frise d'acanthe avec l'inscription EGREDIETUR VIRGO DE RADICE JESSE ET ... : inscription incomplètement visible pour le spectateur et qui cite Isaïe 11:1. Ces trois panneaux semble modernes.

I. REGISTRE INFÉRIEUR : JESSÉ ET GUILLAUME DE MARCÉ.

Panneaux 4, 5, 6 selon Godlevskaya.

1. Panneau 4 : Le donateur Guillaume de Marcé.

  a) Inscription

Je lis GVILLI...dE MARCEI  mais selon le Corpus des inscriptions de la France médiévale CIFM page 208 il faut lire :

GVILLM

DE : MARCEIO soit Guillelmus de Marceio, Guillaume de Marcé

Le CIFM indique que la paléographie de l'inscription est en accord avec la datation ca 1235 du support notamment dans la forme du M et du D, et donne ce commentaire : "Ecriture mélangeant les formes onciales très évoluées (G, D, E, M) et les traits droits des capitales (V, L, I). Module étroit, tracé fin, ductus complexe, écriture régulière sont les principales caractéristiques  de cette inscription. Jeu important sur les pleins et les déliés ; toutes les lettres courbes sont fermés par un trait fin. Abréviation originale pour le prénom Guillelmus : le second L est barré et la finale -us peut être suspendue par une apostrophe. Trois points séparent la préposition du toponyme. Pas de décor particulier." Puis : "on ignore tout de ce personnage en dehors de ce texte."

b) description :

Il est décrit ainsi au début du XXe siècle "Il porte l'amict, la dalmatique violette, et par dessus, une étole verte en sautoir, signe du diaconat".

 Quelques parties restaurées (chaussures ; carrelage).

c) le donateur.

Le chanoine (membre du chapitre de la cathédrale) Guillaume de Marcé nous est connu par un document qui semble prouver qu'il occupait une place privilégiée aux yeux de son évêque, puisque celui-ci, Nicolas, (46e prélat du Mans de 1214 à sa mort en 1216), donna "à l'abbaye de Saint-Vincent six sols de rente pour la pictance du couvent, à la charge de célébrer tous les ans une messe à son intention et à celle de Guillaume de Marcé, chanoine". Selon A.N et E. Didron, il mourut en 1275, ce qui n'est pas vraisemblable.

D'autres renseignements sont fournis par les actes du Capitulaire de l'évêché du Mans ("Nécrologie-Obituaire de la Cathédrale du Mans", Archives historiques du Maine VII par G. Busson et A. Ledru, Le Mans 1906 en ligne) et indique que Guillaume de Marcé était chanoine du chapitre de la cathédrale en 1192 et en juillet 1213 (Nicolas futur évêque étant dans les deux cas le doyen du Chapitre ) qu'il était "procurator" du doyen en 1192 et qu'il décéda vers 1219:

—Capitulaire de l'évêché du Mans n°1000 : 6 avril 1192. lettres dans laquelle l'évêque Hamelin confirme en les reproduisant les dispositions prises par le Chapitre à l'égard des futurs chanoines. Hec sunt nomina canonicorum […] Guillelmus de Marcé, procurator decani*, tunc temporis absentis

*note : le doyen depuis 1180 était Nicolas qui devint évêque du Mans le 27 mai 1214 et mourut le 28 février 1215.

—Capitulaire de l'évêché du Mans N° 1030 : Juillet 1213 : Lettres qui constatent l'achat fait par le chapitre d'une maison de la Grand-Rue...contenant une liste des membres du chapitre dont Wilhelmus de Marcé.

— Page 253 : Chanoines dont le décès est mentionné : vers 1219 Guillelmus de Marcé.

Ces dates sont cohérentes avec celles estimées pour le vitrail, puisque le chanoine peut parfaitement avoir fait donation au Chapitre pour ce vitrail lorsque la construction de la chapelle était envisagée, peu avant son décès.

 

Guillaume de Marcé ne fut pas, vers 1235, le seul chanoine donateur de verrières : 

a) verrière 101 (1250-1260) et verrière 105 (avant 1258):  le donateur est un membre de la famille Chamaillart ou d'Anthenaise ou Vincent de Pirmil, chanoine du Mans devenu plus tard archevêque de Tours (1257-1270) ou Hamelin d’Anthenaise,

 b) La verrière centrale (baie 200) : Geoffroy de Loudun, évêque jusqu’à sa mort en août 1255 ; elle commémore la cérémonie du 24 avril 1254. 

 c)  la baie 204 (250-1275) : Gauthier de Poillé, mort en 1276, mentionné dans le martyrologe du Mans.

