Les vitraux de l'église de Saint-Ouen
des Iffs ( seconde partie).
J'ai décrit la maîtresse-vitre consacrée à la Passion. L'église des Iffs est comparée dans sa forme à une croix archiépiscopale dont les deux branches seraient formées par quatre chapelles : celles du transept sont dites chapelle de Montmuran à gauche (au nord) et chapelle de saint-Yves à droite. Deux chapelles plus bas dans la nef sont dites chapelle de la Vierge au nord, et chapelle Saint-Fiacre au sud. Chacune est ornée de vitraux, que je vais décrire.
I. La chapelle sud, dite de Coligny ou de Saint-Yves.
Édifiée à la fin du XVe siècle par la famille de Laval, et de forme hexagonale, elle rassemble trois verrières : celle de la Conversion de saint Paul à gauche , celle consacrée à Suzanne et les vieillards au fond, et à droite une baie consacrée à saint Yves.
Baie 2 : Conversion de Saint-Paul, ou Scène de bataille.
Une lancette de 2,40 m de haut et 1,20 m de large.
Il est décrit actuellement depuis l'article d'A. Svahn de 1930 comme la Conversion de saint Paul sur le chemin de Damas à la tête d'une troupe armée : Saül est renversé avec son cheval par l'effet de l'apparition du Christ et de ses anges, tels qu'ils apparaissent dans la partie supérieure. Né juif mais pétri de culture grecque, Saül /Paul était citoyen romain, et c'est ainsi qu'on comprend son costume d'officier romain et la présence anachronique de l'aigle bicéphale.
On avait pu y voir jadis "la prise de Mantes par Du Guesclin", le drapeau jaune et rouge chargé d'une aigle éployée de sable rappelant l'écusson de l'illustre connétable : d'argent à l'aigle éployée de sable, membrée et becquée de gueules, à la cotice de même brochant. Du Guesclin avait épousé l'héritière du château de Montmuran, Jeanne de Laval.
Selon Roger Barrié, ce vitrail, attribué à un atelier vitréen de 1550-1560, fait référence à l'école de Fontainebleau par le dynamisme de sa composition, le traitement des arrières-plans en sanguine, grisaille et jaune d'argent, et le traitement des costumes. Il ajoute que "l'usage de grandes pièces de verres, l'abus des sanguines, les verres gravés, et même l'aigle bicéphale sont révélateurs d'un style identique à celui de la verrière de la Passion à Champeaux près de Vitré".
Les verres gravés en question sont ceux des cuirasses rouges pontuées de points blancs gravés.
L'atmosphère violente de l'arrière-plan, où des bandes armées parcourent la campagne autour de villes fortifiées, évoque celle des guerres de religion (1562-1598).
Le théme est illustré en vitrail à Séville en 1560, à Chartres église Saint-Aignan en 1540, à Beauvais en 1548.
Dans tous les cas, le chevalier désarçonné et son cheval sont vus au premier plan, en fuite, point de vue que reprendra le Caravage en 1600 dans le domaine pictural.
Baie 6 : Vitrail de saint Yves.
Une lancette de 2,40 m de haut et 1,20 m de large. Il date ? de 1587 mais a été très restauré par Tournel.
Sous un encadrement en forme d'arc de triomphe, deux anges portent un écu ceint du collier de l'Ordre de Saint-Michel, aux armes mi-parti (moderne) de France et de Bretagne. L'examen rapproché n'est pas favorable à ces panneaux, révélant des visages lourds, une main presque bote. On estime que l'écusson du XIXe a remplacé les armes de la famille de Montmorency-Laval.
Deux autres putti retiennent les pans d'une étoffe suspendue à un bouclier : sur celui-ci, saint Michel terrasse le dragon, et tient lui même un bouclier avec l'inscription QUIS UT DEUS ?, "Qui est comme Dieu?", traduction littérale de l'hébreu Micha'el : cette question dédaigneuse s'adresse à Satan / dragon vaincu.
De l'autre main, les anges retiennent la grande tenture verte qui sert de fond au portrait en pied de saint Yves. Il est représenté en official de Tréguier, coiffé d'une barrette cramoisie, vêtu d'un surplis frappé d'hermine recouvert d'un camail rouge ; cette couleur se retrouve sur le manteau et/ou la soutane. On s'étonne de ses chaussures blanches et or, aussi luxueuses que des pantoufles pontificales : c'est saint Yves avant qu'il ne renonce à cette pompe vestimentaire et ne distribue ses vêtements cléricaux aux pauvres, ou c'est saint Yves représenté par un imagier du XVIe siècle selon les stéréotypes de son temps. Ces pantoufles et cette tenue rouge expliquent qu'au XIXe siècle on ait pu voir dans ce personnage un "cardinal donateur".
