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12 février 2012 7 12 /02 /février /2012 13:44

                               Église Saint-Louis à Brest

                       Aigle-lutrin du XVIIIe

              Ange jouant du Serpent (instrument de musique).

 

   Après les lutrins de Guiscriff et de Bulat-Pestivien, Guiscriff : un lutrin anthropomorphe en costume breton.     Bulat-Pestivien : lutrin anthropomorphe en costume breton. voici un Aigle-lutrin de bronze doré, jadis offert par Louis XV à la ville de Brest pour l'ancienne église Saint-Louis, édifice de style jésuite de 1685 dont le nom honorait le roi. Ce lutrin porte (parait-il) la signature d'un fondeur ornemaniste parisien, Lecler, rue de la Ferronnerie, 1759. Ce cadeau était accompagné de six chandeliers et de deux candélabres et complétait un premier don de colonnes corinthiennes de marbre, provenant du temple gréco-romain de Lébida, près de l'actuelle Tripoli, colonnes dont Frézier avait composé un baldaquin pour le maître autel de marbre rouge. Le lutrin, les chandeliers et les candélabres de Louis XV ont été mis à l'abri pendant les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale, et furent les rares pièces à venir témoigner des richesses de l'ancienne église.

  Ce lutrin est décrit comme une oeuvre de style rocaille, "dont le soubassement aux courbes élégantes s'épanouit par trois pieds en volutes où sont assis des angelots musiciens. Dans chaque panneau était enchâssé un médaillon (deux ont disparu). tout autour se déroulent rinceaux et guirlandes fleuries. Au dessus, le corps aminci du lutrin s'évase en un chapiteau ionique, couronné d'un aigle posé sur un globe". Je n'ai rien à ajouter, sauf la description du médaillon : il représente le roi Saint Louis portant la couronne d'épine (Hervé Calvez, Une visite de l'église Saint-Louis, 1918 ,http://catholique-quimper.cef.fr/images/stories/bibliotheque/pdf/pdf_notices/brest-calvez.pdf)

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         Mais je ne me rendais pas à Saint-Louis pour admirer l'aigle royal, fut-il bibliophore ou librofère, mais pour enrichir ma collection d'images de serpent. Et là encore, non pas pour satisfaire à une curiosité d'herpétologue, qui pourrait me démanger à mes heures, ou pour compléter la description de l'Ophiologie du Finistère, ambition ô combien louable, mais pour poursuivre ma découverte de cet instrument de musique cocasse voire aussi drolatique que les Contes du même nom, mais qui était aussi courant jadis dans le choeur de nos églises que le fut par la suite l'harmonium de nos mères, le synthétiseur de nos contemporains, soutenant de ses notes basses les voix séraphines des membres de la chorale. 

   Je rappelle ici que, dans la liturgie, le lutrin (lectorinum) est dédié aux livres de chant comme le Graduel, où sont les chants grégoriens, alors que l'on posera le missel (missale romanum) sur le pupitre placé sur l'autel, et les livres saints sur le légile. L'ambon est l'estrade, fixe, que le lecteur ou le chantre gravit pour s'adresser à l'assemblée. Mais combien d'évangéliaires, combien de lectionnaires se retrouvent placés sur le lutrin au lieu d'attendre sur la crédence, cette petite table  de service? 

    Le serpent, je le sais depuis ma découverte des Anges Musiciens de Bulat-Pestivien  Les vitraux de Bulat-Pestivien : les Anges Musiciens. est un instrument à vent de la famille des cuivres, figurant parmi les ancêtres de la famille avec ses contemporains la corne à bouquin, la sacqueboute ou la buisine, et dont la hauteur le classe pami les basses. Un cuivre n'est, au fond, qu'un tuyau, dont on n'obtient un son grave qu'en augmentant la longueur. Mais si le tuyau est long, les bras de l'instrumentiste, qui doit fermer de ses doigts les orifices des notes, ne le sont pas : on eut donc l'idée, vers 1590, de replier le dit-tube à la manière d'une couleuvre.