 

d) baie 111, ca 1255 : Guillelmus Rolandi ou Guillaume Roland, chanoine de la cathédrale entre 1256 et 1260. 

Baie 108 (milieu XIIIe) : mention de Philippus Romanus (Philippe Romain) et de Maître Robert Pelé (?) considéré comme des chanoines du Mans

2. Panneau 5 et 6 : Jessé songeur .

 

arbre-de-jesse 1670cc

      Basilique de Saint-Denis. 1144.               Cathédrale de Chartres 1150

saint-denis 9558cc  arbre-de-Jesse 6784c

 

On peut jouer au jeu des sept différences entre les Arbres de Jessé de Saint-Denis (1144), de Chartres (1150) et du Mans (1235) mais les ressemblances sont évidentes : même fond bleu ; même posture allongée pieds nus sur un lit, la tête à demi redressée par un coussin appuyé sur un dossier et le corps tourné vers la droite ; même yeux clos et même main soutenant le menton dans une pose qui dément le sommeil et affirme la réflexion songeuse ; même visage barbu de patriarche et même bonnet hébraïque ; même tronc de l'arbre naissant de l'entre-cuisse pour bourgeonner rapidement ; même lampe indiquant la pensée vigilante ;  même couverture ou manteau rouge sur les replis godronnés du drap ; mêmes éléments architecturaux rendant présente la ville de Bethléem, dont Jessé est un riche propriétaire de troupeaux ; et même jeu d'arcades délimitant le lieu du rêve prophétique.

L'inscription indique C. : CARN / ALITER ESS(E)

                           SIE : dEVS : EX : IESSE : CE(P)..

Il s'agit d'un fragment, peut-être monté sens dessous-dessus, de Sic deus ex Jessé coepit carnaliter esse citée par Bernard de Montfaucon qui signale en 1724 (Supplément... p. 51) se souvenir de l'avoir lue sur le vitrail de Jessé à Saint-Denis. A-t-il confondu avec l'Arbre du Mans ? Etait-elle aussi inscrite jadis à Saint-Denis ? C'est discutable en raison de son origine que je vais détailler. Disons auparavant que Eugène Hucher, qui a donné le calque des vitraux du Mans (1864) en a relevé le texte qu'il transcrit aussi Sic : deus : ex : Jessé : cepit : carnaliter : esse.  

Cette inscription est précieuse puisque l'interrogation du moteur de recherche n'en donne qu'une origine : Hildebert de Lavardin, évêque du Mans entre 1097 et 1125 avant d'être archevêque de Tours de 1125 à sa mort en 1133, brillant intellectuel et poète. On trouve ces vers publiés par Migne en 1854 dans sa Patrologie sous le titre Venerabilis Hildeberti Inscriptionum christianarum libellus E ms codice 117 mod. Et 164 vet. Turon. Biblioth. XII saecul. Primum editus J.J Bourassé canonico Turon. en ligne

1232 VII Virga Jessé.

Virga parit florem, licet arida, flosque saporem

Sic Deus ex jesse coepit carnaliter esse.

Trad. ? La vierge a donné une fleur, bien que sèche, fleur et saveur

ainsi Dieu a pris son origine de la chair de Jessé ??

 

  Cette constatation est intéressante puisque l'on sait  que Hildebert avait à son service pour la reconstruction de la cathédrale non seulement le moine Jean, maître-maçon prêté par Jean de Vendôme, mais aussi un vitrier (maître-verrier), le vitrarius Guillaume ; qu'il a fait réaliser des vitraux pour son palais épiscopal et peut-être pour la cathédrale (Godlevskaya) ; et que certains spécialistes ont des arguments pour penser que les vitraux les plus anciens du Mans (la fameuse Ascension) datent peut-être de son épiscopat ; et que la présence de cette citation de son œuvre sur ce vitrail contribue donc à souligner sa place en matière de verrière, ou son importance aux yeux des chanoines du chapitre manceau. 