Saint Yves est entre le riche et le pauvre ; ou, plutôt, entre deux groupes de personnages. À sa droite, le pauvre avec son fils et peut-être sa femme : tête nue, visage émacié, il tend son placet témoignant de la justesse de sa cause, et Yves Hélory se tourne vers lui et tend la main vers ce document. Curieusement, le sac, en forme d'aumônière à gland, qui pend au poignet du pauvre surprend par son caractère luxueux.
De l'autre coté, c'est, plus qu'un riche, un grand Seigneur entouré des siens. Il est coiffé d'un bonnet à plumet, porte un collier en chaînons d'or, il est vêtu de culottes bouffantes à large ruban doré, d'un court manteau violet doublé de fourrure sur une veste d'apparat aux manches à crevés et au col blanc et or. Ce seigneur porte l'épée à la ceinture ; c'est un haut personnage, un noble, alors que les "riches" de l'iconographie courant semblent d'avantage appartenir à la classe des bourgeois marchands. Il porte la barbe courte qui s'est imposée à la Cour depuis François Ier. Le site de l'Inventaire régional signale qu'on a pu reconnaître dans les traits du riche un portrait de Gaspard de Coligny, seigneur de Montmuran après son mariage avec une héritière de la maison de Montmorency-Laval. Le site topic-topos décrit le "riche" "en costume hollandais typique du XVIe siècle, représenté sous les traits de François de Coligny, fils de l'amiral assassiné la nuit de la Saint-Barthélemy. La pièce d'or porte la date de 1587, ce qui donne à penser que François de Coligny a fait restaurer ou du moins réparer le vitrail, en effet le visage et la main du riche y figurant avaient pu être brisés, peut-être lors des affrontements des guerres de Religion."
L'écu d'or qu'il propose représente une somme importante, et il faut au saint de Kermartin une indépendance d'esprit considérable pour s'en détourner.
Le Corpus vitrearum apprend que, selon une description des fragments réalisée avant la restauration du XIXe, on lisait une inscription sur cette pièce d'or : CARLES DE VALO, évoquant Charles de Blois, prétendant au trône de Bretagne qui fit canoniser le saint en 1347. On y lisait aussi la date de 1587, dont on hésite à faire la date de création, ou seulement de restauration, du vitrail. Les auteurs du dossier de l'Inventaire, déjà cité, sont formels : cette date est trop tardive pour cette composition qu'ils datent de 1550, "franchement Renaissance avec recherche de l'effet monumental, traitement des visages en modèles larges et peu appuyés, caractéristique d'une époque où la peinture sur verre se rapproche de la peinture sur chevalet".
J'aurais traduit sans-doute naïvement CARLES DE VALO par Charles de Valois (1270-1325), contemporain de saint Yves (1250-1303). C'est le père de Philippe VI de Valois. Il ne fut pas roi de France lui-même, mais comte de Valois (et roi titulaire d'Aragon). Philippe de Valois est intervenu auprès du pape lors du procès de canonisation.
Baie 4 : Vitrail de Suzanne et les vieillards.
Haut de 3,90m et large de 1,90m, il est composé de trois lancettes à trois registres et d'un tympan à trois ajours et écoinçons .
La légende de la chaste Suzanne y est raconté en douze épisodes à lire de haut en bas et de gauche à droite, chaque panneau étant légendé par une inscription en lettres gothiques.
Cette histoire constitue le 13e chapitre du livre de Daniel dans la Vulgate (De liberatione castae Susannae) littéralement "De la libération de la chaste Suzanne".
Ce théme est utilisé par la Contre-Réforme comme l'image de l'Église injustement calomniée, puis justifiée par Dieu aux yeux de tous. En peinture, ce thème est vu aussi comme une possibilité pour les artistes de traiter un thème érotique et de représenter Suzanne largement dénudée : ce n'est pas le cas sur les vitraux.
Le vitrail est attribué ( R. Barrié, JJ. Rioult, Inventaire) à Michel Bayonne ou à son atelier avec une datation de 1540-1550.
