La maîtresse-vitre de la chapelle de Kerdévot à Ergué-Gabéric.
Baie 0.
Cette verrière composite est datée du 4ème quart du XVe siècle, et vers 1520. Elle se compose de 6 lancettes trilobées de cinq panneaux et d'un tympan à 18 ajours principaux. Mutilée, fracassée pendant son transport vers l'atelier du vitrier Cassaigne au milieu du XIXe siècle, elle pose de délicats problèmes de lecture.
Elle est donc contemporaine du retable flamand (1480-1490), et en partage certaines particularités (présence de la Sage Femme).
Elle mesure 7,80 m. de haut sur 4 m. de large. Les lancettes sont consacrées à des panneaux historiés qui, selon Roger Barrié dans sa thèse de 1989, appartiennent à deux séries distinctes, celle de l'Enfance du Christ et celle de la Passion. Ajoutons à cela que le coffre contenant et protégeant le retable d'autel masque les 2/3 de ces lancettes.
Ce caractère parcellaire fait qu'elle est facilement dédaignée ; mais un examen détaillé des panneaux les mieux conservés permettent d'y découvrir des trésors.
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LANCETTES
La partie la plus visible est le registre supérieur, où six scènes se succèdent dans des niches à socles et des dais gothiques élancés se détachant sur des fonds de couleur variées (XVe).
1°) Lancette A (première à gauche).
a) Partie inférieure : panneau de débris, dont une figure barbue tenant un vase, et des anges, l'un provenant d'un ajour. Phylactère portant l'inscription GLORIA IN EXCELCIS DEO -M.
Au dessus, panneau supérieur de l'Annonciation (XVe, peu restauré).
b) Registre supérieur : La fuite en Égypte.
2°) Lancette B.
Registre supérieur : le Portement de Croix avec sainte Véronique. La tête de la sainte est couverte d'une coiffure en turban retenu sous le menton par un voile formant guimpe. Sol traité comme une prairie aux nombreuses fleurs en rosette.
3°) Lancette C.
Registre supérieur : Crucifixion (partie supérieure) et verres losangiques.
Le Christ entre les deux larrons dont celui de droite, le Bon Larron, a le regard tourné vers lui alors que le Mauvais Larron s'en détourne.
A gauche, Marie et Jean, et deux Saintes Femmes (Salomé et Marie de Magdala selon Mc.15:40). A droite, quatre hommes, dont deux soldats (casque ou cotte) ; l'un des personnages en couvre-chef rouge lève la main est prononce les paroles inscrites sur le phylactère : Vere homo hic filius Dei erat , "Cet homme était vraiment Fils de Dieu" : c'est le centurion décrit dans Marc 15:39.
4°) Lancette D.
Registre supérieur : Mise au tombeau (partie supérieure) et verres losangiques.
Au pied de la croix, Joseph d'Arimathie soutient la tête du Christ, et Nicodème les pieds. Marie éplorée est soutenue par saint Jean. Deux Saintes Femmes (dont sans-doute Marie-Madeleine au centre) sont aussi présentes. Celle qui est à l'extrême gauche est coiffée d'un turban retenu sous le menton, exactement comme la Sage Femme de la Nativité du retable de Kerdévot décrit par J.M. Abgrall avant le vol de 1973, et comme la Sainte Femme de la Mise au Tombeau de Rosporden, ou comme sainte Véronique de la lancette B, etc. Le retable de Kerdévot en Ergué-Gabéric (29).
5°) Lancette E.
Registre supérieur : Fragment de Nativité, restauré. En dessous, le panneau supérieur du Mariage de la Vierge, puis deux panneaux de verres losangiques.
—Nativité.
Au dessus d'un berger et de son troupeau, un ange tient une banderole : puer natus est [nobis] ("un enfant nous est né"), qui est l'Introït de l'Office de Noël.
Je m'intéresse au personnage de droite : malgré des traits un peu masculins, c'est une femme (cheveux couverts d'une coiffe) ; il est difficile de dire si c'est elle, ou bien Joseph, qui tient une chandelle (flamme réalisée par gravure du verre rouge ?). Il est vraisemblable qu'il s'agisse de la sage-femme qui apparaît dans les Nativités du XVe siècle, et que les Évangiles apocryphes puis la Légende Dorée décrivent comme étant Salomé.
Nativité, détail : la Vierge.
Le Mariage de la Vierge est un thème issu du Protévangile de Jacques (II-IVe siècle) et de ses adaptations latines par Jacques de Voragine et Vincent de Beauvais, puis de leur traductions françaises par Jean de Vignay. Joseph y est representé tenant dans la main la verge reverdie, signe de son élection divine.
6°) Lancette F (première à droite).
a) registre inférieur : Panneau de fragments dont un évangéliste, et la Vierge assise.
Panneau au dessus : deux saints recomposés avec des fragments, dont un évêque ou un abbé dans une niche architecturée.
