Légende des Dix mille martyrs :
la version des Grandes Croniques de Bretaigne de 1514.
Voir aussi :
Les Grandes Croniques de Bretaigne composées en 1514 par Maître Alain Bouchart et rééditées à quatre reprises jusqu'en 1541, ont attendu 1886 pour être à nouveau éditées (de façon "assez médiocre" selon Jean Kerhervé) par H. Le Meignen et Arthur Lemoyne de la Borderie sous les auspices de la Société des Bibliophiles Bretons à Rennes ¹. (consultable en ligne sur Gallica :link )
Un siècle plus tard, une nouvelle édition ² des Grandes croniques de Bretaigne d'Alain Bouchart a été publiée par Marie-Louise Auger, Gustave Jeanneau et Bernard Guenée aux éditions du C.N.R.S. Le tome 3, paru en 1998 par M.L. Auger avec un avant-propos de Bernard Guenée, membre de l'Institut, apporte l'introduction situant l'auteur dans l'histoire de l'historiographie contemporaine.
- Grandes Croniques de Bretaigne composées en l'an 1514 par Maître Alain Bouchart ; Nouvelle édition publiée sous les auspices de la Société des bibliophiles Bretons et de l'histoire de Bretagne par H. Le Meignen, ed. H. Caillières, Rennes 1886, XII pp. 325 ff. 58pp. , ill. in 4° (28cm).
- Grandes croniques de Bretaigne d' Alain Bouchart ; Auger Marie-Louise, Guenée Bernard, Jeanneau Gustave, Ed. C.N.R.S., 1986-1998, 3 vol. : 469p + 506 p. + 392 p. ; 24cm.
Je donne donc ici copie du texte de l'édition de 1886, Premier Livre, feuillets 21 à 23, corrigé par l'édition de 1986 (que je me suis procuré plus tard) pour les erreurs ne respectant pas la graphie du texte d'origine. J'ai aussi adopté la partition en paragraphes de 1986.
Dans l'édition de 1986, il s'agit du Livre I chapitre 58 page 147 transcrivant les folios 25v à 26v.
N.B : par rapport au texte transcrit dans l'édition de la société des Bibliophiles Bretons, j'ai remplacé (très arbitrairement, et pour faciliter mon travail de copiste), les s longs ∫ par nos s ronds , les u par des v et les i par des j là où le sens le justifiait. J'ai respecté l'utilisation de l'eperluette et l'absence de signes diacritiques.
La passion des dix mil martirs.
" Durant le temps de lempire de Adrien & de Anthoine son concesar, les dix mil martirs furent matyrisez en ung mesme jour au mont Ararath le .xe. jour devant les kalendes de juillet qui est le .xxe. jour de juing & fut lan de grace .cxxviii.
Ces deux empereurs icy furent advertiz que les Gadarens & Euffrates se estoient contre eulx rebelles, dont ilz furent courouces, assemblerent .xvi. mil robustes chevaliers payens pour leur courir suz. Toutesfoys leurs parties adversez estoient bien cent mil conbatans. Les empereurs & leur armee avoient toute leur fiance en leur dieux Jupiter et Appolo : & en portoient a la guerre les ydoles : mais ce nobostant quant ils virent la multitude de leurs ennemys ilz se misdrent en fuyte.
En fuyant deux princes de larmee des Rommains nommez lun Acacius & lautre Heliades, en tirent a part neuf mil & leur dirent : Alons tous en la montaigne de Ararath sacrifier a nos dieux affin que ayons victoire & triumphe. Et ainsi quilz sacrifioent la beste, ung ange en forme dung jeune homme se apparut a eulz & leur dit : Pourquoy sacrifies vous aux dieux qui vous tiennent en paour & craincte ? Croiez en Jhesuschrist filz de dieu roy immortel , celuy la bataillera pour vous. Quant lange leur eust dit ces parolles et austres semblables, ils prindrent entre eulx conseil & a haute voix dirent En toy Jhesus nous croions, & les choses que ce jeune homme adolescent nous a revellees promectons acomplir en ton nom. Alors frapperent parmy leurs adversaires & virent ces neuf mil combatans lange qui leur aida tellement que tous leurs adversaires trebuscherent, les ungtz furent occiz & les autres en fuyant se noierent en ung lac qui la pres estoit.
Lange de Dieu guyda les neuf mil chevaliers au couppeau de la montaigne de Ararath loing de Alixandrie de cinq stades. Quant ils furent en hault de la montaigne, descendirent parmy eux six anges du ciel qui leur dirent : Vous estes benoitz qui croiez au Dieu vivant. Apres le tiers jour vous serez cherchez & serez menez devant les rois & empereurs : ne les craingnez riens : car nostre seigneur est avecques vous. Puis se evanoirent ces anges. Et les nobles gens a haulte voix confesserent la foi chrestienne comme deliberez de vivre & mourir en icelle.
Trois jours apres furent de par les empereurs envoyez gens pour les cercher qui les trouverent au hault de la montaigne d Ararath confessant le nom de Jhesus & sa foy catholique. Quant les messagers des empereurs virent qu ilz confessoient la foy des chrestiens ils retournerent par devers les empereurs & le leur annoncerent. Les empereurs en furent si tresdeplaisans que par cinq jours apres furent menans douleur & tristesse & faisans abstinence de boire & de menger pour la rage qu ils avoient davoir perdu ces neuf mille chevaliers. Si rescrisirent les empereurs a cinq roys : cestassavoir a Sapor, a Maximin, Adrien, a Tibere & a Maximien, que en cource venissent par devers eulx pour deliberer qu il seroit bon de faire en ceste matiere, lesquelz avec tout ce qu ilz peurent faire de gens de guerre, se retirerent par devers les empereurs.