Le thème a été adapté pour le théâtre religieux comme l'atteste, dans l'inventaire d'Anne de Bretagne du 16 août 1495, un Accoustrement de la saincte Suzanne, suite de cinq pièces. En 1625, Jean-Pierre Camus publia Roselis ou l'histoire de Saincte Suzanne
I. Tympan.
Dans l'ajour supérieur, Suzanne, entourée de ses servantes, est figurée comme l'épouse de Joakim, riche et pieux bourgeois de Babylone. On (site topic-topos) décrit son costume comme typiquement hollandais.
L'ajour gauche la montre épiée par les vieillards alors qu'elle prend son bain. Ces vieillards ont été établis juges cette année là, et ces hauts personnages qui fréquentent la propriété de Joakim, se sont épris de la belle épouse. Suzanne a fait fermer les portes de son jardin et a fait préparer un bain parfumé d'huiles et d'onguent : elle se croit seule, et ignore que les vieillards se sont cachés.
L'ajour droit décrit les vieillards pressant Suzanne de céder à leurs proposition, et le refus de la fidèle épouse.
II. Registre supérieur.
les scènes s'inscrivent sous des niches à coquille bleue teintée de jaune d'argent sur fond rouge, et sont elle-mêmes couronnées de dais reposant sur des culots, et portant chacun une inscription.
1. Comment les vieillards accusent Suzanne d'adultère
Vois, les portes du jardin sont fermées, personne ne nous aperçoit, et nous brûlons d’amour pour toi ; consens donc à notre désir et sois à nous.
Si non, nous nous porterons témoins contre toi, et nous dirons qu’un jeune homme était avec toi, et que c’est pour cela que tu as renvoyé les jeunes filles.
Les deux vieillards portent tous les attributs des personnages biblique vétéro-testamentaire dont on veut souligner le judaïsme : longue barbe, chapeau conique à oreillette, aumônière.
Suzanne porte une robe damassée jaune-orangée recouverte par un très lourd tablier (restauré au XIXe ?) surchargé de gemmes. Sa coiffe est suffisamment caractéristique pour qu'un spécialiste puisse sans-doute la dater.
2. Jouachim mari de la sainte la conduit devant les vieillards.
Ils dirent devant le peuple : « Envoyez chercher brillante, fille d’Helcias, femme de Joakim. » Et on envoya aussitôt.
Elle vint avec ses parents, ses fils et tous ses proches.
Or Suzanne, avait les traits délicats et une grande beauté.
Comme elle était voilée, les juges méchants commandèrent qu’on lui ôtât son voile, pour se rassasier de sa beauté.
Suzanne est face à son mari, avec son fils et sa fille, dont on observe le bonnet, rappelant celui que portaient les fillettes bretonnes. Là encore, la coiffe de Suzanne est intéressante à observer.
3. Comment la sainte fut condamnée à être lapidée par les vieillards.
Les vieillards dirent : « Comme nous nous promenions seuls dans le jardin, elle est entrée avec deux jeunes filles et, après avoir fait fermer les portes du jardin, elle a renvoyé les jeunes filles.
Et un jeune homme qui était caché est venu à elle et a fait le mal avec elle.
Nous étions dans un coin du jardin ; en voyant le crime, nous avons couru à eux, et nous les avons vus dans cette infamie.
Nous n’avons pu prendre le jeune homme, parce qu’il était plus fort que nous, et qu’ayant ouvert la porte, il s’est échappé.
Mais elle, après l’avoir prise, nous lui avons demandé quel était ce jeune homme, et elle n’a pas voulu nous le dire. Voilà ce que nous attestons. »
La foule les crut, parce que c’étaient des vieillards et des juges du peuple, et ils la condamnèrent à mort.
Cette scène de foule montre comment la barbe longue et le chapeau conique participent à la stigmatisation des vieillards, puisque les cinq autres hommes portent des visages glabres et des couvre-chefs si plats ou si ronds que c'est presque caricatural.
Suzanne porte les mêmes vêtements que sur le panneau A3 initial.
2 . Registre moyen.
4. Comment Daniel fist retornes Suzanne disant que estoit po..
Comme on la conduisait à la mort, Dieu éveilla l’esprit saint d’un jeune enfant nommé Daniel.
Il cria à haute voix : « Pour moi, je suis pur du sang de cette femme ! »
Tout le peuple se tourna vers lui et lui dit : « Que signifie cette parole que tu dis-là ? »
Daniel, se tenant au milieu d’eux, dit : Êtes-vous donc insensés à ce point, enfants d’Israël, de faire mourir une fille d’Israël sans examen, sans chercher à connaître la vérité ?