   On méconnaît trop la diversité des instruments de musique, et si Bobby Lapointe ne l'avait pas chanté, j'ignorerais tout de l'hélicon, que je confondrais avec le soubassophone. Si de son débit Bobby le beau a rendu gloire à l'hélicon, je souhaiterais pour ma part faire le blason du bigophone, que trop de gens confondent avec le téléphone sans savoir le tort qu'ils font au sieur Bigot qui l'inventa. Rien n'est pourtant plus simple que de fabriquer soi-même ce digne fils du mirliton en prolongeant d'un cornet de papier (ou de carton) un simple Kazoo avant de pouvoir jouer les différentes oeuvres que les auteurs ont inscrit à son répertoire. Mais attention, son usage est interdit dans les tramways pour risque de confusion avec l'avertisseur (ou klaxon) comme  la corne à bouquin ou le serpent. Au volant, le bigophone est proscrit, n'en déplaise à Romain Bigot. Mais si je fais ici état de son invention (1881), c'est par crainte que l'on ne le  confondisse (que vous ne le confondissiez) avec le Serpent, tant il est vrai que Pierre Larousse , dans son grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle de 1890 précise que "on donne à volonté au bigophone la forme d'un serpent, d'une cheminée de locomotive, d'une trompe d'éléphant, d'un escargot gigantesque".

 Bigotphone 2.jpg 

(pour les mordus du bigophone c'est ici : :http://fr.wikipedia.org/wiki/Bigophone#cite_ref-GAITEF_13-3 )

    Quoique cuivre, le serpent est en bois mais recouvert de cuir. Il a la forme d'un S. Dans sa  Note sur le Serpent et l'Ophicléide [instrument qui lui succéda vers 1817 en dotant le serpent (ophis) de clefs (kleidos) ], Paul Garnault écrit " Le serpent était un tuyau de bois  formé de deux fragments évidés, collés ensemble et recouvert de cuir. Il était muni d'une embouchure en forme de bassin dans le genre des embouchures de trompette, mais naturellement plus forte. La note la plus forte était le La -1, au dessous de l'Ut 1 grave du violoncelle, sonnant à l'égal du trombone basse, mais le serpent était en général en si bémol avec une étendue de trois octaves, et il fut le plus grave des instruments à vent en bois jusqu'à l'invention du contrebasson (XVIIe siècle). [..., où P.Garnault mentionne une invention attribuée à Edme Guillaume en 1590 pour accompagner le chant grégorien, bien que le serpentone paraisse très connu en l'Italie dès le milieu du XVIe siècle, ] Si, d'un coté, le serpent du XVIIIe siècle accompagna les chantres au lutrin, aux processions et aux convois funèbres, d'un autre coté il doubla longtemps les trombones des musiques militaires; ces dernières et graves fonctions lui valurent l'estime et même la protection du Directoire."

Encyclopédie de la musique, A. Lavignac, Paris 1827

 

Berlioz utilisa le serpent dans le Dies Irae de la Symphonie fantastique. Mais succomba-t-il à ses charmes ? Je l'invite à cette tribune : 

 " Le timbre essentiellement barbare du serpent eût convenu beaucoup mieux aux cérémonies du culte sanglant des druides qu'à la religion catholique, où il figure toujours, monument monstrueux de l'inintelligence et de la grossièreté de sentiment et du goût qui dirigent dans nos temples l'application de l'art musical au service divin. Il faut excepter seulement le cas où on emploie le serpent dans les messes des morts, à doubler le terrible plain-chant : son froid et abominable hurlement convient sans-doute alors ; il semble même revêtir une sorte de poésie lugubre en accompagnant ces paroles où respirent tous les épouvantements de la mort et des vengeances d'un Dieu jaloux." ( Traité d'instrumentation, I : 230.).