Les messagers des empereurs qui envoiez estoient par devers ces neuf mil chevaliers les trouverent au hault de la montaigne confessant leurs pechez a haulte voix, louans & glorifians le nom de nostre saulveur Jhesus. Si leur dirent : Seigneurs, les empereurs vous mandent venir par devers eulx. Ces neuf mil chevaliers descendirent tous de la montaigne & se presenterent devant ces deux empereurs Adrien et Anthoine & devant ces cinq roys.
Lempereur Adrien leur demanda moult rigoureusement : Comment estes vous si lasches davoir renoncer noz vroiz dieux pour reverer & adorer ung homme qui a ete crucifie. Le glorieulx Acace luy respondit et recita tout par ordre les revelations & victoires dessusdictes & tout ce que cy devant avoit ouï. Lors leur dict le furieux empereur Adrien : Pour ce que vous autres tous croiez en Jhesuchrist, je vous advertiz que sans doubte quelconque vous souffrires les peines semblables a celles qu'il porta. Ces neuf mil chevaliers despriserent les menaces. Lors commanda lempereur quilz fussent lapidez de pierres. Et ainsi que on leur gectoit les pierres, elles retournoient contre ceulx qui les lapidoient & les blessoient griefvement & trembla lors la terre merveilleusement.
Lun des chevaliers qui les lapidoient, nomme Theodore, qui estoit chef des gens darmes du roy Maximin & avoit souz lui mil chevaliers, fut moult esbahy de ce miracle et a hault cris secria, disant : Seigneur Dieu du ciel & de la terre qui par laide de ta misericorde donne ta grace a ces neuf mil chevaliers, te plaise nous recepvoir du nombre de ces sainctz martirs. Et lors luy & ces mil chevaliers se ajoignirent & associerent aux neuf mil : par le moyen de quoi ils furent dix mil chrestiens chevaliers ensemble martirises.
Ces empereurs & roys firent faire tant de chausses trapes de fer, aguz & poinctues que ils en couvrirent deux lieues & demy de pays, & par dessus fire chasser et marcher piez nuds ces dix mil chevaliers. Les anges alloient au devant qui ostoient les chausses trapes & nest[oy]oient la voie. Maximin qui commis estoit pour les tourmenter les fist tous couronner de cruelles espines & en la montaigne d'Ararath les fist crucifier tous nuds & avec des roseaulx aguz leur percerent les costez. Et ainsi qu ils confessoient en la croix la foy de la [saincte] trinite entre lheure de sexte la terre trembla, & les pierres du lieu la ou ils estoient fendirent. Et a haulte voix les glorieux martirs prierent en la croix Dieu pour ceux qui par jeune et abstinence des oeuvres labourables celebreront la memoire de leur passion. Et lange du ciel descendit lequel a haulte voix dist : Glorieulx martirs, vostre priere est exaulcee devant Dieu. Et a lheure de nonne ilz rendirent lesperit a Dieu en grant lumiere & clarte descendante du ciel & furent leur corps visiblement mis en terre par les anges. "
Les pages consacrées aux Dix mille martyrs dans l'exemplaire de Brest.
Bibliothèque Municipale RES-F.B-B255
Livre Premier, chapitre LVIII, La passion des dix mil martirs folio 25v-26r-26v.
Photographies prises par mes soins grâce au très aimable accueil reçu à la Bibliothèque d'Étude.
Commentaires.
1. Les sources du texte.
Marie-Louise Auger donne deux sources pour ce texte ( op. cité, Tome 3, Concordance des sources, p. 190) :
- la mer des Histoires , Paris, Pierre Le Rouge (1488-1489) pour Vincent Commin, 2 vol. in fol ; Paris, A Verard, [vers 1503], 2 vol. in fol, avec la référence dans l'ouvrage du chapitre 6,20. link. Pourtant on n'y lit, au chapitre relatant le régne d'Adrien que la phrase suivante :En cest an les Xm martyrs furent martyrisez au mont ararath le xe jour des kalendes de juillet qui est le xxe jour de juing.
- Vincent de Beauvais, Speculum historiale, trad. par Jean de Vignay, Paris, A. Vérard, 1495-1496, avec la réference 11(10) 88-89.
Mais les sources pour les Grandes Croniques dans leur totalité sont beaucoup plus vastes.
2. Ce texte peut-il avoir influencé le commanditaire du reliquaire (v.1516) ou du retable (v. 1624) de Crozon ?
Une influence est possible sur les arguments suivants :
- argument chronologique : l'édition de 1514 précède de peu la date acceptée pour le reliquaire qui est de 1516.
- argument régional : cette chronique de Bretagne rédigée pour Anne de Bretagne, alors reine de France (et publiée l'année de sa mort) a influencé tous les érudits du duché. Cet ouvrage a été édité à cinq reprises de 1514 à 1541 à Paris (1514), Rouen (1518), Paris (1531), Rennes ou Caen (1532 et 1541) ; parmi les 14 exemplaires subsistants de l'édition de 1514, 5 se trouvent en Bretagne (à Brest, Landevennec, Rennes et Nantes).
- Argument local : l'un des exemplaires de l'édition de 1514 appartient à la bibliothèque abbatiale de Landevennec, en Presqu'île de Crozon. Mais cette bibliothèque ne détient cet exemplaire que depuis la donation de la marquise de la Ferronnays; Il appartenait auparavant à la bibliothèque du château de Trévarez (29), mais depuis quelle date ?.