Ophrys sphegodes,
l'Ophrys araignée à La Palue (Crozon).
Tous mes remerciements vont à Michel David, président de la section locale de Bretagne Vivante.
Cet article est un élément de l'article principal Orchidées sauvages de la Presqu'Île de Crozon.
Selon l'excellent guide Les orchidées en Presqu'île de Crozon de Paule et André Rageot, l'Ophrys sphegodes est la première que l'on puisse observer en Presqu'île, de la fin mars à avril. Une station de la Palue est régulièrement suivie et, cette année, on y comptait sept à huit pieds : c'est dire la fragilité de cette implantation dans un site extrêmement apprécié des surfeurs ou des randonneurs, et menacé par embroussaillement de parcelles, privées ou publiques, jadis cultivées et donc entretenues, mais qui sont vite envahies aujourd'hui par l'ajonc, le prunus ou le saule.
Les conditions ont été éprouvantes pour les plantes cet hiver et en ce début de printemps où les températures matinales étaient proches de 2°C. Aussi des rosettes prometteuses ont vu leur floraison grillée par le gel.
Les images que je donne sont celles des deux fleurs "présentables" dans ces conditions, et on trouvera ailleurs des images de spécimens aux tiges et feuilles moins pâles.
Onomastique botanique, ou "phytonymie".
1. Noms vernaculaires;
Cette orchidée porte plusieurs noms vernaculaires : Ophrys araignée, Ophrys guêpe, Oiseau-coquet. On sait que les ophrys se caractérisent par leur mode de pollinisation qui fait appel aux hyménoptères : leur labelle imite par mimétisme le corps d'une femelle, et la plante émet des substances odorantes proche des phéromones émises par les femelles*, les mâles sont attirés et se livrent à des pseudocopulations pendant que l'ophrys leur colle deux sacs polliniques avec la mission de les livrer à la plante voisine. L'insecte n'obtient même pas sa petite récompense, comme avec d'autres fleurs qui les gratifient d'un demi-verre de nectar. Ici, même pas un pourboire, et l'Ophrys sphegodes est ainsi classée dans les "fleurs trompeuses". Les mâles sont même doublement trompés, "doubly duped mâles"
* en l'occurence, une femelle de nigroaenea Andrena
Dans le cas d'Ophrys sphegodes, il s'agit d'andrènes, différentes selon les stations : Andrena barbilabris en Morbihan, Côtes d'Armor et Ille-et-Vilaine, Andrena thoracica en Finistère. En 2009, François Seité est venu à Crozon photographier et filmé sur la petite station de la Palue la pseudocopulation dans de passionnantes images.
Si les mâles sont les nigauds de cette farce sexuelle, le curieux de nature à qui on va parler de cette orchidée va être, lui le benêt de ce nom vernaculaire d' Ophrys araignée s'il imagine que cette orchidée a été ainsi nommée en raison d'un mimétisme avec l'araignée : quel est le savant qui lui attribua un tel nom, alors qu'aucune araignée ne se confond avec le labelle de cette plante ? Ce nom vernaculaire est inspiré par l'un des synonymes du nom scientifique admis, le nom inventé par Hudson d'Ophrys aranifera, du grec araneus, "araignée", et -fero, "je porte", les anciens ayant trouvé quelque ressemblance avec leurs araignées et le labelle.
En somme, seul notre Ophrys guêpe est judicieux (les Andrènes sont des guêpes solitaires), mais il ne s'est pas imposé.
Avant de revenir au nom scientifique examinons le dernier nom, celui d'Oiseau-coquet. Il est attesté en 1862 par Pierre Charles Marie de Pouzolz, en 1884 à Nîmes où on l'attribue à O. scolopax. Ce nom m'intrigue, mais j'en trouve une explication des Statistique du Département du Var, de N. Noyon, Draguignan 1846 page 78 : sa fleur "représente un petit oiseau se regardant dans un miroir".
Dans les autres langues elle est nommée Early Spider Orchid (G.B), Spinnenblumme (D) Groβe Spinnen-Ragwurz (D), Spinnenorchis (Nederlands) Calabrone (I), Ofride verde-bruna (I), Ofride ragnu (Corse), primeras orquídeas araña (E).
2. Noms scientifiques
L'origine du nom de genre, Ophrys, est souvent rappelée, en évoquant Pline l'Ancien, expliquant que c'est lui qui rapproche le nom de cette plante et le mot grec qui signifie "sourcil". Mais ce dernier, dans le Tome second, Livre XXVI chap. XCIII de son Histoire Naturelle, n'écrit que : "La lysimachia rend les cheveux blonds ; l'hypericon, nommé aussi corion, les rends noirs ; de même l'ophrys, qui ressemble au chou dentelé, et qui n'a que deux feuilles". Ce n'est que plus tard qu'on écrivit (Nouveau Dictionnaire d'Histoire naturelle) que "l'ophrys sert à teindre les cheveux en noir, et probablement les sourcils, lesquels s'appellent sourcils en grecs;3
Le nom actuellement admis est Ophris sphegodes Mill., 1768. L'écossais Philip Miller ( 1691-1771) était jardinier-chef du jardin botanique de Chelsea, et surintendant du Jardin des Apothicaires. cette orchidée est décrite dans la huitième édition de son Dictionnaire, celle dans laquelle il accepta d'utiliser la taxinomie linnéenne, à l'article OPHRYS, entre OPHIOGLOSSUM et OPUNTIA : The Gardeners dictionary, containing the methods of cultivating and improving the kitchen, fruit and flower garden, as also the physick garden, wilderness, conservatory and vineyard ,deux volumes, C. Rivington, Londres.
L'épithète sphegodes vient du grec sphex, "guêpe" ; La comparaison intervient dans la description en latin, que Miller traduit ensuite en anglais : «orchis sive testiculus sphegodes hirsuto flore, Humble Bee* satyrien with green winds"», néanmoins d'une part "Humble bee" signifie "bourdon", et d'autre part dans son texte Miller compare l'ensemble de la fleur à un moucheron "...a loose spike of herbaceous flowers resembling gnats, composed of five petals...".
* Humble bee est l'ancien nom de Bumble bee.
Dix ans plus tard, en 1778, William Hudson décrivit dans sa Flora anglica ? la même plante sous le nouveau nom d'Ophrys aranifera, l'Ophris porte-araignée. Ce fut longtemps le nom en usage avant que Camus & Camus, en 1929, ne souligne l'antériorité de la description de Miller, et que Soó ne l'utilise en 1959. (Voir : http://www.orchideurope.be/publicat/1907NS06.htm).
Synonymes :
crucigera Ophrys
Ophrys fuchsii
fucifera Ophrys
Ophrys galeopsidea
pseudaranifera Ophrys
Ophrys vindelica
Liens:
Site Les Orchidees-Ouest de François Seité et Brigitte Lorella, site qui appartient au site Nature-Bretagne.