 Plutôt que comme bâtisseur, Hildebert  est surtout réputé comme  un auteur réputé de sermons, traités de théologie, poèmes, et d’une abondante correspondance d’un très haut niveau poétique avec ses amis ecclésiastiques (Baudri de Bourgueil, Marbode de Rennes…), un véritable humaniste, amoureux des beautés du monde terrestre et de l'Antiquité, ce qui est exceptionnel avant 1100. 

Commentaire du Corpus des inscriptions (Debais, 2010) :

Au regard de l'original, on doit admettre la possibilité de nombreuses restaurations, voire de défections complètes d'inscription. Cependant, en l'absence de critique d'authenticité, on ne peut que le supposer.[...] Le E mis pur le C dans sic est peut-être lui aussi dû à une mauvaise restauration. L'hexamètre léonin riche inscrit au dessus de Jessé et qui commente l'ensemble de la verrière semble original dans sa formulation, même si son contenu, inspiré sans-doute d' Isaïe XI,1 est très répandu dans l'exégèse médiévale commentant l'incarnation du Christ. On retrouve en revange le mot carnaliter dans d'autres vers médiévaux. On ignore si la disposition du texte est originale ou due au remontage de la baie. Si elle est originale, elle pourrait correspondre à une lecture ascendante de la baie, très difficile à attester dans les traces actuellement visibles en épigraphie. 

 

 

II. DEUXIÈME REGISTRE : Roi 1, Osée et ?

Panneaux 7, 8, 9 selon M. Godlevskaya.

Un premier roi de Juda (David si l'ordre généalogique est suivi) portant sceptre et couronne prend place dans une mandorle formé par l'écartement des tiges de l'arbre, tandis que ses pieds sont posés sur l'aisselle de la tige et que sa main droite saisit un rameau blanc. Manteau jaune, robe verte ; pieds chaussés (à la différence de Jessé). La cuisse gauche jaune vif a été refaite, en remplacement d'un bouche-trou de restauration.

Il est encadré de deux prophètes :

— Panneau 7 : Osée à sa droite. (Inscription  +OSEE : PRO ).  

 —Panneau 9 :  à sa gauche (+ A/ BDIA.S+ ). 

Les prophètes sont nimbés, tête nue, et vêtus d'une robe et d'un manteau.

 

arbre-de-jesse 1670ccv

 

 

  Saint-Denis (1144)                                                          Le Mans (1150)

saint-denis 9550c       arbre-de-Jesse 6687c

 

Là encore, la disposition est la même qu'à Saint-Denis et qu'à Chartres, mais au Mans, les rois tiennent un sceptre dans la main gauche. A Chartres, les prophètes sont Ezéchiel à droite et Osée à gauche.

 

III. TROISIÈME REGISTRE : Roi 2, Amos et Nahum.

Panneaux 10, 11, 12 selon Godlevskaya.

Deuxième roi de Juda (peut-être Salomon, fils de David), de même posture et même costume que "David" (le même carton a été repris). Il est entouré de deux prophètes:

+AMOS : +   à sa droite.

— +NAHUM (ou Naum) à sa gauche. Restauration probable de l'inscription.

arbre-de-jesse 1670ccvv

 

Saint-Denis                                                            Chartres

 

saint-denis 9551c arbre-de-Jesse 6687cc

 

 

IV. QUATRIÈME REGISTRE. LA VIERGE ET ISAÏE.

Panneaux [13], 14, 15  selon Godlevskaya.

La Vierge ne se distingue des rois que par un visage féminin encadré d'un voile. Isaïe est à sa gauche et présente un phylactère où il est inscrit ISAIAS+ (sans-doute rétabli par une restauration récente). Le prophète doit cette place à ses prophéties :

Isaïe7 : 14 propter hoc dabit Dominus ipse vobis signum ecce virgo concipiet et pariet filium et vocabitis nomen eius Emmanuhel ou bien Isaïe 11:1 et egredietur virga de radice Iesse et flos de radice eius ascendet  : ce sont les versets qui annoncent la venue d'une vierge (virgo) descendant de Jessé (de radice Iesse)  qui concevra un fils (filium ; flos).

arbre-de-jesse 1669cv

 

 

arbre-de-jesse 1669c

 

Un panneau a été déposé et remplacé par un écran noir. Ce panneau manquant n°13 est sans-doute celui dont le site lrmh.culture.fr nous propose une photographie : mais l'inscription ne s'est pas laissée déchiffrée, d'autant qu'elle est à l'envers. ABOM  BO..AS ?? Guilhermy a omis de la relever lors de sa visite de 1866. Selon le CIFM, il faut lire, écrit à l'envers de haut en bas ARON :PROPHETAS. Aaron n'est pas un prophète, mais le premier Grand prêtre d'Israël et frère de Moïse. Il peut (épître aux hébreux) être considéré comme une figure du Christ par les sacrifices auxquels il procédait.