Retournez au tribunal, car ils ont rendu un faux témoignage contre elle. »
Le jeune Daniel paraît vraiment très jeune ; ses beaux cheveux blonds le démarquent des autres, comme un signe d'élection divine, et sa robe blanche souligne son innocence et sa pureté. Suzanne est menée au supplice par deux soldats (on voit deux lances) et par des officiers à cheval. L'élégance de la riche juive de Babylone est ici encore plus manifeste, et sa coiffure peut être détaillée : le front est épilé très en arrière, les cheveux très travaillés sont ramenés par une résille en deux macarons, et la coiffe elle-même ressemble fort à un balzo, ce turban que j'ai détaillé ici : Chapelle de la Fontaine Blanche à Plougastel : le culte de la fécondité.
5. Comment Suzanne fu condamnée par les vieillards.
Alors le peuple retourna en hâte, et les anciens dirent à Daniel :
« Viens, prends place au milieu de nous, et expose-nous ton avis, car Dieu t’a donné l’honneur de la vieillesse. » Daniel dit au peuple : « Séparez-les loin l’un de l’autre, et je les jugerai. »
Quand ils furent séparés l’un de l’autre, Daniel en appela un et lui dit : « Homme vieilli dans le crime, les péchés que tu as commis autrefois sont maintenant venus sur toi,
toi qui rendais des jugements injustes, qui condamnais les innocents et relâchais les coupables, quand le Seigneur a dit : Tu ne feras pas mourir l’innocent et le juste.
Eh bien, si tu l’as vue, dis sous quel arbre tu les as vus s’entretenant ensemble. » Il répondit : « Sous un lentisque. »
Daniel dit « Justement tu dis un mensonge pour ta perte ; car l’ange de Dieu qui a déjà reçu l’arrêt divin va te fendre par le milieu. »
6. Comment ....les vieillards devant la (santance) daniel
Après l’avoir renvoyé, il ordonna d’amener l’autre, et il lui dit « Race de Chanaan, et non de Juda, la beauté d’une femme t’a séduit et la passion a perverti ton cœur.
C’est ainsi que vous en agissiez avec les filles d’Israël, et elles, ayant peur de vous, vous parlaient ; mais une fille de Juda n’a pu souffrir votre iniquité.
Dis-moi donc maintenant sous quel arbre tu les as surpris s’entretenant ensemble. »
Il dit : « Sous un chêne. » Daniel lui dit : « Justement tu as dit, toi aussi, un mensonge pour ta perte ; car l’ange du Seigneur attend, le glaive en main, le moment de te couper par le milieu, afin de vous faire mourir. »
Alors toute l’assemblée jeta un grand cri, et ils bénirent Dieu qui sauve ceux qui espèrent en lui.
Autre scène de foule (neuf personnages) dans laquelle le vieillard lubrique et malhonnête, confronté à la vérité personnifiée par Daniel dont la jeunesse est radieuse, devient pathétique par le seul fait qu'il soit représenté tête nue, avec les cheveux clairsemés.
3. Registre inférieur.
Le soubassement de ce registre est traité au jaune d'argent en ornements de rinceaux et de dauphins.
7. Comment les vieillards furent condamnés par Daniel.
" Puis ils s’élevèrent contre les deux vieillards, que Daniel avait convaincus par leur propre bouche d’avoir rendu un faux témoignage, et ils leur firent le mal qu’eux-mêmes avaient voulu faire à leur prochain ;
afin d’accomplir la loi de Moïse, et ils les firent donc mourir, et le sang innocent fut sauvé en ce jour-là. "
8. Comat dy maines les deulx villars.
9. Comment les viellars furent lapidez par la santance Daniel.
Helcias et sa femme louèrent Dieu au sujet de leur fille Susanne, avec Joakim, son mari, et tous ses parents, parce qu’il ne s’était trouvé en elle rien de déshonnête.
Et Daniel devint grand devant le peuple, à partir de ce jour et dans la suite des temps.
Le roi Astyage ayant été réuni à ses pères, Cyrus le Perse reçut le royaume.
Comparer : Suzanne et les vieillards, Saint-Etienne Bar-sur-Seine
Id, Chapelle Saint-Eustace, St-Maclou à Pontoise Iere moitié XVIe
Id, Troyes.
II. La chapelle de Montmuran au Nord.
Mur est : Baie 1 : Verrière de la Vie de la Vierge Annonciation et Adoration des Mages .
Cette verrière datée vers 1535 se compose de deux lancettes trilobées à deux registres et un tympan à un ajour ; elle mesure 2,20 m de haut et 1,15m de large.
