Les vitraux de Louis-René Petit à Saint-Jean-du-Doigt (29).
C'est un ensemble de 10 verrières couvrant une surface de 80 m², remplaçant l'ensemble des vitraux du XVIe siècle détruits par l'incendie du 5 novembre 1955. Ils ont été mis en place en 1989-1991 et inaugurés par Mgr Guillon évêque de Quimper le jour du pardon de Saint-Jean le 24 juin 1990.
J'emprunte au site Infobretagne http://www.infobretagne.com/saintjeandudoigt-eglise. l'image suivante qui permettra de situer les vitraux (désignés V1 à V10). J'ai appliqué des régles de numérotation différentes, celles du Corpus Vitrearum, numéro pair au sud, impair au nord. Je renvoie au site infobretagne pour la documentation historique complète de cette paroisse et de l'église, ainsi que pour l'inventaire photographique :
Le chevet est éclairé par trois baies (Maîtresse-vitre, baie 1 et baie 2) au tympan de style flamboyant de la deuxième tranche de construction entre 1460 et 1470.
I. La maîtresse-vitre ou Baie 0.
Six lancettes de 11 panneaux, à tête trilobée et un réseau comportant une rosace. Remplage flamboyant. Élévation : 11 mètres.
Thème : le baptême du Christ et la Transfiguration. Ou, d'après les indications de l'artiste en 2005 sur son site http://www.louis-rene-petit.org/spip.php?article9, " la Nuée précédant le Peuple de Dieu, l'ouverture du Ciel, la couleur soutenue par l'espace, l'ombre devient transparente".
Selon Maurice Dilasser, "Le fin réseau gothique de la haute fenètre évoque l'Église, Jérusalem céleste. Les tâches de couleur vives aux formes d'algues rappellent le printemps et la mer toute proche à l'est, et l'automne aux teintes chaudes mais qui s'éteignent dans la gravité du couchant, à l'ouest." (Patrimoine religieux de Bretagne, Le télégramme, 2006, p. 198)
II. Baies du coté droit ou sud B2 à B6 du choeur vers le fond de la nef :
Baie 2, chevet : trois lancettes trilobées de quatre panneaux. Remplage flamboyant. Réseau en un groupe au sommet de sept ajours et deux groupes latéraux de neuf ajours, plus deux écoinçons :
Baie 4 de deux lancettes trilobées de quatre panneaux et réseau de sept ajours:
Baie 6 : deux lancettes de quatre panneaux et réseau de quatre ajours (quatre-feuille, 2 mouchettes, 1 écoinçon).
Baie 8 dans la chapelle : à deux lancettes trilobées de trois panneaux et réseau à trois quatre-feuille et une pièce en losange :
Louis-René Petit indique sur son site cette citation d'Isaïe : "comme un veilleur attend l'aurore".
Baie 10 dans la chapelle : " l'arbre de Jessé" à trois lancettes trilobées de cinq panneaux et réseau de cinq mouchettes et deux écoinçons :
Commentaire de L.R. Petit : "De la nuit des temps s'érigera la racine de Jessé comme un signal" (Isaïe)"
Pour Maurice Dilasser (op. cité) " Le vitrail méridional fait transition. Sa partie basse évoque l'occident et la terre, et à son sommet, l'orient et le ciel. Entre les deux, l'échelle de l'arbre ou de la croix, lien des saisons et des généalogies".
Baie 12 à deux lancettes trilobées de trois panneaux et réseau de huit ajours :
Ce jour-là, la lumière mettait mal en évidence le contraste entre les parties bleutées et les parties jaunes, qui motivent le commentaire de Louis-René Petit : " Tout espace, toute vie a son coté lumière et son coté ombre".
III. Baies placées au nord B1 à B3 :
Baie 1 à trois lancettes trilobées de cinq panneaux et réseau de 14 ajours. Remplage flamboyant:
Très partiellement masquée par le grand pavois d'une maquette ex-voto.
Baie 3 à deux lancettes trilobées de trois panneaux et réseau de sept ajours :
IV. Baie de la facade occidentale :
Quatre lancettes trilobées de neuf panneaux et réseau de 32 ajours. Signature en bas à droite.