On y remarque l'inscription en lettres gothiques M xx et IX cete vistre orner estre oique ; René Couffon* y a lu la date de 1489, que Gatouillat et Hérold estiment acceptable.
*il transcrit "IIIIxx et IX ceste vitre", mais on connaît les relevés fantaisistes de cet auteur.
b) Registre supérieur : Résurrection : le Christ Sauveur ne porte plus le manteau pourpre rouge de sa Passion (cf Portement de croix), mais un manteau violet de sa victoire sur la mort. Il tient de la main gauche l'étendard blanc à croix (rouge) emblématique de cette victoire , et sa main droite, qui bénit, saigne encore des clous de la crucifixion.
Résurrection (détails) :
a) L'élément remarquable de ce visage repose sur le rehaussement des pupilles au jaune d'argent, non remarqué semble-t-il par les auteurs de référence, comme à Malestroit (1401-1425), à Runan (1423), à Saint-Corentin de Quimper (1415), ou au Mans (1435). C'est donc un indice stylistique précieux.
1) Martine Callias Bey, Véronique David Les vitraux de Basse-Normandie 2006-page 119
"La vitrerie de Carentan s'inscrit dans un groupe d'œuvres qui réunit Le Vast et Saint-Lô autour de Coutances : des similitudes apparaissent dans l'exécution de tous ces vitraux au niveau du traitement stylistique et de la technique de représentation caractérisés par des proportions moyennes pour les figures, un dessin précis sans beaucoup de lavis pour les visages, la coloration au jaune d'argent des pupilles et des fines colonnettes engagées le long des architectures d'encadrement."
Nb :Carentan : vers 1450-1470
Saint-Lô : 1420-1425
Le Vast : 1410
2) Françoise Gatouillat, Michel Hérold, Inventaire général du patrimoine culturel- 2005 Les Vitraux de Bretagne page 28 :
"Ces personnages sont largement traités en grisaille et jaune d'argent sur verre blanc, avec un emploi dosé de verres teintés ... On y remarque les figurines aux pupilles teintées de jaune d'argent, manière qui s'observe dans certaines des verrières de Quimper ainsi que dans plusieurs panneaux conservés en Ille-et-Vilaine"
Influence du milieu ducal Jean V Jeanne de France (1399-1442)?
- Verrière de Runan :1423
- Verrière de Saint Gilles à Malestroit : 1401-1425. Cf Congrès archéologique de France 1986- Volume 141 - Page 125
- Cathédrale de Dol deux tympans des chapelles latérales Dol de Bretagne :Verrière de la baie 8 (verrière décorative) vers 1420 : Le Christ et le tétramorphe, anges musiciens et portant des phylactères Voir Baie 8
-Cathédrale de Quimper (1415)
3) on y ajoute (Gatouillat 2003) au Mans :
- La Baie 217 du transept nord de la cathédrale Saint-Julien du Mans. vers 1435.
-La Rose de cette Baie 217.
Au total, ce trait stylistique s'inscrit dans un créneau temporel étroit du début du XVe siècle, avec deux pôles spatiaux regroupés dans l'Ouest de la France, un pôle breton et un autre normand.
Cela n'interdit pas d'admirer aussi la finesse du dessin du nimbe, des traits du visage et de la pilosité de la barbe.
b) le second détail déside dans le damassé du fond bleu.
Résurrection, partie basse, détail.
On s'émerveillera encore du traitement du sol, entièrement irradié par l'éblouissante clarté qui aveugle les soldats : le jaune d'argent est largement appliqué sur les verres blancs où sont dessinés par soustraction grâce au petit bois des fougères, des feuilles de houx ou de chêne, des rosettes. Le jaune très concentré par endroit prend des teintes intenses presque caramel.
TYMPAN
Ce tympan a été partiellement décrit par Roger Barrié dans sa thèse page 96-99, et, pour la partie héraldique, détaillé de façon exaustive par Jean Coignard sur son site grandterrier.net auquel je renvoie. Je ne reprends ici que la partie historiée.
Description de quatre panneaux par Roger Barrié : Trois évangélistes et saint Christophe.
"Baie O, Tympan, Trois évangélistes et fragment d'un saint Christophe
Dimension du tympan : H. 4m30 – L. 2m90.
Biblio : 1896 Ottin page 239. 1904 Abgrall, p.324. 1932 Rayon, pl. 44.
En 1937, on a regroupé dans la baie axiale, afin d'en compléter les parties manquantes, des fragments de vitraux provenant des baies latérales : ces bouche-trous importants ont été placés dans les mouchettes du tympan et au bas des lancette ; les uns, tels les évangélistes, présentent une certaine cohérence, d'autres ne sont que des mosaïques de verres anciens où l'on peut retrouver quelques pièces d'un même sujet comme pour le saint Christophe.