Don de Guy XVII de Laval ?
registre supérieur : Annonciation.
La Vierge est placée à gauche, agenouillée sous un dais à pavillon bordé de franges polychromes et aux pentes bordées de deux angelots. Dans une perspective inhabituelle mais intéressante, elle est tournée vers un prie-dieu du coté opposé à celui par lequel survient l'ange, et le mouvement de rotation qu'elle effectue pour le regarder et l'entendre accentue l'atmosphère de soudaineté et de surprise dans laquelle se déroule cette Annonce.
L'ange Gabriel porte le sceptre fleurdelisé autour duquel s'enroulent, sur un phylactère, les mots AVE (MARIA) GRACIA PLENA. Il désigne de la main droite la colombe fécondatrice du Saint-Esprit. Au sol est posé le traditionnel vase contenant trois lys martagon non épanouis, mais prometteurs. Selon un shéma habituel, la robe et la ceinture de Gabriel sont animés par un mouvement ondoyant de plis qui témoigne de la vivacité de l'irruption du messager divin.
Registre inférieur. l'Adoration des Mages.
Le panneau de droite montre Joseph debout, Marie assise tenant l'Enfant sur les genoux, et le visage du roi Melchior qui offre des pièces d'or dans un calice.
A coté d'un concert spirituel donné par trois anges brille l'étoile qui guida les mages. On observera comment elle est découpée par la forme même du plomb.
A gauche, on voit debout les rois Gaspard qui porte l'encens et Balthazar qui porte la myrrhe.
Selon une tradition que j'ai déjà relevée ici Éloge de l'omission : Le titulus dans l'Annonciation d'Ambrogio Lorenzetti., l'oreille de Balthazar porte la boucle d'oreille que la société médiévale (et ici, Renaissance) considérait comme un signe de marginalité ou d'étrangeté : ici, c'est une façon de souligner, comme les lèvres charnues ou le nez épaté, ou les courts cheveux crépus apparaissant sous le turban, l'origine mauresque du roi. Bien qu'une iconographie de ce roi reste à écrire, on remarque qu'il est ici imberbe, ce qui fait aussi partie de ses caractères discriminants. Enfin, on peut remarquer qu'il tient dans la main gauche le manche d'un poignard ou d'un cimeterre.
Selon Roger Barriè, "Cette verrière, en particulier le registre inférieur, présente un travail pictural particulièrement soigné qui associe dans le modelé des visages (exemple: Roi Mage, Maure) le ton local de grisaille plus ou moins épaisse et des enlevés à la brosse. Cette habileté de modelés est aussi servie par 1'habileté de 1a découpe des nombreux plombs, délimitant les différentes pièces de vêtements ."
Mur nord : Baie 3 : Verrière de la vie de la Vierge et de Jésus.
Elle est datée vers 1535 (1536 ?) et se compose d'une seule lancette de trois registres et de six panneaux. Elle mesure 2,30m de haut et 1,20 m de large; Elle résulte d'une recomposition à partir d'un cycle plus développé.
1. registre supérieur : l'Assomption.
La Vierge couronnée, cheveux longs ruisselants jusqu'à la taille, robe rouge et manteau bleu, s'élève dans les Cieux, accueillie par quatre anges qui se répartissent les couleurs bleu, rouge, vert pâle et violet dans un fond d'irradiation lumineuse jaune.
2. Registre supérieur
a) Présentation du Christ au Temple.
Luc 2,21 et sqq.
« Quand fut arrivé le huitième jour, celui de la circoncision, l'enfant reçut le nom de Jésus, le nom que l'ange lui avait donné avant sa conception. Quand arriva le jour fixé par la loi de Moïse pour la purification, les parents de Jésus le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon ce qui est écrit dans la Loi : Tout premier-né de sexe masculin sera consacré au Seigneur. Ils venaient aussi présenter en offrande le sacrifice prescrit par la loi du Seigneur : un couple de tourterelles ou deux petites colombes »
Cette cérémonie est interprétée comme le rite juif du rachat du premier né, mais ce dernier exigerait selon Exode 13:13) un agneau, alors que les deux tourterelles correspondant seulement à la purification de Marie (Lévitique 12:8).
b) Présentation de Marie au Temple.