Je  sens  mon auditoire impatient de découvrir le Monstre de l'inintelligence : le voici, aux mains d'un ange :

st-louis 9829c

 


 

 

 

      Les lettres de noblesse du serpent :

Marin Mersenne, Harmonie Universelle, contenant la théorie et la pratique de la musique, Volume 2, Livre 5, pages 278-282 Ed S. Cramoisy, Paris, 1636-1637 :

   http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54710466/f485.image.r=serpent+serpens.langFR

 

... "Mais la vraie basse du Cornet se fait avec le serpent, de sorte que l'on peut dire que l'un sans l'autre est un corps sans âme.|...] Les musiciens ont inventé plusieurs instruments pour les méler avec les voix, et pour suppléer le défaut de celles qui font la Basse et le Dessus, car les chantres qui ont des basses assez creuses sont fort rares, c'est pourquoi on use du Basson, de la Sacquebute et du Serpent, comme on se sert du Cornet pour suppléer celles du Dessus, qui ne sont pas bonnes pour l'ordinaire. Or cet instrument se nomme le Serpent en raison de sa figure qui a des replis, comme l'animal qui porte ce nom, afin que la longueur qu'il aurait, s'il était tout droit, n'incommode point, car il a du moins six pieds de long, et celui sur qui cette figure a été prise a six pieds treize lignes, sans y comprendre la longueur du bocal, qui a demi-pied de long. Or on peut le faire de laiton, et de toute autre sorte de métaux, quoiqu'on le fasse ordinairement de bois de noyer, qui n'a que l'épaisseur d'une demie ligne, ou de quelque autre bois propre à cela ; et puis on le couvre de cuir, comme le cornet, pour le renforcer. Et parce qu'on a coutume de le prendre, et de le porter par le premier pli, on le nerve par dessous le cuir avec des nerfs de boeuf, de peur qu'il ne rompe. On le fait de deux pièces, que l'on colle après ensemble.


serpent-marin-mersenne.png

 

  A montre le trou du Serpent, dans lequel on emboîte le bocal, qui est composé de deux parties, à savoir du bocal et de son col, ou de sa queue ; z-n représente l'embouchure, dont le trou est moindre que le trou de la tête du Serpent A, afin de contraindre l'air.

  Or le Serpent a six trous, par lesquels on lui donne l'étendue d'une Dix-septième, comme on voit aux notes qui sont à coté. Mais il faut remarquer qu'elle est divisée en trois parties, dont celle du milieu contient son étendue naturelle, et conséquemment la meilleure te la plus agréable. Or cette étendue se fait en bouchant premièrement tous les trous, afin de prendre l'ut de G ré sol, et puis en les débouchant l'un après l'autre jusqu' à ce qu'on soit arrivé à l'octave, qui se fait quand tous les trous sont ouverts.[...]

st-louis-9819c-copie-1.jpg

 Or cet instrument est capable de soutenir vingt voix des plus fortes, dont il est si aisé de jouer qu'un enfant de quinze ans en peut sonner aussi fort comme un homme de trente ans. Et on peut tellement en adoucir le son qu'il sera propre pour joindre à la musique douce des chambres, dont il imite les mignardises et les diminutions, qu'il peut faire de trente-deux notes à la mesure, encore qu'il les faille éviter dans la Musique à plusieurs parties, parce qu'il faut simplement sonner ce qui est dans la partie qu'on entreprend de chanter, ni ayant que la seule descente de l'octave qui soit permise."

st-louis 9826c

 

       Si un joueur de bigophone s'appelle un bigophoneux, le joueur de serpent se nomme serpentiste. La pratique instrumentale, d'abord réservée à la liturgie, s'étudie dans les écoles de musique rattachée à un chapitre collégial ou cathédral, les psallettes ou maîtrises où les "enfants de choeur" apprennent en une douzaine d'années (jusqu'à l'age de la mue) toutes les techniques musicales nécessaires à la liturgie, y apprenant le grégorien, le chant polyphonique, la pratique d'un instrument : orgue, clavecin, serpent, basson, basse de viole . A sa sortie de la maîtrise, le jeune, s'il ne devient pas ecclésiastique, ou chantre professionnel, organiste ou maître de choeur deviendra souvent le serpentiste attitré de sa paroisse.

   C'est donc un peu rapidement que j'ai décrit ces trois joueurs assis au pied du lutrin comme des angelots : après-tout, il est possible de les considérer comme des enfants de choeur, mignons, charmants, certes légèrement vêtus mais aussi dépourvus d'ailes que vous et moi.