 

Photo panneau 13 ©LRMH J.P. Bozellec 1998 placé à coté de panneau 7 © lavieb-aile: 

 

DIA00098936.png  arbre-de-jesse 1670ccvvx

 

 

Saint-Denis (1144) : la Vierge entre deux prophètes.

saint-denis 9553c

 

Chartres (1150) : la vierge entre Zacharie et Daniel.                                        

arbre-de-Jesse 6689c

 

A propos du panneau manquant 13 .

M. Godlevskaya écrivait l'année dernière : 

  "J’ai appris au LRMH que le panneau absent, celui de la baie 9 (panneau 13 dans ma numérotation), représentant un prophète (que l’on peut voir entre autres sur le photomontage de la verrière) sortit du LRMH le 9 décembre 1998 et fut transporté par Didier Alliou (des Ateliers Avice-Vitrailfrance) au Musée de Tessé au Mans pour l’exposition « Le vitrail et le XIXe siècle : les ateliers manceaux ». Le retour était prévu, mais s’agissait-il du retour au LRMH ou à la cathédrale ? Ce n’est pas clair. Le fait est que maintenant le panneau ne se trouve ni dans un endroit ni dans l’autre. On ignore au LRMH où il se trouve, et la demande de renseignement que j’ai envoyé à la DRAC des Pays de la Loire à Nantes n’a pas donné de suite." !!!

 

V. REGISTRE SUPÉRIEUR : CHRIST ET SEPT COLOMBES DE L'ESPRIT; DEUX PROPHÈTES.

      Panneaux 16 à 21 selon M. Godlevskaya.

Le Christ assis sur l'élément sommital de l'arbre, pieds nus, bénit de la main droite et tient un livre de la main gauche.

Il a à sa droite le prophète Abias ou Zacharie ? (je lis LARIAS — Guilhermy a lu ABIAS— et le CIFM ZARIAS : interprété comme Zacharias) et à sa gauche le prophète Malachie (MALACHIAS).

Au dessus de la tête du Christ, les rameaux se divisent trois  fois en un fleuron triple, et sept colombes convergent vers ces bourgeons floraux. Chacune est inscrit dans une mandorle, de  couleur alternativement jaune  et verte. Chacune est nimbée, mais la colombe supérieure jouit d'un nimbe crucifère.

 

arbre-de-jesse 1668cv

 

Saint-Denis (1144)                                                                  Chartres (1150)

saint-denis 9554c  arbre-de-Jesse 6690cc

 

                     DESCRIPTIONS ANTÉRIEURES.

F. de Guilhermy fait état de la vitrerie de la chapelle de la Vierge  après l'orage de 1858 et avant la grande campagne de sa restauration dans les notes rédigées lors de sa visite à la cathédrale au début des années 1860:[...]

baie. Un diacre agenouillé, ainsi nommé : gvi~ll de marce . Il est vêtu d’une aube brune, à galons d’or ; écharpe verte ; robe de dessous également verte. Jessé couché sur un lit, au-dessus duquel brûle une lampe ; il se retourne pour parler au donateur ou peut-être pour mieux l’écouter. On lit ce commencement d’inscription : sic devs : ex iessa : ge . De Jessé sort un arbre qui porte deux rois sur les branches. Ces quatre premiers personnages n’ont pas de nimbes. Les deux rois sont escortés de deux prophètes. La Vierge nimbée, voilée,couronnée occupe le troisième rang de la généalogie. Au sommet, le Christ bénissant, placé entre Abias et Malachie ; au-dessus de sa tête, sept colombes nimbées, dont quatre bleues et trois blanches. La Vierge a certainement deux prophètes à ses côtés ; j’ai omis d’en prendre note. Le tympan est tout rapiécé (Guilhermy fol.96 v° 97 r°, in M. Godlevskaya 2013).

 

 

                     RESTAURATIONS

Les vitraux de la cathédrale ont subi beaucoup de réparations.