La scène est décrite dans le Protévangile de Jacques chapitre VII :
"L'enfant atteignit l'âge de trois ans et Joachim dit : "Appelez les vierges sans tache des Hébreux et qu'elles prennent des lampes et qu'elles les allument et que l'enfant ne se retourne pas en arrière et que son esprit ne s'éloigne pas de la maison de Dieu." Et les vierges agirent ainsi et elles entrèrent dans le temple.
Et le prince des prêtres reçut l'enfant et il l'embrassa et il dit : "Marie, le Seigneur a donné de la grandeur à ton nom dans toutes les générations, et, à la fin des jours, le Seigneur manifestera en toi le prix de la rédemption des fils d'Israël."
Et il la plaça sur le troisième degré de l'autel, et le Seigneur Dieu répandit sa grâce sur elle et elle tressaillit de joie en dansant avec ses pieds et toute la maison d'Israël la chérit. »
En haut des marches,l'officiant est en tenue sacerdotale de grand-prêtre et porte la couronne d'or, nezer ou tzitz.
Registre inférieur :
a) Nativité.
Joseph tient une chandelle dont il protège la flamme, selon l'iconographie diffusée par la Nativité de Robert Campin (1420-25). Marie est à genoux et se prosterne, les mains croisées sur la poitrine. Trois anges entonnent les cantiques d'un concert divin, alors que trois autres anges veillent en Adoration sur l'Enfant. Celui-ci, nimbé, est couché sur le dos sur un linge au dessus d'un panier d'osier et d'un peu de paille. L'étable est un mélange de murs de pierres aux ouvertures en arceau, et d'une charpente en bois.
Dans l'une des ouvertures se dessinnent l'âne et le bœuf ; dans l'autre, deux bergers dont l'un est à genoux, tenant sa houlette, alors que l'autre, debout, tient une cornemuse dont on distingue (sauf erreur) l'outre, le chalumeau (hautbois) évasé en pavillon et le porte-vent.
b) Circoncision.
L'acte rituel est détaillé de façon presque anatomique, peut-être par le restaurateur du XIXe, mais regardons plutôt Joseph, qui détourne les yeux pour échanger un regard attendi avec son épouse, ou encore les femmes du second plan, aux coiffes traitées au jaune d'argent : l'une d'elle tient un enfant emmailloté qui pourraît être le futur Jean-Baptiste.
Selon Roger Barrié, "la présence de plusieurs têtes sur la même plaque de verre indique bien un relachement de l'art du maître-verrier que confirme le shématisme un peu hâtif des modelés".
IV. Chapelle de la Vierge au nord : Baie 5. Les Saints.
a) Tympan.
Au sommet siège Dieu le Père tenant son Fils en croix ; au dessous, sainte barbe (tenant sa tour) et sainte Madeleine (tenant le flacon de parfum) sont représentées en grisaille et jaune d'argent. Les écoiçons contiennent des fragments étoilés et d'anciennes boudines*.
* Boudine : "partie centrale d'une cive [feuille de verre soufflé cylindrique] où le pontil [barre de fer arrondie en boule à son extrémité] laisse une trace [en cul de bouteille] lors de sa mise en forme".
b) Registre médian
Saint Fiacre, saint Jean-Baptiste et un saint guerrier.
Saint Fiacre.
Le saint moine, patron des jardiniers reconnaissable à sa bêche et à son livre, est vêtu d'un scapulaire à capuchon sombre sur sa robe blanche, et la tonsure.
Saint Jean-Baptiste.
Traité comme les autres en grisaille et jaune d'argent, il se reconnaît par le livre et l'agneau, par ses pieds nus et la peau de bête dont il est vêtu sous sa tunique.
Saint guerrier.
Peu de traits distinctifs permettraient d'identifier ce chevalier en armure et tenant une lance dont l'auréole indique la sainteté : saint Georges ? saint Adrien ?
c) Registre inférieur
Sainte Marguerite d'Antioche
La sainte patronne des femmes en couche sort du ventre du dragon ailé qui l'a avalé en utilisant son crucifix comme seul bistouri, témoignant de la force opérante de la Foi.
Sainte Barbe
Cartouche daté nommant les fabriciens de la commande : "1536 M.G.DENOUAL ET GUION DU CHESNE TRESORIERS FIRENT FAIRE CESTE VITRE.
Les généalogistes signalent:
1) François DENOUAL, Sieur de Bois Billiais, né ? en 1490
- Guillaume Denoual (1545-1580), Sieur de la Billiais de la Rivaudais et Lieutenant de Tinteniac, né aux Iffs ,
- Jean Denoual, ca 1582-1632, Sieur du Bois de la Billiais, né et marié aux Iffs
2) Julien DUCHESNE, Sieur de la Toutenais, des Iffs marié avant 1612.