Trois Évangélistes.
1. Saint Marc.
Assis sur une cathèdre dont le dossier supporte des livres à fermoirs, le saint s'apprête à écrire sur un parchemin déroulé sur ses genoux et sur lequel on lit un texte en cursive gothique : "Dm-s pm ba sum/-nlynos su saros " ; il est vêtu d'une robe bleue recouverte d'un ample manteau blanc à galon doré et coiffé d'une toque, il tient le stylet et de l'autre, un long encrier débouché. A ses pieds, le lion couché ; la tête est une restauration assez ancienne dont la maladresse se signale par l'effacement de la sanguine. La tranche des livres ainsi que les fermoirs et les clous ont été obtenus par la gravure de verres doublés rouge et verts, puis teintés au jaune d'argent.
Le lobe inférieur de la mouchette est occupé par un fleuron d'architecture gothique, antérieur au panneau.
2. Saint Luc.
Une chasuble blanche est passée sur sa robe rouge. Le saint, assis sur un trône à dossier et accoudoirs ornés, écrit sur un pupitre porté par un pied rond à godrons ; le second battant du pupitre présente un livre. Dans le logement sous les battants inclinés, on distingue un autre livre sur lequel sont posées une pomme et une poire. A ses pieds, le taureau. Comme dans la scène précédente, les éléments métalliques du livre sont gravés sur verre rouge et teint en jaune. Le bonnet et l'auréole sont modernes.
3. saint Matthieu.
Malgré le bouleversement de la partie supérieure, on distingue bien le manteau blanc par dessus la robe verte., le tronc et le pied du pupitre ; l'accoudoir du trône est constitué d'un motif d'acanthes liées et de petites baies, et le panneau latéral présente deux oiseaux, ailes déployées, enlaçant leur long cou. Le saint tient un encrier ouvert. A ses pieds, l'ange agenouillé, en tunique bleue, tourne la tête. Une pièce déplacée figure un livre. Les morceaux du visage de l'évangéliste proviennent d'une tête féminine ; quelques pièces de verre coloré moderne. Le clou du livre est gravé sur verre vert doublé.
Dans le lobe inférieur, comme dans la scène précédente, on lit le nom du saint sur la banderole et le sol est pareillement traité.
La décoration des sièges des évangélistes, différente pour chaque scène, reprend des motifs que nous avons déjà relevés dans les architectures Renaissance de la baie axiale de Plogonnec et d'Ergué-Gabéric.
4. Saint Christophe.
Dans deux mouchettes voisines, nous avons relevé, parmi des pièces très diverses, notamment de beaux fragments d'architecture gothique, une tête de saint Christophe et celle de l'Enfant ; c'est la comparaison avec le même sujet conservé à Clohars-Fouesnant qui nous a permis d'établir ce rapprochement non seulement iconographique mais stylistique.
—Tête de saint Christophe.
La position du visage levé donne une sorte de raccourci sur le nez qui paraît épaté. Les cheveux forment une boucle continue du front jusqu'à la nuque. Si la grisaille a très bien tenu, il n'en va pas de même de la sanguine si effacée que le verre incolore apparaît nettement.
—Tête de l'Enfant.
Les yeux baissés semblent regarder vers la droite. D'après la direction des regards des personnages, on peut conclure que l'enfant était assis sur l'épaule droite du saint selon la formule courante et à l'inverse de Clohars-Fouesnant. Le rayonnement et les cheveux de l'Enfant sont obtenus par application du jaune d'argent sur verre incolore qui semble ici épais et assez attaqué."
Outre ces scènes décrites par Roger Barrié, le tympan conserve aussi :
1) une Adoration des Mages :
On y remarque sur le plan tecnique l'étoile traitée en chef-d'œuvre.
2) Deux saintes femmes.
René Couffon toujours inventif y voit "une curieuse iconographie de sainte Anne apprenant à lire à la Vierge. Les deux femmes, nimbées, sont de même taille, et ont chacun un livre sur leurs genoux". Mais ce serait un bien rare exemple où sainte Anne aurait les cheveux détachés et non dissimulés sous une guimpe. Je crois que je ne serais pas mieux inspiré en proposant d'y voir une Visitation, car Marie et Élisabeth ne se rendent pas visite avec leur livre de prière.
Sources et liens.
—COIGNARD (Jean), La maîtresse-vitre de la chapelle de Kerdévot, site grandterrier.net
— GATOUILLAT (Françoise) HÉROLD (Michel) 2005 "Les vitraux de Bretagne", Corpus vitrearum recensement VII, Presses Universitaires de Rennes, page 128.
— BARRIÉ Roger (Roger), 1978, Etude sur le vitrail en Cornouaille au 16e siècle, Plogonnec et un groupe d'églises de l'ancien diocèse de Quimper, Thèse de troisième cycle, Université de Haute Bretagne, Rennes, 180 pages.