V. L'artiste : Louis-René Petit (Melun, 1934-2007):
Peintre verrier diplômé de l'école nationale des Métiers d'Art, il a ouvert un atelier à Orléans puis dans les Alpes-de-Haute-Provence, et a réalisé de très nombreux vitraux parmi lesquels :
- église Saint-Saturnin de Saint-Sornin (Charente-Maritime) 19
- Saint-Jean-du-Doigt
- Eybiens
- Saint-Benoît-sur-Loire
- Montier-en-Der
- Saint-Sauveur-de-Givre-en-Mai
- Abbaye de Sénanque (1994 et 2001)
- église Saint-Saturnin, La-Forêt-Sainte-Croix (Essonne) 2002
- église Saint-Martin, Saint-Martin-en-Brière, 2001
- église Saint-Blaise, Usclades (Ardèche), 2003
- Rasdorf en Allemagne, 2003
- église Saint-Saturnin à Saint-Brice, 2005
En Bretagne, on lui doit les verrières de Sizun (29) en 1989, d'une chapelle à Lanrivain (22) en 1995, de Saint-Servan (35) en 1973 et Le Minihic-sur-Rance (35) en 1993.
Il fut co fondateur du groupe de verriers HYALOS en 1977, puis du groupe TRANSPAROIS en 1989. Le Centre International du Vitrail de Chartres écrit de lui : " il appartient à cette génération d'artistes qui explorent les ressources expressives des matériaux et nouvelles techniques pour dépasser l'approche traditionnelle du vitrail fondée sur le verre mis en plombs. En 1974, il use avec sensualité et poésie de la technique de la dalle de verre pour le préau du collège du Grand-Pré à Montargis : il réussit à rendre dans la masse du verre des formes colorées en vert proprement stupéfiantes, qui ressemblent à de lourdes gouttes d'encre se dissolvant lentement dans de l'eau. "
L'un de ses principes fut de "dissocier les couleurs du graphisme du plomb", principe qu'il illustre par ce détail de la maîtresse-vitre de Saint-Jean-du-Doigt qui montre le passage des couleurs à travers les plombs sur des verres plaqués dégradés à l'acide, et l'autonomie du graphisme des plombs:
(site de L.R.Petit)
Cet artiste nous incite à découvrir toutes les innovations dans le travail du verre par les maître-verriers contemporain : cuisson, surcuisson, trempage, découpage au jet d'eau, contrôle des recuits et des tensions, soufflage de "cives" comme les décrivaient le moine médiéval Théophile par Gérard Garrouste, recherche par Soulages à Conches d'un verre blanc translucide mais non transparent avec le Laboratoire de Saint-Gobain et le maître-verrier Fleury, et enfin expérience par Louis-René Petit de trempage vertical permettant de travailler le décor de grisaille, de jaune d'argent et d'émaux sur les deux faces du verre.
Ces éléments techniques sont bien difficiles à comprendre pour un néophyte, mais face à un vitrail non-figuratif ou même abstrait, le spectateur est mis au défi de dépasser sa manière habituelle d'appréhender une oeuvre par son coté "anecdotique" (en reconnaître le sujet et apprécier comment il est rendu de manière originale et quelles émotions y ont été exprimées) pour en découvrir la matière pensée. C'est Soulages qui préconisait de penser la lumière : nous-voilà amenés, au XXIe siècle, à ne plus regarder le motif d'une oeuvre, mais à en observer les rythmes, le jeu des ombres et des lumières, les vibrations, les données immatérielles, et donc spirituelles. L'abbé Suger de Saint-Denis écrivait au XIe siècle que "l'esprit stupide s'élève à la vérité grâce à ce qui est matériel", mais le matériau qu'est le verre tient son génie paradoxal d' épurer sa matérialité pour la mettre au service de la lumière et de la couleur.
Pour ce changement de regard, nous avons besoin de guides qui viendraient nous faire découvrir l'aspect technique des oeuvres : leur mise en oeuvre concrète, expliquant la fabrication du verre, l'utilisation des plombs, les dangers de surtension ou ceux de choc thermique et de casse et comment ils ont été maîtrisés ici, tout cela au service d'une pensée esthétique.
Ma première réaction face à ces vitraux a été d'évoquer une influence japonisante, et de voir les taches rouges, rosées, blanches ou vertes comme celles qui constellent une estampe de cerisiers en fleurs. Qui sera le critique qui m'initiera à dépasser cette gentille idée?