S'il ne s'agit pas exactement de nos fabriciens, cela permet de les situer.
A. Anne-Duportal signalait en 1898 que "les Duchesne et Denoual appartenaient à deux vieilles familles de la paroisse qu'on y retrouve jusqu'à la révolution. La famille Denoual y a même encore des représentants. De Guyon Du Chesne, nous ne connaissons que le nom, nous le trouvons parrain dans un acte de baptême en 1530. Peut-être était-il de la trève de Saint-Brieuc, dont les registres nous manquent. Maître Guillaume Denoual avait épousé demoiselle Anne GICQUEL ; il était sans-doute fils ou neveu de cet autre Guillame Denoual qui fit bâtir en1513 la tour de l’église de ST BRIEUC (Orain, Géographie pittoresque du département d'Ille-et-Vilaine). Nous trouvons encore à coté de lui dans le registre des Iffs d'autres Denoual, ses fils ou petit-fils, alliès par mariage aux diverses familles nobles du pays: François, époux de demoiselle Anne Le Roux ; Guillaume, sieur de la Biliays, marié à jehanne de Lines, fille de Gilles, sieur de lÉtang Breilmarin, et de Jehanne Guinguéné ; Michel, à demoiselle Jehanne Guezille, etc..."
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2077718/f148.image.r=iffs.langFR
Les armoiries "écartelé au 1.et 4. de gueules à trois coquilles d'argent, au 2. et 3. d'argent à deux roses de gueules et une fleur de lis de même" sont celles des Guinguéné, sans-doute originaires de l'ancienne église de La Chapelle-Chaussée en partie démolie en 1830" (Corpus Vitrearum, d'après R. Couffon). Les armes de la famille Guinguené sont effectivement "de gueules à trois coquilles d'argent". La seconde partie est donnée comme étant les armes de N de Thibout, ecuyer ??
Sainte Barbe présente ses trois attributs : la tour à trois fenêtres, la palme du martyre, et le livre.
Anne éduquant la Vierge.
A propos de cette verrière, Roger Barrié écrit :
"Dans le registre supérieur 'l'évanouissement des couleurs, 'la progression du blanc, le trait ferme, le modelé élégant, les architectures, les jeux de fonds, étoffes et dais attestent la deuxième moitié du XVe siècle. Pour le registre inférieur, la montée des couleurs, la richesse des fonds damassés, la liberté dans I'usage du jaune d'argent (dragon), les arcatures correspondent bien à la date de 1536. Ces trois panneaux d'un style trés proche de la verrière n°3 devaient faire partie d'un grand vitrail de la vie de la Vierge, dépecé pour garnir les fenêtres de la chapelle de Montmuran"
" Les trois panneaux du XVe siècle ont été probablement déplacés, dès le XVIe siècle et peuvent provenir de la chapelle Sud, ou chapelle Saint-Fiacre. Le registre inférieur a été installé en 1536, peu de temps aprés l'érection d'un autel à la Vierge dans une ancienne chapelle débaptisée"
V. au sud : Baie 10 : verrière de la Transfiguration et de saint Jean-Baptiste.
Datée vers 1530, elle se compose de quatre lancettes trilobées et d'un tympan à 7 ajours et mesure 4,00m de haut et 2,50 m de large.
Roger Barrié écrit à son sujet que "la sonorité des couleurs, le style tout-à-fait léonardesque des figures, revu par les peintres de Pays-bas, rattachent cet ensemble au groupe des vitraux cornouaillais, bien que le rayonnement des couleurs indique une autre provenance que la Basse-Bretagne."
Tympan :
Sous une colombe (moderne) du Saint-Esprit , huit anges se répartissent les ajours, dont six tiennent des phylactères. On y lit GLORIA IN EXCLECIS DEO ET IN TERRAM,
Registre supérieur.
Les 1ère et 3ème têtes de lancettes renferment des ornements Renaissance surmontant des coquilles teintées. La 2ème tête représente Dieu le Père bénissant avec un phylactère disant "HIC EST FILIUS MEUS DILECTUS IN QUO MIHI (bene complacui)", citation de Matthieu 3, 7 "Et voici, une voix fit entendre des cieux ces paroles : celui-ci est mon fils bien aimé en qui j'ai mis toute mon affection".
La dernière tête de lancette est remplie de deux putti tenant une lanterne.