Après un ouragan des 9 et 10 novembre 1810, un orage extraordinaire les a dévastés en 1858.

 "Le 21 juin 1859, le ministre des cultes ouvre un premier crédit et la grande campagne de restauration débuta alors. Elle dura jusque vers 1900 et toucha toutes les verrières. Les travaux furent confiés aux peintres verriers Coffetier et Lusson, avec la collaboration du cartonnier Steinheil, puis plus tard de Champigneulle, le repreneur de l’atelier Coffetier, sous la direction générale de l’architecte Boeswillwald." (Godlevskaya page 234)

Eugène Hucher a publié en 1865 les calques des vitraux de la cathédrale. Leur comparaison avec les verrières actuelles permettent d'observer que des verres avaient été remplacés par des "bouche-trous", qui ont été eux-mêmes remplacés (par un verre moderne). C'est le cas, comme le décrit Maria Godlevskaya (fig. p.20), pour une partie de la robe du roi 1.  

Pour le XXe siècle, je ne dispose que d'informations générales sur les vitraux anciens qui furent démontés en 1939, mis à l'abri, photographiés puis remontés aux emplacements antérieurs de 1947 à 1955 après une révision générale, qui a comporté une partielle remise en plombs par Jean-Jacques Gruber et Max Ingrand. (M. Godlevskaya, 2013)

 

                                                 STYLISTIQUE

1. Rappel des notions générales sur le style au XIIIe siècle.

"Avec l’architecture gothique, les fenêtres s’agrandissent, la tonalité des vitraux peut donc se foncer et la palette du peintre-verrier se diversifier.
Le bleu est plus soutenu, le bleu-rouge domine dans les fonds, tandis que les couleurs se nuancent : vert-olive et vert-émeraude, rouge carmin et rouge vermillon ; le jaune est moins employé.
Les fenêtres basses, à portée de vue, racontent des épisodes (vie du Christ, vies des Saints), tandis que les fenêtres hautes, plus éloignées, présentent de grands personnages (Vierge, apôtres…).
Les premières « grandes roses » apparaissent sur les façades (N. D. de Paris, Chartres…). (Centre International du Vitrail ici)

N.b : au XIIIe siècle, on ignore encore l'usage du jaune d'argent. 

2. Une Ecole de l'Ouest ? Influence des ateliers de Chartres.

 

"On divise d’habitude les vitraux du XIIIe siècle de la cathédrale du Mans en trois «séries», celle des chapelles, celles du déambulatoire supérieur et celle des fenêtres hautes. Cette classification, tout à fait logique, est justifiée par le plan architectural, la chronologie des travaux, ainsi que par les différences du style des vitraux. Il est fort probable que les chapelles rayonnantes reçurent leur vitrage progressivement, puisque le nombre des baies était considérable, s’élevant jusqu'à sept pour certaines, cette supposition est aussi confortée par l’analyse stylistiques des pièces authentiques conservées. [...] En ce qui concerne les panneaux authentiques qui se trouvent actuellement dans les baies 9, 5, 3, 1, 0 et 6 de la chapelle de la Vierge, ceux qui se trouvent dans les baies 9, 5, 3 et 1 seraient tous fait par le même atelier, alors que la baie 0 présente un style différent ; les fragments authentiques présents dans la baie 6 ne comprennent pas de têtes de personnages et ne seront pas analysés ici pour cette raison.

   L. Grodecki considère que les panneaux des baies 9, 5 et 3 sont tous du même style et que leur exécution est « fort belle, à très petite échelle de coupe (notamment dans les mosaïques des fonds), la couleur est soutenue, assez variée, par la proportion importante des jaunes et des verts, le style de la peinture est élégant par l’allongement de certaines silhouettes, par la maigreur des visages, mais harmonieux plutôt qu’expressif. Il semble que ce sont là les caractères du « principal atelier » de la cathédrale vers 1235, différent de l’atelier qui fit le vitrail de saint Eloi [baie 24]. Il se rattache aux sources chartraines, et non pas à l’art parisien qui évolue déjà, à ce moment, vers un « maniérisme » plus accusé» (Grodecki 1961 p.79).

L. Grodecki ne se prononce pas sur le style de la baie 1, car la majeure partie de cette verrière est du XIXe siècle, mais l’étude du panneau authentique démonté de cette verrière et conservé actuellement au LRMH permet de constater que c’est le travail de l’atelier qui a fait les vitraux des baies 9, 3 et 1.