  Le Serpent double donc, comme l'a écrit Mersenne,  le chant de basse, souvent défaillant  dans les offices ou les chorales : sa puissance permet de rééquilibrer la masse sonore avec les aigus et sert aussi de basse continue. Mais le plus souvent, le serpent est le seul instrument dans les paroisses et sert soit à accompagner le chant grégorien (plain-chant) à l'unisson quand il n'y a qu'un seul chanteur, soit s'il y a deux voix,  pour faire des combinaisons pour le chant, recherchant des harmonies, parfois le contrepoint, ou des ornementations de petites variations et même de légères improvisations.

  

  La première méthode de serpent est celle d'Imbert de Sens, en 1780.

  Après la Révolution, l'organisation des Conservatoires imposa la rédaction de méthodes agrées pour chaque instrument, et ce sera celle de Gossec, en l'an VIII  et de l'abbé Nicolas Roze ( 1745-1819). Citons aussi la Méthode de serpent et de serpent à clef à l'usage des églises proposée en 1816 par Hermenge, ancien serpentiste de la Chapelle Royale de St Germain-L'Auxerrois.



 

III. L'ange joueur de basson.

   Parmi les trois anges du trépied, le troisième a perdu son instrument. Le second joue du basson, et puisque ce lutrin date de 1759, il s'agit d'un instrument rudimentaire.

   C'est sous Louis XIV que le jeu du serpent, qui servait à gonfler les basses, sera associé au basson pour un timbre plus équilibré. Le jeu sera parfois assez contrapunctique 

  Le basson, aussi appelé tarot, et surtout fagot ou fagotto, est un  long tuyau de bois précieux (palissandre ou érable) plié en deux (comme un fagot), et apparu en Italie vers 1546. Marin Mersenne, qui vient de nous présenter le Serpent, consacre ses pages 298 à 303 aux " bassons, fagots, courtauds, et cervelas de musique" (Harmonie Universelle, Paris 1636)http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54710466/f501.image.r=basson.langFR  avec la figure ci-dessous :

basson-marin-mersenne.png

        Le 18e siècle, date de ce lutrin, est une époque où l'instrument évolue beaucoup, et où il joue un rôle important; Vivaldi compose près  de 40 concertos pour basson. C'est l'époque où, comme le montre notre putto, l'instrument se joue main droite en bas et main gauche en haut. Les instruments présentés par Mersenne disposent de différentes clefs, le premier à gauche ayant une clef pour fermer le septième trou.

  Ici, je ne vois pas l'anche ou le bocal (perdus en raison de leur finesse ?) ; je pense voir six trous, et une clef inférieure, mais je ne suis pas connaisseur. Enfin, l'extrémité de la branche ascendante, ou bonnet, n'est pas évasée, et paraît étroite.


 st-louis 9845c

        A la fin du XVIIIe siècle, les orchestres d'harmonie s'étofferont et on ressentira le besoin de renforcer le registre grave : le serpent et le basson sonnant assez faiblement face aux clarinettes, cors, trombones, on cherchera à faire évoluer le serpent vers la basso profundo et en faire un instrument contrebasse, donnant naissance au basson russe, au serpent-basson, au serpent  militaire, au basson Forveille et à l'ophicléide, voire l'ophimonocléide puis enfin aux basses d'harmonie. 

 

Mais quel est le troisième instrument, manquant ? Une basse de cromone ? un cornet à bouquin ? Une flûte ? inventez le ici :

  3. Le troisième ange :

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st-louis-2712c.jpg

  Il a désormais le plus beau rôle : jouer, dans les oeuvres de Mozart, "le silence qui suit l'achèvement du morceau et  qui est encore du Mozart".

Sources :

Pour le serpent, le site incontournable :

 

http://serpent.instrument.free.fr/main/activite/recherches/historique.htm

En complément : compte-rendu du colloque du CNRS Le Serpent sans sornettes de septembre 2011 : 

http://rp-archivesmusiquefacteurs.blogspot.com/2011/11/compte-rendu-du-colloque-le-serpent.html

  Sur les méthodes de serpent au XIXe :

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k123724v/f286.image.r=serpentiste.langFR


 


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Published by jean-yves cordier

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  • "Il faudrait voir sur chaque objet que tout détail est aventure" ( Guillevic, Terrraqué).  "Les vraies richesses, plus elles sont  grandes, plus on a de joie à les donner." (Giono ) "Délaisse les grandes routes, prends les sentiers !" (Pythagore)
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