Les trois lancettes de gauche sont consacrées à la Transfiguration, sur fond rouge semé de petites nuées bleues, limité par des pilastres ornés de candélabres supportant quatre poissons*, symboles christiques, et des guirlandes, typique de la première Renaissance.
* désignés comme "dauphins" par les experts.
La 1ère lancette représente Moïse en buste, sur une nuée, en tunique damassée, tenant une épée et les tables de la Loi (inscription au jaune d'argent) ; les "cornes" traditionnelles de Moïse sont présentes. Puis vient le Christ transfiguré dans une gloire aux rayons ondoyants gravés dans le verre rouge et peints au jaune d'argent, alternant avec des langues de feu peintes. Le nimbe est également en verre gravé. Elie, en bleu, sur son nuage, en buste, est en adoration.
La lancette de droite représente la décollation de saint Jean-Baptiste ; les manches de Salomé et la culotte du bourreau sont en verre rouge gravé.
Registre inférieur
Au dessous se trouvent les saints Pierre, Jean et Jacques le Majeur. Un phylactère en boucle porte une inscription difficile à déchiffrer mais qui correspond à la phrase prononcée par Pierre dans Matthieu 17, 4 :Domine bonum est nos hic esse si vis faciamus hic tria tabernacula tibi unum et Mosi unum et Heliae unum, " Seigneur, il est bon que nous soyons ici; si tu le veux, je dresserai ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie."
A droite se trouve une donatrice protégée par son ange gardien, mais qui est récente (XIX ou début XXe) malgré une fausse patine.
Les armoiries.
Dans des niches ouvrant sur des arcs surbaissés, des anges présentent les armoiries des Montmorency-Laval pleines au milieu et en alliance sur le coté, ceintes du collier de l'Ordre de Saint-Michel. Un procès-verbal de 1750 les décrivait alors dans la maîtresse-vitre.
Les armoiries des Montmorency sont D'or, à la croix de gueules, cantonnée de seize alérions d'azur (4, 4, 4 et 4) (les alérions sont le souvenir de seize bannières ennemies prises au combat) . La branche de Montmorency-Laval porte De Montmorency (cf), la croix chargée de cinq coquilles d'argent.
Les armoiries "en alliance" pourraient être décrites comme "Ecartelé au I et IV d'azur à trois fleurs de lys d'or chargé d'un bande camponnée de gueules et d'argent, , au II et III d'or à la croix de gueules cantonnée de seize alérions d'azur ordonnés 2 et 2 et chargée de cinq coquilles d'argent, sur le tout de gueules au lion d'argent.", en s'inspirant de celles de Guy de Laval, (1338) évêque de Quimper et du Mans.
Baie 12. Nef : Verrière de l'Arbre de Jessé.
Quatre lancettes trilobées
et un tympan à cinq ajours forment cette verrière de 4 mètres de haut et 2,70m de large. Si elle est datée du milieu du XVIe siècle, elle a été recomposée et complétée au XIXe siècle (en 1889) comme l'atteste la signature suivante : "Lecomte et Colin, Rennes, au temps du recteur Joseph Fixot, restaurateur de l'église, Ed. Plaine recteur adjoint" .
Je n'ai photographié que la partie supérieure qui réemploie des fragments d'un Arbre de Jessé, provenant peut-être de la baie 10 de l'église de Louvigné-de-Bais, qui est daté de 1548.
Sources et liens:
Françoise Gatouillat et Michel Hérold, Les Vitraux de Bretagne, Corpus Vitrearum Vol. VII, Presses Universitaires de Rennes, 2005, pp. 243-247.
Patrimoine.région-bretagne, le site de l'Inventaire, P.Y. Castel Les Iffs, Sommaire objets mobiliers, 1993 et Dossier vert par Roger Ballié et J.J. Rioult, 1989.
Alfred Anne-Duportal L'église des Iffs, vitraux, Bulletin et mémoires de la Société archéologique du département d'Ille-et-Vilaine 1889, T.19 p. 97-113
Le vitrail de la Passion, église des Iffs (Ille-et-Vilaine) Svahn, A. Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique d'Ille-et-Vilaine. - Rennes 1932
Le vitrail de la Chaste Suzanne (église des Iffs - Ille-et-Vilaine). Svahn, A. Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique d'Ille-et-Vilaine. - Rennes 1931
Un vitrail de l'église des Iffs (Ille-et-Vilaine). Raison, Abbé Bulletin et Mémoires de la Société Archéologique d'Ille-et-Vilaine. - Rennes 1930