  Quant aux sources chartraines, l’opinion de L. Grodecki est clairement exprimée sur ce sujet : « Même s’il ne semble pas possible d’identifier à Chartres la présence des mêmes peintres-verriers, la filiation est plausible (aux vitraux de Charlemagne et de saint Jacques en particulier [vers 1220]). Vers 1240, cet art reste fort traditionnel, car les centres parisiens ou normands se sont déjà tournés, à ce moment, vers un style plus expéditif». C. Brisac, quant à elle, pense, « qu’il n’est pas étonnant que ce style chartrain, l’un des principaux de la cathédrale beaucerone, ait exercé une influence au Mans. La taille et le renom du chantier qui venait de s’y achever expliquent facilement cette attraction. Des artistes formés à Chartres vinrent vraisemblablement au Mans dès les années 1235 ». Tout en affirmant avec L. Grodecki, que le style des fenêtres en question reprend la tradition chartraine que l’on observe dans la verrière de Charlemagne (baie 7), elle considère que l’ordonnance de ces vitraux « combine, en effet, des traditions du début de ce siècle et des nouveautés apparaissant dans les années 1230-1240, dont certaines seront reprises à la Sainte-Chapelle du Palais à Paris. La composition où alternent des compartiments historiés d’inégale grandeur, s’enlevant sur des mosaïques bicolores à petite échelle et au décor floral encore soigné, l’utilisation de barlotières forgées à la forme des médaillons sont des formules passéistes. Les bordures et les encadrements réduits souvent à des filets lisses, sans peinture, comme la simplification des ornements végétaux des fermaillets ou « broches » réunissant les scènes entres elles, annoncent un changement en vue d’une exécution plus sommaire, que l’agrandissement des baies impose». La variété des manières que l’on observe dans les fenêtres basses de la cathédrale de Chartres, où plusieurs petits ateliers œuvrèrent en même temps, ne permet pas de parler de « sources chartraines » sans préciser les baies, voire les panneaux, précis. Ayant eu la chance heureuse d’étudier les quelques panneaux démontés provenant des fenêtres basses de la cathédrale de Chartres en décembre 2009 au LRMH, en même temps que les panneaux démontés des baies 5 (panneau 8b), 3 (panneau 9) et 1 (panneau 8) qui y étaient conservés, je peux confirmer une forte ressemblance entre ces vitraux du Mans et quelques panneaux de la baie 42 de la cathédrale de Chartres (panneaux 20, 21, verrière consacrée à l’Assomption de la Vierge) dont l’authenticité n’est pas en doute . On y voit la même forme de tête avec un grand front, le même dessin du nez et des sourcils larges et peu arqués, des yeux avec de grandes pupilles rondes tracés par le double contour qui ne se ferme pas à l’extérieur de l’œil. Comme la datation des verrières basses de la nef de la cathédrale de Chartres est discutable, variant entre 1205 et 1227, on peut avoir entre 30 et 8 ans d’écart avec les vitraux de la chapelle de la Vierge du Mans (si l’on admet la datation de 1235 pour Le Mans)." (M. Godleskaya pages 341-347 ; le surlignage est de moi)

Comparaison avec la baie 9 (lancette de gauche sans-doute) Panneau conservé au laboratoire de recherche des Monuments Historiques  de Champs-sur-Marne et photographié en 1998 par J.P. Bozellec. © LRMH Bozellec

(S'agit-il de Tobie guérissant son père de cécité ?)

DIA00098932.png

 

Comparaison avec le style de la baie 1 : ©LRMH Bozellec 1998. Jésus conduisant ses parents au temple.

                      DIA00098939.png

 

Exemple du style de la baie 3 : © LRMH Bozellec: Enfance du Christ.

                      DIA00098926.png

 

Exemple du style de la baie 5 : © LRMH Bozellec: Présentation de la Vierge au temple.

                             DIA00098923.png

 

 

3. Réutilisation des cartons.

  "Passons en revue les cas d’utilisation des mêmes cartons dans les vitraux du chevet du Mans en commençant par les vitraux des chapelles rayonnantes. Le seul cas que j’ai constaté provient de la baie 9, lancette droite, qui représente l’Arbre de Jessé . Ici les rois David et Salomon sont fait à l’identique en se distinguant uniquement par les couleurs des vêtements, et la majeure partie de la figure de la Vierge reprend également le même dessin. On emploi quatre cartons pour les figures des prophètes, deux pour la partie gauche (panneau 7 = panneau 13 ; panneau 10 = panneau 16) et deux pour la partie droite de la verrière (panneau 9 = panneau 18 ; panneau 12 = panneau 15). On n’utilise pas les cartons de la partie gauche à l’envers pour la partie droite et vice versa, mais on se donne la peine de créer quatre types différents, quoique ressemblants. La situation se répète à l’autre niveau (au sens figuré et propre) dans l’Arbre de Jessé du déambulatoire supérieur (lancette axiale de la baie 110)" (M. Godlevskaya 2013).

4. Couleurs. 

  Les circonstances dans lesquelles j'ai pris mes photographies ( dans la chapelle de Notre-Dame-du-Chevet abondamment éclairée par des projecteurs qui mettent en valeur l'instrumentarium des peintures murales de la voûte et leurs anges) ternissent les couleurs des verres qui ne reçoivent plus leur lumière de l'extérieur, mais de l'intérieur (sauf sans-doute à certaines heures d'un beau soleil). Alibi d'un amateur, certes. Mes images se prêtent mal à une analyse des couleurs du vitrail.

  Mais il est néanmoins évident qu'il est composé autour de l'opposition/complémentarité du bleu et du rouge : le bleu sert de fond aux mandorles qui se détachent elles-même sur fond  rouge ; les demi-médaillons latéraux au fond bleu, cerclé de rouge et de perles blanches reposent sur un arrière-plan de carreaux...rouges et bleus.

  Ces teintes principales étant mises en place, le vitriarus ne dispose plus, pour les accessoires et décors et pour les vêtements, que des autres couleurs : blanc des visages et des tiges de l'Arbre ; jaune des nimbes, des inscriptions ; vert des feuilles ; blanc, vert et jaune des robes, verres auxquels s'ajoute le vieux rose. Pour les vêtements, l'artiste n'utilise que les duos rose pourpre et vert d'une part (six personnages dont la Vierge et le Christ), jaune et vert d'autre part (trois personnages dont "David"), rose et blanc (deux prophètes) blanc et bleu (un) et blanc et jaune (un) enfin. Aucune couleur n'est utilisée à visée dévalorisante, mais le sujet ne s'y prête pas. Les valeurs pourpre ou vieux rose du donateur, de Jessé, de la Vierge, du Christ et de cinq prophètes apparaissent dotées de qualités  d'élévation spirituelle, alors que le vert, couleur des feuilles de l'arbre, porte les valeurs de croissance vitale. Le duo vert et rose pourpre pourrait se traduire par : "Force vitale de l'Esprit", cette force qui, sous la métaphore de la transmission généalogique de la vie organique, chemine dans le plan divin de Jessé jusqu'au Christ.

N.b : je remarque que M. Godlevskaya qualifie de "rouge" la couleur que je nomme faute de mieux "vieux rose" et qui varie du pourpre assez foncé au lie-de-vin. La différence est pourtant importante, car le verre rouge est toujours plaqué (mince verre rouge sur du verre incolore). Elle remarque la fréquence avec laquelle la Vierge est vêtue de "rouge" et vert, dans plus de 15 panneaux du XIIIe siècle au Mans, dont l'Arbre de Jessé de la baie 9 (p. 394). Il me semble pourtant que la couleur rosâtre de la robe du panneau 14 est bien différente du rouge franc du fond du panneau. Une part de la subtilité de l'analyse des couleurs dépend de ce "détail".

   En dehors de son emploi pour les fonds, le rouge crève l'écran par son emploi isolé pour le bonnet de Jessé, et cet exception mériterait qu'on s'y arrête ; le bonnet était vert à saint-Denis et jaune à Chartres. Placé sur la tête du songeur, cette couleur souligne sa puissance cérébrale et la force de sa vision. On peut y voir aussi, comme la langue de feu de la Pentecôte, le signe de l'élection divine.

   Puis-je prétendre, avec ces images, sans compétence technique, sans connaissance approfondie des verres authentiques, parler de l'emploi de la grisaille ? Non, mais je rends ma copie de débutant pour constater qu'elle est surtout utilisée en longs traits fins pour les plis des vêtements et les veinures des feuilles, les chevelures, ou en traits courts pour les visages. 

 

 

 

Sources et liens.

https://archive.org/stream/lacathdraleduman00fleu#page/64/mode/2up

 

Monographie de 1923 numérisée sans nom d'auteur  page 78 

BOUTTIER (Michel) 1999

BOUTTIER (Michel) (2000)

DEBIAIS (Vincent) 2010, Corpus des inscriptions de la France médiévale volume 24 Maine-et-Loire, Mayenne, Sarthe, (région Pays de la Loire) CNRS éditions : Paris 274 pp : texte page 206-207.

— DIDRON  (Adolphe Napoléon et Edouard) 1853  Annales archéologiques vol.13 page 357

DIEUDONNÉ ( Adolphe) Hildebert de Lavardin évêque du Mans, archévêque de Tours page 62-63 https://archive.org/stream/hildebertdelava01dieugoog#page/n79/mode/2up/search/guillaume

FLEURY (Gabriel) page 74 http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6105792n/f79.image.r=jess%C3%A9.langFR

 — GATOUILLAT (Françoise),    2003, "Les vitraux du bras nord du transept de la cathédrale du Mans et les relations franco-anglaises à la fin de la guerre de Cent Ans"  Bulletin Monumental  Volume 161 pp. 307-324

 — GODLEVSKAYA (Maria) 2013  Les vitraux du XIIIe siècle de la cathédrale du Mans, aspects iconographiques et stylistiques. Thèse de doctorat Poitiers en ligne       http://www.academia.edu/4008810/these

_Les_vitraux_du_XIIIe_siecle_de_la_cathedrale_du_Mans._Aspects_iconographiques_

et_stylistiques_

— GRODECKI (Louis) 1961 in Congrès archéologique de France

GUILHERMY (Ferdinand François, Baron de) « Vitraux du Mans », Localités de France (1844), Bibliothèque nationale de France, Nouvelles acquisitions françaises 6103, folio 92 recto – 99 verso. [notes manuscrites] transcrites in Godlevskaya 2013.

 —GUYARD DE LA FOSSE , 1837 Histoire des évêques du Mans page 210 (mentionne Guillaume de Marcé)

HUCHER (Eugène) LAUNAY (Abbé Alexis René) 1864 Calques des vitraux peints de la cathédrale du Mans... par M. Eugène Hucher et l'abbé Launay. Introduction historique école primitive de peinture sur verre au Mans, par l'abbé Lottin Didron : Paris 42 pages Gr. in fol. Planche 26. (non consulté)

LEDRU (Abbé Ambroise) 1907 Cathédrale du Mans, p. 264.

— LEDRU (Abbé Ambroise) "Nécrologie-Obituaire de la Cathédrale du Mans", Archives historiques du Maine VII par G. Busson et A. Ledru, Le Mans 1906 en ligne

LILLICH (Meredith Parsons), 1994 The Armor of Light. Stained Glass in Western

France, 1250-1325, Berkeley, Los Angeles, Oxford, 1994.

LILLICH Meredith Parsons, 1973  “Three Essays on French Thirteenth Century

Grisaille Glass”, Journal of Glass Studies, Vol. 15, 1973, p. 69-78.

LILLICH (Meredith Parsons), 2001 Studies in Medieval Stained Glass and Monasticism, Londres, 2001.

LILLICH (Meredith Parsons), 2011 The Gothic Stained Glass of Reims Cathedral, University Park Pennsylvania, 2011.

PIOLIN (Paul) Histoire de l'église du Mans volume 4  en ligne : sur Guillaume de Marcé page 225, 262, et 431.

— Avant-propos de GRODECKI (Louis) 1981 Vitraux du Centre et du Pays de la Loire Corpus Vitrearum Recensement II CNRS : Paris 336 pages, 287 ill. in-4°

— Monographie des abbés Marquet (s.d) Pichon (1876), Voisin (1866)

 — WATLING Stuart http://www.medievalart.org.uk/LeMans/LeMans_default.htm

 

 

 

 

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Published by jean-yves cordier

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  • : Le blog de jean-yves cordier
  • : 1) Une étude détaillée des monuments et œuvres artistiques et culturels, en Bretagne particulièrement, par le biais de mes photographies. Je privilégie les vitraux et la statuaire. 2) Une étude des noms de papillons et libellules (Zoonymie) observés en Bretagne.
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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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